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CHAPITRE 1 LE ROMAN DU SURSIS

1.5 L’écriture du corps

Il se déploie dans ces récits de passage, selon Margaret Gullette, une « épiphanie76 », une scène déterminante où le vieillissement se révèle dans toute son évidence physiologique. Le sujet obtient ainsi, par le truchement du corps, la confirmation de son passage à une autre étape de son existence. La conscience du temps qui « fuit à une vitesse folle77 », « qui va si vite78 », qui fait « glisse[r] vers la mort79 » et qui noie le sujet dans la « tourmente du vieillissement80 » devient

76 Margaret GULLETTE, Declining to Decline, p. 164.

77 Gilles ARCHAMBAULT, Un homme plein d’enfance, p. 100. 78 Gilles ARCHAMBAULT, Les choses d’un jour, p. 35. 79 Ibid., p. 96.

tangible, réelle. Les signes corporels, par lequel le temps choisit de se manifester, ne laissent planer aucun doute quant à leur sens véritable. Plutôt que de se soumettre à ce corps marqué par le temps, le sujet vieillissant l’oppose dans une lutte dont il espère sortir gagnant.

Davantage qu’un phénomène purement social, le corps demeure un fait biologique dont la présence s’affirme à mesure que nous avançons en âge. Sans toutefois nier la part de social qui intervient dans la construction de la vieillesse, psychanalystes et sociologues s’entendent pour dire que le lien qui nous unit au corps âgé est dépourvu de neutralité, car « ce sont les premières défaillances physiologiques qui imposent à la conscience du sujet un sentiment de ses limites et lui rappellent cruellement la loi irréversible de son évolution81. » En d’autres mots, dès le moment où le corps se manifeste à la conscience, nous nourrissons la conviction de notre finalité. En faisant du biologique le pivot de leur réflexion, les critiques de la vieillesse82 remettent en cause tout le discours postmoderne qui nous a appris à lire le corps comme un ensemble de « pratiques discursives83 ». Dans l’expérience de la vieillesse, le biologique et le social s’entrecroisent, se font écho. Nier le premier au profit du second fausse l’image de la vieillesse, la dénature. Ici encore l’opposition nature/culture, à partir de laquelle le corps se pense encore trop souvent, doit s’abolir si nous voulons appréhender le 80 Ibid., p. 97.

81 Charlotte HERFRAY, La vieillesse. Une interprétation psychanalytique, Paris, Desclée de

Brouwer, 1988, p. 28.

82 Les disabilities studies émettent la même critique. Voir Anne Hunsaker HAWKINS et Marilyn

Chandler MCENTYRE, « Introduction : Literature and Medecine : A Retrospective and a Rationale », Teaching Literature and Medecine, Anne Hunsaker HAWKINS et Marilyn Chandler MCENTYRE (dir.), New York, The Modern Language Association, 2000, p. 2.

83 Christine DETREZ, La construction social du corps, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points »,

vieillissement dans sa globalité. Au mitan de la vie, il est vrai, la question de la corporéité ne se pose pas avec autant d’acuité que durant la grande vieillesse, par exemple, où le corps devient le centre d’attention du sujet en raison de ses nombreux déficits dont la menace va en grandissant. Il n’en demeure pas moins que dans les fictions québécoises de la maturité, la toute première révélation du vieillissement passe par le corps, laissant dans son sillage l’angoisse de la finitude.

« Combien d’années avant la décrépitude84 », avant d’être « un vieux débris85 », voilà une question obsédante pour les personnages, en particulier pour ceux de Gilles Archambault et de Jacques Poulin. Dans leurs mises en scène du mitan de la vie, les romanciers accordent une large place au fait biologique. L’écriture du corps trahit le profond désarroi des personnages posant un terrible constat : le corps désormais faiblit, connaît pour la toute première fois quelques ratés. Parallèlement, ces changements physiologiques tendent à être minimisés afin d’en réduire la portée. La conscience du corps n’a pas la même intensité chez tous les personnages, car « les processus du vieillissement n’impriment pas leurs marques de la même manière ni au même moment chez tous les sujets86. » Seul le personnage de Blondeau échappe à une corporéité exacerbée et menaçante : « Les cinquante ans d’Agnès se portent à merveille. De l’érotisme flotte dans le salon, nimbe son corps tendu, lui redonne son élasticité adolescente. Les seins pointent. Le rire d’Agnès retentit87. » Son rire est révélateur : Agnès défie le temps qui ne

84 Gilles ARCHAMBAULT, Les choses d’un jour, p. 120. 85 Jacques POULIN, Chat sauvage, p. 91.

86 Charlotte HERFRAY, La vieillesse. Une interprétation psychanalytique, p. 27. 87 Dominique BLONDEAU, Larmes de fond, p. 17.

l’a pas encore rejointe. Le vieillissement biologique ne semble pas non plus préoccuper Claude Dupré. Cela ne signifie pas pour autant qu’il le nie ou qu’il en soit épargné. Sans doute le sait-il inévitable, s’y est-il résigné, étant donné l’exemple que lui en donne quotidiennement son père, dont la vieillesse est particulièrement pénible. La citation de Paul Morand que Raoul demande à son fils de punaiser dans sa salle de travail, « Jusqu’à un certain âge on a un ami qui est son corps; et puis tout à coup c’est devenu un traître, on vit avec un traître88 », a déjà instruit Claude du processus biologique de la vieillesse. Le père a entraîné précocement son fils dans les affres du vieillissement.

Katie McLeod, quant à elle, n’est pas épargnée. Le temps a fait son œuvre, a altéré son apparence physique : « Je suis encore agréable à regarder malgré mes hanches fortes, mon petit ventre et mon menton qui veut se dédoubler.89 » Ces changements qui s’opèrent ne présentent aucune menace véritable. Ils ne l’empêchent pas de poser un regard favorable sur son corps. Néanmoins, l’acception de cette nouvelle expression de soi constitue un défi

Plusieurs personnes s’acharnent à dire que je ne fais pas mon âge, mais moi, je le sais que je vieillis, mon corps me le répète chaque jour : une tache ici, un poil blanc là, un fléchissement de la peau sur ma cuisse, un manque d’énergie en plein après-midi. J’ai beau me répéter que je pète le feu, un écho derrière ma tête me renvoie la phrase à l’envers : Je suis ridée, un peu ronde, je manque d’énergie. Je dois me l’avouer, je v-i-e-i-l…90

88 Gilles ARCHAMBAULT, Un homme plein d’enfance, p. 41. 89 Louise DESJARDINS, So Long, p. 38.

Malgré un désir de résister à ce corps désormais ralenti et qui se fane chaque jour un peu plus, Katie prend le risque de l’apprivoiser, car toute résistance lui paraît vaine.

Il en va autrement de Martin Désourdy et de Jack Waterman, chez qui les premiers signes du vieillissement sont pris dans les fils d’un discours à la fois ambivalent et contradictoire. Depuis sa rencontre avec Julie, sa jeune amante de vingt-trois ans, Martin Désourdy observe de façon presque obsessive son corps. Outre les caractéristiques normalement associées à la vieillesse, cheveux gris, rides, dos voûté, qu’il énumère tout au long de la narration, Désourdy se plaît à évoquer les problèmes physiologiques auxquels il fait face depuis un certain temps. L’embonpoint qu’il craint et que l’approche de la cinquantaine, « si cruelle91 », menace, est peu de choses en comparaison de la panne sexuelle qui froisse considérablement son orgueil, on s’en doute bien, du fait qu’elle s’est produite avec Julie. Martin avoue aussi sans trop de honte se lever plusieurs fois la nuit pour aller aux toilettes. Ces détails paraissent tout de même un peu étonnants de la part d’un homme rajeuni par son histoire d’amour, c’est du moins ce qu’il affirme au début du roman. Aussi s’emploie-t-il à relativiser ses malaises : le stress et la crainte de perdre Julie expliquent la panne sexuelle; le verre de lait qu’il boit tous les soirs avant de se coucher interrompt ses nuits; son dos est voûté comme celui de tous les poètes dont le monde repose sur leurs épaules. Ces précisions trahissent la nécessité de résister à cette première conscience du vieillissement qui émane toujours du corps. Reconnaître la

corporéité et ses résultats, c’est aussi reconnaître l’irrémédiable processus biologique dans lequel on est engagé.

Jack Waterman rejette encore plus fermement l’aspect biologique de la vieillesse. Contrairement à Martin Désourdy, dont les problèmes physiques sont sans véritable gravité, sinon celle d’égratigner sa virilité, Jack, qui est cardiaque, connaît de sérieux ennuis de santé. Cependant, il refuse d’associer son état médical au vieillissement, bien que ses malaises coïncident avec le début de la quarantaine : « Un chagrin d’amour, puis un infarctus, qui n’était peut-être pas sans rapport l’un avec l’autre, avaient ralenti mes activités et je tentais de me raccrocher à la vie92. » Cette problématique du cœur malade revient à deux reprises dans le roman, chaque fois évacuée de la notion de vieillissement. Kim raconte à Jack l’histoire d’un de ses patients Ŕ un architecte écrasé par un père violent, lui aussi architecte Ŕ victime d’un arrêt cardiaque la veille d’entreprendre un important projet. En parallèle, Jack se souvient de son frère succombant lui aussi à un infarctus quelques mois à peine après avoir abandonné une existence malheureuse. En accusant le chagrin et la tristesse de ne pas avoir vraiment vécu, Poulin gomme les conséquences néfastes et menaçantes du temps sur l’existence biologique. Tragiquement, c’est au mitan de sa vie, à cette époque précise où le Moi peut exister véritablement que le sujet disparaît, puni de vivre enfin pour lui- même, incapable de survivre à l’émotion, au bouleversement d’être enfin soi, et ne sachant trop que faire d’une existence libérée. Qu’elle soit biologique ou sociale, comme l’est parfois la vieillesse, la mort conclut l’existence au mauvais moment, c’est là sa plus grande injustice. Cette approche de la finalité tend à se

modifier dans les deux derniers romans de Poulin, où la mort biologique perd son caractère offensant. Dans Les yeux bleus de Mistassini93 et La traduction est une

histoire d’amour94, Poulin établit désormais une différence entre mort biologique, c’est-à-dire la disparition définitive du corps, et mort sociale, à laquelle il associe la vieillesse. La mort biologique ne doit plus être considérée comme une abomination étant donné qu’elle libère le vieillard de l’injure de la vieillesse. Dans cette perspective, la mort biologique trouve un sens, une justification, au détriment de la vieillesse toutefois. Nous y reviendrons dans le dernier chapitre.

On constate aussi cette inaptitude au bonheur dans Un homme plein

d’enfance. Claude dont « le goût [lui] vient d’essayer d’être heureux95 » connaît l’éphémère du bonheur et s’en désole; la vieillesse, il le sait, vient y mettre un terme, cela paraît inévitable. Son père dont « la vie s’est arrêtée aux alentours de la cinquantaine96 » le lui rappelle chaque jour. Aussi afin de ne pas se laisser « enfermer dans un cocon de ce genre97 », dans l’expérience d’une vieillisse outrageante, Claude choisit de s’enlever la vie, devançant ainsi la mort avant qu’elle le rattrape98. Le personnage d’Archambault se bute ici à une conception univoque et pessimiste de la vieillesse, perçue comme une expérience aussi mauvaise que terrible, à l’image de celle dont son père est affligé99. L’horreur a changé de visage; la vieillesse supplante désormais la mort dans l’inimaginable,

93 Jacques POULIN, Les yeux bleus de Mistassini, Montréal, Leméac/Actes Sud, 2002, 187 p. 94 Jaques POULIN, La traduction est une histoire d’amour, Montréal, Leméac/Actes Sud, 2006,

131 p.

95 Gilles ARCHAMBAULT, Un homme plein d’enfance, p. 96. 96 Ibid., p. 110.

97 Ibid., p. 110.

98 Cette problématique du suicide s’affirme dans la fiction de la grande vieillesse; nous en

parlerons dans le dernier chapitre.

99 Nous traiterons plus loin dans ce chapitre de l’incidence de l’autre sur la conception de la

dans l’indicible. Simone de Beauvoir constate d’ailleurs que dans nos sociétés la sénescence « inspire plus de répugnance que la mort même100. » La vieillesse n’appartient pas à la vie, n’en est pas sa conclusion, mais sa négation, c’est pourquoi on ne peut l’opposer à la mort101.

Au milieu de son existence, le sujet vit en sursis dans l’attente d’une condamnation qui ne saurait tarder, mais qui arrive à ce moment précis où la vie devient plus douce. Le corps, par le biais de ses déficits toujours un peu plus nombreux, lui confirme chaque jour son statut de condamné; seule la sentence reste à venir : mourir de façon prématurée ou mourir socialement.

1.5.1 La scène du miroir

Malgré leur refus de penser leur corps diminué comme un signe indéniable que le temps passe, les personnages ne peuvent se soustraire au reflet que leur miroir leur renvoie. La psychanalyse a beaucoup écrit sur l’importance de l’image dans la structuration de l’identité. Charlotte Herfray rappelle que le stade du miroir désigne « le moment où le sujet rencontre l’image de son corps sous la forme d’un Moi distinct des autres, mais constitué sur le même modèle […] Elle [cette image] constitue pour lui une forme où il se reconnaît et dont il prend conscience qu’il s’agit de lui102. » Jubilation dans l’enfance, selon Lacan que cite Herfray, la rencontre devient aliénation au moment de la vieillesse. Si l’enfant s’approprie l’image qu’il perçoit, le vieillard la rejette avec force. Comment, en

100 Simone DE BEAUVOIR, La vieillesse, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Idées », 1985 [1970],

p. 394.

101 Ibid., p. 394.

effet, assumer une image de « vieux », de « vieille » dans une société gérontophobe comme la nôtre et qui échoue à valoriser la vieillesse ? Comment réussir un véritable « investissement narcissique positif103 » dont dépendent nos dernières années ? Cela ne va pas de soi; certains n’y arrivent pas. Aussi, afin de surmonter la blessure que provoque cette nouvelle expression de soi, dont nous connaissons à la fois l’irréversibilité et les conséquences sociales et psychiques, nous mettons en place une stratégie de mise à distance entre l’image vieillissante reflétée dans la glace et le Moi véritable, ou du moins ce que nous définissons comme tel. Kathleen Woodward explique ainsi le processus de distanciation

[a]s we age we increasingly separate what we take to be our real selves from our bodies. We say that our real selves Ŕ that is our youthful selves Ŕ are hidden inside our bodies. Our bodies are old, we are not. Old age can thus be described as a state in which the body is in opposition to the self, and we are alienated from our bodies. This is a common psychological truth104.

Un dédoublement s’opère : ce n’est pas moi qui suis vieux, mais l’autre, celui réfléchi dans le miroir. Le sujet « projette en dehors du moi comme quelque chose d’étranger105 » l’image âgée et inquiétante qu’il perçoit. Pourtant, cet autre que l’on porte en soi désormais, qu’on refuse de reconnaître, c’est celui qu’on est devenu pour les autres106. Il est reconnu d’autrui, mais pas de soi. Le motif du double, dont Freud examine le caractère dans L’inquiétante étrangeté, s’inscrit profondément et depuis très longtemps dans notre imaginaire. À l’origine, le

103 Ibid., p. 74.

104 Kathleen WOODWARD, « The Mirror Stage of Old Age », Memory and Desire,

WOODWARD, Kathleen et Murray M. SCHWARTZ (dir.), Bloomington, Indiana University Press, 1996, p. 104.

105 Sigmund FREUD, L’inquiétante et étrangeté et autres essais, trad. Bertrand Féron, Paris,

Éditions Gallimard, coll. « Idées », 1985 [1919], p. 238.

double était « une assurance contre la disparition du moi107 », une « assurance d’immortalité108 », tandis qu’aujourd’hui, il n’est plus que le « présage funeste109 » de la mort. La mise à distance entre soi et une image vieillie qui nous rappelle avec trop d’évidence notre destin biologique prend tout son sens dans cette relation du double à la mort. Narcisse refuse de s’identifier à une image portant atteinte à sa beauté qu’il veut croire éternelle.

Bien que la fiction du mitan de la vie devance l’expérience du stade du miroir de quelques années, ainsi qu’en témoignent les romans évoqués dans notre étude, Charlotte Herfray et Kathleen Woodward ne font aucunement mention de la maturité dans leur analyse du miroir. À quoi peut-on attribuer cet écart entre la psychanalyse et le texte littéraire sur lequel, pourtant, le discours psychanalytique s’appuie bien souvent ? Ainsi que le constate Marie-Christine Laznik, la psychanalyse s’est peu intéressée à la problématique du mitan de la vie. Ensuite, si la question est abordée, elle l’est dans les études consacrées à la vieillesse110. Sous cet angle, sénescence et maturité se confondent; celle-ci n’étant pas traitée comme une phase définie et indépendante de la vieillesse. Cela explique pourquoi l’approche de la cinquantaine nous effraie : elle nous fait entrer de plain-pied dans la dernière moitié de notre vie, bloquée à l’horizon par l’idée de notre finalité. Est-il possible aussi que le cycle de vie segmenté en différentes catégories d’âge, dont nous parlions au début de ce chapitre, ait une incidence sur le processus de

107 Sigmund FREUD, L’inquiétante étrangeté, p. 236.

108 Kathleen WOODWARD, The Mirror Stage of Old Age, p. 105. Nous traduisons.

109 Ibid., p. 105. Nous traduisons. On ne peut s’empêcher d’établir un parallèle avec Le portrait de

Dorian Gray d’Oscar Wilde. Dorian Gray conserve sa jeunesse, tandis que son portrait vieillit.

110 Marie-Christine LAZNIK, L’impensable désir, p. 36. Notons au passage que Charlotte Herfray

aborde la question du mitan de la vie dans son essai sur la vieillesse, cité précédemment. Voir p. 119-122.

construction identitaire, qu’il multiplie les apparitions du stade du miroir ? Si l’on part du principe que l’identité « is created and recreated over time as a person progresses through the life span111 », on peut envisager un stade du miroir à chaque rupture ou changement dans le cycle du développement psychosocial, qui oblige le sujet à repenser et à reconstruire son identité, un peu plus vieillie à chaque étape. Pour certains, l’approche de la trentaine, par exemple, a quelque chose d’angoissant. L’investissement de cette nouvelle image peut être positive ou négative selon ce qu’elle évoque. Nous croyons, à tort, que l’identité se fixe, s’unifie dans l’enfance pour se fragmenter, éclater, ensuite au moment de la vieillesse. Reconnaître enfin comme le fait Sharon Kaufman que « the construction of a coherent, unified sense of self is an ongoing process112 » changerait notre perspective de la vieillesse, vécue essentiellement comme une perte identitaire, une dépossession.

Fictions du mitan de la vie, les œuvres de notre corpus reproduisent cette rencontre entre le personnage et l’expression d’un Moi devenu âgé. Dans Un

homme plein d’enfance, la seule scène du miroir se situe au début du roman, au

moment où Claude Dupré se prépare pour le mariage de sa fille : « Le miroir lui rend l’image d’un homme plus très jeune. Le cheveu est rare, la peau blême, les rides profondes sous les yeux, rien de bien encourageant113. » La place de cette scène dans la narration est signifiante, car elle établit d’emblée le profil du personnage. Claude est déjà un homme vieux bien que le terme « vieillesse » et ses dérivés soient laissés sous silence. Il ne tente pas, comme le fait Martin,

111 Sharon KAUFMAN, The Ageless Self, Wisconsin, University of Wisconsin Press, 1987, p. 151. 112 Ibid., p. 149.

d’apprivoiser son vieillissement biologique, étant donné qu’il en est déjà instruit. Le roman se concentre plutôt autour de cette idée d’une sérénité enfin atteinte et la crainte qu’elle ne dure. On pourrait croire que les pertes physiques sont balancées par un bonheur retrouvé. Toutefois, le caractère éphémère de celui-ci annule son

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