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Énoncer les valeurs en choisissant des supports appropriés

Dans le document LIVRE BLANC (Page 76-79)

La difficile régulation des conflits de valeurs

Rares sont les fonctionnaires qui ne se sont pas trouvés confrontés, au cours de leur vie professionnelle, à une situation dans laquelle des contradictions apparaissaient entre les valeurs qu’ils doivent appliquer. Si la qualité contribue à l’efficacité, l’évaluation à la performance et la fraternité à la solidarité, toutes les valeurs ne sont pas liées entre elles par la même complémentarité.

Face à un usager en situation précaire dont la demande ne peut être satisfaite au regard du droit applicable, le fonctionnaire est confronté au conflit entre, d’un côté, la légalité, qui devrait le conduire à rejeter purement et simplement cette demande, et l’égalité, qui prohibe tout traitement de faveur en fonction de la personne, de l’autre la solidarité et l’équité, qui pourraient le conduire à prendre en compte la détresse individuelle de son interlocuteur. Autre exemple : faut-il, au nom de l’efficacité et de la performance, ne consacrer que le temps strictement nécessaire au traitement de la demande d’un usager, ou, par respect, prendre le temps d’écouter les préoccupations qu’il exprime, même si elles sont sans rapport direct avec l’objet de sa démarche auprès de l’administration ? Nombreux sont les agents publics qui pourraient illustrer ces paradoxes d’exemples vécus.

Jean-Paul Delevoye, ancien ministre, médiateur de la République, membre de l’instance collégiale de la conférence nationale, indiquait lors de la conférence de clôture de la semaine de la fonction publique : « Les préfets sont tenus d’exécuter les décisions de justice relatives aux loyers impayés, tout en étant soumis à l’obli-gation de reloger les personnes concernées, ce en vertu du droit opposable au logement. Dans une telle situation, comment mesurer la performance ? »

Pour être problématiques, les conflits de valeurs n’en reflètent pas moins la richesse des principes d’action du service public et de la fonction publique. Exclure certai-nes valeurs au nom d’une cohérence pure et parfaite serait appauvrir celles qui font vivre l’intérêt général. L’enjeu n’est donc pas de bannir toute contradiction du référentiel des valeurs du service public et de la fonction publique, mais de mettre en place les outils permettant aux fonctionnaires confrontés à des conflits de valeurs de savoir quelle ligne de conduite adopter.

Orientation stratégique n

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I : préciser, diffuser et faire vivre les valeurs du service public et de la fonction publique

Énoncer les valeurs en choisissant des supports appropriés

PRoPosiTion n° 1 Établir une « charte des valeurs du service public et de la fonction publique »

La première mesure à prendre pour faire en sorte que les valeurs soient effective-ment appliquées est naturelleeffective-ment de les inscrire dans un texte qui les recensera et en donnera la définition. Deux options sont, dès lors, à envisager : soit les valeurs prennent la forme d’un texte à portée normative, tel qu’une loi ou un décret, et s’imposent par voie de conséquence aux fonctionnaires, soit elles sont

rassemblées dans un texte sans portée normative, tel qu’une charte ou un guide de bonne pratiques, et exigent par conséquent l’adhésion individuelle et collective des agents. On a vu (cf. « Les valeurs des services publics et de la fonction publi-que : un corpus commun en cours d’évolution », p. 50) publi-que ces deux modalités existaient aujourd’hui.

Il faut préciser que, si l’option d’un texte normatif était retenue, le support juridique approprié pour fixer les valeurs du service public et de la fonction publique devrait être la loi. En effet, si les valeurs ne sont pas toutes au nombre des « garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’État » men-tionnées à l’article 34 de la Constitution comme relevant du domaine de la loi, et pourraient donc, pour beaucoup, être édictées par décret, le recours à la loi sera indispensable pour rendre les valeurs applicables aux agents des collectivités territoriales, qui s’administrent librement, selon l’article 72 de la Constitution, et un simple décret pris en la matière par les autorités de l’État disposant du pouvoir réglementaire ne serait donc pas applicable aux agents de la fonction publique territoriale. Dans ces conditions, il serait logique de compléter la loi du 13 juillet 1983, applicable aux trois fonctions publiques, en y mentionnant les valeurs.

De prime abord, plusieurs arguments plaident en faveur du choix d’un texte à portée normative. Tout d’abord, un support normatif placera les fonctionnaires dans l’obligation d’appliquer les valeurs, ce qui pourrait apparaître comme la meilleure garantie de leur effectivité. Ensuite, certains pays étrangers, comme le Danemark ou l’Espagne ont intégré les valeurs du service public et de la fonction publique dans la loi, mais cet argument est à nuancer, car la portée de la loi est très différente selon les systèmes juridiques en vigueur dans chaque pays, et l’exercice de comparaison est donc périlleux. Enfin, on relève que, parmi les diffé-rents référentiels de valeurs existant dans le service public administratif français, certains ont pris la forme de décrets, comme c’est le cas du code de déontologie de la police nationale et de celui des agents de la police municipale.

Toutefois, l’option du texte normatif soulève trois difficultés. La première est d’ordre juridique. Comme on l’a déjà dit, l’égalité, l’adaptabilité, ou encore la responsabilité en tant que valeurs n’ont pas entièrement la même signification que celles que leur donnent la législation et la jurisprudence. Mentionner les valeurs dans un texte à portée normative en leur donnant une définition différente de celle qui résulte du corpus juridique préexistant poserait donc de délicats pro-blèmes de cohérence. Les juges, à qui il appartiendra de trancher les éventuelles contradictions entre le sens juridique d’un terme et sa signification en tant que valeur seront donc, en définitive, maîtres de la portée qu’il convient de donner à une valeur en fonction de leur propre mode de raisonnement. Une telle situation n’est pas nécessairement opportune pour des valeurs dont l’objectif est avant tout de donner du sens à l’action des services publics et de ses agents.

La deuxième est d’ordre pratique. Parce qu’elles se nourrissent des transforma-tions de la société, les valeurs du service public et de la fonction publique ont vocation à évoluer. L’efficacité, que les fonctionnaires placent en 2008 au premier rang des valeurs d’avenir, n’aurait certainement pas suscité une telle adhésion il y a encore dix ans. Dans un monde en évolution rapide, des valeurs négligées à ce

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jour peuvent devenir indispensables à la bonne marche du service public et de la fonction publique dans quelques années. Au contraire, d’autres valeurs peuvent se révéler moins importantes avec le temps. Or, l’actualisation d’un corpus de valeurs gravé dans le marbre de la loi sera particulièrement délicate, car elle nécessitera un processus particulièrement lourd. Ce corpus risque donc rapidement de se figer et de perdre de sa pertinence.

La troisième, et c’est de loin la principale, est d’ordre stratégique. De multiples participants aux débats de la conférence nationale ont déploré le poids excessif du droit dans le fonctionnement du service public et de la fonction publique.

Dans un contexte où la gestion des ressources humaines se concentre aujourd’hui déjà beaucoup trop sur l’application de textes, l’ajout d’une nouvelle strate à l’amoncellement de ceux déjà existants va à l’encontre d’une refondation des services publics et de la fonction publique par la simplification des procédures et l’écoute des besoins des usagers. Les fonctionnaires se sont suffisamment vu imposer des textes jusqu’à ce jour pour que l’on fasse aujourd’hui confiance à leur sens des responsabilités et à leur désir de changement en les laissant s’approprier leurs valeurs plutôt que de les contraindre à les appliquer.

Ces arguments plaident donc plutôt, en définitive, en faveur de l’option d’un texte non normatif. Il paraît nettement préférable de faire des valeurs des outils de transformation du management et de la gestion publics plutôt que de nouvelles sources d’un droit de la fonction publique qui est loin d’en être démuni.

Il ne faut naturellement pas déduire de cette option que la charte des valeurs pourrait ignorer les principes et valeurs inscrits dans des textes normatifs. Lors-qu’une valeur figure dans un tel texte, la charte devra rappeler la base juridique de la valeur en question (principes constitutionnels, lois, décrets, etc.).

Il n’est pas non plus exclu, si la pratique montre que certaines des valeurs men-tionnées dans la charte doivent guider durablement l’action du service public et de ses agents, de compléter les dispositions de la loi du 13 juillet 1983 relatives aux droits et obligations en y intégrant la ou les valeurs concernées. Mais seul un certain recul pourra permettre de juger de l’opportunité de cette option.

Il faut, enfin, évoquer la question de l’application des droits et obligations des fonctionnaires (loi du 13 juillet 1983) aux contractuels de droit public et de droit privé participant à l’exécution d’un service public administratif pour le compte d’un employeur public. La mise en œuvre par ces derniers, dans leur travail quo-tidien, des valeurs de la charte ne dispense évidemment pas le législateur, s’il le juge souhaitable, de préciser que les droits et obligations du titre Ier s’appliquent à l’ensemble des agents, quel que soit leur statut, qui participent à l’exécution du service public administratif. Aujourd’hui, si l’article 2 du titre Ier, qui fixe le champ d’application de ce titre, ne mentionne que les « fonctionnaires », les contractuels de droit public relèvent, en pratique, du régime des droits et obligations qu’il pré-voit. Dans l’hypothèse où le service public administratif de demain serait appelé à accueillir en son sein davantage de contractuels de droit privé qu’aujourd’hui, la question de l’application des droits et obligations à ces contractuels se poserait avec plus d’acuité. Cette application serait opportune, dans la mesure où la justification de ces droits et obligations réside dans la spécificité même du service public à

l’exécution duquel ces agents de droit privé participent. Elle demanderait, toutefois, une adaptation des dispositions du code du travail. Par exemple, la notion de faute disciplinaire, prévue à l’article 29 de la loi du 13 juillet 1983, a une extension plus large s’agissant des fonctionnaires, dont un fait de la vie personnelle peut donner lieu à une sanction disciplinaire 2, que s’agissant des autres salariés, pour lesquels une sanction est exclue sur ce fondement 3. Il faudra donc envisager une adaptation des dispositions législatives, afin de rendre applicable aux agents contractuels de droit privé des collectivités publiques, comme cela est souhaitable, les dispositions du titre Ier relatives aux droits et obligations des fonctionnaires.

Diffuser les valeurs auprès des agents du service public,

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