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HRONOLOGIE D ’ UNE CONSTRUCTION ALISER LE TERRAIN JUDICIAIRE C P REMIÈRE PARTIE B

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Academic year: 2021

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PREMIÈRE PARTIE

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INTRODUCTION

Malgré l’ampleur des crimes commis au Rwanda d’avril à juillet 1994 et la création, un an plus tôt, d’un tribunal international ad hoc pour l’ex-Yougoslavie, la mise en place d’un tribunal international pour le Rwanda par le Conseil de sécurité de l’ONU en novembre 1994 n’était pas une évidence. L’idée qu’il faut traduire en justice les responsables émerge très tôt, avant la fin du génocide (voire dès le début) ; le concept d’un tribunal international également. Mais le chemin vers sa création, et surtout vers sa mise en place effective, s’avère long et fastidieux.

Un tribunal de son temps ?

La création du Tribunal intervient dans un contexte de reprise progressive des projets de justice internationale abandonnés durant toute la durée de la Guerre Froide33. Cette période n’a toutefois pas empêché le développement d’un « corpus de normes », sur lequel les tribunaux ad hoc s’appuieront34. En 1994, la Commission du droit international propose un projet de statut définitif d’une cour internationale à l’Assemblée générale de l’ONU. Celle-ci crée, dans la foulée, un Comité chargé de se pencher sur la question, dont les travaux aboutissent en 1998 à la création de la Cour Pénale Internationale (CPI)35. Entre-temps, quelques procès sont organisés par des juridictions nationales – comme le procès Eichmann (Israël, 1961), Barbie et Touvier (France, 1987 et 1994) – qui auront une portée significative sur le plan du droit pénal international36. Autre évolution majeure, depuis le milieu des années 1980 et surtout au début des années 1990, le débat sur la compétence universelle s’esquisse dans plusieurs pays, notamment au Canada, en Belgique ou en Suisse37. En France, le code pénal n’intègre pas explicitement les crimes contre l’humanité et les crimes de génocide, mais

33 Dossier « Pacifier et punir (1). Les crimes de guerre et l’ordre juridique international », Actes de la recherche

en sciences sociales, n° 173, 2008/3 ; Dossier « Pacifier et punir (2). La force du droit international et le marché de la paix », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 174, 2008/4.

34 Olivier de Frouville, Droit international pénal. Sources, incriminations, responsabilité, Paris, éditions Pédone,

2012, p. 59.

35 Ibid., p. 21-22. 36 Ibid., p. 17.

37 Au Canada, une Commission d’enquête chargée d’enquêter sur les criminels de la seconde Guerre Mondiale

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bien la Convention sur la torture38. La loi belge de juin 1993 n’inclut pas le génocide non plus. Celui-ci ne sera intégré à la loi de compétence universelle qu’en 199939. La guerre en ex-Yougoslavie n’est pas étrangère à cette nouvelle impulsion. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) est créé en 1993 par le Conseil de sécurité. Il s’inscrit, dès le départ, dans une multiplicité de processus de documentation des crimes commis en ex-Yougoslavie40.

Dans le cas du Rwanda également, plusieurs processus de collecte de sources s’enchaînent et se superposent, durant et surtout après le génocide. Qui est chargé d’enquêter et sur quels crimes ? Le TPIR a-t-il utilisé ces ressources par la suite ? Quel est l’impact des procédures judiciaires nationales débutées dans des pays tiers ou au Rwanda, sur l’approche développée par le TPIR ?

Cette première partie propose un retour sur la création du Tribunal, les débats qui l’ont accompagnée, les choix effectués et les acteurs impliqués. Quelle est la place du débat judiciaire au lendemain du génocide ? Quels sont les « forums »41 dans lesquels les différentes options judiciaires sont débattues et qui en sont les acteurs ? Quelles sont les étapes qui mènent au TPIR, quelles ont été les autres options envisagées et pourquoi n’ont-elles pas été retenues ? En guise de fil conducteur, nous porterons notre attention sur la mise en œuvre des différentes initiatives prises par l’ONU pour « documenter » les crimes. Nous insisterons sur l’enchevêtrement des enquêtes judiciaires et extrajudiciaires. Quelle est la place du TPIR dans cet ensemble d’initiatives de documentation des crimes, mêlant enquêtes judiciaires

38 Brigitte Stern, « Le génocide rwandais face aux autorités françaises », in Laurence Burgorgue-Larsen, La

répression internationale du génocide rwandais, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 137-153.

39 Sur la compétence universelle en Belgique, voir notamment : Olivier Corten, « De quel droit? Place et

fonction du droit comme registre de légitimité dans le discours sur la ‘compétence universelle’ », Revue de droit

de l’ULB, n° 30, 2004, p. 51-82; Éric David, « La compétence universelle en droit belge », Revue de droit de

l’ULB, n° 30, 2004, p. 83-150; Jacques Fierens, « Le rêve déçu de Kant. L’intégration des infractions internationales de droit humanitaire dans le code pénal », Journal des tribunaux, 2010, p. 682-687.

40 De très riches travaux ont porté sur le TPIY et sur les différentes enquêtes judiciaires et extrajudiciaires. Ces

approches ont largement participé à la définition de la structuration de chapitre. Voir le dossier : Isabelle Delpla, Xavier Bougarel, Jean-Louis Fournel (dir.), Srebrenica 1995, Analyses croisées des enquêtes et des rapports,

Cultures & Conflits, n° 65, Printemps 2007 ; Dossier « Le modèle de l’enquête judiciaire face aux crises extrêmes », Critique internationale, n° 36, juillet-septembre 2007, p. 9-101 ; Isabelle Delpla, Magali Bessone (dir.), Peines de guerre. La justice pénale internationale et l’ex-Yougoslavie, Paris, Éditions EHESS, coll. « En temps & lieux », 2010 ; Barbara Delcourt, Olivier Corten, Ex-Yougoslavie : droit international, politique et

idéologies, Editions Bruylant, Éditions de l’ULB, coll. « droit international », 1997 ; Élisabeth Claverie, « Les victimes saisies par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie », in Sandrine Lefranc (dir.), Après le

conflit, la réconciliation ?, Paris, Michel Houdiard Éditeur, 2006, p. 152-172 ; Isabelle Delpla, « La preuve par les victimes. Bilans de guerre en Bosnie-Herzégovine », Le mouvement social, janvier-mars 2008, p. 153-183.

41 Kim Priemel, « Consigning justice to history : transitional trials after the second World War », The historical

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internationales, nationales et travaux d’ONG et d’associations de victimes ? Y a-t-il une continuité entre ces différents mécanismes ?

Soulignons d’emblée que la Mission d’assistance des Nations Unies pour le Rwanda (Minuar) se déploie au Rwanda fin 1993. La Minuar restera sur place durant toute la durée du génocide, même si elle a été réduite à son plus strict minimum en termes d’effectifs et de mandat le 21 avril 1994. Bien que n’ayant pas vocation à récolter des preuves ou à préparer des enquêtes judiciaires, elle est donc un témoin privilégié – et dramatique car inopérant – du génocide, surtout dans la capitale Kigali.

En détaillant les décisions prises par les acteurs impliqués dans ces processus, nous tenterons de comprendre à partir de quand la question du jugement des responsables est apparue et comment celui-ci a été mis en œuvre. Nous interrogerons ensuite les raisons pour lesquelles le TPIR a tant tardé à se mettre en place, à débuter ses procès, puis à les finaliser.

De l’actualité au passé proche

Ne disposant que d’un recul limité sur les événements, les recherches sur l’histoire du développement du TPIR n’en sont qu’à leurs débuts. La difficulté d’accès à une grande partie des archives est un autre défi de taille42.Nous observerons ici quelques-uns des aspects du contexte de création et de la mise en place effective du TPIR. Indéniablement, un vaste champ de recherches s’ouvre sur ces sujets. Sur le plan chronologique, considérer le vote de la Résolution 955, le 8 novembre 1994, comme point de départ – ou d’aboutissement – n’est pas satisfaisant en termes d’analyse historique. L’histoire de la création du Tribunal est bien loin de se clôturer par cette décision. En effet, en novembre 1994, le travail d’enquête accompli sur le terrain est infime à l’aune des crimes commis et du nombre de victimes. À cette date, il n’a pas été décidé officiellement de la localisation du Tribunal. La périodisation de la phase de création doit donc, à notre sens, englober la période allant au moins jusqu’en janvier 1997 et le début du premier procès, voire jusqu’en 1999-2000 (voir pour cette périodisation le chapitre « démarrer les enquêtes : tout reprendre à zéro ? »).

Notre objectif n’est pas d’écrire une histoire de la mise en place du Tribunal dans une perspective politique ou de relations internationales. Une telle démarche nécessiterait l’accès à des sources écrites et orales issues des différents gouvernements impliqués dans ce débat.

42 L’accès aux archives suivantes se révèlerait sans doute essentielle : les archives du Haut commissariat aux

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Quelques ouvrages ont toutefois déjà été consacrés au TPIR de ce point de vue-là. L’échec de la prévention, puis de l’arrêt du génocide par la « Communauté internationale » est traité de manière récurrente dans les ouvrages existants. Le récit de Linda Melvern, dans Comment le

monde a trahi le Rwanda, est édifiant. Elle montre à travers plusieurs sources inédites comment les décisions ont été prises dans les premiers jours du génocide et comment l’accent a été mis sur l’évacuation des étrangers présents au Rwanda43. Elle traite de manière détaillée la décision de réduction drastique des effectifs de la mission des Casques bleus au Rwanda, la Minuar, le 21 avril 1994. Dans un autre registre, les rapports des Commissions d’enquête de la Belgique (1997), de la France (1998) ou de l’OUA (2000) ont également mis en lumière ces échecs, malgré les limites inhérentes à la dimension inévitablement politique de ces commissions. Deux ouvrages d’un ancien porte-parole du Tribunal, Kingsley Moghalu, traitent de l’histoire des tribunaux internationaux dans une perspective de relations internationales44. De nombreux ouvrages se concentrent de manière – parfois très critique – sur le caractère politique du TPIR (et du TPIY) et sur les innombrables entraves que cette dépendance a créée45. Lorsque le Conseil de sécurité adopte la Résolution 955 portant création du TPIR le 8 novembre 1994, il est probable qu’aucun de ses membres n’imagine qu’il inaugure, par ce vote, un processus judiciaire qui durera vingt ans. Il faudra quatre années supplémentaires avant que le premier procès ne se clôture en septembre 1998. C’est aussi souvent sous cet angle d’une lenteur jugée excessive par les observateurs, que le TPIR est analysé46. La bibliographie révèle l’importance des écrits produits par des membres du

43 Linda Melvern, Complicités de génocide. Comment le monde a trahi le Rwanda, Paris, Karthala, 2010. 44 Kingsley Chiedu Moghalu, Rwanda’s genocide. The politics of global justice, Palgrave Macmillan, 2005 ;

Kingsley Chiedu Moghalu, Global justice, the politics of war crimes trials, Praeger Security international, 2006.

45 Voir notamment : Victor Peskin, International justice in Rwanda and the Balkans. Virtual trials and the

struggle for state cooperation, Cambridge University Press, 2008 ; Samantha Power, « A problem from hell ».

America and the age of genocide, Perennial, 2003. (Première édition 2002) ; Alison Des Forges, Timothy Longman, « Legal responses to genocide in Rwanda », in Eric Stover, Harvey M. Weinstein (dir.), My neighbor,

my enemy. Justice and community in the aftermath of mass atrocity, Cambridge University Press, 2004; Stéphanie Maupas, Juges, bourreaux, victimes, Voyage dans les prétoires de la justice internationale, Paris, Éditions Autrement, coll. « Frontières », 2008 ; Thierry Cruvellier, Le tribunal des vaincus. Un Nuremberg pour

le Rwanda ?, Paris, Calmann-Lévy, 2006 ; André-Michel Essoungou, Justice à Arusha. Un tribunal

international politiquement encadré face au génocide rwandais, Paris, L’Harmattan, 2006 ; Carol Off, The lion,

the fox and the eagle. A story of generals and justice in Rwanda and Yugoslavia, Vintage Canada Edition, 2001 ; Florence Hartmann, Paix et châtiment. Les guerres secrètes de la politique et de la justice internationale, Paris, Flammarion, 2007 ; James Meernik, « Victor’s justice or the law ? judging and punishing at the international criminal tribunal for the former Yugoslavia », The journal of conflict resolution, vol. 47, n° 2, avril 2003, p. 140-162 ; André Guichaoua, « L’instrumentalisation politique de la justice internationale en Afrique centrale »,

Revue Tiers Monde, n° 205, 2011, p. 65-83.

46 Luc Côté, « Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda : un tribunal dans la tourmente », in Filip

Reyntjens, Stefaan Marysse (dir.), L’Afrique des Grands Lacs. Dix ans de transitions conflictuelles, Paris, L’Harmattan, 2006 ; Rapports d’ONG, voir par exemple : International Crisis Group (ICG), Tribunal pénal

international pour le Rwanda : l’urgence de juger, Rapport Afrique n° 30, juin 2001 ; ICG, Tribunal pénal

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Tribunal ou des acteurs diplomatiques impliqués dans les prises de décision relatives au Rwanda en 199447. Certains de ces acteurs ont livré leurs impressions sous forme d’interviews 48 . Une attention particulière sera accordée aux écrits et témoignages d’enquêteurs ou de membres du Bureau du procureur. Dans la littérature, des divergences d’analyse et de points de vue apparaissent entre les acteurs de l’époque. Les principaux protagonistes se renvoient en effet les responsabilités et présentent des interprétations parfois très différentes des évènements. Ces récits, subjectifs par définition, offrent parfois des informations inédites. Enfin, plusieurs d’entre eux ont été sollicités dans le cadre des commissions d’enquête belge et française et dans les procès du TPIR49.

Penser le jugement, préparer sa mise en œuvre : les acteurs

Dès le moment où émergent, dans différents contextes, les premiers débats sur l’opportunité de juger les responsables, les acteurs qui s’investissent dans les processus judiciaires posent les questions suivantes : Comment juger ? Qui juger ? Par qui ? Où juger ?

Qui sont ces acteurs ? Parmi les plus importants, mentionnons plusieurs organes des Nations Unies, comme la Commission des droits de l’homme, le Conseil de Sécurité ou le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR). Un deuxième ensemble est celui des États (notamment ceux qui siègent au Conseil de sécurité, y compris le Rwanda) et des organisations intergouvernementales comme l’Organisation de l’unité africaine (OUA). Enfin, le rôle des organisations non-gouvernementales (ONG) est également important. Celles-ci jouent, à partir du début des années 1990, un rôle croissant sur le plan international. Dans le contexte judiciaire dense tel qu’il se profile dès l’après-génocide, le TPIR n’est qu’un des

47 Voir par exemple les ouvrages de l’ancien porte-parole du TPIR Kingsley Chiedu Moghalu et d’anciens

procureurs (Richard Goldstone, Carla Del Ponte). Kingsley Chiedu Moghalu, Rwanda’s genocide, op.cit. ; Id.,

Global justice, the politics of war crimes trials, op. cit.; Carla Del Ponte, La traque des criminels de guerre et

moi. Madame la Procureure accuse, en collaboration avec Chuck Sudetic, Ed. Héloïse d’Ormesson, 2009 ; Richard J. Goldstone, For humanity. Reflections of a war crimes investigator, New Haven, London, Yale University Press, 2000. C’est également le cas pour de nombreux articles parus dans des revues de droit international ou dans des éditions de colloques et conférences où participent des acteurs du TPIR et du TPIY. Par exemple : Conférence internationale, Tribunal Pénal International pour le Rwanda : Modèle ou contre-modèle

pour la justice internationale ? Le point de vue des acteurs, juillet 2009 ; Dossier « Symposium on the ICTY 10 years on : the view from inside », Journal of international criminal justice, vol. 2, n° 2, juin 2004, p. 353-597.

48 Citons par exemple l’ensemble d’interviews publié sur le site Frontline. Il s’agit plus particulièrement

d’acteurs se trouvant au cœur des processus de prise de décision diplomatiques américains et des Nations Unies. Voir également, plus spécifiquement concernant les acteurs du TPIR, la série d’interviews « Voices of the

Rwanda Tribunal ».

http://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/ghosts/interviews/#7;

http://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/evil/interviews/; http://www.tribunalvoices.org/

49 Roméo Dallaire (commandant de la Minuar) témoigne ainsi dans les procès Akayesu, Militaires I et II ; Luc

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mécanismes parmi d’autres50. Outre la création d’un tribunal international ad hoc, plusieurs procédures judiciaires importantes sont mises en œuvre au Rwanda et dans des pays tiers comme la Belgique ou la Suisse51.

Nombre de ces acteurs ont, dès le début du génocide (voire avant), produit et accumulé des matériaux documentaires et des témoignages. Ils ont donc participé non seulement au processus de création, mais aussi aux missions préfigurant les enquêtes du futur Tribunal. En ce sens, ils ont esquissé une partie de la « théorie »52 de la poursuite. Ces différentes enquêtes, qu’elles soient judiciaires ou non-judiciaires, sont autant de jalons dans la « qualification » des faits. Mais les méthodes de travail des ONG, des différentes commissions et experts, diffèrent sensiblement. Comment anticiper, dans ce contexte, une politique de poursuite – qui demeure hypothétique –, tant sur le plan général, que sur le plan pratique (Règlement de procédure et de preuve par exemple)53 ?

Comme le montre l’historien Donald Bloxham pour les procès de l’après-Seconde Guerre mondiale, les contours de principe de ce que seront les procès de Nuremberg se dessinent dès 194154. Les déclarations condamnant les atrocités commises par les Allemands et l’inscription du jugement des responsables dans la liste des « buts de guerre » se multiplient tout au long de la guerre55. Des débats opposant plusieurs responsables Américains, ainsi que les Alliés, ont cependant lieu au sujet de la forme précise du procès et des cibles (les individus et les

50 Sur le TPIR, signalons plusieurs ouvrages fondamentaux : Jean-François Dupaquier (dir.), La justice

internationale, op. cit. ; Virginia Morris, Michael P. Scharf, the International criminal tribunal for Rwanda, Transnational publishers, 1998, volume 1 ; Laurence Burgorgue-Larsen, La répression internationale du

génocide rwandais, Bruylant, Bruxelles, 2003.

51 Voir à ce sujet, un ouvrage paru en 1996 et qui souligne bien ces différents aspects dans les premières années

suivant le génocide : Jean-François Dupaquier (dir.), La justice internationale, op. cit. Mentionnons également les contributions dans la partie « droit et justice » d’un autre ouvrage paru en 1995 : Raymond Verdier, Emmanuel Decaux, Jean-Pierre Chrétien (dir.), Rwanda, un génocide du XXe siècle, Paris, L’Harmattan, 1995.

52 Donald Bloxham, Genocide on trial. War crimes trials and the formation of Holocaust history and memory,

Oxford University Press, 2001, p. 17.

53 Christian Delage montre par exemple que dans la collecte des images devant servir durant le procès de

Nuremberg, les équipes d’enquête ont débuté leur travail avant que la politique de poursuite ne soit complètement définie. Ils apprendront par exemple au cours de leurs recherches que les images de la guerre venant des États-Unis ne pourraient pas être utilisées durant le procès. Christian Delage, La vérité par l’image.

De Nuremberg au procès Milosevic, Paris, Denoël, coll. « Médiations », 2006, p. 114.

54 Roosevelt et Churchill dénoncent en octobre 1941 le comportement des Allemands dans les territoires occupés.

Churchill considère que le jugement de ces crimes fera désormais partie des objectifs de la guerre. Donald Bloxham, Genocide on trial, op. cit., p. 6.

55 Sur les déclarations et choix des Soviétiques durant la guerre, voir : George Ginsburgs, Moscow’s road to

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organisations) qu’il s’agira de poursuivre56. D’autres options demeurent, par ailleurs, sur la table, comme l’exécution des responsables nazis.

La forme précise de l’organe chargé de juger les criminels nazis n’est pas définie d’emblée, la collecte de matériaux et de témoignages débute durant la guerre, tant au niveau de chaque belligérant, qu’au niveau international. Pour Bloxham, cette collecte est effectuée par « plusieurs agences qui agissaient avec peu de coordination et fréquemment sans esprit de coopération ». De plus, la seule agence « multinationale », la Commission des crimes de guerre des Nations Unies57, ne collecta pas d’informations sur la « complète ampleur de la criminalité nazie »58. Sans opérer un rapprochement anachronique, nous verrons que certaines de ces caractéristiques s’observent également dans le cas du Rwanda, malgré le fait que le génocide de 1994 soit perpétré dans un contexte de conflit armé non-international, et dans une temporalité bien plus réduite que celle de la Seconde Guerre mondiale59. Nous interrogerons la manière dont les témoignages, les matériaux documentaires écrits, audiovisuels et photographiques sont produits et collectés.

Le TPIR dépend largement des initiatives prises dans d’autres pays. Particulièrement prégnante au début, cette dépendance, toujours de mise aujourd’hui, « intervient à toutes les phases de l’affaire » : de l’enquête à l’exécution de la peine60. Dans un premier temps, la question des arrestations en est l’aspect le plus évident, puisque le TPIR ne dispose pas d’une police propre. À cela s’ajoute la problématique de l’extradition, qui, dès la première initiative

56 Ce que souligne également dans ses mémoires l’ancien Procureur américain à Nuremberg, Telford Taylor,

plus particulièrement en ce qui concerne la constitution de l’acte d’accusation. Telford Taylor, Procureur à

Nuremberg, Paris, Seuil, 1998, p. 93-131 ; Voir également pour le développement de la réflexion sur la politique américaine liée au jugement des criminels de guerre : Bradley F. Smith, The road to Nuremberg, New York, Basic books, 1981.

57 Créée en octobre 1943, la Commission des Nations Unies pour les crimes de guerre compte 17 nations. Ses

moyens sont limités et elle ne dispose pas d’équipes d’enquête pour mener à bien sa tâche. Elle fonctionne au départ à partir des informations fournies par les différents gouvernements. Ceux-ci ne lui transmettent manifestement pas tous les documents et éléments de preuves dont ils disposent sur les crimes de guerre commis. Elle fonctionne également en parallèle avec d’autres organes chargés de collecter des preuves. Christian Delage parle de « la concurrence des enquêtes sur les crimes de guerre ». La Commission se penche également sur la question juridique de la définition de la guerre d’agression et des crimes contre l’humanité et sur la mise en place d’une juridiction compétente. Depuis juillet 2013, les archives de cette Commission ont été intégrées à la base de données archivistique de la Cour Pénale Internationale. Plus de 2000 documents ont ainsi été rendus accessibles par leur numérisation. Annette Wieviorka, Le procès de Nuremberg, Liana Levi, coll. « piccolo histoire », 2006 (pour l’édition), p. 13-15 ; Christian Delage, La vérité par l’image. De Nuremberg au procès Milosevic, Paris, Denoël, coll. « Médiations », 2006, p. 94-99 ; Anne-Marie La Rosa, Juridictions pénales internationales. La

procédure et la preuve, Paris, PUF, 2003, p. 22-23. Sur les archives de la Commission des Nations Unies pour les crimes de guerre : CPI, communiqué de presse, « Les archives de la Commission des Nations Unies pour les crimes de guerre maintenant disponibles dans la base de données des Outils juridiques de la CPI », 4/7/2013.

58 Donald Bloxham, Genocide on trial, op. cit., p. 58.

59 Il s’agit en effet d’une durée de trois mois, du 7 avril au 18 juillet 1994. Ce point relatif à cette temporalité

courte m’a été suggéré par Pieter Lagrou.

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internationale de jugement des criminels de guerre après la Première Guerre mondiale, a empêché le procès de l’Empereur allemand Guillaume II. Celui-ci était en effet réfugié aux Pays-Bas, qui refusèrent de l’extrader61. La mise à disposition d’enquêteurs par les États ou les premières instructions menées par les autorités judiciaires belges en sont d’autres exemples62.

Un corpus éclaté : une esquisse des processus de création

Cette première partie de la thèse puise ses sources dans plusieurs corpus. Il convient de préciser que la stratégie d’accusation menée par le TPIR ne pourra être analysée que lorsque les archives du Bureau du procureur seront accessibles. Il ne s’agit donc pas ici de déduire une politique de poursuite a posteriori à partir des procès qui ont eu lieu. Une démarche de ce type induirait une réflexion biaisée, car construite à partir de ce qui a finalement été retenu, et non sur ce qui a été envisagé, puis mis de côté pour des raisons diverses. Toutefois, le croisement des sources judiciaires et extrajudiciaires permet de dégager quelques éléments importants de ce développement.

Nous avons utilisé les documents du Conseil de Sécurité et de la Commission des droits de l’homme de l’ONU. Pour les parties postérieures à la création du tribunal, les rapports annuels du TPIR éclairent plusieurs aspects importants de son contexte et de son fonctionnement. Des documents consultés auprès du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) ont été intégrés. Bien que les archives proprement dites du HCR pour cette période fassent encore l’objet de restrictions d’accès, plusieurs rapports internes sur la situation des camps de réfugiés sont disponibles63. Avec l’exode massif consécutif au génocide et à la défaite des forces gouvernementales, on observe une modification et une amplification de la crise des réfugiés rwandais. La coprésence des responsables politiques et militaires – génocidaires – et des populations civiles réfugiées au sein des camps de réfugiés (parmi lesquelles se trouvent également des exécutants du génocide) complexifie considérablement le travail du HCR. Cette coprésence a suscité de vives polémiques64.

61 Olivier de Frouville, Droit international pénal, op. cit., p. 14.

62 Pour une présentation approfondie des quatre procès menés devant la Cour d’assises de Bruxelles, voir :

Philippe Meire, Damien Vandermeersch (dir.), Génocide rwandais : le récit de quatre procès devant la Cour

d’assises de Bruxelles, La Charte, coll. « les dossiers de la revue de droit pénal et de criminologie », 2011.

63 Ces documents sont issus des archives du Haut commissariat aux réfugiés. Un fonds intitulé « UNHCR

publications » et classé par année est accessible. Ce fonds contient néanmoins des working papers qui ne sont pas publiés.

64 Voir notamment: Arnaud Royer, « L’instrumentalisation politique des réfugiés du Kivu entre 1994 et 1996 »,

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Une attention particulière a été portée aux positions belges, françaises et américaines durant la période d’avril à novembre 1994, mais avec des corpus très asymétriques. Les archives du Ministère des affaires étrangères belge ne sont pas encore ouvertes à la recherche. Le rapport de la Commission d’enquête parlementaire belge et ses annexes ont apporté des éléments, ainsi que la presse et plusieurs ouvrages65. Côté français, un ouvrage rassemblant une partie – restreinte – des archives françaises relatives à cette période, est paru récemment. Ces documents comportent des éléments concernant le TPIR66. De même, certaines annexes (comprenant des documents diplomatiques ou des rapports de réunions ministérielles) du rapport de la Mission parlementaire française ont pu être utilisées pour éclairer les enjeux de la création du TPIR67. Enfin, les archives exceptionnellement riches du Département d’État américain permettent d’avoir une approche bien plus complète des rencontres et réunions qui ont lieu durant et après le génocide lorsqu’elles ont été – comme cela semble être souvent le cas – rapportées par les Américains.

Ce fonds contient des centaines de câbles diplomatiques. L’accès aux archives d’un des interlocuteurs majeurs et d’un acteur incontournable du Conseil de sécurité est une ouverture non négligeable en termes de connaissance. Ces archives sont toutefois complexes à utiliser et à interpréter. En effet, comme le souligne Michael Barnett, dans un article relatant son expérience au sein de la Mission des États-Unis auprès de l’ONU, « […] les câbles sont des documents politiques ». Ils ne représentent pas les points de vue exhaustifs ou les éléments abordés lors de réunions, mais bien les points intéressant les destinataires de ces câbles68. Les considérer comme des comptes rendus objectifs et exhaustifs des rencontres serait donc une erreur. Dans le cas qui nous occupe, les destinataires (et émetteurs) sont le Département d’État, les ambassades américaines à Paris, Bruxelles et en Afrique, ainsi que les délégations américaines auprès de l’ONU (New York et Genève). La consultation de ces sources nous

65 Sénat de Belgique, Commission d’enquête parlementaire concernant les événements du Rwanda, session

1997-1998, 6/12/1997.

66 Rwanda. Les archives secrètes de Mitterrand. 1982-1995, Paris, L’Esprit frappeur, Aviso, 2012. Pour une

analyse du fonds des « Archives de l’Élysée », voir l’article suivant : Rafaëlle Maison, « Que disent les ‘Archives de l’Élysée’ ? », Esprit, dossier « France-Rwanda, et maintenant ? », mai 2010/5, n° 364, p. 135-159.

67 Assemblée Nationale, Rapport d’information déposé par le Mission d’information de la commission de la

défense nationale et des forces armées et de la commission des affaires étrangères, sur les opérations militaires menées par la France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994, 4/10/1998 (Ci-après, Rapport de

la mission d’information Rwanda). Voir plus particulièrement les « lots » d’annexes n° 9 A à F, consacrés à « Turquoise » : dossiers : témoignages de responsables politiques, cartes, ordres d’opérations de Turquoise et comptes rendus militaires, télégrammes diplomatiques, notes du Ministère des affaires étrangères, éléments d’information sur le génocide et sur divers massacres. La grande majorité des documents versés en annexe du rapport de la mission d’information concernent les ventes d’armes de la France au Rwanda, ainsi que l’implication de la France au Rwanda jusqu’en décembre 1993. Une délégation de la mission d’information s’est rendue à Arusha, au siège du TPIR, du 18 au 21 septembre 1998.

68 Michael Barnett, « The UN Security Council, indifference, and genocide in Rwanda », Cultural anthropology,

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permet de porter un autre regard sur un enchaînement de réunions et de déclarations publiques qui ne laissent que peu entrevoir les débats en amont.

L’utilisation de ce fonds entraîne un certain déséquilibre, les initiatives des Américains étant en quelque sorte « surreprésentées », mais les très riches informations dont il rend compte permettent de les situer par rapport aux autres États et acteurs. Bien que fragmentaire (il ne s’agit que des documents déclassifiés, nous ignorons la proportion qu’ils représentent par rapport à l’ensemble des archives), le fonds contient près de 900 câbles relatifs à la période d’avril à juillet 1994, auxquels s’ajoutent plus de 250 câbles relatifs aux négociations d’Arusha et plus de 400 concernant la Minuar I et II69. Nous avons dû procéder de manière sélective face à cette masse de documents et avons concentré notre attention sur les questions relatives aux enquêtes et à la justice.

Nous avons également utilisé les archives des procès qui contiennent des éléments relatifs aux historiques des affaires et aux enquêtes. Les éléments justificatifs présentés en soutien aux actes d’accusation fournissent parfois de précieuses indications sur les sources utilisées par l’Accusation (témoignages, rapports de l’ONU, d’ONG). Ces archives ont été utilisées, tant pour l’aspect des pièces à conviction comportant de nombreux documents datés de cette époque, que pour les dépositions de différents acteurs qui ont participé d’une manière ou d’une autre aux processus judiciaires nationaux et internationaux.

Enfin, la presse et plusieurs entretiens menés à Bruxelles, Kigali et Arusha, ont été intégrés au corpus de sources de cette première partie70.

Dans cette première partie, nous procéderons, dans le premier chapitre, par un survol du rôle de l’ONU au Rwanda dans l’accompagnement de la mise en œuvre des Accords de paix d’Arusha d’août 1993, puis dans les décisions prises au cours des mois d’avril et de mai 1994 (« Aussi longtemps que le drapeau bleu serait sur le camp »). Le deuxième chapitre sera

69 Nous avons systématiquement dépouillé le fonds « War crimes, human rights monitors and the International

tribunal for Rwanda » (205 câbles, de mi-juillet 1994 à la mi-1995). Le fonds « The Rwandan genocide » a également été largement consulté, plus particulièrement pour les câbles concernant les questions de justice et de documentation des massacres (833 câbles, du 7 avril 1994 au 20 juillet 1994). Dans ce fonds, nous avons effectué des recherches intratextes par mot-clé afin d’identifier les documents pertinents. Les « objets » des câbles n’étant pas toujours explicites et leur nombre très important. Lorsque nous avons consulté toutes ces archives, elles se trouvaient sur le site du Département d’État, classées par « fonds ». Actuellement, ces archives ont été transférées sur le site FOIA (Freedom of Information Act), mais elles ne sont plus classées par fonds. (http://foia.state.gov). Le fonds général comportait plusieurs collections, notamment : « The Rwandan genocide », « UNAMIR », « War crimes, human rights monitors and the International tribunal for Rwanda ». Dans nos références, nous identifions ces archives comme suit : US. DEP., Rwanda Coll., l’objet du câble, le numéro du câble, la date et le paragraphe (ou la page s’il n’y a pas de paragraphes).

70 Nous avons centré nos recherches sur certaines périodes et sur la presse belge (Le Soir principalement),

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