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Étude des mouvements sociaux au Sud ou la redécouverte récente des mouvements sociaux en Afrique

PLANCHE N°2 ASPECTS TECHNIQUES – PHASE 1 DU PROJET OGA

CHAPITRE 3 Théorie des mouvements sociau

2. Étude des mouvements sociaux au Sud ou la redécouverte récente des mouvements sociaux en Afrique

Longtemps, l’étude des mouvements sociaux dans les pays du Sud s’est concentrée sur deux phénomènes : les mobilisations sociales en Amérique Latine qui ont été perçues comme une expression de l’émergence des nouveaux mouvements sociaux à l’instar de l’Europe ou des États-Unis, d’une part, et l’analyse des luttes pour la décolonisation en Asie du sud et en Afrique, d’autre part.

En Amérique Latine, la science politique s’est intéressée aux mouvements sociaux suite à l’émergence, à la fin des années 1960, de protestations dans les grands centres urbains d’une large frange d’organisations venant d’horizons différents (classes moyennes, ouvriers, paysans, habitants des quartiers défavorisés) et dont les revendications portaient principalement sur les conditions de vie, les services publics et les droits sociaux (Goirand, 2010, p449). Dans un contexte d’inégalités croissantes et de crise économique de grande ampleur, ces mobilisations sociales étaient pour la plupart des luttes dirigées contre les régimes autoritaires dans lesquelles les églises catholiques de la libération ont été des éléments catalyseurs. Ces évènements ont généré, dans les sphères universitaires, une critique assez radicale des notions de dépendance et de développement. Dans les années 1980, on assiste à un renouveau des protestations sociales en Amérique Latine dirigées cette fois contre les politiques néolibérales. Dans ce cadre, la notion de « spoliation urbaine », développée par Renato Boschi51, désigne une privation de l’accès aux droits sociaux par les populations urbaines marginalisées.

Globalement, les études sur les mouvements sociaux en Amérique Latine ont été très influencées par les cadres d’analyse des nouveaux mouvements sociaux développés en Europe par l’école structuraliste. A l’inverse, les référence aux théories développées aux États Unis sont très rares (Goirand, 2010). Les mouvements sociaux latino-américains ont donc été étudiés sous le spectre de la compréhension du rapport entre changement politique et émergence des mouvements sociaux dans la tradition de recherche inspirée des « nouveaux mouvements sociaux ».

En Asie du sud et en Afrique, l’émergence de mouvements anticoloniaux dans les années 1960 est l’objet d’une attention pour les dynamiques contestataires. Toutefois, en Afrique, force est de constater que l’étude des mouvements sociaux tels qu’entendus ici s’est avérée très faible, si bien que les mouvements sociaux africains sont quasiment absents de la littérature spécialisée. En effet, la communauté scientifique s’est d’abord intéressée aux mouvements de libération dans les années 1960 et 1970 sous l’angle des nationalismes et de la construction de la nation plus qu’aux mouvements sociaux eux-mêmes (McSween, 2010). À partir des années 1980, l’idéologie néolibérale ayant provoqué des bouleversements importants quant au rôle de l’État et ayant favorisé l’émergence du concept de « société civile », concept historiquement lié aux trajectoires politiques occidentales donnant lieu à des débats sur l’existence de la société civile africaine (McSween, 2010), a renouvelé l’approche scientifique. Pourtant, là encore, il ne s’agissait pas d’étudier des mouvements sociaux mais une société civile en émergence. Aujourd’hui, le concept de société civile ayant montré ses limites pour comprendre les évolutions sociopolitiques africaines, on assiste à une redécouverte par les sciences sociales des mouvements sociaux et des questions de mobilisation en Afrique (Banégas et al., 2010). Alors que les décennies précédentes, marquées par la décolonisation, des régimes autoritaires et plus récemment par l’émergence de la notion de société civile qui a dépolitisé les problématiques de l’action collective, ont été peu propices à l’étude des mobilisations sociales en Afrique, on assiste aujourd’hui à un regain d’intérêt pour ces questions.

En France, cet intérêt renouvelé s’exprime notamment au travers du projet ANR « Causes africaines » (Sorbonne). Axé particulièrement sur l’extraversion des militants africains52, le projet examine, au travers de causes africaines, les spécificités de l'action collective, quels que soient les acteurs qui la portent, dans des espaces politiques extravertis, récemment libéralisés, et à l'extraversion complexe. La première étape de ce projet a consisté en une étude qualitative collective rassemblant une équipe de 40 personnes lors du Forum social mondial (FSM) de Nairobi (2007), premier du genre en Afrique. Cet évènement a constitué un formidable terrain d'observation des dynamiques du militantisme transnational africain, à laquelle nous avons pu participer au début de nos travaux de thèse. À la suite, le colloque ‘Lutter dans les Afriques’ puis la publication éponyme (Banégas et al., 2010) témoignent de cet intérêt grandissant pour le militantisme africain. Ainsi, ce champ d’étude en plein foisonnement en France, s’il est très tourné vers l’extraversion des militants ce qui ne constitue pas l’angle d’approche privilégié

dans nos travaux, offre néanmoins un cadre de réflexion dynamique sur le militantisme en Afrique.

Par ailleurs, très récemment, les révoltes du « printemps arabe » ont donné lieu à un renouvellement des réflexions sur les mobilisations sociales dans les régimes autoritaires (Revue Tiers Monde, 2011). Si la classification des pays du Moyen-Orient et du Maghreb dans le « Sud » peut faire débat, ces évènements ont néanmoins permis de renouveler la pensée sur les mobilisations sociales dans des régimes considérés comme peu propices aux mobilisations collectives, notamment selon la politique du conflit de Tarrow et Tilly (2008) (Ben Néfissa, 2011). Ces auteurs invitent à penser les mobilisations sociales dans les « pays de la Méditerranée arabe » en lien avec les « contrats sociaux » tissés entre les États et les citoyens, en accordant une attention particulière aux questions sociales et notamment à l’accès au logement ou aux services autour desquels se forment les dynamiques protestataires et le rapport à l’État dans des mouvements souvent contradictoires (Ben Néfissa, 2011).

Enfin, s’intéresser aux mobilisations sociales au Sud pose nécessairement la question des modèles d’analyse utilisés. En effet, peut-on utiliser les concepts et théories développés pour l’analyse des sociétés occidentales pour étudier le Sud ? Alors qu’en Amérique Latine, les travaux sur les mobilisations sociales ont eu massivement recours au paradigme de « nouveaux mouvements sociaux », en Afrique, la science politique commence seulement à s’intéresser aux mouvements sociaux et la question du déplacement des cadres d’analyse du Nord vers le Sud est à nouveau posée et discutée. Un certain nombre d’auteurs prône ainsi un renouvellement des cadres d’analyse et le développement d’outils mieux adaptés à la réalité sociopolitique des terrains étudiés (Thompson, Tapscott, 2009 ; McSween, 2010 ; Banégas et al., 2010).

3.

De la découverte des « nouveaux mouvements sociaux » dans l’Afrique