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Écrivains de la lumière : cosmos et esprit universel

PARTIE I L'expérience photographique, un art de l'essai

B. Écrivains de la lumière : cosmos et esprit universel

• 1/.August Strindberg : Théorie du hasard et Wunderkamera

Le premier auteur qui attribue un caractère subjectif à une "certaine" image photographique de l’univers et du monde en tant que totalité et unité se manifestant à travers la subjectivité, pourrait être le peintre, écrivain et photographe suédois August Strindberg. D'après Rodolphe Rapetti, « le registre des formes naturelles, perçues selon une double dimension plastique et symbolique et explorées jusqu’à l’infiniment petit, est un de ceux qui fournirent à Strindberg les clés d’une compréhension du monde à laquelle contribuent selon une convergence forcée la photographie, la chimie, l’observation météorologique et les sciences naturelles »364. Strindberg s'intéresse de près aux progrès des techniques photographiques dès 1880 et s'informe des travaux d'Albert Londe sur la photographie instantanée. Touché en 1890 par une grave dépression, il traverse une véritable descente aux enfers qu'il nommera lui-même "Inferno".

Inferno est le titre d'un ouvrage autobiographique rédigé en français alors qu'il réside à Paris en

1896. Persuadé d'être atteint de démence par le fait même d'être né sur terre pour y mourir, l'artiste retrace son propre enfer vécu sur terre. Le livre témoigne d'un être paranoïaque tiraillé par ses visions et sa mégalomanie. Ainsi, l'achat d'une chemise lui fait entrevoir le linceul à venir, il observe la nature et voit partout des signes de son destin. Au cours de son auto-analyse, il ne cesse de "radioscoper" les mouvements de son âme. Son récit retrace les "visions" successives d'une victime des syndromes de la persécution, de l'angoisse, de l'insomnie. Renonçant à la littérature durant cette période noire, il s'adonne à la chimie et à la transmutation des métaux dans le but d'obtenir de l'or. Entre 1890 et 1896, il écrit donc très peu et se livre alors à des expérimentations en sciences physiques et en sciences naturelles. Sa peinture prend une tournure originale et personnelle, incarnant l'état d'esprit d'un homme tourmenté, dont les œuvres vont parfois jusqu'à l'abstraction et lui valent des critiques railleuses. Cette période anticipe cependant la "théorie du hasard dans la création artistique" à venir, texte qui paraîtra en 1894 dans la Revue des revues à Paris sous le titre Des arts nouveaux! ou Le hasard dans la création artistique. C'est également vers 1890 qu'il développe la technique des « "portraits psychologiques", avec un appareil sans lentille. Durant sa longue exposition, le modèle devait être soumis à des suggestions, et l'appareil devait capter les qualités psychiques du sujet photographié »365. Il tente de mettre en pratique ses portraits psychologiques quelques années plus tard avec un appareil photographique qu'il construit lui-même 364 R. Rapetti, op. cit., p. 273.

365 P. Hedström, « Strindberg et les arts-plastiques, un panorama », in Catalogue d'exposition, Strindberg, peintre et

et qu'il nomme la Wunderkamera ou "caméra merveilleuse". Le visage du sujet devait être réalisé grandeur nature en lumière naturelle, acquérant ainsi une expression particulièrement singulière : « J'ai fabriqué un appareil de photo en carton qui, malgré toutes les théories, reproduit le visage grandeur nature »366. Le nom attribué par Strindberg à son appareil et sa démarche reflètent néanmoins sa fascination pour l'occultisme. Il est étonner par la capacité de sa machine quant à rendre, par l'image, l'étrangeté de l'être, ainsi que le caractère extraordinaire et fantastique du médium. Le flou, pour Strindberg, participe de la démonstration de sa "théorie du hasard". Ce que l'on ne maîtrisait pas, devient alors le symbole de quelque chose d'unique et de transcendant, ainsi que l'expression d'une dimension supérieure, loin des portraits photographiques conventionnels et sans âme.

A rebours des conventions qui se doivent de tout maîtriser, Strindberg s'affirme via la photographie comme un véritable artiste symboliste. Son objectif consiste à dépasser les limites de la raison et de l'ordinaire en saisissant l'expression de l'âme, d'où l’absence de décors.

Figure 41 ‒Autoportrait (cat. 76), sans doute pris avec la Wunderkamera 1906, 30 x 24 cm, Stockholm, Nordiska museet.

Sa théorie Du asard dans la production artistique367, entremêle conscient et inconscient et s'appuie 366 A. Strindberg, « Lettre à Harriet Bosse », 1900-1908, in Œuvres autobiographiques, t. II, Mercure de France, Paris,

1990, p. 971.

367 A. Strindberg, Du hasard dans la production artistique, Paris, L’Échoppe, 1990 pour la présente édition, 1894 pour la parution originale in La Revue des revues, Paris,Revue fondé en 1886.

sur l'idée qu'il existe entre toutes choses analogie et ressemblance. A cette époque, Strindberg est en proie à des crises de folies et perçoit à travers la nature une multitude de symboles, de correspondances et de signes qu'il pense lui être directement adressés: « je sais bien que les psychologues ont inventé un vilain nom grec pour définir la tendance à voir des analogies partout, mais cela ne m'effraie guère, car je sais qu'il y a des ressemblances partout, attendu que tout est en tout, partout »368. La photographie, opère pour l'artiste par fiction analogique369, traduisant, dans ses épreuves et ses choix techniques, une expressivité très riche. Selon lui nous ne pouvons voir, tant que nous n'avons pas pris une photographie. Ainsi nous pourrions convoquer à son propos la notion « d'"objectalité", comme d’une qualité analogique qui tend à rapprocher au maximum le simulacre de l’objet, comme s’il s’agissait de redonner un contenu de présence à l’image par la seule fascination de la chose représentée »370. Strindberg cherche à capter l'invisible, et son œil photographique se fait, en toute circonstance, outil d'interprétation, l'incitant à prendre en compte la charge sensible de l'image. La photographie est alors à même de déceler le virtuel du réel. Un dialogue sur l'illusion dans le roman Drapeaux noirs est on ne peut plus explicite:

« une hallucination est une image de quelque chose, qui n'est pas complètement réelle... — Tu devrais dire : "une image irréelle!"

— Non, car toutes les images sont réelles puisqu’elles peuvent être perçues par la vue, ou par l'imagination... Dans le sens que tu donnes au mot, l'objet lui-même devrait pénétrer dans l’œil, mais c'est son image qui est perçue; tu ne peux pas toucher cette image mais tu n'oses pas dénier sa réalité [...]

— Une lentille peut donner des images réelles d'un objet et des images virtuelles. Que signifie une image virtuelle?

— Dans les miroirs plans, dit la physique, l'image est virtuelle ou fictive...

— C'est ça! Une image virtuelle ne peut pas être captée par un écran. Mais cette même image virtuelle peut être captée par ton œil et perçue ou vue. On peut donc voir des images virtuelles?

Oui, je dois le reconnaître. »371

368 A. Strindberg, «Inferno», in Œuvres autobiographique, t. II, Paris, Mercure de France, 1990, p. 210. Cité par C. Chéroux, L'expérience photographique d'August Strindberg, Paris, Actes Sud, 1994, p. 34.

369 L'analogie s'appuie sur l'étude des rapports de ressemblance entre des objets différents. Elle doit être comprise ici dans son sens psychologique, la plus commune est la représentation iconique, qui comprend en particulier l'image mentale. Strindberg est obnubilé par les analogies que procure l'image photographique avec le réel.

370 R. Durand, La part de l’ombre, essais sur l’expérience photographique, op. cit., p. 36.

Le plus gros des photographies que l'artiste a laissées appartiennent à la série de Gersau, réalisée à partir de 1886, avec un appareil photographique très performant : la Blitzkamera de E. von Schlicht. C'est grâce à cet appareil que les plaques photographiques de Strindberg purent être conservées. Il s'agit exclusivement d'autoportraits et de photographies de ses enfants, dans un décor quotidien. Cependant, elles relèvent toutes de la mise en scène. Strindberg, à travers ses clichés, interprète des rôles de sa propre vie : « la photographie révèle autant que l'écriture dévoile, semble affirmer Strindberg lorsque, par cinq fois, il se représente en écrivain écrivant L’Écrivain »372. L’Écrivain est le titre du cinquième tome de son roman autobiographique. Nous pouvons avec ces éléments, apprécier l'importance du rapport texte-image dans son œuvre. Chacune des photographies réalisée durant cette période (1886), révèle l'importance du détail. Chaque élément du décor est minutieusement travaillé afin que Strindberg apparaisse dans l'image, en conformité avec son personnage autobiographique. Nous pouvons l'observer dans l'Autoportrait de 1886 qui est l'un des rares où il ne pose pas de face et ne fixe pas l'appareil.

Figure 42 Autoportrait, 1886, photographie de l'album Douze images impressionnistes (cat. 70), 10 x 6 cm,

Stockholm, Éditions Albert Bonnier

Ce cliché montre le haut du corps affalé sur la table, la tête enfouie entre ses mains croisées. Nous pouvons voir dans cette photographie, le désespoir de Strindberg en tant qu'artiste. L'une des nombreuses interprétations de cette image amène le spectateur à « lire le découragement de

française de P. Morizet et E. Ahlstedt, Arles, Actes Sud, 1984.

l'écrivain face à la page blanche »373, interprétation suggérée par la vue d'un manuscrit traînant sur la table et le rayonnage de livres en arrière-plan, qui nous rappelle que celui-ci est écrivain. L'image de la tête dans les mains appuie cette interprétation, puisque cette position symbolise l'angoisse et le découragement. La rose quant à elle pourrait renvoyer à la sensibilité de l'artiste. Cette explication est d'autant plus plausible, que Strindberg fut, comme nous l'avons dit précédemment, enclin tout au long de sa vie à des périodes où il ne parvenait pas à écrire. Cependant, nous pouvons compléter l'interprétation de l'image en lui rajoutant l'idée de la méditation artistique et intellectuelle. Avec la bibliothèque en arrière-plan, Strindberg expose le socle de son savoir, c'est-à-dire les connaissances intellectuelles et les expériences qu'il a enregistrées. Le bouquet de roses cueillies, introduit une perfection achevée, un accomplissement. Le fait que l'artiste baisse son visage, peut également signifier la fin d'un cycle ou d'une période qu'il salue. Strindberg selon ses propres dires tient cette photographie en haute estime parce qu’elle le met en valeur374. Or cette image le valorise non pas physiquement mais bien intellectuellement à travers les différents symboles dispersés dans le champ de l'image. Au-delà des interprétations que nous pouvons faire, nous pouvons toutefois affirmer que Strindberg est le premier artiste symboliste à utiliser explicitement la photographie comme moyen d'expression artistique à part entière en y incorporant des symboles et en réalisant une véritable auto-fiction. L'utilisation de la photographie chez lui demeure toutefois paradoxale. S'il y voit bien un moyen objectif d' expérimenter ses théories, toutes ses photographies témoignent a contrario d'une utilisation totalement subjective du médium et de l'image restituée. Elle lui permet ainsi de jouer et d'exprimer différents personnages ou facettes d'une personnalité troublée. Elle lui offre la possibilité de construire une œuvre novatrice : une fiction photographique et autobiographique. Ainsi, plus l'approche de Strindberg est fictionnelle, plus elle approche la réalité intérieure de l'artiste.

Venons-en maintenant aux "fabuleuses" expériences photographiques et scientifiques d'August Strindberg, relevant du domaine poético-scientifique. Dans ce travail, il s'attache à la ressemblance pouvant s'établir entre « les processus chimique, physique et optique dont est issue l'image photographique et certains phénomènes lumineux naturels »375. Il a le désir de rendre visible un esprit universel de la nature et du cosmos, qui doit trouver place au hasard d'une pratique empirique de la photographie. La Théorie du Hasard dans la création artistique d'August Strindberg est en 373 A. Lalander, E. Höök, «La série photographique de Gersau», in Catalogue d'exposition, op. cit., p. 105.

374 Strindberg y fait allusion dans les textes qui accompagnent les dix-huit photographies, que l'artiste envoie à Mr Bonnier dans le but de se faire publier. Il affirme d'ailleurs que ces photographies sont réalisées par sa femme, ce qui s'explique soit par le fait qu'il désirait une nouvelle rémunération alors qu'il devait de l'argent à la maison d'édition Bonnier, soit que les photographies ont été réalisées en commun, sa femme Siri Strindberg prenant le rôle de photographe, l'essentiel de ces photographies étant pour lui le modèle.

lien avec l'inconscient créateur de l'artiste. Il s'agit, pour lui de réaliser un travail dans lequel l'automatisme et la spontanéité vont révéler des forces évolutives dans le processus de la réalisation de l’œuvre. L'épreuve résultante doit être à la limite du figurable et de la représentation, Strindberg entendant bien laisser une place déterminante à l'interprétation et à la projection que le spectateur peut y exercer. L’œuvre ne doit pas laisser de place « au déterminisme de la raison » mais laisse « émerger l’impulsion dynamique de forces non maîtrisables »376. Le hasard offre à l'artiste d'exprimer, de réveiller ce qui sommeille de plus profond en lui, et chaque "accident" prend du sens. L’œuvre surgit ainsi des tréfonds que Strindberg désire inconsciemment formuler. Strindberg appliqua cette théorie à sa peinture mais, également à ses expériences "scientifiques" photographiques. Il « contestait les conceptions alors en vigueur dans le domaine des sciences naturelles, et il a voulu établir un nouveau système monistique, qui s'appuyait sur l'idée que tout se trouve en tout, et que tout peut se changer en tout »377.

Les formes qui naissent du hasard dans le quotidien amène Strindberg à percevoir d'étranges figures qu'il interprète et qui prennent valeur de message, de découverte. Il met également à contribution ses songes, ses fragments de rêve pour « en tisser un nouvel ensemble, cohérent, inattendu et fantastique »378. Une fois de plus nous sommes, comme avec Odilon Redon, dans le domaine et le vocabulaire du fantastique. Cela montre bien que les images photographiques en sciences naturelles, ainsi qu'en sciences astronomiques offrent à ce moment-là aux artistes un prodigieux moyen de fabulation, de capacité imaginative et de source d'inspiration. Les images scientifiques avaient d'elles-mêmes un caractère si merveilleux que Strindberg crut qu'il était capable d'en réaliser de similaires et qu'il apporterait ainsi son nom à la science. Les spéculations de Strindberg en sciences, révèlent la volonté de développer un imaginaire scientifique de la photographie, cette dernière « était une manière de montrer objectivement la surface des choses, mais également un instrument très efficace pour démasquer les qualités les plus intimes de l'homme et de la nature » 379. Le projet d’August Strindberg ne découle cependant pas d’une démarche scientifique mais bien d’une démarche artistique. Il entend contourner l’expérimentation scientifique afin de pointer la conscience d’une dimension inaccessible de l’univers et de ce qui nous entoure, par le biais de sa retranscription personnalisée. L’objectif est de montrer les limites du moi, de l’humanité et de sa relativité. Dans ses lettres, Strindberg affirme que la recherche « lui "procure une joie incomparable" et se convainc d'être en passe de renverser certaines lois scientifiques 376 C. Stefania, La théorie du hasard en peinture, Musée critique de la Sorbonne, 2003, [en ligne] :

http://mucri.univ-paris1.fr. Consulté le 04 janvier 2013.

377 P. Hedström, «Strindberg et les arts-plastique », Catalogue d'exposition, op. cit., p. 63. 378 Ibid., p. 71.

fondamentales »380. C'est en artiste littéraire qu’il produit et cela se ressent lorsqu’il appelle « ses expériences et ses formules des "sonnets chimiques"»381. Il est indéniable que Strindberg avait une façon particulière de voir et d'interpréter le monde et sa réalité. Au hasard de la science et de l'art, se manifeste donc l'univers, et ce, de manière inédite.

• 2. Au hasard de la science et de l’art, l’univers

Ainsi, à partir de 1890, jusque dans les années 1898, Strindberg se consacre presque exclusivement à ses recherches en botanique, en astronomie, en chimie – voire en alchimie – et en occultisme. Le concept de "transformation" prend une grande importance dans ses recherches. Il croit en effet que toute matière, a la capacité de se transformer en une autre ou d'évoluer en quelque chose de différent grâce à la force vitale. C'est ainsi qu'il pense réussir à changer le fer en or. L'or pour Strindberg est d'ailleurs « la lumière du soleil photographiée et fixée »382. A travers différentes expériences, il entend déchiffrer le chaos, ce « grand désordre dans lequel [il finissait] cependant par découvrir une cohérence infinie »383. C'est ainsi que l'artiste s'intéresse au microcosme dans ses

Cristallogrammes et au macrocosme dans ses Céléstographies. Son regard demeure au cœur des

formes qu'il interprète et met en lien avec ses propres pensées, sa propre vie. « Cette conception poétique de la science est celle de l'ésotérisme, telle qu'on la trouve par exemple formulée au même moment par Victor-Émile Michelet : "Nous avons entendu souvent affirmer que science et poésie sont deux sœurs ennemies, deux antagonistes irréconciliables. / Pour quiconque a quelque peu entrevu la synthèse occulte, pour quiconque a risqué des regards sur le monde du Divin, cet antagonisme n'existe pas plus que celui qu'on trouve entre les religions diverses et la science"»384. Le résultat doit ouvrir le spectateur à l'interprétation et à une autre dimension, aussi bien dans le domaine scientifique, qu'artistique et spirituel. L’œil artistique de Strindberg s'avère en cela visionnaire, entendant dénicher ce que le banal et le quotidien possèdent de merveilleux, soit formes inédites et exploration de mondes encore inaccessibles à l'homme.

Les premières photographies expérimentales d'August Strindberg furent nommées

Cristallogrammes. Ce nom fut sans doute inspiré par le givre et la gelée qui cristallisaient les

380 D. feuk, « Une rêverie matérialisée, à propos des expériences photographiques d'August Strindberg », Catalogue

d'exposition,ibid., p. 117.

381 Ibid., p. 118.

382 A. Strindberg, cité par D. Feuk, « A Treasure That is Hard to find », cat. de l'exposition August Strindberg, I.V.A.N., Valence, 1993, p. 158. Cité par C. Chéroux, op. cit., p. 35

383 A. Strindberg, «Inferno», Catalogue d'exposition, op. cit., p. 208.

384 Victor-Émile Michelet, De l’ésotérisme dans l'art, Paris, 1891, p. II, cité par Guy Michaud, La doctrine symboliste

différentes fleurs, herbes ou mousses, créant des effets particulièrement poétiques et dans lesquels Strindberg parvenait à observer des formes que « son imagination lui permettait de considérer comme des imitations de matière vivante : toute une flore de graminées, de mousses, de fougères »385. Désespérant de trouver "le réel" dans les appareils traditionnels, il construit par lui-même un bon nombre d'appareils et de chambres photographiques rudimentaires, sans objectif, à l'aide d'une boite et d'une feuille de papier perforée tenant lieu de sténopé. Les Cristallogrammes ont été réalisés sans lentille car Strindberg en vient à penser que les lentilles rendent une image faussée du réel : « les lentilles de l'objectif font obstruction à certain rayons lumineux colorés. Imputant à cette rétention l'impossibilité de fixer les couleurs sur la plaque sensible, il suffit alors à l'expérimentateur ingénieux de substituer à l'objectif un simple trou d'aiguille »386. Cette réflexion de Strindberg l'amène jusqu'à supprimer complètement l'appareil, dans l'objectif de parvenir à "la vérité" photographique et espérer des découvertes scientifiques.

Comment procède-t-il ? Au plan chimique, l'artiste enduit une plaque de verre de différents sels et expose ces plaques au froid ou à la chaleur. Les sels se cristallisent et sont transposés par projection lumineuse directe sur du papier photographique. Il obtient par ce procédé des surfaces givrées aux formes érosives, comme si une feuille extrêmement mince de froid avait fossilisé et fixé les royaumes du minéral et du végétal. Les détails et la précision des éléments sont particulièrement intéressants, d'une richesse et d'une plasticité incontestables. Nous parvenons à imaginer des lichens un jour de grand froid, une poésie minérale ou végétale, le regard travaille par analogies formelles et que Max Ernst nommera plus tard le "hasard objectif"387. L'allusion est réussie et