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Contenu du chapitre Trois

3- Âges d’enfouissement cosmogéniques

3.1- Principe

Connaissant le taux de production d’un nucléide cosmogénique et sa période de décroissance radioactive lorsqu’il est radiogénique (cas du 10Be, du 14C et du 26Al), la concentration de cet élément accumulée dans une roche donnée permet d’accéder à la durée d’exposition au rayonnement cosmique du claste analysé (Figure 3-9).

Cependant, l’historique d’un échantillon peut être complexe, des modifications environnementales pouvant induire l’enfouissement de surfaces préalablement sous régime érosif. Dans certaines conditions, l’utilisation conjointe du 10Be et de l’26Al peut permettre de le préciser. Du fait de leurs périodes de désintégrations radioactives respectives, 26Al (T1/2 = 0,717 ± 0,017 Ma ; Samworth et al., 1972 ; Granger, 2006) et 10Be (T1/2 = 1,387 ± 0,012 Ma ; Chmeleff et al., 2010 ; Korchinek et al, 2009, 2010), ces nucléides cosmogéniques sont en effet particulièrement intéressants car ils permettent d’appréhender des gammes temporelles autrement difficiles à investiguer. Lors de l’enfouissement des substrats étudiés, et en supposant que l’épaisseur des couches sus-jacentes ait été suffisante pour bloquer le passage des particules issues du rayonnement cosmique, la production in situ liée aux réactions nucléaires induites par ces dernières et les pertes dues à la dénudation subaérienne s’arrêtent. En deçà d'une profondeur

limite, seules subsistent donc les pertes dues aux décroissances radioactives qui impliquent une décroissance en fonction du temps à la fois du rapport 26Al/10Be du fait de la décroissance radioactive environ 2 fois plus rapide de l’26Al relativement au 10Be et des concentrations en 10Be, et ce selon des périodes de décroissances radioactives apparentes et réelles bien contraintes :

Be(t) = Be(0) × e−λ10tx x 10 x 10 et Al(t) = Al(0) × e−λ26tx x 26 x 26

Figure 3-9 : Accumulation du 10Be au cours du temps, avec [10Be] = f(C0, taux production, taux de dénudation, profondeur, temps). La concentration en 10Be atteint un niveau d’équilibre entre les

gains par production et les pertes par dénudation et décroissance radioactive d’autant plus rapidement que les processus de dénudation sont actifs. L'hypothèse d'un taux de dénudation

nul implique le calcul de durées d'exposition 10Be minimales. L’hypothèse d’un temps d’exposition infini implique le calcul de taux de dénudation maximaux (fig. modif. d’après

Braucher, comm. pers & Regard, 2010).

Dès lors qu’il est possible de mesurer le rapport 26Al/10Be et la concentration absolue en

10Be dans les grains de quartz échantillonnés, on peut déterminer, connaissant le rapport de production 26Al/10Be initial qui est celui actuellement mesuré dans la fraction minérale quartzeuse de roches exposées en surface, le temps depuis lequel ce sédiment a été suffisamment enfoui pour être protégé des effets du rayonnement cosmique. L’évolution temporelle du rapport 26Al/10Be en fonction de l’évolution temporelle de la concentration en 10Be pour un échantillon qui a été exposé en surface à l'état stationnaire puis enfoui peut être représentée dans un diagramme

dans l’îlot des états stationnaires, entre les courbes de dénudation nulle (courbe supérieure) et d'exposition infinie (courbe inférieure) (Lal, 1991). La forme des courbes résulte de la différence entre la demi-vie du 26Al et du 10Be. En effet, 26Al se désintègre plus rapidement que 10Be et le rapport 26Al/10Be ne peut être supérieur au rapport des taux de production, d'où la présence d'une "zone interdite" se situant au-dessus de la courbe supérieure de l’îlot des états stationnaires.

Figure 3-10 : Diagrammes « bananes » pour les couples 26Al/10Be (en haut), 10Be/21Ne (en bas à gauche, fig. P.-H Blard) et 14C/10Be (en bas à droite, fig. P.-H Blard). Si les valeurs caractéristiques des échantillons se situent sur la courbe supérieure délimitant l’îlot des états stationnaires, cela signifie que les concentrations en nucléides cosmogéniques ont été acquises au cours d’une phase d’exposition unique dans les conditions d’un taux de dénudation nul. Dans

d’exposition peut être déterminée. Si les valeurs caractéristiques des échantillons appartiennent au domaine de l’îlot des états stationnaires, cela signifie que les concentrations en nucléides cosmogéniques ont été acquises au cours d’une phase d’exposition unique et continue sous un

régime érosif caractérisé par son taux de dénudation. Si les valeurs caractéristiques des échantillons se situent sur la courbe inférieure délimitant l’îlot des états stationnaires, cela signifie que les concentrations en nucléides cosmogéniques ont été acquises au cours d’une phase d’exposition d’une durée considérée comme infinie sous un régime érosif caractérisé par un taux de dénudation. Les concentrations obtenues sont alors interprétables en termes de taux de dénudation maximum. Enfin, si les valeurs caractéristiques des échantillons se situent

en-deçà de la courbe inférieure, cela signifie que l’échantillon étudié a subi une période d’enfouissement dont la durée est donnée par l’évolution conjointe des concentrations et de leur

rapport.

L’équation générale, en utilisant le rapport 26Al/10Be = RAB, fonction du temps t, de la profondeur x et du taux de dénudation de la surface ε, devient :

RAB(x, ε, t) =CA(x, ε, t)

CB(x, ε, t)= RAB(0). e−t(λA−λB)

Avec λA et λB les constantes de désintégration radioactive respective de l’26Al et du 10Be.

La durée d’enfouissement t s’exprime donc :

t =

− ln (RRAB(t)

AB(0))A− λB)

3.2- Mise en évidence d’histoires complexes

Dans le cadre de ces travaux, on considère des sédiments détritiques allogènes piégés au sein de cavités. La teneur en nucléide mesurée est supposée avoir été acquise à l’air libre, c’est-à-dire à l’extérieur du karst. Ainsi, le ratio 26Al/10Be mesuré sur un échantillon cible (galets, graviers, sables) permet de quantifier le temps de résidence de cet échantillon dans le karst, à la fois à l’abri du rayonnement cosmique mais également de la dénudation extérieure. Néanmoins, il n’est pas exclu que le sédiment pénétrant dans les cavités ait connu une histoire préalable particulière (e.g,. Fujioka et al., 2009 ; Granger et al., 1997 ; Matmon et al., 2012), impactant le rapport initial théorique considéré. Ce type de rapports anormaux pourrait s’expliquer par des constructions anthropiques (Granger et al., 1997), des grains provenant d’un transport éolien lointain (Fujioka et

al., 2009) ou bien encore des matériaux exhumés dans le bassin versant (Hu et al., 2011). Un cas

subir des épisodes d’enfouissement – remontée vers la surface du fait du contexte tectonique. Il convient donc de déterminer l’héritage potentiel du matériau par le prélèvement d’analogues actuels dans les lits de rivières, en supposant que ces sédiments soient représentatifs des paléo-bassins versants considérés (concordance pétrographique entre autres).

L’utilisation de différents couples de nucléides cosmogéniques ayant des périodes de décroissance radioactives différentes va notamment permettre de mettre en évidence des histoires d’exposition complexes, caractérisées par une ou plusieurs phases d’enfouissement. Les auteurs (Granger & Muzikar, 2001 ; Dunaï, 2010) distinguent plusieurs cas particuliers :

 Un cas idéal avec des quartz exposés aux rayonnements sur l’ensemble de leurs sections, pendant le même temps, par le même rayon cosmique puis enfouis assez profondément pour ne plus être affectés par les rayonnements. Ce cas décrit dans la partie précédente se traduit alors par la détermination d’une durée d’enfouissement maximale (Balco & Rovey II, 2010) ;

 Un cas plus complexe avec production de nucléides après enfouissement. Des différences sont mises en évidence selon la constance de la profondeur d’enfouissement ou du taux de dénudation. En effet, si l’échantillon n’est pas enfouit suffisamment profondément, la production muonique doit alors être prise en compte. Par ailleurs, le sédiment peut avoir été plus ou moins ramené vers la surface et ré-enfoui, induisant alors un épisode d’augmentation des concentrations en nucléides cosmogéniques. Les concentrations mesurées dans l’échantillon analysé dans l’actuel conduiront donc à une durée d’enfouissement inférieure à la durée d’enfouissement effective du dépôt. Ce cas peut également se traduire par une discordance entre les durées d’enfouissement déterminées par 26Al/10Be et 10Be/21Ne, en raison du caractère stable du 21Ne quand les concentrations en 10Be et en 26Al vont décroître par décroissance radioactive.

3.3- Méthode isochrone

Une autre technique pour déterminer la durée d’enfouissement d’un dépôt consiste à mesurer les teneurs en nucléides cosmogéniques de plusieurs clastes y appartenant. La durée d’enfouissement de chaque claste peut ainsi être déterminée séparément, et permettre de déceler des histoires propres à chacun. Mais il est également possible de reporter les concentrations des clastes analysés dans un diagramme C26 en fonction de C10 (respectivement, les concentrations en

26Al et en 10Be) et d’observer une éventuelle tendance se dégager (Figure 3-11 ; Balco & Rovey II, 2008). Cette méthode, calibrée sur des paléosols, repose sur le tracé d’une isochrone. Elle permet de réduire la sensibilité de la durée d’enfouissement au rapport initial 26Al/10Be. La Figure 3-10

montre que l’isochrone du rapport est une courbe du fait des taux de production et des demi-vies différentes des nucléides d’intérêt. Mais la « pente » est potentiellement mieux définie en considérant plusieurs échantillons à plusieurs profondeurs sur un même profil (Balco & Rovey II, 2008).

Avant que le sédiment ne soit enfoui, il est exposé dans le bassin versant durant un temps t au cours duquel il va accumuler une certaine concentration en nucléides cosmogéniques, constituant une concentration héritée. Dans ce cas, la concentration en nucléide mesurée s’exprime comme telle :

CCRN,m= [CCRN,inh+ PCRN(0)teeZΛ] e−tbλCRN

Avec CCRN,m, les concentrations mesurées aussi bien en 10Be qu’en 26Al (en at/g) ; CCRN,inh, les concentrations héritées (at/g) ; PCRN(0), le taux de production du nucléide en surface ; te, le temps d’exposition avant enfouissement (années) ; tb, la durée d’enfouissement (années) ; et Z, la profondeur (g/cm3). Cependant, il importe de noter que cette équation considère : (i) la dénudation comme étant nulle ; (ii) une durée d’exposition suffisamment courte pour que les pertes par décroissance radioactive soient négligeables ; (iii) une post-production inexistante ; et surtout, (iv) une production muonique des nucléides cosmogéniques négligeable dans le bassin versant. Ce sont donc des hypothèses fortes.

Figure 3-11 : Graphique isochrone utilisé pour la détermination de durées d’enfouissement (modif. d’après Balco & Rovey II, 2008). Les points représentent des échantillons hypothétiques

prélevés à différentes profondeurs dans un même profil sédimentaire. Ces points vont définir une droite, dont la pente dépend du rapport 26Al/10Be pour l’ensemble de la coupe sédimentaire. C’est ce rapport qui va ensuite être utilisé pour calculer la durée d’enfouissement. Les lignes les plus

épaisses et les points signalent les changements de pente accompagnant l’accroissement de la durée d’enfouissement pour les données hypothétiques. La ligne pleine bleue correspond à une

surface exposée, tandis que les lignes pointillées bleues représentent les isochrones.

Pour s’affranchir de la profondeur de l’échantillon, le terme la contenant est isolé et exprimé en fonction de constantes indépendantes, ou bien des profondeurs d’échantillonnage effectives, quelle que soit la profondeur z.

eΛZ =e

tbλ10C10,m− C10,inh P10(0)te

Ce qui donne par substitution :

∀z, C26,m = Rinite−tb(λ26−λ10)C10,m+ [etbλ26C26,inh− Rinitetbλ26C10,inh]

Une relation linéaire entre les concentrations en 10Be et 26Al est ainsi obtenue, valable quelle que soit la profondeur. La pente de cette relation est Rinite−tb(λ26−λ10), et son ordonnée à l’origine a pour coordonnées (C10,inhe−t10, C26,inhe−t26). La pente dépend donc exclusivement de la durée d’exposition.

Balco et al. (2013) ont appliqué cette méthode sur plusieurs galets prélevés dans la même strate sédimentaire, en supposant que les clastes provenaient probablement de divers points du bassin versant, et avaient donc une histoire distincte, avant d’être enfouis ensemble. De ce fait, chaque claste à une concentration en nucléides cosmogéniques qui lui est propre. Néanmoins, ils considèrent que les galets proviennent du même bassin versant, donc devraient avoir le même rapport initial 26Al/10Be, et qu’ils ont tous subi la même durée d’enfouissement. Ainsi, ils devraient tous avoir le même rapport 26Al/10Be malgré leurs concentrations en nucléides distinctes, s’alignant donc sur une isochrone dont la pente fournira tb.

Cette méthode peut donc se révéler puissante dans le cas où un nombre suffisant de galets est prélevé, car elle permet potentiellement de distinguer des galets ayant eu des histoires d’enfouissement distinctes (on remet donc en question le postulat de base).

3.4- Gammes temporelles

La gamme temporelle qui peut être investiguée en utilisant cette méthode de datation par durée enfouissement s’étend depuis environ 100.000 ans, limite inférieure essentiellement induite

par la nécessité de mettre en évidence une décroissance radioactive significative étant donné les incertitudes expérimentales, jusqu’à 5,5 Ma, limite supérieure imposée par la sensibilité de la technique de détection des nucléides cosmogéniques, la Spectrométrie de masse par accélérateur (SMA). C’est pour passer outre ces limites que le 21Ne et le 14C ont été combinés au 10Be. Le couple 10Be – 21Ne permet de couvrir théoriquement une période de 1 à 18 Ma avec une incertitude supérieure ou égale à 0,5 Ma (Figure 3-12), et le couple 10Be – 14C une période de 1 à 50 ka avec une incertitude supérieure ou égale à 1 ka (Figure 3-12).

Figure 3-12 : Incertitudes relatives des différents chronomètres en fonction de la durée d’enfouissement (Balco & Schuster, 2009), pour la limite inférieure (à gauche) et pour la limite

supérieure (à droite).

Ce sont les demi-vies qui limitent les durées d’enfouissements maximales atteignables. Les durées limites vont également dépendre de la concentration des nucléides et de la précision des mesures. Le cumul des incertitudes sur les mesures des concentrations ainsi que les approximations sur les demi-vies peut engendrer des incertitudes conséquentes sur les durées déterminées.