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Élément commun : surveiller la dangerosité déterminée par l'expert

Partie II – Évaluation de la lutte contre la récidive : des critiques aux propositions

Chapitre 2 – L'épuration du droit positif : l'engagement dans un processus rationnalisé

B. Élément commun : surveiller la dangerosité déterminée par l'expert

La liste des mesures de sûreté telle qu'établie par le législateur, jusqu'à la dernière réforme à ce

161 ROBERT J.-H. – Les murailles de silicium – op. cit., para. 34. 162 Loi n°2008-174 du 25 février 2008, op. cit.

163 V. infra, p. 33 et s.

164 Loi n°2010-242 du 10 mars 2010, op. cit., art 1. 165 FENECH G. – op. cit., p.33.

166 Décision n°2008-562 DC du 21 février 2008, op. cit., cons. 9. Il est cependant intéressant de noter que dans

cette décision, comme dans toutes celles relatives à l'instauration de mesures de sûreté, le Conseil constitutionnel n'utilise par expressément le terme, mais recourt à une définition négative en posant que les mesures en cause ne sont "ni une peine, ni une sanction ayant le caractère d'une punition".

167 Loi n°2004-204 du 9 mars 2004, op. cit., art 48.

168 Loi n°2005-1549 du 12 décembre 2005, op. cit., art 28. Il est à noter que la liste a par la suite encore été

complétée par la loi n°2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, art. 16.

32 sujet en date du 10 mars 2010169, est donc longue et diversifiée. Ainsi, il est possible de surveiller une personne primo-délinquante, ou primo-criminelle, par un certain nombre de moyens, se complétant quant à leurs effets. La complémentarité s'exprime aussi par la possibilité de 'rattrapage' par la juridiction d'application des peines de ce que la juridiction de jugement n'aurait pas estimé utile de prononcer. Il y a également complémentarité par le fait qu'il est possible d'enchainer les mesures, puisque par exemple la surveillance de sûreté peut être prononcée à la suite d'une surveillance judiciaire (art. 723-37 c. pr. pén.) ou d'un suivi socio-judiciaire (art. 763-8 c. pr. pén.). Cette complémentarité est néanmoins source d'obscuration du droit, sur laquelle nous reviendrons170. Quoiqu'il en soit, le maître mot de ces mesures est bien évidemment la surveillance (surveillance électronique mobile, surveillance judiciaire des personnes dangereuses, surveillance de sûreté, etc.). Il est fondamental de voir que si l'individu n'est pas, lorsqu'il subit une mesure de sûreté, hormis la rétention de sûreté, privé de sa liberté stricto sensu, celle-ci demeure restreinte dans la mesure ou la 'vraie' liberté est celle de pouvoir agir, dans la limite des prescriptions légales, sans avoir à rendre de comptes. La question se pose alors de savoir qui surveiller, et pour quelles raisons, ces dernières devant nécessairement surpasser l'atteinte portée à la liberté afin de la justifier, exigence qui, aux yeux du Conseil constitutionnel, a à chaque fois été atteinte.

L'impératif de surveillance vient de la volonté d'assurer à la société une certaine sûreté, voire une sûreté certaine, répondant au "mouvement général de notre société qui réclame toujours plus de sécurité par le renforcement de la surveillance"171. Aux yeux du législateur, il apparaît que cette sécurité est menacée non pas tant par l'infraction en tant que telle que par sa répétition. Ainsi, le suivi socio-judiciaire emporte nombre d'obligations "destinées à prévenir la récidive" (art. 131-36-1 c. pén.), le placement sous surveillance électronique mobile est mis en place "lorsque cette mesure paraît indispensable pour prévenir la récidive à compter du jour où la privation de liberté prend fin" (art. 131-36-10 c. pén.). De même, la surveillance judiciaire doit être prononcée "aux seules fin de prévenir une récidive dont le risque paraît avéré" (art. 723-29 c. pr. pén.), et le prononcé d'une rétention de sûreté a également pour condition que la personne manifeste "une probabilité très élevée de récidive" (art. 706-53-13 c. pr. pén.). En revanche, il est vrai que les dispositions relatives à la surveillance de sûreté et au FIJAIS ne mentionnent pas explicitement le terme de récidive. Cependant, cela n'a pas de conséquence sur le fond puisque, concernant la surveillance de sûreté, l'article 723-27 du code de procédure pénale vise la nécessité de "prévenir la commissions des crimes mentionnés à l'article 706- 53-13", alors que les personnes susceptibles de la subir doivent déjà avoir été condamnées pour une des infractions énumérées par ledit article. Dans le même esprit, l'article 706-53-1 du code de procédure pénale concernant le FIJAIS, parle, comme nous l'avons évoqué, non pas de la récidive mais de la prévention du "renouvellement des infractions mentionnées à l'article 706-47", faisant là encore la part belle à l'idée de répétition.

Comment identifier ce risque de récidive qu'il s'agit à tout prix de prévenir ? En vertu des dispositions légales, la caractéristique clé en ce domaine est celle de dangerosité. Cependant, si la dangerosité conditionne la mise en œuvre des mesures de sûreté, aucune définition de celle-ci n'est donnée par les textes. La doctrine, suivant les rapports parlementaires, s'accorde pour dire qu'il s'agit de la dangerosité criminologique, et non psychiatrique, qui se définit par un grand "risque pour la personne condamnée de commettre une nouvelle infraction après sa libération"172. En d'autres termes,

169 Notons que la loi n°2011-267 du 14 mars 2011, op. cit., art. 40, a apporté des modifications aux conditions

d'application de la surveillance judiciaire et du placement sous surveillance électronique mobile, rendant leur application plus souple pour les personnes "une nouvelle fois en état de récidive légale", en abaissant le quantum de peine minimale conditionnant la possibilité de leur prononcé.

170 V. infra, p. 72 et s.

171 FENECH G. - Le placement sous surveillance électronique mobile – Rapport de la mission confiée par le

Premier Ministre à M. Georges Fenech, député du Rhône, 2005, p. 16.

172 FIECHTER-BOULVARD F. – Des liens entre la criminologie et le droit pénal : propos autour de la notion

de "dangerosité" – Archives de Politique Criminelle 2009, n°31, p. 265, spéc. p. 276. La définition la plus

généralement donnée est celle de Christian Debuyst, issue du IIe cours international de criminologie de Paris en

1953, à savoir "un phénomène psychosocial caractérisé par les indices révélateurs de la grande probabilité de

33 celui qui est dangereux est donc celui qui risque de récidiver. C'est ainsi par exemple que dans le cadre de la surveillance judiciaire (des personnes dangereuses), si les conclusions expertales font "apparaître la dangerosité du condamné", le "risque de récidive" existe (art. 732-31 c. pr. pén.). Il est néanmoins possible de souligner le caractère tautologique de la définition : ainsi, le risque de récidive existe s'il est établi que la personne risque de récidiver. C'est toutefois la pierre angulaire sur laquelle se base l'ensemble des mesures de sûreté, explicitement donnée pour la surveillance judiciaire, nous venons de le voir, mais également le placement sous surveillance électronique mobile ("constatant la dangerosité", art. 131-36-10 c. pén.), la surveillance de sûreté ("constatant la persistance de la dangerosité", art. 723-37 c. pr. pén.), et la rétention de sûreté ("elles présentent une particulière dangerosité", art. 706-53-13 c. pr. pén.). Cependant, bien que les rapports parlementaires insistent sur le caractère criminologique et non psychiatrique de la dangerosité en cause, cette dernière doit toujours être constatée par une expertise médicale, ou, depuis la loi du 12 décembre 2005, par la commission pluridisciplinaire des mesures de sureté173 pour le placement sous surveillance électronique mobile, la surveillance de sureté et la rétention de sûreté, qui comprend sept membres dont un expert psychiatre et un expert psychologue. Cette constatation est intéressante à deux égards. D'une part, par la multiplication des mesures de sûreté, inévitablement, nous assistons à une multiplication du recours à l'expertise au stade de l'application des peines, expertise déjà fort utilisée dans les phases antérieures de la procédure pénale. À ce titre, il est intéressant de noter l'instauration par la loi du 10 mars 2010174 d'un répertoire central des expertises, permettant de conserver et de rendre accessible un travail qui était auparavant perdu175 (art. 706-56-2 c. pr. pén.). D'autre part, ce recours accru à l'expertise met aussi en exergue la médicalisation ou psychiatrisation du droit pénal. Nous reviendrons sur cette évolution dans les développements ultérieurs176.

II. De la surveillance à la neutralisation

Comme cela a été mis en évidence, les lois récentes concernant la lutte contre la récidive se sont attachées à la surveillance d'un risque plus qu'à la répression d'une réalité. Même si rien n'exclut qu'il soit déjà récidiviste, l'homme dangereux est aujourd'hui celui qui risque de récidiver. Il est intéressant de souligner que pas une fois, la réitération n'est citée. Cependant, si la surveillance est le maître mot, et par là le maître concept choisi par le législateur pour aborder le problème de la récidive, elle permet de remettre subrepticement l'objectif de neutralisation au goût du jour, que le retour entre quatre murs soit la fait du non-respect des obligations (A), voire de la mesure de sûreté elle-même (B).