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Élargissement et intégration différenciée

La question de l’élargissement à l’Est a introduit le débat sur la géométrie variable dans l’actualité politique. La difficulté du choix entre élargissement et approfondissement a fait prendre conscience des conséquences institutionnelles qu’un élargissement d’une telle am-pleur peut avoir.

L’expansion probable de l’Union à vingt-cinq ou plus États membres invite à!réfléchir sur la manière traditionnelle, "classique", dont les élargissements antérieurs ont été conduits.

La première question qui se pose est de savoir si cette stratégie classique est susceptible d’être réemployée et d’être viable cette fois encore.

On peut observer que, jusqu’ici, tout élargissement a été conforme à la méthode classi-que communautaire38, avec un accent exclusif sur l’acceptation par les pays candidats de l’acquis communautaire, les négociations ne concernant que les périodes de transition. Étant donné le nombre de candidats et leur hétérogénéité, il semble nécessaire d’adapter cette formule cadre.

La méthode classique de l’élargissement était fondée sur cinq principes fixes!39, dérivés de la prise en compte des droits et des obligations qui incombent à tout État membre. Rap-pelons d’abord les principes qui régissaient la formule classique de l’élargissement :

1) le candidat (ou les candidats) acceptait l’ensemble de l’acquis communautaire ; il n’y avait pas de dérogation permanente possible ;

2) les négociations formelles d’adhésion étaient concentrées exclusivement sur la ca-pacité pratique des candidats d’appliquer l’acquis ;

3) les problèmes dûs à la diversité économique d’une Communauté élargie étaient ré-solus par la création de nouveaux instruments politiques, superposés à ceux qui existaient déjà, plutôt que par la réforme de ces derniers ;

4) les nouveaux membres étaient intégrés dans la structure institutionnelle de la Communauté sur la base d’une adaptation échelonnée limitée, facilitée par la pro-messe d’une révision fondamentale après l’élargissement ;

5) la Communauté préférait négocier avec un groupe d’États qui avaient déjà de for-tes relations entre eux.

Malgré les difficultés que les négociations des quatre élargissements précédents ont fait apparaître, on peut dire que la méthode classique a fait ses preuves. Toutefois, il est mainte-nant évident que l’élargissement aux pays de l’AELE a!été le dernier à se faire selon les mécanismes de l’orthodoxie communautaire. D’abord parce que l’expérience de l’EEE leur a facilité l’adaptation. Deuxièmement, leur degré de cohésion a fait d’eux le groupe candidat optimal.

La question de l’élargissement doit être analysée sous deux angles : du point de vue des pays candidats et du point de vue de l’Union elle-même.

Les pays bénéficiaires des accords européens les ont tous reçus comme la promesse d’une future acceptation au sein de l’UE. La perspective d’adhésion est ressentie par la plupart d’entre eux comme cruciale, à la fois pour des raisons économiques et de sécurité.

L’Union a pris des engagements politiques, lors des Conseils européens d’Edimbourg (1992) et de Copenhague (1993) visant à offrir aux pays associés la perspective d’adhésion.

L’engagement politique est reflété dans le préambule des accords européens. Le Livre blanc présenté au sommet d’Essen formule une stratégie de pré-adhésion par la mise en place de relations structurées.

L’hypothèse de base est donc celle d’un élargissement.

Le principal obstacle à l’élargissement vers l’Est est constitué par l’état de faible déve-loppement économique des pays candidats. En même temps, il faut prendre en compte le fait que, s’ils accèdent à l’Union, ces pays devront s’insérer dans une structure hautement

38 Christopher PRESTON, "Obstacles to EU Enlargement :", pp. 427-50.

39 Christopher PRESTON, "Obstacles to EU Enlargement :", p. 452.

intégrée (suite à la création du marché unique, la perspective de la mise en place de l’union économique et monétaire, une politique étrangère et de sécurité commune), en partant d’une base économique inférieure à celle des autres pays au moment de leur adhésion.

L’Espagne a bénéficié d’un accord d’association pendant seize ans avant d’entrer, en 1986, dans la Communauté ; la Grèce a adhéré après vingt ans ; même les quatre pays de l’AELE ont fait d’abord l’exercice de vingt ans de libre-échange avant d’avancer vers l’intégration à part entière.

Compte tenu de la complexité des problèmes à résoudre, il est probable que l’adhésion sera différenciée pour chacun des candidats. Reste à savoir comment, selon quels critères, dans quels domaines la différenciation prendra place et de quelle manière, temporaire ou permanente ?

L’élargissement classique était fondé sur une reprise intégrale, étalée dans le temps, de l’acquis communautaire. L’adhésion des PECO impliquera non seulement l’acceptation de l’acquis, mais des deux autres piliers du traité de Maastricht. L’Union a déjà fait savoir sa volonté de ne pas recourir à des formules d’opting-out du type de celles consenties au Da-nemark ou à la Grande-Bretagne. Des périodes transitoires permettront probablement une reprise graduelle de l’acquis, étalée dans le temps et variable selon les secteurs concernés. Ce serait le scénario classique, assorti du maximum de flexibilité. Le schéma correspondrait ainsi à une intégration à plusieurs vitesses — une acceptation par les États membres des fi-nalités et objectifs communs avec l’introduction de rythmes différents pour leur faciliter l’ajustement.

Le modèle semble simple en théorie mais peut s’avérer très difficile à gérer. L’acquis communautaire a déjà été mis en cause par les dérogations permanentes obtenues par le Da-nemark et la Grande-Bretagne. La frontière entre le transitoire et le dérogatoire est très dif-ficile à définir si l’on prend en compte le fait que les PECO auront besoin d’avoir des mar-ges de manœuvre dans des domaines qui sont la base même de la Communauté — marché intérieur, politique agricole ou de l’environnement. De même, l’Union aura du mal à leur imposer, comme elle l’a fait lors des élargissements antérieurs, le coût de l’ajustement avec la promesse de créer des compensations ultérieures par de nouveaux instruments ou des po-litiques communes (Fonds régional pour le Royaume-Uni, politique de cohésion lors de l’élargissement vers le Sud).

La perspective d’une hétérogénéité croissante de l’Union élargie a conduit à!explorer davantage les formules différenciées.

L’une de ces formules propose un statut de partial ou affiliate membership 40. Une première proposition dans ce sens a été lancée en 1991 41 et reprise en 1993 par les minis-tres 42 des Affaires étrangères de Grande-Bretagne et d’Italie. L’idée était de donner aux candidats la qualité de membres de l’Union mais de limiter leur participation aux activités des deuxième et troisième piliers en attendant qu’ils soient en mesure de rejoindre le pilier communautaire. La proposition a été abandonnée aussitôt puisqu’elle équivalait à créer un statut de membre de deuxième catégorie pour ces pays. De plus, les insuffisances de la coo-pération entre les quinze, dans le cadre du deuxième et du troisième piliers, rend les choses très difficiles quant à la manière dont cela pourrait se faire.

Une deuxième proposition, issue du milieu académique 43, concerne la possibilité et les modalités d’une adhésion différenciée au pilier communautaire. Il faudrait définir un stade

40 Françoise de LA SERRE, "L’élargissement aux PECO : quelle différenciation ?", Revue du Marché commun et de l’Union européenne no. 402, novembre 1996, pp. 642-47.

41 Discours de Frans Andriessen, du 19 avril 1991, devant la 69e assemblée plénière des Eurocham-bres, cité par Françoise de LA SERRE, "L’élargissement aux PECO", p.!643.

42 Douglas Hurd et Giuliano Andreotti, cités par Françoise de LA SERRE, "L’élargissement aux PE-CO", p. 643.

43 Richard BALDWIN, Towards an Integrated Europe, Londres, Center for Economic Policy Re-search, 1994.

intermédiaire qui comporterait deux étapes. Une association 44 destinée à promouvoir une zone de libre-échange pan-européenne pour les produits industriels et une participation au marché unique sur le modèle de l’EEE (moins la libre circulation des personnes). Outre les périodes de transition et les dérogations dont ils pourraient bénéficier dans le domaine du marché intérieur, les nouveaux adhérents ne participeraient ni à la politique agricole ni à la politique de cohésion.

Dans une certaine mesure, la stratégie de pré-adhésion mise en place par le Conseil euro-péen d’Essen s’apparente à cette vision des choses. Mais les accords euroeuro-péens ont une grande qualité, celle de contenir ce genre d’arrangements et de les limiter au seul niveau extérieur de l’Union. S’il y a élargissement, ces problèmes, une fois intériorisés, pourront nuire à la cohérence d’ensemble de la politique communautaire.

Conclusions

L’intégration différenciée a une longue histoire dans la construction européenne.

L’esprit des traités fondateurs était de progresser ensemble vers une Europe unie économi-quement et politiéconomi-quement. Ce consensus s’est progressivement atténué avec les crises majeu-res que la Communauté a traversées (le compromis de Luxembourg, la crise budgétaire bri-tannique, le non danois à la ratification du traité de Maastricht). Une reconnaissance plus of-ficielle d’une Europe temporairement différenciée est nécessaire pour faire face aux problèmes qui se posent, à l’intérieur comme à la périphérie de l’Union.

Une réforme des structures et des procédures de l’Union ne doit pas mettre en péril l’efficacité dans la prise de décision. Mais des solutions doivent être trouvées pour permettre aux États qui le souhaitent d’aller plus loin dans leur intégration. Les modèles d’intégration présentés ici offrent tous une vision flexible de l’Europe. Chacun a son mérite, sans offrir une formule optimale ou suffisante.

" Typically member states look to a Europe in their own image: Germany to a federal Europe; France to a Europe with a strong executive based on French forms; the UK to a free-trading group of sove-reign states"45.

Les formules à géométrie variable apparaissent comme incontournables dans le déve-loppement futur de l’Union. Quelques principes fondamentaux sont à préserver si on veut éviter une dilution, voire une dissolution de l’Union. Il faudrait conserver le cadre institu-tionnel unique. Une base commune constituée par le marché unique, les quatre libertés, la politique commerciale commune, les politiques de concurrence doit être préservée. Même pour les politiques à option il devrait y avoir un minimum de règles communes. De plus, le financement des politiques optionnelles devrait être assuré seulement par les États partici-pants. Un principe très important est celui de la "non-interférence" ou de l’abstention posi-tive!/!constructive. Une coopération particulière ne doit pas affecter les politiques commu-nes. De même, un État membre qui ne participe pas à un domaine particulier ne devrait pas avoir la possibilité de faire obstacle à la mise en œuvre de cette politique.

Le processus d’Amsterdam va probablement imposer la flexibilité comme principe de l’intégration européenne, au niveau institutionnel et dans la stratégie d’adhésion à l’UE (si adhésion il y a). La mise en marche de la troisième phase de l’UEM va employer concrète-ment des éléconcrète-ments de différenciation. Le dilemme entre élargisseconcrète-ment et approfondisseconcrète-ment a fait surgir celui entre union et non-union. La question principale porte sur le choix que les

44 Le terme employé est celui d’une Association of Association Agreements (AAA) - un cadre institu-tionnel cohérent pour organiser les relations entre les PECO et l’UE. Cf.!Richard BALDWIN, Towards an Integrated Europe, p. 207.

45 Hugh MIALL, Redefining Europe. New Patterns of Conflict and Cooperation, Londres, The Royal Institute of International Affairs, 1996, p. 262.

États membres devront faire pour ne pas tomber dans une formule extrême, de type

"l’Union sera à géométrie variable ou elle ne sera pas" ou "l’Union sera une forme intégrée de type fédéral ou elle ne sera pas".

La flexibilité dans le débat