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« PARMENTIER, un savant dans la société » (Modérateurs : François Chast, Président honoraire de l'Académie nationale de Pharmacie, Gérard Tendron, Secrétaire perpétuel de l'Académie d'Agriculture de France).

« Les scientifiques et la tentation politique »

Éclaireur de la Société, acteur idéologiquement neutre de la vérité, le scientifique a-t-il vocation à entrer de plein droit dans la vie politique ? Antoine-Augustin PARMENTIER, pharmacien, chimiste, agronome, a eu le talent de consacrer la somme de ses compétences au service du Bien public en les mettant à profit notamment pour améliorer l'alimentation de ses contemporains, l'économie du milieu rural et donc de favoriser le progrès social. Organiser, prévoir, planifier, sa méthode s'apparente à une démarche politique au sens le plus noble d'une cause qui ne consiste pas seulement à atteindre le pouvoir mais à l'influencer au point d'en modifier les objectifs et les moyens pour le Bien commun.

Depuis deux siècles, savants et scientifiques ont approché la sphère politique au point de parfois se confondre avec elle. D'abord placé sous l'influence des « Lumières », ce voisinage s'est manifesté avec éclat pendant la Révolution française au cours de laquelle des savants comme Carnot, Condorcet ou Monge ont directement pris part aux événements politiques ou les ont fortement influencés. Un siècle plus tard, le

Second Empire et surtout la Troisième République naissante, ont offert aux scientifiques, Louis Pasteur, Claude Bernard, l'occasion d'influencer, voire de participer ou d'animer la vie politique, mais seuls, Jean-Baptiste Dumas ou Marcelin Berthelot, ont accepté un engagement transgressif de leur métier de chercheur. Un peu plus tard, le 20e siècle, avec ses conflits mondiaux et l'irruption d'idéologies extrêmes, la pensée politique sera le théâtre de l'influence des intellectuels, hommes de lettres (Gide, Martin du Gard, Malraux), philosophes (Sartre, Camus, Aron), mais aussi de scientifiques, parmi lesquels les physiciens Paul Langevin, Frédéric Joliot-Curie ou Francis Perrin ne seront pas les moins emblématiques.

Aujourd'hui, rares sont les scientifiques qui sont engagés en politique. Pourtant la science n'a jamais été aussi présente dans les débats politiques, économiques ou sociaux : la physique en matière d'évolution climatique et d'énergétique, la chimie pour l'écologie et l'environnement, la biologie et la médecine pour la santé publique et l'organisation sociale. Est-ce parce que la politique contemporaine incline aux concessions alors que, par définition, la vérité scientifique n'est pas divisible ? Est-ce parce que le Principe de précaution décourage les initiatives technologiques ? Dans une Société de progrès, la vocation politique du scientifique contribuerait à une éthique de conviction (définition d'objectifs partageables) et à une éthique de responsabilité (acceptation de répondre de ses actes). Malheureusement, le réalisme des moeurs politiques l'emporte trop souvent sur la défense de la « vérité idéale » et sur la justice des principes moraux, ce qui cantonne le scientifique à un rôle de naïf inadapté à un monde qui lui est désormais de plus en plus étranger.

« PARMENTIER, Hygiène et santé »

Olivier Lafont, Président de la Société d'Histoire de la Pharmacie, membre de l'Académie nationale de Pharmacie.

La légende de PARMENTIER se montre bien réductrice lorsqu'elle limite son action à la promotion de la pomme de terre. Ce pharmacien militaire cherchait, avant tout, à mettre la science au service de l'humanité, quelles que fussent ses activités aux multiples facettes. Fondateur de la chimie alimentaire, réorganisateur de la pharmacie militaire, il fit toujours preuve d'un vif intérêt pour les questions d'hygiène et de santé publique.

C'est ainsi qu'il se préoccupa de la qualité de l'eau, en particulier de celle de la Seine, ou de la salubrité de l'air, notamment dans les hôpitaux. L'affaire des exhumations de Dunkerque, celle des fosses d'aisance, ou l'utilisation des excréments humains en agriculture font partie des occasions où il sut trouver un éclairage scientifique permettant de résoudre, au bénéfice de la santé publique, les épineuses questions qui lui étaient posées.

L'étude approfondie qu'il publia dans le Bulletin de Pharmacie sur la conservation des viandes montre qu'il n'ignorait rien de l'intérêt de la congélation pour préserver durablement la saveur des aliments.

Il ne faudrait pas oublier le rôle important qu'il joua, dès qu'il eut connaissance de la découverte de Jenner, pour favoriser activement la diffusion de la vaccination en France.

On reste frappé par la modernité des questions abordées et par le dévouement au Bien public, dont il fit preuve dans ses fonctions au Comité de salubrité de la Seine ou au Conseil de santé des Armées, comme en dehors de ces institutions.

« Les écrits d'Antoine-Augustin PARMENTIER à l'Académie d'Agriculture de France : analyse, apports commentés et mise en perspective »

Christian Ferault, Directeur de recherche honoraire de l'INRA, Vice-Secrétaire de l'Académie d'Agriculture de France

(texte intégral p 73)

Questions/Commentaires/Réponses

François Chast (Q). – Dans le contexte de l'époque, comment les travaux des scientifiques en matière d'agriculture passaient vers les populations concernées ? C'était beaucoup plus difficile que dans le domaine pharmaceutique où tous les pharmaciens étaient lettrés voire scientifiques. Comment le message passait-il au monde rural ? Est-ce par l'intermédiaire du clergé ?

R. – Il y avait un hiatus considérable entre ceux qui faisaient la science, qui l'écrivaient, et amélioraient les techniques, et le monde paysan. La vulgarisation n'existait pas et pourtant les découvertes passaient. Il est clair que le clergé jouait un rôle essentiel en la matière, dominant à cette époque, au niveau de l'instruction. Les écoles normales étaient dirigées le plus souvent par des religieux. C'est bien plus tard que les professeurs d'agriculture départementaux vont exister, bien après Parmentier (à partir de 1837). Jusqu'à la fin de l'Empire, mais de moins en moins, le clergé est intervenu dans la diffusion des connaissances agronomiques tandis que les enseignants laïques ont vu leur rôle en ce domaine s'accroître progressivement.

« Les amis de PARMENTIER - Liens scientifiques et intellectuels »

Anne Muratori-Philip, historienne, membre correspondant de l'Académie des Sciences morales et politiques.

Antoine-Augustin PARMENTIER n'était pas ce savant solitaire trop souvent caricaturé comme un personnage austère et difficile. Au contraire, il avait de nombreux amis qu'il aimait rencontrer et qu'il associait volontiers à ses travaux.

Beaucoup étaient issus de son cercle initial, la grande famille des pharmaciens militaires, comme Pierre Bayen, Louis-Claude Cadet de Gassicourt ou Philippe-Nicolas Pia. D'autres l'ont rejoint par affinités scientifiques Nicolas Deveux et Antoine-Alexis Cadet de Vaux, par exemple. Ou tout simplement admiré, comme François de Neufchâteau, politicien excentrique et poète qui fit de la pomme de terre une "solanée parmentière"...

Les travaux de PARMENTIER ont impressionné les esprits les plus brillants de l'époque. Et sa simplicité les a conquis. Parmi eux, ses partenaires de l'Institut : André Thouin, Jean-Martin Cels, François-Hilaire Gilbert, Jean-Baptiste Huzard et l'abbé Tessier. Certains venaient de loin, comme Benjamin Franklin. Et tous sont devenus des amis indéfectibles, marqués par la fidélité et l'attention que leur porta toute sa vie le savant picard.

Questions/Commentaires/Réponses

C. Foulon (Q). – Il y a culture et culture ! Je voudrais savoir où se situe la responsabilité sociétale de ces grands hommes.

R. – Je crois qu'avec PARMENTIER, nous avons un personnage qui a décidé de vouer sa vie à régler le problème des famines et des disettes et à améliorer le sort des français. À l'époque des Lumières, beaucoup se piquent de faire de l'agriculture, des aristocrates ouvrent des cabinets de curiosités, des laboratoires. PARMENTIER navigue dans ce sens. Il n'y a pas de réponse plus précise à vous faire. PARMENTIER est resté profondément chrétien. De son éducation religieuse, il n'a rien oublié et s'il agit, c'est toujours en fonction de cette éducation et de ses croyances. C'est peut-être en cela qu'il diffère des autres savants.

Claude Choisy (Q). – Je suis étonnée que personne n'ait évoqué la personnalité d'Olivier de Serres qui a introduit la culture de la pomme de terre en France.

R. – Oui, je n'avais que 20 minutes ! PARMENTIER était un admirateur d’Olivier de Serres, mais ce dernier ne faisait pas partie des amis de PARMENTIER. C'est pourquoi, je n'en ai pas parlé.

François Chast (C). – PARMENTIER était un homme de consensus. Il n'aimait pas le conflit, c'était un homme d'écoute et d'empathie avec ceux qu'il rencontrait. C'est ce qui frappe quand on essaye d'observer PARMENTIER.

Jean-Luc Delmas (Q). – Nous avons évoqué le choix par Napoléon de la betterave à sucre plutôt que du sucre de raisin pour remplacer la canne à sucre. Pourquoi ce choix a-t-il été fait ? Des influences politiques ou scientifiques ?

R. – Il n'y a pas de raison politique. PARMENTIER a fait des travaux sur le raisin et voulait utiliser les nombreuses plantations de vigne à l'époque. Les travaux de Deyeux conduisant à l'industrialisation de l'exploitation de la betterave par B. Delessert étant soutenus par Napoléon, il était naturel qu'il se dirige vers ce choix-là.

François Chast (C). – On a peut-être eu tort de suivre l'idée de la betterave ! Chevreul a montré par la suite les inconvénients de ce choix. Il a montré la différence entre sucre de raisin (glucose) et de betterave (saccharose) d'un point de vue physiologique.

« Les Français et la science : entre confiance et défiance »

Pr. Pierre Corvol, membre de l'Académie des Sciences, membre associé de l'Académie nationale de Pharmacie, Professeur émérite au Collège de France.

En matière de santé, la planète vit deux mutations majeures : un allongement jamais égalé de l'espérance de vie, de l'ordre de un an tous les 4 ans, et un bouleversement du type de maladies qui l'affecte, les maladies dégénératives prenant le pas sur les maladies infectieuses. Au même moment, une explosion de découvertes et d'innovations technologiques ouvre la voie à de nouveaux médicaments dont beaucoup sont issus du vivant. Quelles sont les réactions des Français à ces progrès qui les touchent de près et, de façon plus générale, à l'égard de la science ?

Au-delà des idées reçues, les sondages répétés ces dernières années sur ces sujets montrent que les Français font dans l'ensemble confiance aux chercheurs et croient en une science génératrice de progrès pour eux-mêmes et pour la société en général. Les Français font confiance aux scientifiques, même s'ils les connaissent mal, pour résoudre les problèmes rencontrés par l'ensemble de l'humanité et en premier lieu ceux relevant de la santé et de l'environnement.

Les Français doutent, toutefois, de l'indépendance des scientifiques sur des questions centrales telle que la sûreté des centrales nucléaires, le réchauffement climatique, les OGM. De façon générale, ils s'estiment insuffisamment informés et consultés sur les enjeux de la recherche.

La communauté scientifique se doit de répondre à la demande toujours plus pressante du besoin de savoir et d'informations du public en étant ouverte aux débats et en communiquant inlassablement les résultats de ses découvertes et de leurs applications. Elle dispose pour le faire aujourd'hui de nombreux medias, et notamment des technologies de l'information qui permettent d'établir un dialogue actif entre la société et les chercheurs.

Questions/Commentaires/Réponses

Bernard Vézinet (Q). – Vous avez parlé de la formation et de l'information de la population, insuffisante. Ne faut-il pas en priorité, dans les 20 ans qui viennent, former les collégiens ? Les Académies et le Collège de France devraient lancer et développer cette action sur la base de l'existant.

R. – Tout à fait. L'approche de l'Association « La main à la pâte » va dans ce sens mais on l’a vu surtout s'intéresser aux maîtres et non aux élèves. La formation des maîtres va se faire mais le Collège de France est un peu décalé sur ce sujet mais peut y contribuer.

Jean Féger (Q). – On voit que dans certains cas, comme la thérapie génique, l’enthousiasme des chercheurs a induit une déception du public. Il y a un problème d'équilibre sur lequel je m'interroge.

R. – C’est effectivement une question d'actualité. Les scientifiques sont poussés à aller au-delà des résultats observés, poussés par les medias. C'est un terrain difficile. Pour la thérapie génique, c'est vrai mais aussi pour les tests in vitro. En 2000, F. Collins (IH) avait fait des annonces sur le diagnostic prédictif grâce au génome qui n'ont pas été tenus ! Mais dans le sondage, ce n'est pas évident.

Claude Bohuon (Q). – Vous avez indiqué que 1000 personnes avaient été interrogées par IPSOS. Sur la base de quel recrutement ?

R. – Il y a des critères habituels des sondages pour assurer la représentativité de la situation : sexe, âge, région, etc. Il faut faire confiance aux instituts spécialisés dans ce domaine !

Claude Monneret (Q). – Je suis surpris des résultats sur Alzheimer (qui ne semble pas préoccuper les personnes sondées) comparés aux résultats sur les nanotechnologies (où les résultats sont plutôt positifs).

R. – C'est effectivement une bonne remarque. Pour les nanotechnologies, quand on lance un débat sur le sujet, qui vient ? Il y a à l'évidence un biais de représentation. Pour Grenoble, c'est une région sensibilisée à ce sujet. Du fait des activités locales sur ce domaine, la couverture médiatique est plus importante. À

l'inverse, quand P. Couvreur a fait son cours sur les nanotechnologies au Collège de France, il n'y a aucune remarque du public même par mail !

Katia Laval (Académie d'Agriculture) (C). – Vous avez indiqué que quand il est informé, le public est moins confiant. C'était à propos des changements climatiques, ma spécialité. Ma réponse est la suivante : quand le public veut s’informer, on lui donne des informations simplistes. Ça me gêne beaucoup. Si l'on veut passer des informations, il faut donner des informations plus complètes, même si c'est difficile. Sinon, tout peut arriver ! Et on est soumis à des dérives.

Conclusion par François Chast. – Il me revient de conclure cette session. En premier lieu, je remercie tous les intervenants. Nous avons voulu donner un sens à notre démarche en donnant le titre « La science au service du Bien public ». Manifestement, PARMENTIER fait partie des savants qui ont su mettre la science au service du public. Cet après-midi, nous aurons à nouveau la démonstration que dans le débat d'aujourd'hui la science doit faire partie, fait partie et fera partie du débat public car il n'y a pas de choix politiques sans choix scientifiques.