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Chapitre 3 : Méthodologie

3.4 Étapes de recherche

3.4.2 Étude de cas (projet QADA) via une observation-participante

L’étape 1 a permis d’identifier sept facteurs de conversion ayant le potentiel de rendre un outil de cybersanté inclusif et contributeur à la réduction des ISS. Souhaitant que cette étude s’inscrive dans une perspective pragmatique et soit utile aux designers et chercheurs en cybersanté, il a été choisi d’explorer ces sept facteurs de conversion en situation réelle. Pour les besoins et la faisabilité de la recherche, cette étude s’est concentrée sur le développement d’un outil de cybersanté pour les proches aidants de personnes âgées en perte d’autonomie (projet QADA). Ce projet, financé par le ministère de la Famille dans le cadre du programme Québec Ami des Aînés (QADA), est dirigé par un groupe de chercheurs qui désiraient inclure la perspective de justice sociale dans leur recherche. Avec une approche initialement centrée sur l’utilisateur, ils ont accepté de modifier cette dernière pour utiliser une approche de co-design. Le but de l’outil à développer était de faciliter le processus de recherche d’aide pour les proches aidants. Actuellement, le non-usage des services d’aide chez les proches aidants est assez bien documenté. On peut résumer trois raisons de non-usage des services : 1) la non-connaissance (les individus ne connaissent pas l’offre de service), 2) la non-demande (les individus connaissent l’offre de service, mais n’y font pas appel par choix ou par contrainte) et 3) la non-réception (les individus connaissent l’offre de service, la demande, mais ne l’obtiennent pas) (Warin, 2010). Plusieurs facteurs viennent influencer ce non-usage. Les facteurs influençant le processus de recherche d’aide chez les proches aidants ont été catégorisés, par notre équipe dans une étude antérieure (Latulippe et al., 2018), en 5 thèmes : 1) liés au service (ex. : délais d’attente), 2) personnels (ex. : sentiment d’intrusion), 3) expérientiels (ex. : utilisation positive d’un service), 4) relationnels (ex. : refus de l’aidé) et 5) informationnels (ex. : être dirigé vers le bon service). Les proches aidants rencontrent plusieurs difficultés dans leur processus de recherche et souhaitent être davantage accompagnés de façon proactive et selon l’évolution de leurs besoins.

Les besoins spécifiques à combler, le type d’outil, la visée (informationnelle ou communicationnelle) étaient inconnus au départ puisque ces éléments faisaient partie intégrante du co-design. L’objet du design participatif n’était donc pas identifié au départ et les premières étapes du co-design étaient justement de le définir. La population des proches aidants de personne âgée en perte d’autonomie était particulièrement intéressante à aborder dans ce projet de thèse puisque, tel que présenté dans le chapitre 1, c’est une population à risque d’ISS.

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Le projet QADA est composé de trois phases (Figure 3.1). La phase 1 vise à comprendre les besoins des proches aidants concernant leur processus de recherche d’aide par des entrevues semi-structurées. La phase 2 est celle du design participatif qui concerne la présente étude. La phase 3 implique des tests d’utilisabilité pour le prototype développé.

Figure 3.1 Phase de conception de l’ensemble du projet QADA et étapes impliquées dans cette étude (en gras)

3.4.2.2 Les sites de recherche

L'étude s’est déroulée dans 11 régions du Québec (Côte-Nord, Mauricie, Centre-du- Québec, Capitale-Nationale, Chaudière-Appalaches, Montérégie, Bas St-Laurent, Gaspésie, Outaouais, Montréal et Laval). Le lieu des séances de co-design a varié selon les disponibilités (ex. : locaux municipaux ou communautaires). Les séances de travail de l'équipe de recherche (séance de préparation) se sont déroulées au centre de recherche, parfois en personne, parfois en utilisant Skype17, avec quelques membres à distance. Les

co-designers ont été invités à participer à la session de co-design dans leur région. Cela signifie que les co-designers n'étaient pas les mêmes d'une session à l'autre, sauf pour le comité aviseur où il était souhaité que les mêmes personnes soient présentes pour les trois séances.

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3.4.2.3 Population, Co-designers et critères de sélection

Tous les co-designers du projet QADA ont été considérés comme des participants à cette étude. Ils sont représentés par quatre catégories : les proches aidants, les travailleurs communautaires, les professionnels de la santé et des services sociaux (PSSS) et l’équipe de recherche.

1) Les proches aidants : 30 proches aidants ont participé au projet QADA. Dans le contexte de ce projet, toute personne qui fournissait une aide non rémunérée sur une base soutenue (hebdomadaire) à une personne âgée ayant une perte d’autonomie était considérée comme un proche aidant. Ces co-designers sont au cœur du projet.

2) Travailleurs communautaires : 26 travailleurs communautaires ont participé au projet QADA. Ils devaient fournir des services ou interagir directement avec les proches aidants d’une personne âgée ayant une perte d’autonomie. La présence de ces co-designers est justifiée pour trois raisons : 1) L’équipe a émis l’hypothèse initiale que les travailleurs communautaires pourraient être des fournisseurs de l’outil ou des utilisateurs de l’outil; 2) ils peuvent apporter une perspective différente que les proches aidants sur leur processus de recherche d’aide (ex : nommé ce qui est moins socialement acceptable comme le sentiment de culpabilité) et 3) comme l’outil se voulait complémentaire à ce qui existe déjà, leur connaissance des outils actuels était indispensable.

3) Professionnels de la santé et des services sociaux (PSSS) : 18 PSSS ont participé au projet QADA. Comme les travailleurs communautaires, ils devaient fournir des services ou interagir directement avec les proches aidants d’une personne âgée ayant une perte d’autonomie. Il pouvait s’agir d’infirmières, d’infirmières auxiliaires, de préposés aux soins, de travailleurs à domicile, d’ergothérapeutes, de physiothérapeutes, de médecins, de travailleurs sociaux, de psychologues ou autres. Leur présence est justifiée pour les mêmes raisons que les travailleurs communautaires.

4) Membre de l’équipe de recherche : L’équipe de recherche du projet QADA était initialement composée de huit co-chercheurs. La participation de ces derniers était variable selon leur disponibilité et leur expertise. Ici, sont considérés à titre de membre de l’équipe de recherche ceux qui ont participé à toutes les phases du projet, soit 4 personnes (directrice du projet QADA, anthropologue et professionnelle de recherche, conceptrice d’expérience utilisateur, auteure de cette thèse et doctorante en technologie éducative).

Le choix des co-designers amène plusieurs avantages et enjeux liés à la participation démocratique. Entre autres, on peut se questionner sur les risques que la voix des

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professionnels prenne plus de place que les proches aidants, que ces derniers soient moins à l’aise à participer et à s’exprimer dans le groupe, que cela questionne leur capacité à faire des choix par eux-mêmes, qu’il y ait un biais induit par les professionnels dans l’identification des besoins. Cependant, il y a aussi une richesse potentielle dans l’écoute des différentes perspectives, dans le croisement des regards sur la proche aidance, dans l’écoute active des professionnels autour de la table lorsqu’un proche aidant s’exprime et un éventuel soutien extérieur aux séances de co-design. L’équipe a fait le choix d’intégrer les professionnels (travailleurs communautaires et professionnels de la santé) pour les raisons nommés ci-haut tout en mettant des mesures d’amoindrissement des risques comme le fait d’avoir plus de proches aidants par séances de co-design que les autres profils de co- designers, de faire des sous-groupes homogènes (juste les proches aidants ensemble) pour certaines activités, d’avoir des modérateurs pour les sous-groupes hétérogènes pour s’assurer d’entendre la voix des proches aidants. L’article 3 abordera ces enjeux.

3.4.2.4 Recrutement

Le protocole du projet QADA a été prévu pour l’analyse des données secondaires. Comme la collecte des données de cette étude est basée sur les séances de co-design, les séances de préparation et de débreffage de l’équipe de recherche, il n’y avait pas de recrutement supplémentaire à prévoir. Le projet QADA a utilisé une stratégie d’échantillonnage intentionnel initialement, qui s’est finalement avérée être davantage par convenance. Il était souhaité initialement d’obtenir une diversité de profils sociodémographiques afin d’avoir des perspectives variées. La direction des soins à domicile et des soins aux personnes âgées des 11 centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) a été contactée pour recruter des PSSS. Les membres des organisations communautaires ont été recrutés par contact direct via le téléphone ou par courriel. Il leur a été demandé de publiciser notre annonce de recrutement auprès des proches aidants qui fréquentent leur établissement et leurs activités. Enfin, des annonces de recrutement de proches aidants ont été affichées dans 30 groupes de médecine familiale dans toute la province. Toutefois, cette dernière méthode de recrutement n'a pas fonctionné. Les proches aidants ont donc été recrutés par l'intermédiaire des services des PSSS et des travailleurs communautaires ce qui implique qu'ils étaient déjà des utilisateurs de services. Voir les articles portant sur le projet QADA pour plus de détails (Giroux, 2019; Latulippe, Guay, et al., 2019; Latulippe, Tremblay, et al., 2019; Tremblay et al., 2019).

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3.4.2.5 Collecte de données

La collecte de données du projet doctoral concerne la phase 2 du projet QADA, Plusieurs étapes de la phase 2 du projet QADA ont été pertinentes pour l’examen des facteurs de conversion :

1) Réunions préparatoires aux séances de co-design (y compris le comité aviseur) par l’équipe de recherche (n = 24). Elles ont permis d’informer sur les efforts mis en place pour assurer une mobilisation optimale des participants, pour obtenir une prise de décision consensuelle et le choix des informations à présenter pour tenir compte des facteurs de conversion. Les documents qui en ont résulté (planification des séances de co-design) et l’enregistrement audio de ces réunions ont servi de données brutes pour l’analyse. Le Tableau 1 présente le nombre de séances de préparation nécessaires pour chacune des séances de co-design.

2) Sessions de co-design (n = 8 séances de co-design et 3 séances de travail du comité aviseur). Les séances de co-design ont informé sur l’intégration des facteurs de conversion dans l’outil de cybersanté. Le comité aviseur ayant pour rôle d’être le gardien de la voix des co-designers, de conseiller l’équipe de recherche sur le plan méthodologique et de trancher si des tensions entre des décisions apparaissaient, ces séances de travail ont aussi informé sur l’intégration des facteurs de conversion ainsi que sur le processus démocratique. Les données sociodémographiques des participants (complétées par eux-mêmes), les documents qui en résultent (artefacts), les enregistrements audio (lorsqu’il y a des activités en sous-groupes) et les vidéos de ces séances ont servi de données brutes pour l’analyse. Les détails de chacune des séances de co-design sont présentés dans un article sur le projet QADA (51). Toutefois, le tableau 1 les résume.

3) Les réunions de débreffage (n = 11). Elles ont permis de situer rapidement la perception des chercheurs sur le processus et les facteurs de conversion. La prise de notes pendant le débreffage et les enregistrements audio ont également servi de données brutes pour l’analyse. Chaque rencontre a eu lieu immédiatement après chaque séance de co-design. Tableau 3.1

Contenu couvert dans les séances de co-design et nombre de séances de préparation requises. Séance de travail Nombre de séances de préparation requises* (N = 24)

Nombre et type de co- designers (N = 74 + 4 membres de l’équipe de recherche)

Contenu couvert dans les séances de co- design ou du comité aviseur

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CoD1 2 2 travailleurs communautaires, 2 PSSS, 3 proches aidants Identification des besoins auxquels l’outil doit répondre. CoD2 1 1 travailleur communautaire, 1 PSSS, 4 proches aidants Idem CA1 1 2 travailleurs communautaires, 2 PSSS, 1 proche aidant

Choix final des besoins et recommandations pour la poursuite du co- design CoD3 1 2 travailleurs communautaires, 2 PSSS, 2 proches aidants Explorer les fonctionnalités existantes qui

répondent aux besoins et identifier les écarts entre ce qui existe et les besoins précédemment identifiés. CoD4 2 2 travailleurs communautaires, 2 PSSS, 1 proche aidant Remue-méninges sur les fonctionnalités qui pourraient répondre aux besoins non satisfaits par l’exercice précédent. CoD5 3 3 travailleurs communautaires, 2 PSSS, 3 proches aidants Choix des fonctionnalités à intégrer dans l’outil et développement de l’architecture du site.

CA2 1 4 travailleurs

communautaires (dont 1 qui a aussi participé au CA1), 2 PSSS ayant aussi participé au CA1, 2 proches aidants (dont 1 qui a aussi participé au CA1)

Choix des

fonctionnalités qui n’étaient pas

consensuelles dans les sous-groupes de travail CoD6 3 4 travailleurs communautaires, 3 PSSS, 3 proches aidants Fonctionnalités et développement du contenu CoD7 5 3 travailleurs communautaires, 2 PSSS, 5 proches aidants Fonctionnalités et développement du contenu

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CoD8 3 4 travailleurs communautaires, 2 PSSS, 7 proches aidants Fonctionnalités et développement du contenu et prétest

CA3 2 Idem au CA2 Exploration du

prototype, choix des fonctionnalités plus ou moins réalistes et discussion sur le contenu.

CA = comité aviseur

CoD = séance de Co-design PSSS = professionnels de la santé

*Le nombre de séances de préparation n’a pas été défini à l’avance, mais plutôt en fonction des besoins, selon l’évolution du prototype et la complexité de l’analyse des résultats.

3.4.2.6 Analyse

Le plan d’analyse a d’abord suivi la méthode proposée par Miles et Huberman (2013) dans trois activités d’analyse convergentes : condensation des données, présentation des données et élaboration/vérification des conclusions.

Le but de la condensation des données est de « trier, distinguer, rejeter et organiser les données de manière à pouvoir tirer des conclusions définitives et les vérifier » (Miles et al., 2013). Dans cette étude, cela s’est traduit par un résumé écrit de chaque document et des enregistrements audio/vidéo concernant la préparation des sessions de co-design, les sessions de co-design elles-mêmes et le débreffage. Il y a donc une première analyse qui est effectuée en déterminant ce qui sera rapporté dans le document de synthèse. Ce choix a été fait sur la base de la question suivante : ce qui est dit dans l’enregistrement renseigne- t-il de quelque manière que ce soit sur l’un des facteurs de conversion ? Dans l’affirmative, l’extrait a été transcrit dans un document Word. Ensuite, les réflexions qui se sont dégagées lors de la rédaction de la synthèse ont été rédigées en mode commentaire. Les documents ont ensuite été importés dans le logiciel MAXQDA18. Il s’agit d’un logiciel d’analyse

qualitative qui permet d’analyser des documents écrits, ainsi que des documents audio, des photos et des vidéos. Un codage déductif a été effectué pour associer le contenu des

18 (https://www.maxqda.com/qualitative-analysis-

software?gclid=Cj0KCQiA9dDwBRC9ARIsABbedBPKkgCrDQsHghmqrlzVwlylabUBXSrLnUArU6SPiKwL75uMcOl7M3caAkr zEALw_wcB).

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documents de synthèse aux sept facteurs de conversion. À l’intérieur de ces thèmes, des sous-thèmes ont été créés de manière inductive (Miles et al., 2013).

La présentation des données est une collecte organisée d’informations qui vise également à tirer des conclusions. On la trouve sous forme de tableaux, de cartes cognitives et de matrices. Dans cette étude, les cartes cognitives sont utilisées pour comprendre comment les facteurs de conversion peuvent être pris en compte dans l’outil ainsi que les relations entre eux. Les données sont aussi présentées sous forme de tableaux pour examiner le déroulement des événements, l’importance accordée aux facteurs de conversion en fonction des moments et la progression du prototype (Miles et al., 2013).

L’élaboration/vérification des conclusions se fait lorsque le chercheur donne un sens aux données. Ces conclusions doivent toutefois être rigoureusement vérifiées par un examen par les pairs (consensus intersubjectif) ou par le travail de reproduction d’un résultat dans un autre ensemble de données (triangulation) (Miles et al., 2013). La seconde étant difficile à réaliser dans cette étude, les documents de synthèse, les cartes cognitives et les tableaux ont été présentés et discutés avec les deux directrices de thèse de l’auteure. De plus, l’exactitude des documents de synthèse a été vérifiée par un autre membre de l’équipe de recherche (une anthropologue et professionnelle de la recherche). Ayant participé aux séances de préparation, de co-design et de débreffage et compte tenu de l’énorme quantité de données brutes, elle a fait la lecture de 10 % des documents au hasard et a validé que la synthèse reflétait bien le contenu (Miles et al., 2013).

Pour approfondir le facteur de conversion lié à la participation des personnes concernées dans le design de l’outil, la méthode du questionnement analytique de Paillé et Mucchielli a été utilisée (Paillé et Mucchielli, 2012). Cette méthode consiste à questionner par des questions précises le corpus de données.