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Des évènements perturbateurs

Tous au long de cette recherche, il est apparu que les Etats considéraient que la Politique Spatiale Européenne mise en place par la coopération entre l’ESA et l’Union européenne s’était globalement bien déroulée, malgré certaines difficultés au début. Néanmoins, d’autres problèmes liés à la gouvernance ont persisté, ce qui amène encore aujourd’hui les deux principaux acteurs institutionnels à toujours en parler. Ainsi, il est également apparu que certains éléments pourraient venir perturber le bon fonctionnement de cette politique spatiale européenne ou les négociations sur l’évolution de sa gouvernance. Notamment, le Brexit, grand phénomène de l’Etude européenne contemporaine, a certainement un impact sur l’évolution de la politique spatiale en Europe. Le Royaume-Uni, troisième Etat qui contribue le plus au budget de l’Agence quitte l’Union européenne, réduisant ainsi, non pas sa participation personnelle au budget de l’Agence, mais supprimant plutôt, de facto, sa part du budget communautaire alloué à l’espace. Il sera alors intéressant d’analyser si le pays augmentera sa participation au sein de l’ESA après sa sortie du budget communautaire. La sortie du Royaume-Uni n’entraine pas non plus uniquement des considérations budgétaires.

D’un autre côté, si les deux grands programmes que sont Galileo et Copernicus ont globalement porté leurs fruits, d’autres projets de programmes ont déjà vu le jour et pourraient venir perturber l’évolution actuelle de la politique spatiale en Europe. Tant qu’il n’y pas d’accord établissant les responsabilités claires, chaque programme doit faire l’objet de nouvelles négociations et est donc potentiellement l’occasion de nouvelles tensions.

6.1. Les effets potentiels du Brexit

Le Brexit implique toute une série de problèmes intrinsèquement liés à la politique spatiale. Cela créerait d’ailleurs une situation assez compliquée à l’heure actuelle, les négociations étant toujours en cours, il est difficile de déterminer quel en sera le résultat pour les questions spatiales.

Le principal sujet d’inquiétude dans le domaine est la détermination de la participation future du Royaume-Uni aux deux grands programmes Galileo et Copernicus246. En effet, et

pour rappel, ces deux programmes sont réalisés via une coopération de l’Union européenne

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avec l’Agence spatiale, mais ils sont principalement considérés comme des programmes appartenant à l’Union européenne. Les Anglais ayant décidé de quitter cette dernière, ils se retirent de facto des deux programmes. Ces programmes sont principalement financés par l’Union et le départ du Royaume-Uni provoquerait une baisse de douze pour cent du budget européen qui y est consacré247.

Plus qu’une considération budgétaire, il s’agit également de déterminer où vont se trouver les infrastructures liées aux programmes qui étaient au préalable sur le territoire anglais et qui doivent désormais être transférées vers un des Etats membres de l’Union. De plus, Jaime Silva, de la Commission, estime que « les Anglais ont eu un rôle très important au niveau de

la construction de Galileo et de tous les systèmes et de la politique spatiale européenne, parce que les Anglais ont une spécialité, ils ont un très haut niveau dans la sécurité par exemple, ils ont vraiment des capacités très intéressantes pour l’Union européenne, et ils ont donné une contribution énorme »248. En effet, les deux programmes présentent cet aspect de dual use qui est plus problématique pour l’Agence que pour l’Union, et le savoir-faire du Royaume-Uni manquera à l’avenir dans ce domaine. Bien sûr, l’Union peut toujours envisager de signer des accords avec le Royaume-Uni pour que cela devienne un Etat tiers au même titre que la Norvège ou la Suisse. Le problème réside néanmoins dans le fait que ces deux pays ont une participation réduite aux programmes, ce que le Royaume-Uni ne souhaite sûrement pas au vu de sa participation depuis le début. Ainsi, la question clé du Brexit sur les matières spatiales, c’est « l’accès pour le Royaume-Uni à Galileo et Copernicus »249. Egalement lié à ces questions, et plus précisément dans celles de la gouvernance, c’est le fait que le Royaume-Uni ne participera plus aux décisions de l’Union relatives à la politique spatiale, mais participera toujours à celle de l’ESA, apportant ici un déséquilibre plus important qu’auparavant dans la différence entre leurs Etats membres.

Un autre point intéressant qui a été relevé concerne les questions de libre circulation des marchandises. En effet, pour Véronique Dehant, un des problèmes qui pourraient se produire est l’augmentation des prix de certains programmes de recherche ou de développement au Royaume-Uni ou en Europe car les développeurs ne pourront plus faire transiter les pièces utiles aussi facilement250. En effet, le développement de l’industrie spatiale européenne a fait que tous

247 Entretien avec Jaime Silva, Bruxelles, le 13 février 2018. 248 Ibidem.

249 Entretien anonymisé avec un membre du service de recherche du Parlement européen, Bruxelles, le 11 avril

2018.

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les pays ne produisent pas l’entièreté des composants des modules spatiaux et doivent souvent se procurer chez leurs voisins européens.

Moins important, mais tout de même pertinent, le Brexit crée également des problèmes individuels liés au personnel de la Commission, mais aussi aux scientifiques, et principalement ceux du Royaume-Uni. Ainsi, d’une part, la Commission va devoir se passer des services des Anglais, comme par exemple l’actuelle directrice de la DG Grow en charge de la politique spatiale. Loin de toucher uniquement la politique spatiale, le Brexit va créer une sorte de « chaise musicale »251 dans les institutions européennes. D’autre part, pour les scientifiques et chercheurs anglais, Athena Coustenis et l’European science foundation (ESF) craignent un drame dans le sens où les scientifiques anglais, et l’ensemble des sous-traitants anglais des programmes spatiaux communautaires actuels ne seront plus éligibles pour la remise des contrats. Cela équivaut ainsi à une perte de financement non négligeable qui représente une des principales préoccupations de l’ESF252.

In fine, beaucoup de choses vont dépendre des négociations toujours en cours, qui sont

d’ailleurs compliquées par l’aspect de sécurité défense que peuvent avoir les matières spatiales. Giulio Barbolani estime ainsi que le Brexit va ralentir toute initiative politique pour un certain nombre d’années. Il est en effet difficile d’imaginer que la Commission et l’ESA vont réussir à simplifier leur gouvernance tant que le Brexit n’a, lui aussi, pas abouti. Enfin, l’option communautaire semble encore plus compromise que ce qu’elle a pu paraitre au fil de cette recherche puisqu’il est difficilement envisageable que le Royaume-Uni, toujours membre du Conseil de l’ESA, accepterait que celle-ci soit intégrée au modèle supranational qu’il vient de quitter.

6.2. Les nouveaux programmes communs

Un second point peut également venir perturber les discutions sur la future gouvernance spatiale européenne. Bien évidemment, l’ambition de l’Union européenne ne s’arrête pas aux deux grands programmes de l’Union européenne. L’Union a des projets sur la table, mais tout comme au début de la coopération avec l’ESA, elle ne dispose pas de toutes les capacités techniques nécessaires pour développer ces programmes et doit donc réaliser un accord avec

251 Entretien avec Giulio Barbolani, Bruxelles, le 14 novembre 2017. 252 Entretien avec Athena Coustenis, Liège-Paris, le 11 mai 2018.

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l’Agence spatiale. Comme vu précédemment, la production discursive intensive sur les problèmes de gouvernance a principalement vu le jour à cause des problèmes dans la mise en œuvre des premiers programmes mais s’est atténuée par la suite. La négociation et le lancement de nouveaux programmes pourraient relancer l’intérêt d’une série d’acteurs et raviver certaines tensions. Deux projets sont ainsi sur la table à l’heure actuelle, il s’agit de GovSatCom et des projets liés à la surveillance de l’espace orbital253.

Le projet de GovSatCom est une initiative des pays membres de l’Union européenne qui vise à assurer une certaine stabilité des satellites de communications gouvernementaux et est donc hautement stratégique254. Le projet doit être mis en œuvre par l’Agence européenne de Défense (EDA) en coopération avec la Commission et l’Agence spatiale européenne. Pour ce programme également, l’Agence va devoir trouver sa place et définir avec l’Union des rôles et responsabilités. Si la mise en œuvre souffre de quelques problèmes, cela pourrait éventuellement compliquer les négociations sur la gouvernance.

Le second projet est plutôt l’imbrication de projets plus ou moins similaires dans le chef de l’Union et dans celui de l’Agence spatiale. Il y a le Space Situational Awareness (SSA), projet de l’Agence spatiale européenne qui vise à fournir une meilleure connaissance de l’environnement spatial orbital255. Cela passe par une étude de l’impact de la météo spatiale sur les infrastructures humaines ou de la détection des débris ou autres objets ou comètes en tout genre. Parmi ces phénomènes, un des problèmes actuels de la politique spatiale mondiale est la gestion des débris spatiaux produits par plusieurs décennies d’activité humaine. La simple rencontre entre un débris de la taille d’une pièce de monnaie et un satellite peut endommager ce dernier de façon irréversible. C’est dans l’objectif de détecter et de contrôler ces débris que l’Union européenne veut développer un Framework of Space Surveillance & Tracking (SST)256 qui vise à fournir cette assistance aux pays européens et aux institutions européennes. Le SST de l’Union européenne recoupe ainsi une partie du SSA de l’Agence spatiale, ce qui pourrait conduire à des doublons peu nécessaires en termes d’efficacité. Les deux organisations doivent dès lors, ici aussi, trouver un moyen de déterminer de façon précise leurs activités.

253 Entretien avec Giulio Barbolani, Bruxelles, le 14 novembre 2017.

254 Site internet de l’Agence européenne de Défense disponible à l’adresse suivante : https://eda.europa.eu/info-

hub/press-centre/latest-news/2017/09/12/future-european-govsatcom-programme-takes-next-step (Consulté le 18 mai 2018).

255 Site internet de l’ESA disponible à l’adresse suivante :

https://www.esa.int/Our_Activities/Operations/Space_Situational_Awareness/About_SSA (Consulté le 18 mai 2018).

256 Site internet de la Commission européenne disponible à l’adresse suivante :

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Selon McCornick, en 2015, seuls 13 Etats membres de l’ESA participaient au SSA avec des moyens qu’elle ne considérait pas comme suffisants257. Est alors apparue la question de savoir si l’Union européenne ne serait pas mieux placée pour gérer ces matières puisque ces projets touchent également à des questions stratégiques.