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Les motifs du conte sont devenus « des lieux communs de notre vie et de notre culture 186 » nous disait O. Piffault en citant P. Péju. Les contes parlent à tous, nous savons les reconnaître à la moindre citation ou référence, ils sont ancrés dans nos esprits depuis les premières années de notre vie. La référence au conte est courante, cité comme modèle ou exemple pour illustrer un propos. A l’école, dans la famille ou dans nos professions, les topoï des contes peuvent ressurgir comme des références communes. Les motifs et les thèmes traités résonnent en chacun. C’est pourquoi, à la moindre reprise d’un conte célèbre du répertoire traditionnel, la référence implicite est perçue. Retrouver des bribes d’un conte apparaît presque comme une évidence. C’est comme si nous étions né en connaissant déjà ces histoires éternelles et que leur présence dans d’autres lectures ne nous surprenait pas.

2.1. Force et enchantement du conte

Le conte fascine par son caractère énigmatique et sa portée sur l’imaginaire. Les thèmes abordés et les symboles évoqués ouvrent sur un ailleurs, sur l’inconnu de l’univers merveilleux. Des questionnements existentiels surgissent de ces lectures captivantes, sur le sens de l’existence et des difficultés de la vie. Le caractère intemporel du conte est un indice de sa richesse et de son éternelle jeunesse. De tous temps on a conté des histoires, et le public ressent que ce patrimoine littéraire a traversé les siècles.

L’une des caractéristique énigmatiques du conte est sans doute la force des images véhiculées. Selon la théorie psychanalytique de M.L.von Franz, le conte utilise des images archétypiques qui touchent notre inconscient. Il s’agirait d’images dynamiques qui se présenteraient dans le conte sous une forme simple et résumée. Selon cette théorie, le conte serait un « langage international » dans la mesure où les même images se retrouveraient dans les contes de pays très éloignés géographiquement. Pour illustrer la puissance évocatrice des images archétypiques, Pierre Péju décrit en quelques lignes la fuite de Peau de Mille Bêtes, personnage de Peau d’Ane dans le conte réécrit par les frères Grimm :

186

« (…) La petite Peau de Mille Bêtes s’est enfuie dans la nuit sous son extraordinaire manteau de fourrure, seule, terrorisée par ce père qui veut la prendre pour femme (…) C’est cette image qui nous reste, qui nous émeut et nous emporte (…)187 ».

Les tableaux archétypiques de ce type nous interpellent. Par exemple, la scène où le géant fait porter au petit tailleur un tronc d’arbre est, elle aussi, marquante. De même, l’essayage de la bague pour élire la princesse dans le conte de Peau d’Ane s’inscrit dans nos mémoire. Le symbolisme fécond des contes est aujourd’hui encore apprécié de tous.

Le conte n’est pas simple à déchiffrer, mais c’est ce mystère qui lui vaut tant de succès. Nous ne prétendons pas donner des clefs d’interprétation mais au contraire montrer que la fascination du conte est rendue possible par le voile mystérieux qui plane au-dessus de lui. Le sens d’un conte n’est pas évident a

priori car celui-ci est « à la limite du sens et du non-sens 188 » selon l’expression de P . Péju, car les éléments du contes sont comme des « oiseaux questions 189 ». Le conte interroge, il ne donne pas de réponse et il touche en nous des parties insoupçonnées « mal dicibles ». Cette sagesse traite des « énigmes irrésolues de l’enfance et les problèmes plus sombres des origines 190 ». Le conte soulève donc des mystères humains irrésolus.

187

Pierre Péju, op. cit., p. 25

188

Pierre Péju, op. cit., p. 38

189

Pierre Péju, op. cit., p. 76

190

2.2. Analogies entre rêve et conte

Le conte est souvent comparé au rêve à cause de la présence d’images marquantes. Freud a repéré des symboles récurrents dans les rêves comme dans le folklore. Les mêmes symboles se retrouveraient dans « toutes les représentations collectives, populaires notamment : dans le folklore, les mythes, les légendes, les dictons, les proverbes, les jeux de mots courants 191 ». Lors de l’analyse des rêves de ses patients, Freud s’est aperçu que le symbolisme du rêve était le même que celui mis en œuvre dans « les contes, le peuple dans ses proverbes et ses chants, le langage courant et l’imagination poétique 192 ». Chacun retrouve dans le conte le récit d’un rêve déjà fait, redouté ou désiré. P. Péju compare le rôle des images du conte avec celui de celles du rêve :

« (…) certains lambeaux de rêves qui persistent ainsi dans notre existence diurne, sans raison, sans explication et pourtant sans rien perdre de leur charge émotionnelle ni de leur couleur jouent dans notre vie un rôle comparable 193 ».

Il est vrai que dans le conte, les images représentent des actes non motivés comme dans le rêve. Les événements s’enchaînent sans explication rationnelle. Les deux sont obscurs et symboliques. Quand on essaie de les formuler avec des mots on ne comprend pas ce qui a provoqué les événements. Tout semble s’enchaîner logiquement sans que l’on éprouve le besoin d’expliquer les transitions ou les apparitions surnaturelles.

La force du conte, proche de la puissance évocatrice du rêve, fascine les lecteurs et écrivains d’aujourd’hui. D’après P. Péju, le conte « est aussi intime et aussi universel que le mouvement du rêve 194 ». Cette idée du pouvoir du conte permettrait d’affirmer que celui-ci a un impact sur l’inconscient des écrivains de notre siècle. C’est à Freud que revient le mérite d’avoir initié une lecture psychanalytique des manifestations folkloriques, en se servant du folklore pour mieux approcher le rêve et inversement. Ses disciples se sont penchés plus spécifiquement sur la matière folklorique qu’est le conte.

De plus, la proximité des contes et des rêves s’expliquerait ar leur vocation d’exprimer nos désirs inconscients. Freud avait remarqué que « les mythes sont les reliquats déformés de fantasmes de désirs de nations entières, les rêves

191

Freud Sigmund, L’interprétation des rêves, cité par F. Flahaut, p. 265

192

S. Freud, cité dans Choix de textes, « le symbolisme dans le rêve », M.T. Laveyssière,2003, p. 45

193

Pierre Péju, op. cit., p. 26

194

séculaires de la jeune humanité 195 ». Ainsi, l’homme projetterait dans les contes son rêve d’un ailleurs, d’une autre vie plus facile, où la baguette magique et la métamorphose permettraient d’affronter toutes les difficultés de la vie. Ces récits imaginaires auraient une visée échappatoire qui permettrait d’échapper à la basse condition humaine.

Les processus psychiques à l’œuvre dans les contes sont assimilables à ceux de la formation des rêves : le conte est constitué d’un contenu manifeste et d’un contenu latent au même titre que le rêve. Freud a étudié l’analogie entre le travail du rêve et le travail des autres productions psychiques comme les oeuvres d’art, les mythes, légendes ou les rites. Il considère le conte comme une production psychique au même titre que le songe. En effet, les deux renvoient à des phénomènes étranges et inexplicables, dont les lois cachées méritent une interprétation symbolique. Les techniques d’interprétation des rêves seraient donc aussi valables pour interpréter le sens implicite des contes. Freud a défini trois modes d’élaboration du rêve qui peuvent aussi être assimilés au processus d’élaboration du conte : la figuration, la condensation et le déplacement. Le rêve et le conte tentent de donner forme à des émotions ou sensations par le biais des images. Ces images se combinent pour donner une trame narrative et sont interchangeables. Le conte se forme donc de la même manière que le rêve. Novalis a, lui aussi, trouvé des similitudes entre le conte et le rêve, qu’il rapprochait d’une parenté musicale. Pour lui « les images, comme les sons ou les accords, doivent se suivre sans lien, et seuls l’oreille et l’esprit inventent un fil196 ».

Les contes populaires, comme les rêves, sont constitués d’un matériel infantile. Le temps, l’espace et les valeurs qu’ils véhiculent sont parfois identiques. Les valeurs frisent parfois l’immoralité, certains personnages égoïstes rappellent le côté narcissique de l’enfant qui n’a pas appris la valeur du partage. La mort de la mère du héros peut être interprétée comme l’accomplissement d’un désir infantile refoulé. De même, le symbolisme sexuel des contes reflète des théories sexuelles infantiles. Par exemple l’idée que l’on peut être enceinte en avalant quelque chose est une croyance enfantine qui se retrouve dans les contes.

Le moment où le conte se transmet, souvent lors des veillées, est comparable à celui de l’endormissement dans lequel a lieu le rêve, entre la veille

195

Sigmund Freud, La création littéraire et le rêve éveillé, p. 10 cité dans http://classiques.uqac.ca

196

et le sommeil profond, moment où l’enfant plonge dans un autre univers. Le temps et l’espace dans le rêve comme dans le conte sont indéterminés et différents, mais certains éléments familiers rappellent la réalité comme la maison, la forêt, le château. Pierre Péju parle des lieux des contes comme d’un espace hors du temps qui « nous accompagne désormais comme certaines visions de rêves, visions qui flottent, denses et indestructibles au-dessus des choses et entre les choses de la vie… 197 ».

Les similitudes observées entre le conte et le rêve permettent de mieux comprendre comment cette matière ancestrale agit sur les lecteurs d’aujourd’hui. L’inconscient humain n’a pas évolué au cours des siècles, c’est pourquoi les images qui fascinaient nos aïeux peuvent encore nous parler. Les auteurs de réécritures modernes n’échappent pas à cette vérité, puisque eux aussi interrogent le conte et se laissent interpeller par lui.

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