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2 à l’évaluation : entre contrôle et régulation

Dans le document HERNANDEZ Hélène (Page 41-43)

Par leur existence, les recommandations professionnelles peuvent permettre un contrôle social dans la conception normative de la recommandation ou bien une régulation par une incitation à discuter les pratiques, à les évaluer, pour les faire évoluer : imposer le même dossier du patient en ergothérapie, par exemple, quel que soit le secteur ou le mode d’exercice, ou permettre un temps d’appropriation pour choisir et élaborer le dossier le plus adapté. Il pourra s’agir d’améliorer les pratiques et d’exercer un choix des pratiques les plus appropriées, mais la prise d’initiative et la créativité seront-elles favorisées dans les deux cas ? Ce changement souhaité dans les pratiques relève-t-il de l’ordre imposé au professionnel par une loi, une norme, ou de l’appropriation individuelle et collective ? Deux logiques peuvent être ainsi en jeu : le contrôle ou l’évaluation-régulation. S’opposent-elles ?

La logique du contrôle conduit à surveiller, mesurer, juger, vérifier un résultat, « un

projet fini et total. A la limite, l’idéal du contrôle est de tout contrôler et que rien n’échappe à l’inspection du regard, avec toujours cette visée permanente d’établir, au final, une conformité totale entre l’objet contrôlé et le registre qui sert de modèle. (…) Contrôler consiste à mesurer les écarts et les variations entre un référé et un référant constant sinon immuable, puisqu’il sert d’étalon permanent » [ARDOINO & BERGER, 1986]. C’est la logique la plus courante autant

pour les évaluateurs, que peuvent être les cadres, la hiérarchie de l’organisation, les collègues eux-mêmes, que pour les évalués. Se conformer au produit attendu. Ne pas injecter d’inattendu, de créativité, de fantaisie. Alors que pour ces mêmes auteurs, « le projet

d’évaluation est un processus infini et par conséquent toujours partiel, puisque le sens est sans cesse remis en cause par l’évolution de chaque situation. (…). L’évaluation en ce qu’elle pose la question du sens, consiste essentiellement à produire, à construire, à créer un référant en même temps qu’elle s’y rapporte » [Ibid.].

Selon Michèle GENTHON, l’évaluation-régulation est à appréhender comme une logique interactive. « Une approche systémique peut permettre de considérer l’évaluation-

régulation comme un sous-système constitué de boucles d’informations rétroactives qui peuvent avoir deux fonctions : l’une de conserver le sens du projet initial en induisant le réajustement des écarts qui gêneraient la cohérence, l’autre d’ouvrir, de construire de nouvelles

significations et de proposer de nouvelles orientations, en exploitant les écarts pour provoquer du changement. Ces deux fonctions qui paraissent contradictoires, sont néanmoins nécessaires, dans leur complémentarité, à la survie et à l’évolution du système » [GENTHON,

1997, 61].

Pour le dossier du patient en ergothérapie, l’évaluation-régulation peut être mise en œuvre pour non seulement conserver le sens du projet initial (un dossier pour chacun des patients, qui assure traçabilité, amélioration de la qualité et continuité des soins, confidentialité, optimisation de l’utilisation des ressources) mais aussi élaborer un document qui donne sens au travail, à l’intervention ergothérapique autant pour les professionnels que pour les patients. Le sens n’est-il pas « un tissage de relations » ? [BALPE, 2002, 344]. « Le sens se calcule

toujours entre le prévisible (les choses ont déjà été dites, sont connues et immédiatement acceptées) et l’aléatoire (les choses n’ont pas encore été dites et sont dans l’ordre d’un possible ouvert) : une partie en est toute faite, alors qu’une autre se construit » [Ibid., 345].

Comme le dit le poète Antonio MACHADO, le chemin se fait en marchant :

« …caminante, no hay camino, se hace camino al andar. Al andar se hace camino… »21 .

Il ne s’agit pas de construire un outil « conforme » mais de concevoir un dossier légitime au regard des professionnels, des secteurs et des formes d’exercice, et au regard des besoins des patients. C’est aux professionnels eux-mêmes qu’il revient de définir ce dont ils ont besoin au risque sinon de scléroser et l’outil et la pratique. Aussi est-il nécessaire au préalable qu’ils évaluent leurs pratiques afin de concevoir un outil en lien avec ce qu’ils souhaitent faire de ces pratiques, pour quoi et comment les faire évoluer.

Pour Jacques ARDOINO et Guy BERGER, « l’évaluation, parce qu’elle est un

processus, est indissociable d’un "vécu" historique et temporel » [1986]. Évaluer les pratiques,

c’est donc les ancrer dans une histoire sociale et individuelle, celle du secteur de la rééducation et de la réadaptation, en France et au niveau mondial (comme nous l’avons vu par les références mondiales de classification du handicap), mais aussi dans une institution et dans une équipe, sans oublier l’inscription professionnelle de chaque acteur et son cheminement personnel dans la relation de travail.

21

« … voyageur, il n’y a pas de chemin/ qui ne se fasse sans marcher/ le chemin se fait en marchant… », MACHADO A., “Proverbios y cantares”, Poesías, Barcelona : Losada S.A., 1998, 210.

Pour Michel VIAL, dans l’évaluation se met en jeu un processus d’auto- questionnement : « L’auto-questionnement, c’est-à-dire la faculté qu’a le sujet de se poser des

questions essentielles sur l’intérêt de ce qu’il fait » [VIAL, 1997a, 23]. Il interroge sur le sens

donné à l’activité par soi-même et par autrui. « L’auto-questionnement n’est pas l’analyse

distanciée appelée analyse critique. (…) Dans l’auto-questionnement, cette distance est réduite au maximum : je parle de moi, je me pose des questions sur moi, sur mon projet » [VIAL,

1997b, 58].

Dans le document HERNANDEZ Hélène (Page 41-43)