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PARTIE IV : MISES EN OEUVRE DE LA DEMARCHE EPISSURE SUR LES TERRAINS

16 À propos de l'intégration dans l'organisation

Nous allons ici analyser la capacité de la démarche EPISSURE à se pérenniser au sein d’une organisation et à devenir ainsi un outil de gestion à part entière. Il s’agit d’un aspect important, car même si un échec de mise en œuvre peut masquer un phénomène d'apprentissage, susceptible de se révéler à terme stratégique [Moisdon - 1997] p.31, le propre d’une démarche d’évaluation de la performance est de s'intégrer durablement afin de contribuer à une évolution des comportements (cf. 2). Nous rappelons que :

− la démarche n'a pas pu débuter au sein d'un certain nombre d'entreprises (cf. 11.1) principalement pour des raisons d'absence de soutien interne

− sur les 8 terrains d’expérimentation initiés, la démarche ne continue que sur la moitié d'entre eux (cf. 11.5 et 12.5) principalement pour des raisons liées aux acteurs de l’organisation.

Même si le recul dont nous disposons est insuffisant, nous pensons comme [Laufer – 2001] qu’un des facteurs contribuant à la pérennisation d’une démarche d’évaluations telle qu’EPISSURE est de travailler sur l’acceptabilité sociale d’un tel outil de gestion, c'est- à- dire sa capacité à être reconnu légitime par l’ensemble des acteurs. Dans ce contexte, nous allons analyser trois éléments nécessaires à l'intégration dans l'organisation à savoir la capacité qu’a la démarche EPISSURE à :

− être lancée au sein d'une organisation

− être menée à son terme (Etape °1 de cadrage et Etape n°2 de concertation cadrée)

− devenir un outil de gestion à part entière (Etape n°3 : validation et mise en œuvre opérationnelle)

16.1

Capacité d’EPISSURE à pouvoir être lancée

La première étape à franchir est celle de la décision de sa mise en place. Elle suppose notamment d’avoir convaincu les responsables de l’entreprise de l’intérêt de la démarche. Si nous revenons à nos différents terrains d’expérimentations, nous avons connu deux situations différentes. Sur le champ environnemental, ce fut difficile de convaincre une entreprise, nous avons même essuyé plusieurs refus (cf. 11.1). À l’opposé sur le terrain du mécénat, nous avons eu un large choix et avons même été obligé de refuser certains terrains pour des questions de charge de travail (cf. 12.1). Plusieurs éléments peuvent expliquer cette différence :

− Le mode d’approche : direct vs. indirect . Pour le champ environnemental, nous avons utilisé un contact direct avec les entreprises. En revanche pour le champ du mécénat, nous sommes passés par l’association « IMS – Entreprendre pour la cité » (cf. 12.1) qui regroupait de nombreuses entreprises. Après avoir convaincu l’association de l’intérêt de notre démarche, nous avons pu ainsi accéder à plusieurs responsables de fondations d’entreprise qui, du fait que nous étions recommandés par l’IMS, avait un a priori positif.

− Les systèmes d’évaluation existant sur le terrain : nombreux outils et méthodes vs. très peu de pratiques. Pour le champ environnemental, même s’il existe des insatisfactions vis- à-vis des systèmes d’évaluation existant, les acteurs peuvent tout de même compter sur de très (voire trop) nombreuses solutions pour évaluer leur performance environnementale (cf. 5.1). L’intérêt de tester une nouvelle démarche non finalisée pouvait sembler négligeable face à la nécessité d’y consacrer un temps important. En revanche, la situation est différente pour le champ du mécénat où beaucoup reste à faire dans le domaine de l’évaluation (cf. 6.1). Dans ces conditions, nous disposions d’un a priori positif.

− La demande du terrain : volonté de simplifier l’existant en respectant des normes internationales vs. un besoins d’outils et de méthodes pour des pratiques nouvelles. Pour le champ environnemental, la tendance n’est pas au développement de nouveaux outils et méthodes mais va plutôt vers un plus grand partage et à l’amélioration des outils existants (cf. 11.1). En revanche, pour le mécénat, nous avons constaté sur le terrain l'existence d'une très forte demande pour de nouveaux outils permettant aux entreprises d’évaluer l’impact de leurs actions. En outre, nous avons mené nos recherche dans un contexte économique favorable (mi 2007 à mi 2008 – cf. 12.1), rien ne dit que nous aurions eu le même accueil dans un climat économique plus difficile.

Nous expliquons donc cette différence dans l’intérêt qu’a suscité la démarche EPISSURE par la conjonction de ces trois éléments. Dans l’optique de la généralisation de notre démarche, nous avons identifié deux limites pour parvenir au lancement de la démarche :

− Réussir l’approche des entreprises en choisissant le bon canal. Dans ce contexte, l’association regroupant des entreprises ou les syndicats professionnels semble être une bonne approche.

− Vaincre la réticence naturelle des entreprises face au risque de tester une démarche non finalisée. Il semble intéressant de se positionner par rapport aux démarches existantes et bien mettre en évidence la valeur ajoutée d’une telle démarche. L’objectif n’est pas de la « vendre » comme une société de conseil mais bien de faire diminuer la réticence de l’entreprise à vouloir tester une nouvelle démarche combinant des outils peu employés dans le contexte de l’évaluation en entreprise et un processus de concertation original. Une fois cette première étape franchie, nous allons maintenant analyser l’insertion organisationnelle durant la phase de mise en place de la démarche.

16.2

Capacité d’EPISSURE à pouvoir être menée à terme

Pour assurer le succès de la phase de mise en place d'une démarche d'évaluation de la performance non financière en termes d’insertion organisationnelle, nos recherches ont mis en évidence deux éléments importants.

a)

prise en compte des spécificités du contexte d'un point de vue de l'organisation

L’un des objectifs de cette prise en compte est de faire évoluer les acteurs dans un cadre connu leur permettant de dialoguer de façon constructive. Trois éléments semblent faciliter la mise en

place de la démarche EPISSURE. Le premier consiste à obtenir un soutien managérial du meilleur niveau possible. Ce soutien montre l’importance accordée par l’organisation et encourage la participation des acteurs internes au processus de concertation (cf. 15). Sur le terrain d’expérimentation environnementale, nous avons très bien perçu cet élément. Tant que les différentes directions concernées par l’évaluation de la performance environnementale n’étaient pas d’accord sur l’intérêt de la démarche, rien n’a pu se faire. En revanche, sur les terrains d’expérimentation du mécénat, les principaux décideurs, faisant partie du groupe de travail, témoignaient de façon explicite leur soutien à la démarche ce qui a facilité grandement la mise en œuvre de la démarche.

Le deuxième aspect tient à la nécessité d’adapter la démarche aux us et coutumes de l’organisation ce qui peut passer par :

− L’adaptation du « vocabulaire officiel » des méthodes MCDA. Dans certains, cas, il y a des termes qui suscitent des incompréhensions voire des blocages. Par exemple, le mot critère n’a pas été compris sur les terrains d’expérimentation, il a été remplacé par indicateur mensuel de rejet sur le terrain environnemental et par critère de réussite sur les terrains du mécénat. Plus généralement, nous avons perçu que plus le vocabulaire employé reprenait des termes propres à l’organisation, mieux la démarche était perçue.

− Le choix du mode de légitimation de la méthode ELECTRE TRI dépend aussi du contexte. Nous avons perçu que lorsque le groupe de travail était constitué essentiellement d’ingénieurs (ex : terrain d’expérimentation Total), une légitimation "par le calcul" de l’outil (simulations sur l’historique - cf. 11.3.2) était bien acceptée. En revanche sur les autres terrains, ce type de légitimation n’a pas été nécessaire. Une explication de la logique de synthèse a été suffisante.

− La présentation générale de la démarche peut nécessiter de plus ou moins mettre en avant son caractère expérimental. L’objectif est de rassurer les acteurs et de le faire participer en limitant les arrière-pensées sur les conséquences pour eux d’une mise en place (ex : impact d’une évaluation sur leur rémunération variable, évolution du terrain de responsabilité …) Enfin le troisième et dernier aspect de l’intégration des spécificités du contexte est plus technique. Nous pensons qu’il est important d’encourager le plus possible l’utilisation de données existantes pour la synthèse. Ce choix facilite la compréhension générale et renforce l’ancrage de la démarche dans les pratiques de l’entreprise. Des constations similaires avaient été faites lors de plusieurs expériences du même type [Québec – 2007] p.13 et p.14 et [Monet – 2006]

b)

rôle du facilitateur

Nous rappelons que nous avons tenu le rôle de facilitateur sur sept des huit terrains (cf. 11.2 et 4.2.3). En plus du rôle dans le cadre du processus de concertation (cf. 15), le facilitateur va contribuer au bon déroulement de la mise en place. Sur tous nos terrains d’expérimentation, le facilitateur a à la fois rassuré les acteurs les plus inquiets, joué les conciliateurs entre acteurs internes de l’entreprise ayant des visions différentes sur le positionnement de la démarche d’évaluation, encouragé et veillé au bon cadencement des réunions de travail. Il a donc joué un rôle moteur pour assurer l’organisation et le déroulement de l’intégralité du processus de concertation. Ce rôle est d’autant plus important que comme l’a mis en évidence [Moisdon - 1997] p.282, on ne sait pas à l'avance dans quelle configuration de dispositifs préexistants cette mise en place aura lieu. La mise en place résulte donc d’une alimentation mutuelle de deux processus l’un plus technique associé à l'outil au sens instrumental du terme et l'autre d'observation et de compréhension de l'organisation. Nous aurons l'occasion de revenir sur le positionnement du facilitateur (cf. 17.3).

Après avoir mis en évidence les éléments concourant au succès de la mise en place de la démarche, nous allons nous intéresser à la capacité de la démarche à durer c'est-à-dire à se pérenniser au sein d’une organisation dans laquelle elle a été mise en place.

16.3

Capacité d’EPISSURE à devenir un outil de gestion à part entière

L'intégration d'un outil de gestion dans les pratiques managériales courantes des acteurs est un facteur important contribuant à son acceptabilité [Laufer – 2001] p. 47. Pour ce faire, il est nécessaire de ne pas avoir la volonté de se substituer aux pratiques existantes mais plutôt de les enrichir sans y ajouter une dimension contraignante trop forte. L'objet de nos recherches ne portant pas spécifiquement sur les aspects détaillés de la sociologie des organisations, nous avons décidé de limiter notre analyse à la capacité qu’a la démarche EPISSURE à devenir un outil de gestion. Pour ce faire, nous allons analyser comment se situe la démarche EPISSURE par rapport aux cinq points particuliers suivants.

a)

Sa cohérence par rapport à la stratégie de l'entreprise

L’outil de gestion issu de la mise en place de la démarche EPISSURE n’est viable que si l’entreprise ne change pas profondément de ligne stratégique. Par exemple, dans le cas du mécénat si l’entreprise décide qu’il n’est plus stratégique pour elle de soutenir son intégration dans la société via des actions de mécénat, l’outil d’évaluation associé n’a plus de sens.

b)

Sa cohérence par rapport aux autres outils de gestion

L'organisation peut être vue comme une juxtaposition de dispositifs et d'outils, ayant leur vie propre, et soumis à d'incessants problèmes de cohérence et de compatibilité [Moisdon - 1997] p25.

Il importe dans un premier temps de positionner l'outil de gestion issu d’EPISSURE par rapport aux autres outils. L’ensemble des terrains d’expérimentation effectués montre bien que nous sommes dans le cas d'une évaluation sans financiarisation (outil de type n°3 et non de type n°2 où la performance non financière a pour objectif de « servir » la performance financière - cf. 2.3). Avec les acteurs ayant participé au processus de concertation, nous n’avons jamais eu de questions concernant la financiarisation possible des résultats. En revanche lors de la présentation de nos résultats à des acteurs n'ayant pas pris part à la concertation, il y a eu de nombreuses discussions sur le lien avec la performance économique voire la financiarisation. En conséquence, si la démarche EPISSURE n’est pas formellement et officiellement positionnée comme un outil de gestion de type n°3, il est plus que probable qu’elle ne survive pas au départ des acteurs qui l’ont initiée.

Concernant le comportement par rapport aux autres outils de gestion, nous ne pouvons faire part que d'une tendance. Nous avons pu observer que l’outil de gestion issu de la mise en place de la démarche EPISSURE a été amené à remplacer ou à englober les outils de gestion préexistants dédiés à l’évaluation de la performance non financière considérée. Concernant les terrains de mécénat, les outils de gestion préexistants consistaient essentiellement en des tableaux d’indicateurs élémentaires par projet (cf. 5) qui pour la plupart ont été repris dans le cadre de la démarche EPISSURE. L’outil de gestion issu de la mise en place de la démarche EPISSURE est apparu comme le premier outil réellement formalisé. Le problème de la cohérence avec d’autres outils d'évaluation de la performance non financière ne se posait pas directement. Sur le terrain environnemental, une des problématiques des acteurs a été de savoir comment positionner l’outil de gestion issu de la mise en place d’EPISSURE au sein des outils existants. Les premières conclusions étaient qu’il devait remplacer les outils utilisés jusqu’alors (cf. 11.2). L’abandon de la

démarche EPISSURE (cf. 11.5) n’a pas permis d’analyser les problèmes de cohérence qui se seraient posés avec notamment les outils dédiés à la performance financière.

c)

Sa cohérence par rapport aux périmètres de responsabilité des acteurs

Il s’agit aussi bien de la cohérence entre la décision attendue et le périmètre de responsabilité et celle entre les différents niveaux hiérarchiques. Les terrains d’expérimentation ont montré que le choix d’une imbrication hiérarchique des indicateurs (cf. 8.2) associé à la nécessité de bien définir le lien « évaluation – décision » lors de phase de cadrage (cf. 10.2.3) permet d’assurer cette cohérence. À aucun moment les acteurs du processus d’évaluation ne sont sentis en décalage par rapport à leur périmètre de responsabilité ou par rapport à la stratégie de l’entreprise. Il nous reste désormais à observer les conditions d’utilisation sur les terrains ayant toujours cours avant de pouvoir confirmer ces résultats. Néanmoins, nous sommes amenés à penser que la démarche EPISSURE telle qu’elle est construite présente toutes les garanties pour assurer cette cohérence.

d)

Son intégration dans les processus de remontée et de traitement de l'information

Traditionnellement, les outils de gestion concernant l’évaluation de la performance sont de la responsabilité du contrôle de gestion (ou de tout autre département similaire) [Maksout, Dugdale et Luther - 2005]. Sur aucun de nos terrains d’expérimentation, l’outil de gestion issu d’EPISSURE n’a pris le chemin pour être piloté par le contrôle de gestion. Il s’agit sans doute d’une voie de recherche car son intégration aurait plusieurs avantages : l’officialisation de fait, la sécurisation du processus de traitement des informations et l’analyse qui serait menée pour assurer la cohérence avec les autres outils de gestion.

e)

Sa facilité et sa fiabilité de mise en œuvre

Nos recherches terrains ont mis en évidence deux points. Premièrement, il semble intéressant d’utiliser le plus possible des indicateurs élémentaires existants (cf. 11.5, cf. 12.3.2.2 et cf. 16.2) pour alimenter les synthèses. Ces indicateurs sont d’une part faciles à utiliser et d’autre part font l’objet, dans la plupart des cas, de processus définis permettant d’assurer une remontée de l’information dans des conditions appropriées.

Deuxièmement, l’utilisation d’un outil informatique associé à EPISSURE permet de simplifier la perception et l’utilisation de la démarche. Nous avons développé cet outil informatique au fil des terrains d’expérimentation (cf. annexe n°5). Il est actuellement utilisé sur les terrains ayant mis en œuvre la démarche EPISSURE.

f)

Sa capacité à faire évoluer les comportements

Malgré leurs imperfections, les outils de gestion structurent les comportements des membres de l'organisation, dans la mesure où ces derniers s'y conforment en majorité [Moisdon - 1997] p.24. [Bollecker & Mathieu – 2007] p. 93 insistent pour qu’en plus d’une réflexion portant sur la dimension technique des outils de gestion d’évaluation de la performance sociétale, les chercheurs doivent avoir une réflexion sur la dimension humaine en regardant les mécanismes incitant les individus à agir dans le sens de la performance sociétale que mesurent les outils évoqués précédemment. Il ne s'agit pas de mener une analyse détaillée qui d’une part serait difficile du fait du manque de recul concernant l’utilisation des outils et qui d’autre part dépasserait l’objet de cette thèse (cf. introduction). En revanche, deux éléments nous sont apparus suffisamment significatifs pour mettre en évidence le fait que la démarche EPISSURE a eu une influence significative sur les comportements.

Il s’agit tout d’abord d’un impact identifié sur tous les terrains d’expérimentation durant la phase de mise en place. Le processus de concertation cadrée, sous réserve des limitations mises en évidence (cf. 15), a contribué au fait que chaque acteur adopte une position constructive. Dans la mesure où ce type de positionnement n’était pas garanti d’avance (cf. 11.2 et cf. 12.2), nous pouvons en conclure que la démarche EPISSURE a eu un impact vertueux sur le comportement des acteurs. En revanche, nous ne sommes pas en mesure de pouvoir dire si l’outil de gestion issu de la mise en place d’EPISSURE permettra de continuer de contribuer à de tels comportements. Le deuxième impact sur les comportements ne concerne plus la phase de mise en place mais celle de l’utilisation de l’outil de gestion issu de cette mise en place. Il concerne essentiellement les terrains de recherche du mécénat. Nous avons vu que pour pouvoir être assimilée par tous les acteurs, la démarche EPISSURE nécessitait un investissement en temps relativement long (cf. 12.5). Cet élément semble avoir eu un impact sur le comportement de certains responsables de fondations ayant poursuivi la démarche. Ils ont décidé de faire évoluer leur mode de sélection de projets pour, compte tenu du temps devant être accordé à l’évaluation, financer des projets sur plusieurs années. Même si l’outil de gestion n’est pas la seule cause de cette décision, nous pouvons dire qu’il semble avoir joué un rôle important.

En synthèse de ce chapitre, l’outil de gestion issu d’EPISSURE semble présenter un certain nombre de caractéristiques lui permettant de s'intégrer au sein d'une organisation. Néanmoins, deux limites importantes ont été mises en évidence. Il s'agit d'une part de l’importance des facteurs de contingence organisationnelle qui peut faire qu’à partir de situations pouvant sembler similaires, l’outil de gestion issu d’EPISSURE peut s’inscrire dans la durée ou non. D'autre part, il reste à explorer la coexistence d’EPISSURE avec les outils d’évaluation de la performance financière.