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Après nous être intéressés à la découverte du Web, à l'adoption d'une plate-forme et à sa physionomie, nous allons prêter attention à la fabrication au jour le jour des messages. Pour ce faire, j'ai donc demandé aux membres du panel -blogueurs (euses), blogzineuses (eurs), membres de forums et de webzines- comment elles (ils) rédigeaient leurs messages a) Le plus souvent au calme et chez soi

Intéressons nous d'abord aux chroniques de disques et de concerts. Isabelle décrit avec précision sa méthode pour écouter un disque et décider si elle écrira à son propos.

FR : “Alors, comment vous procédez ?

Isabelle : Comment je procède, je l’écoute une première fois de manière la plus objective possible, l’idée c’est

que j’écoute tout ce qu’on m’offre. (...) J’essaie de faire autre chose, totalement autre chose, type des tâches ménagères. Vraiment essayer d’être concentré sur tout autre chose et c’est la musique qui va venir me chercher. Et si elle vient me toucher, parfois ça arrive dès les premières notes, c’est-à-dire que là j’arrête de faire ce que je faisais et là je reste scotchée, je me mets à écouter, à m’en délecter. Jamais je n’écrirai(s) quoique ce soit sur la première écoute, il y en aura toujours au moins une deuxième. Si la deuxième me plaît toujours pas il va aller dans une case, on verra plus tard. S’il m’a pas plu ni à la première et ni à la deuxième il va vraiment dans la case "bon je vais le donner à quelqu’un d’autre". (...) Ensuite, il y a ceux qui m’ont pas déplu à la première écoute, moyennement plus la deuxième, qui sont dans ce que j’appelle les disques un peu moyens (...): Donc eux, ils vont dans une case spéciale, la case "où on verra plus tard". Et y'a ceux qui me plaisent tout de suite, donc là il faut vraiment se forcer à pas écrire tout de suite, il ne faut jamais écrire sur une première impression, il faut le réécouter une deuxième fois et la troisième écoute ça va toujours être une écoute en shuffle (f onction d'écoute aléatoire FR). Je me force à faire ça parce que c’est comme ça qu’on vérifie si le travail provient du groupe ou de l’arrangeur. (....) Un excellent arrangeur peut vous rendre un disque à l’écoute génial. Il aura su agencer les titres de manière à ce que le disque coule de lui-même. Si on l’écoute en shuffle et que ça devient inaudible, vraiment fatigant, et c’est que là le groupe est pas si bon que ça. En revanche un groupe qui est vraiment bon, enfin selon mes critères, qui va vraiment me toucher tout le temps, quel que soit l’ordre dans lequel on va écouter le disque il va toujours être génial. Et ça c’est une grosse différence, je pense qu’il n’y a pas beaucoup de blogueurs qui s’astreignent à cette écoute-là, c’est la moins facile d’accès parce qu’on n’y pense pas forcément, y faut pas juste l’écouter sur son ordinateur ou piquer des mp3 je veux dire. Ça aussi c’est quelque chose que je ne fais pas, je ne télécharge pas illégalement, je prends seulement ce qu’on me donne. Et donc il faut s’astreindre à un autre geste qui est sortir le disque de son ordinateur, c’est-à-dire de là où on était concentré et aller le mettre dans la chaîne et c’est pas tout à fait pareil et le mettre en shuffle (...). C’est pas du tout la même chose que de l’avoir en mp3 qui crachouille sur un ordinateur avec des enceintes qui sont pas forcément bonnes, ou même au casque, c’est pas du tout pareil quoi. ”

Une fois la décision prise commence alors la rédaction. Presque toujours, c'est -comme la très grande majorité du panel- de chez elle qu'Isabelle travaille à ses chroniques.

FR : “Où est-ce que vous écrivez vos chroniques, vous utilisez uniquement un ordinateur ? Vous le faites de la

radio ?

Isabelle : Jamais, je le fais de mon ordinateur, parce que je rédige sur Word. Parce que comme ce sont des

chroniques un peu littéraires un peu soignées je... C’est pas juste un premier jet, ça m’est arrivé et là c’était pour un festival, je les ai écrites en brouillon directement sur mon site. (..) Je les rédigeais directement en brouillon sur le site, donc elles étaient sauvegardées. Mais j’aime pas trop faire ça parce que j’ai du mal à relire correctement.(...) C’est mieux mis en forme sous Word quand même. Même si c’est un outil très simple et je prends des notes à l’écrit dans un petit cahier, enfin j’ai toujours un cahier pour tout, qui ne me quitte pas, j’en ai des tonnes d’ailleurs j’adore ça.”

Bertrand qui collabore au site collaboratif Autoban comprenant un forum et une partie consacrée à des chroniques de disques ne procède pas exactement de la même façon qu'Isabelle même si il a en commun d'attendre qu'un disque “ne l'attrape”.

FR : “Il y a combien d’écoutes d’un disque avant que... Il y a une moyenne ?

Bertrand : Je dirais que ça dépend un peu de l’hésitation que j’ai à chroniquer le CD (...) Souvent je vais

l’écouter une fois, le laisser de côté et puis mon choix va plutôt se porter sur un autre CD, puis après une fois que j’aurais chroniqué le CD, je vais revenir sur la liste et je vais revoir ce CD là et je vais refaire une deuxième écoute ou je me dis : "ah ben tiens, peut être que ça va plus me parler aujourd’hui". En moyenne juste pour me décider de le chroniquer ou pas, je dirais deux, trois fois et après pendant la chronique elle-même le CD je le passe en boucle, donc.”

Précisons que Bertrand écrit souvent directement dans l'interface administrateur* du site auquel il participe. Nina, qui écoute de nombreuses fois les disques avant de les chroniquer, rédige dans un espace dédié au blogging.

Nina : “J'écris dans l'interface admin, oui (...). Je blogue de mon lit FR : Donc toujours à la maison ? Pas à l'extérieur avec un portable ?

Nina : Jamais à l'extérieur, il me faut de la chaleur, mon casque, de quoi boire et manger, du calme... Donc oui,

toujours à l'appartement.”

Écoutons maintenant comment Kevin qui participe au forum-Webzine Metalardent procède.

FR : “Je reviens à l'écoute des disques que tu chroniques, pourrais tu me décrire comment tu procèdes pour les

écouter ? Où est-ce que tu écoutes ces disques ? computer, chaîne, transports?

Kevin : Euh, les trois en fait, j'écoute sur mon PC chez moi et au taf, j'écoute aussi dans la voiture. La chaîne

j'écoutais beaucoup dessus avant, maintenant moins car je me suis mis à Deezer*, Youtube and co

FR : Est-ce que ça veut dire que tu écris des kros aussi du travail, de chambres d'hôtel avec un tel portable ? Kevin : Non non, j'écris systématiquement de chez moi, sur mon PC portable (...) La rapidité d'écriture en elle-

même c'est assez rapide, je passe entre une et deux heures sur mon papier, rarement plus. Ce qui est long c'est les écoutes de l'album sur lequel je dois poser des mots pour expliquer mes émotions.”

Ce besoin d'intimité, de calme évoqué par Isabelle, Bertrand, Nina et Kevin est confirmé par Pénélope (collaboratrice de Babel et animatrice de son propre blog) lorsqu'elle évoque ses chroniques de concerts. Si elle note très vite ses premières impressions à l'issue des concerts, elle prend néanmoins le temps nécessaire pour exprimer ce qu'elle ressent.

FR : “Donc vous écrivez les papiers à l’intérieur de ça ou vous les écrivez avec un… ?

Pénélope : Non je les écris d’abord sur mon ordinateur sur un Word ou quelque chose comme ça, parce que, chez

nous (il s'agit ici du webzine Babel FR), quand on écrit sur la plate-forme les chroniqueurs peuvent tous voir ce que l’on écrit, donc moi c’est un système d’écriture qui me correspond pas (...).

FR : Donc ça veut dire que vous mettez les articles dans le back office ( l'interface administrateur de Babel) ? Pénélope : Une fois rédigés oui voilà.

FR : Est-ce que vous pouvez me décrire un peu la façon dont vous écrivez ? C’est du direct ?

Pénélope : C’est généralement du direct, c’est vrai que les dernières choses sur lesquelles j’ai le plus écrit c’est

quand même des concerts donc c’est vraiment un ressenti immédiat. Généralement je rentre chez moi et j’écris. Alors ça peut me prendre après trois jours de finir le papier mais, j’ai des idées que je pose sur le papier, des choses dont j’ai vraiment envie de parler voilà. Mais je me pose pas dans l’idée de faire une introduction, voilà, des petits points précis à détailler, je suis assez peu, je n’ai pas de méthode, je suis pas très organisée aussi.”

De fait, la façon dont Arnaud -journaliste professionnel qui contribue au Webzine

Pressbutton- écrit ses textes ne semble pas fondamentalement différente des usages

précédents : recours à un traitement de texte, corrections et relectures, ajouts de liens puis dépôt dans l'interface administrateur du site.

Arnaud : “Généralement, moi j’écris mon papier sur Word ensuite je le dépose dans l’administration enfin je crée

l’article.

FR : Vous ne l’écrivez pas directement dans le post ?

Arnaud : Cela peut m’arriver quand je suis très pressé. Il y a un fameux fantasme d’écriture sur Internet alors que

l’on écrit simplement un papier sur Word et ensuite on le copie/colle dans le site. Ensuite on passe à la phase d’hypertexte, donc là, on met les liens que l’on a déterminé et insère des liens embed* sur des vidéos ou autres dans une seconde phase.”

b) Urgence rock

À contrario de la plupart des récits précédents, le blogueur d'albums Francis rédige (en anglais) et poste illico ses textes.

FR : “Comment écrivez vous vos chroniques et sont-elles relues avant la publication ?

Francis : Toujours au débotté. Evidemment, je relis afin d'en expurger les coquilles et autres fautes de syntaxe par

trop flagrantes mais le lien que j'entretiens avec la musique et ma connaissance relativement étendue de la chose (ceci dit sans prétention aucune) font que, digérant la musique très rapidement, je peux facilement "pisser de la copie".”

Façon similaire pour Pierre qui n'aime pas traîner.

Pierre : “Un blog ça se fait à l'arrache... Cinq minutes pour uploader l'album, cinq minutes pour faire le post

(décrire le genre musical, recopier le tracklisting)... Et roule ma poule

FR : Les posts dorment un peu dans l'interface admin ou vous les postez aussitôt après les avoir confectionnés ? Pierre : Personne ne dort dans l'interface admin, j'aimerais bien y dormir d'ailleurs.Nan ça m'énerve quand

Blogspot ne poste pas tout de suite ce que j'écris”

Même besoin d'urgence pour Nina une fois les messages sont écrits.

Nina : (...)“ Et je laisse rarement reposer les chroniques. D'ailleurs j'oublie parfois de me relire ! En fait j'écris

beaucoup "dans l'urgence", avec un brouillon seulement dans ma tête, alors quand j'arrive à une chronique qui me plaît, j'ai envie de la partager tout de suite”.

Jonas, dont le blogzine, L'oeuf, parle aussi bien de musique, de littérature, de films, de séries télévisés et même de politique combine urgence dans l'écriture et publication différée.

FR : “Pourriez vous me raconter comment est-ce que vous écrivez ? Cela dépend t-il des thématiques que vous

abordez ? Vous travaillez dans l'interface admin ?

Jonas : Non, j'écris sur le bloc-note de Works (un traitement de texte FR). Principalement au feeling, je n'aime

pas trop prendre de notes ni faire de plans... Ou disons qu'ils se forment instinctivement lorsque j'écris, déformation professionnelle sans doute - (Jonas est éditeur free lance FR). Concrètement : je trouve un angle d'attaque, et je déroule, du moins si je peux. Il arrive qu'un sujet ne m'inspire pas et que je laisse tomber, bien entendu.

FR : De l'utilisation de Works je crois comprendre que vous êtes en Mac ? Vos messages sont publiés illico après

rédaction ?

Jonas : Non, je suis sous Vista mais j'utilise le moins possible les logiciels Windows. Les messages ne sont pas du

tout publiés après rédaction. En fait j'ai énormément d'avance sur la publication, par conséquent il peut arriver qu'un article soit publié trois mois après avoir été écrit.

FR : Combien de posts en avance dans l'interface par exemple ce jour ? Jonas : De tête une cinquantaine”

En résumé, à l'exception de quelques personnes voyageant pour des raisons professionnelles ou lors de leurs vacances, la plupart des membres du panel rédigent de préférence leurs textes à la maison et avec un traitement de texte. À partir de là, deux tendances principales se dégagent.

Un premier groupe s'immerge assez longuement dans l'écriture, s'appuyant le cas échéant sur des notes où ont été fixées des premières impressions (nombreux témoignages à propos des petits carnets et des bouts de papiers où l'on griffonne constamment) ou encore sur des informations recueillies en ligne (un aspect sur lequel on reviendra). Pour ce premier groupe, une chronique de disques nécessite d'avoir apprivoisé la musique au préalable, d'avoir cherché des accroches. De même, un compte-rendu de concert ( live report) doit croiser les émotions ressenties lors de la prestation avec une appréciation plus nuancée, par exemple en comparant le concert du groupe avec un précédent quelques années avant etc.

Le deuxième groupe procède de façon plus spontanée, privilégiant une écriture plus “automatique”, approche nullement contradictoire avec le fait d'avoir écouté longuement des disques ou disséqué méticuleusement les épisodes d'une série TV ou d'un film. Une fois les textes écrits, les façons de mettre en ligne sont relativement homogènes car si Nina, Francis ou Arnaud semblent poster leurs messages presque aussitôt après les avoir écrits, la plupart les laissent reposer dans un sas de décompression, l'interface administrateur. Cette période de latence permet aux auteurs qui de réécrire un passage, qui d'apprécier le moment adéquat pour poster un message, qui de prendre connaissance de ce que les autres ont sur le feu dans le cas des plate-formes collectives.

Figure 8 : un exemple d'interface administrateur disponible sous Blogspot

Chaque message est accompagné de son titre, de sa date de publication et des éventuels libellés (tags) qui l'accompagnent. Des brouillons peuvent être déposés dans l'interface et y demeurer jusqu'à publication. À tout moment, il est également possible de modifier un message déjà posté voire même de le supprimer

Figure 9 : ci-dessous, l'interface de Blogspot au sein de laquelle on rédige un message. En haut de la feuille figurent les outils permettent d'insérer des liens hypertextes, des images, de choisir des polices de caractères, la mise en page etc. Un usager expérimenté peut également cliquer sur le lien “modifier le code HTML” et insérer des lignes de code afin d'insérer des mp3, des vidéos ou encore transformer l'apparence du blog.