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CHAPITRE I : ROLES ET FONCTIONS D’UNE REVUE ARTISTIQUE OFFICIELLE EN RDA

2.2.1. La IX ème exposition d’art de RDA, 1982

L’exposition de 1982 atteint de nouveau le record de 1977 d’un million de visiteurs111. Depuis la précédente exposition, les capacités d’expansion de l’événement paraissent être atteintes. En effet, le nombre d’œuvres (3 000 œuvres et 1 500 artistes) semble avoir été privilégié sur la qualité de celles-ci et les attentes des organisateurs quant au contenu idéologique de certains domaines, comme la peinture et la sculpture, ne sont pas entièrement satisfaites. Malgré l’engagement de Willi Sitte dans son œuvre Nach der Schichte im

Salzbergwerk, le thème de l’ouvrier au travail régresse. La grande attraction est la présentation

d’un morceau de l’œuvre de Werner Tübke pour le Panorama de Frankenhauser, où il peint un gigantesque décor consacré aux premières révolutions en Allemagne et notamment la guerre des paysans. La stimulation donnée par le contexte international n’est plus aussi convaincante, auparavant déterminée par l’actualité sur le Vietnam et le Chili, cette fois, la guerre en Afghanistan et la montée des tensions l’armement en Europe préoccupent les artistes, comme si la politique pacifique de l’administration Brejnev était remise en cause112. Une jeune génération d’artistes, dont le maître est Bernhard Heisig de l’école de Leipzig, se fait remarquer pour des qualités d’un réel humaniste centré sur l’individu et non pour les objectifs idéologiques113.

Dans la revue Bildende Kunst, l’enjeu est de rendre compte des différentes opinions tout en permettant au lecteur de se faire un point de vue sur les œuvres. Pour le mois d’octobre 1982, moment de l’inauguration, seul un court mot de Willi Sitte souligne le travail des jurés, qui ont dû choisir dans le cas de la peinture, présidé par Bernhard Heisig, 415 pièces parmi les 1 245 œuvres proposées, nombre déterminé par les possibilités d’accrochage. Il fait, néanmoins, remarquer que certaines œuvres sont inhabituelles114.

La revue tenue à ses délais d’impression consacre les trois premiers numéros de l’année 1983 à l’exposition de Dresde : le cahier de janvier est dédié à la peinture et la sculpture, le mois de

111 Bernd Lindner, « Kunstrezeption in der DDR » In Günter Feist, Eckhart Gillen, Beatrice Vierneisel, Kunstdokumentation SBZ/DDR 1945-1990. Berlin 1996, p. 89.

112 Voir Günter Feist et Eckhart Gillen, Kunstkombinat DDR, Berlin, 1990, p.138.

113 Helga Möbius in „Zur Malerei und Grafik zwischen den beiden Ausstellungen“ im Katalog zur IX. Kunstausstellung der DDR. In Günter Feist et Eckhart Gillen, Kunstkombinat DDR, Berlin, 1990, p.140. 114 Willi Sitte In Bildende Kunst Heft 10/1982.

février se concentre sur l’artisanat d’art (métal, bois, céramique, textile, verre…) et mars rend compte de l’art graphique, le design et la photographie entre autres. Les articles de ces dossiers sont écrits dans un style très descriptif, textes assez courts et accompagnés de nombreuses illustrations en noir et blanc de 7 à 12 reproductions par article. Pourtant, tour à tour, ils soulèvent des interrogations quant à l’évolution de la production artistique de RDA. Ainsi Heinz Quinger115 regrette une certaine faiblesse morale des œuvres qui montrent la destruction de la nature et accumulent les couleurs sombres et criantes. Ou Peter H. Feist exprime son étonnement et remarque la dominance du nu dans la sculpture, qui, certes, inscrit la sculpture de RDA dans la continuité artistique du XXème siècle, mais qui célèbre la sensualité d’un corps individuel au détriment de la collectivité116.

La critique de l’exposition se trouve dans la partie du Forum, qui pour l’occasion dispose d’un emplacement plus important. Pour le premier numéro de 1983, la discussion est introduite par Willi Sitte, qui définit le contexte international, comme un signe de compréhension du trouble des artistes vis-à-vis d’un futur incertain. Il met en cause l’administration Reagan extrêmement belliqueuse dans son rapport aux pays socialistes et menant une course à l’armement en Europe117.

Son message s’adresse surtout à la jeune génération d’artistes qu’il rappelle à l’ordre vis-à-vis de leur engagement dans la société et de leur rapport au réalisme socialiste. Il s’agit, selon lui, du rôle des expositions de Dresde : renforcer le réalisme socialiste, un mouvement qui ne peut ni s’user ni s’épuiser comme les autres courants artistiques en « -isme », simplement caractérisé par un procédé stylistique ou technique. Il réfute également toute comparaison avec l’art de l’Ouest où, précisément à Berlin-Ouest, un nouveau courant nommé « Neuen Wilden »118 s’apparente à la peinture de Bernhard Heisig119. Il définit le réalisme socialiste comme un élément propre de l’identité et de l’appartenance à l’art est-allemand, il ne peut être ni passé de mode ni approprié par quelqu’un d’autre. Pour Willi Sitte la représentation de la classe ouvrière est incomplète et insatisfaisante, il conclut sa critique en rappelant que l’art a la fonction de montrer la beauté, l’humanité, l’espoir et cette exigence doit être maintenue. Les artistes actuels

115 Heinz Quinger, « Zum Problem des Sinnbildhaften in der Malerei » In Bildende Kunst Heft 01/1983. 116 Peter H. Feist, « Zwischen Statuarik und Erzählung »In Bildende Kunst Heft 01/1983.

117 Willi Sitte, « Die „Neunte“ im Gespräch » lors de la 12ème journée du ZK de RDA, le 18/11/82 à Dresde. In Bildende Kunst Heft 01/1983.

118 Parmi les artistes de ce courant artistique se trouve A.R. Penck (Ralf Winkler), un ancien artiste de l’Allemagne de l’Est qui a émigré à l’Ouest en 1980.

119 « Bernhard Heisig n’est pas « sauvage » dans le sens de l’ouest, ne l’a jamais été et le sera jamais. […] Pour moi, Bernhard Heisig et ses autres collègues sont des artistes passionnément engagé, socialistes et des citoyens de RDA non-interchangeable. », . In Bildende Kunst Heft 01/1983.

peignent des hommes qui épuisent leurs forces dans un travail répétitif, ainsi la valeur du travail n’est plus magnifiée.

Face aux reproches d’un engagement politique trop faible, Hermann Peters120 estime, quant à lui, qu’il n’avait jamais encore vu une exposition aussi engagée politiquement, même si celui- ci n’est pas affirmé avec conviction. Il souligne le rôle du jury dans l’orientation de l’exposition. La « neuvième » pose des questions sociétales catégoriques sur l’environnement socialiste et son mode de vie face aux comportements individuels. Ses revendications sont un événement progressif que les institutions doivent appréhender en théorie et en pratique.

Rudolf Pakulla rédige une véritable diatribe contre la peinture exposée sous la forme de six questions121. Il approuve tout d’abord l’évaluation critique et inhabituelle de Willi Sitte sur l’art exposé à Dresde et évoque « le visiteur qui a dû faire taire sa faim de beauté ». Au centre de sa critique se retrouve principalement un reproche, ces œuvres ne seraient pas dignes d’une exposition nationale. Il juge leurs revendications intellectuelles trop superficielles, notamment la protection de l’environnement, et considère les œuvres présentées comme celles d’un petit cercle de connaisseurs dont le goût bohème ne peut être considéré comme une référence valable à l’échelle du pays.

Au sein des différentes discussions qui s’écoulent jusqu’en décembre 1983 dans Bildende

Kunst, les concepts de partialité (Parteilichkeit) et de la relation au peuple (Volksverbundenheit)

des artistes sont débattus. Malgré la pluralité revendiquée et assumée, des différents médias artistiques exposés, les discussions se concentrent sur la peinture et la sculpture qui sont considérées comme les domaines les plus importants des Beaux-Arts.

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