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1. Les processus érosifs

i. Contexte général

Dans les bassins versants marneux des Alpes du Sud, la combinaison de facteurs géologiques, climatiques et humains conduit à une érosion importante des sols et à la formation de paysages singuliers caractéristiques, les modelés de badland8, caractérisés par un découpage du bassin versant en ravines9 de taille variable (Photo 1).

En effet, les vastes affleurements marneux présents dans cette région sont des terrains très érodables soumis à un climat subméditerranéen et montagnard très marqué caractérisé par des hivers frais et humides et des étés chauds et secs entrecoupés de violentes averses. À ces causes naturelles vient s’ajouter le facteur humain. Jusqu’au début du XXème siècle, les populations portent un jugement négatif sur la forêt qui refroidit le climat et ne permet aucune

8 Les badlands désignent des terrains ruiniformes sur sols marneux ou argileux fortement érodés par le vent ou par le ruissellement des eaux de pluie, comprenant ravines, canyons ou cheminées de fées.

9 Un bassin versant correspond à la surface drainée par le torrent principal et une ravine, telle qu'elle est définie dans le cadre de cette thèse, à la zone drainée par un ruisseau et dont la surface est inférieure à un hectare. Une ravine est définie par sa forme en V et dépasse un mètre de profondeur. Elle est généralement constituée d'un lit et de versants plus ou moins longs et pentus (Rey, 2002).

Photo 1 : Badland marneux, Alpes de

Haute Provence

Source : Didier Richard, Cemagref

Photo 2 : Envasement du lit de la

Bléone, Alpes de Haute Provence Source : Freddy Rey, Cemagref

valorisation des terres. Des déboisements massifs pour l’exploitation du bois et des terres ainsi qu’une pression de pâturage importante ont donc eu lieu jusqu’à la déprise agricole et l’abandon progressif des terres, laissant le substrat à nu (Vallauri, 1997). Malgré les efforts colossaux des services de Restauration des Terrains en Montagne (RTM) pendant plusieurs décennies et le reboisement de centaines milliers d’hectares (Brugnot, 2002), d’importantes surfaces restent aujourd’hui soumises à l’érosion (près de 40000 ha dans le bassin versant de la Durance) provoquant chaque année la perte de plusieurs centaines de milliers de mètres cubes de matériaux (Balland et al., 2002). Sous l’effet des agents érosifs, des matériaux sont d’abord détachés de la roche mère, puis transportés lors de violents orages à l’aval des bassins versants où ils se déposent (Photo 2 – Encadré 2). Cette érosion ravinante est associée à d’importants enjeux humains liés notamment à l’augmentation du risque d’inondation provoqué par les dépôts de sédiments et l'exhaussement du lit des cours d'eau.

ii. Les formes d’érosion dans les ravines marneuses des Alpes du Sud

L’érosion des sols est un processus en deux temps comprenant une phase de détachement des particules du substrat, suivie d’une phase de transport par les agents érosifs, ici les eaux de ruissellement. Ensuite, lorsqu’il n’y a plus assez d’énergie pour le transport des sédiments, une phase de dépôt a lieu, souvent beaucoup plus en aval du bassin versant (Morgan, 1995 – Encadré 2). Dans les ravines marneuses des Alpes du sud, les processus d’altération par les agents atmosphériques, alternance gel/dégel et dans une moindre mesure humectation/dessiccation, provoquent une fragmentation importante des marnes (Descroix & Mathys, 2003). La roche mère est ainsi recouverte d’une couverture détritique de faible cohésion, constituée de fragments marneux grossiers dans une matrice de matériaux plus fins (Maquaire et al., 2002). Lors d’évènements pluvieux suffisamment importants, ces matériaux sont transportés vers l’aval de la ravine et du bassin versant. D’une manière générale, les sédiments peuvent être entraînés soit par du ruissellement, soit par des mouvements de masse (Bouma & Imeson, 2000).

Le ruissellement est la plupart du temps un ruissellement concentré : les écoulements diffus se concentrent rapidement dans des dépressions du terrain ou des rigoles préexistantes (Photo 3), ce qui provoque leur accélération et l’augmentation de leur pouvoir érosif. Les mouvements de masse, correspondent au déplacement gravitaire de la couche superficielle détritique de sol (Photo 3) lorsque celle-ci est saturée en eau. Oostwood Wijdenes et Ergenzinger (1998) ont qualifié ces petits glissements de terrain de "mini laves torrentielles" (miniature debris flows). Ces phénomènes devraient donc plutôt être décrits comme des phases de ruissellement très chargé en matériaux. Lors de mini laves torrentielles (MLT), les concentrations de sédiments charriés peuvent atteindre des valeurs bien supérieures à celles du ruissellement. Bouma et Imeson (2000) ont observé des pics à 800 g.L-1, et Oostwoud Wijdenes et Ergenzinger (1998) des valeurs atteignant 1400 g.L-1 pour les MLT les plus concentrées. Cependant, ces matériaux ne sont souvent déplacés que sur quelques mètres et se déposent plus en aval dans

INTRODUCTION GÉNÉRALE Érosion et végétation dans les badlands marneux

la ravine pour être éventuellement remobilisés plus tard. Ainsi, à l’échelle d’une ravine non végétalisée, les concentrations en sédiments produits à l’exutoire de la ravine sont plus faibles et de l’ordre de 50-150 g.L-1, avec des valeurs maximales pouvant atteindre 300 g.L-1 (Mathys et al., 2003).

Photo 3 : Formes d'érosion rencontrées

majoritairement dans les terrains marneux des Alpes du Sud françaises. À gauche, le ruissellement concentré creusant d'importantes rigoles sur un versant marneux, et à droite, un mouvement de masse superficiel ayant eu lieu lors d'une violente averse de fin d'été (bassin versant du Saignon, La Motte du Caire – Source : Freddy Rey).

Ces phénomènes érosifs sont ponctuels, à la fois dans le temps et dans l'espace. La variabilité saisonnière de la production de sédiments a été étudiée en détails. Au cours de l’année, deux phases peuvent être distinguées (Descroix & Mathys, 2003) :

- en hiver, une phase de détachement des particules de sol prédomine,

- en été, les orages, souvent violents, assurent le transport des matériaux détachés. De plus, à l’échelle d’une ravine, les transports de sédiments pendant la saison estivale sont inégaux et ont essentiellement lieu en juillet et août au cours des orages de fin d’été (Figure 6).

Figure 6 : Variabilité saisonnière de la

production de sédiments à l’échelle d’une ravine. Le graphique est une représentation polaire de la masse mensuelle cumulée de sédiments récupérés à la sortie de la ravine. Le transport de sédiments à l'exutoire de la ravine a lieu principalement aux mois de juillet, août et septembre. Les sédiments accumulés en hiver dans le lit des ravines (Encadré 2) sont remobilisés lors des orages de fin d'été.

D'après Mathys, 2006.

En ce qui concerne la variabilité dans l'espace des phénomènes érosifs, plusieurs facteurs sont à prendre en compte ; ceux-ci sont présentés dans la partie suivante.