• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 2 : RECONNAISSANCE DE TÂCHE

3.3 Analyse des signaux physiologiques

3.3.1 Approche de reconnaissance d’un construit

3.3.1.2 Élicitation

La deuxième étape du pipeline de traitement de données est l’élaboration de la méthode d’élicitation (voir Figure 26). Il s’agit ici de mettre le participant dans l’état du construit impliqué dans le modèle de reconnaissance. On retrouve deux grandes familles de méthodes d’élicitation dans la littérature [58, 175] : les méthodes endogènes et exogènes. Les méthodes endogènes reposent sur l’expression volontaire d’une émotion par les sujets. Certaines méthodes font intervenir des acteurs professionnels ou des sujets entraînés à l’expression d’émotions [19, 202] et d’autres demandent aux sujets de se rappeler différents épisodes de leur vie où ils ont vécu une émotion particulière [43, 208]. Les méthodes exogènes utilisent différents stimuli pour susciter une émotion particulière chez les sujets. L’élicitation peut se faire via la présentation d’images [108, 157, 269], de films [48, 148, 254] ou par l’intermédiaire d’une tâche (ex. : jeux vidéo) [44, 209].

Une bonne méthode d’élicitation doit permettre d’induire chez les sujets différents niveaux du construit et minimiser l’incertitude quant au niveau réel ressenti lors de l’enregistrement des signaux physiologiques. La littérature fait souvent référence à ce niveau sous le terme « ground truth », que nous appellerons ici élicitation réelle (Er). D’un autre côté,

l’élicitation attendue (Ea) représente le niveau qu’on estime être celui ressenti par le sujet

et qui sera entré dans les données d’entraînement. L’objectif, à cette étape, est donc de minimiser l’erreur d’élicitation définie comme Ee = |Er – Ea|. La méthodologie employée à

d’entrainement. Puisque l’élicitation réelle est liée à la dimension expérientielle des réactions émotionnelles, un certain niveau d’erreur d’élicitation est inévitable – un accès direct et univoque à l’intériorité subjective du sujet étant impossible à établir. Cependant, il faut insister sur le fait qu’un niveau élevé d’erreur d’élicitation Ee entraîne de l’incertitude

sur la valeur des cibles et affecte donc le taux d’erreurs d’apprentissage et de test lors de la création du modèle de reconnaissance. Il est donc primordial de contrôler et de réduire Ee le

plus possible.

Pour ce faire, deux approches sont principalement utilisées dans la littérature. Premièrement, il est possible d’utiliser des stimuli normalisés sur de grands ensembles de sujets dans des études en psychologie expérimentale. Cela dans le but de minimiser la variance de Er d’un stimulus sur différents sujets. Il est aussi possible de réduire l’erreur

d’élicitation en demandant au sujet lui-même d’indiquer Er. Par exemple, on retrouve

plusieurs outils pour faciliter l’autoévaluation des émotions ressenties par les sujets :

Feeltrace [59], EMuJoy [179], Geneva Emotion Wheel [229] ou le Self-assessment manikin

[27]. Il est aussi recommandé d’utiliser une méthode d’élicitation qui ressemble le plus possible au contexte d’utilisation réelle. À cet égard, il a été montré que les systèmes entraînés avec des données interprétées performent moins bien que ceux entraînés avec des données impliquant des occurrences réelles d’émotions [13]. Le développement d’une méthode d’élicitation repose donc toujours sur un équilibre entre validité écologique (contexte naturel d’occurrence du construit) et contraintes expérimentales lors de la création de l’ensemble d’entraînement (ex. : durée et nombre d’exemples enregistrés, capacité de limiter l’erreur d’élicitation, liberté de mouvement des sujets). Par exemple, bien que l’élicitation via des scénarios réels d’interaction soit plus écologiquement valide, cette méthode ne permet généralement pas d’éliciter tous les types d’émotions dans une même séance [198], limitant ainsi la construction d’un ensemble d’apprentissage complet. Lors de l’expérimentation effectuée dans le cadre de cette thèse (section 3.4), l’élicitation des trois construits (valence, activation et charge cognitive) a été effectuée à l’aide de méthodes exogènes. Premièrement, concernant la valence et l’activation émotionnelle, des images accompagnées de sons ont été présentées aux participants. Les images ont été sélectionnées à partir de l’ensemble IAPS (International Affective Picture System) [156] et

les sons à partir de l’ensemble IADS (International Affective Digitized Sounds) [28]. Ces deux ensembles ont été développés et sont distribués par le Center for Emotion and

Attention de l’Université de la Floride afin de fournir à la communauté scientifique un

ensemble standardisé de stimuli émotionnels [29]. L’ensemble IAPS a d’ailleurs été utilisé dans un grand nombre de travaux en reconnaissance physiologique des émotions [10, 116, 129, 141, 269]. L’approche développée dans ce travail utilise donc des stimuli multimodaux formés d’une combinaison de stimuli visuels (IAPS) et auditifs (IADS) afin d’augmenter la validité écologique de l’approche d’élicitation [5, 175]. Le modèle ainsi entraîné aura plus de chance de bien performer en contexte d’IHM où les modalités d’interaction sont visuelles et sonores. Comparativement aux approches basées sur les jeux vidéo ou la présentation de vidéos, cette méthode permet aussi de mieux contrôler l’ordre et la durée de présentation des stimuli et d’ainsi générer un plus grand ensemble de données d’entraînement. De plus, afin de minimiser davantage l’erreur d’élicitation, une autoévaluation du niveau d’émotion par les sujets a aussi été réalisée.

La méthode d’élicitation pour le construit de charge cognitive repose sur une implémentation de la tâche de rappel sériel immédiat utilisée en psychologie cognitive expérimentale pour estimer la capacité de la mémoire à court terme [92]. Dans cette méthode, le sujet se voit présenter une série de lettres qu’il doit mémoriser et ensuite répéter à voix haute en ordre de présentation (ou en ordre inverse). Le choix du nombre de lettres présentées aux sujets permet donc d’éliciter différents niveaux de charge cognitive. Les détails d’implémentation des deux méthodes développées et le choix des stimuli sont présentés à la section 3.4.2.