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HENRI DE TOULOUSE-LAUTREC AURAIT CENT ANS

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Academic year: 2022

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HENRI DE TOULOUSE-LAUTREC AURAIT CENT ANS

Henri de Toulouse-Lautrec est né en Albi le 24 novembre 1864.

Fils aîné de l'aîné des Toulouse-Lautrec, je tiens à apporter ma contribution à cet anniversaire, en précisant certains détails de sa biographie qui ont été déformés par la légende. On a prêté au peintre ce propos : « Il y a huit cents ans que l'on ne fait rien dans ma famille ; si je n'étais pas intelligent, je serais le dernier des imbéciles. » Je voudrais montrer le peu de fondement de cette boutade et comment ce grand artiste a trouvé dans sa famille un climat favorable à sa vocation.

Il est exact qu'un courtisan ayant dit à Louis XVIII : « Les Toulouse-Lautrec prétendent descendre des Comtes souverains de Toulouse », ce monarque lettré et érudit lui répondit : « Il y a, en effet, huit cents ans qu'ils le prétendent. »

La maison de Toulouse-Lautrec est la dernière qui représente l'un des douze pairs de Charlemagne, celui qui portait les éperons de chevalier au sacre de l'Empereur d'Occident. Ils régnaient sur le Languedoc, le Rouergue, la Provence. Ils étaient comtes et ducs de Toulouse, ducs d'Aquitaine et de Septimanie, de Nar- bonne, marquis de Provence et de Gothie et de bien d'autres lieux.

Raymond IV fut l'un des chefs de la première croisade où il a emmené 100.000 hommes sous ses ordres, chiffre extraordinaire pour l'époque.

Le second fils de Raymond V et de Constance de France, Beau- doin de Toulouse, marié en 1196 à Alix, vicomtesse de Lautrec, se brouille avec son frère Raymond VI ; saisi par ruse au château de l'Olme en Quercy, il est traîné à Montauban et ignomineusement pendu à un arbre.

Vint pour le midi la Croisade contre les Albigeois ; c'est la ruine de la civilisation occitane, faite de liberté, d'amour des arts et du

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gai scavoir. Tout le Languedoc flambe, se sacrifie pour ses sou- verains. Un poète cathare raconte ainsi la rentrée de Raymond VII dans la ville, après un succès éphémère : « Le vaillant jeune comte, la lumière et l'héritier de son père, la croix et le fer, entrent ensemble par l'une des portes. Ni en chambre, ni en étage il ne resta pas une jeune fille ; les habitants de la ville, grands et petits, regardent tous le comte comme fleur de rosier. »

Pour détruire le trône des Raymonds, il a fallu le Pape, le Roi, la chrétienté, tant étaient grands l'union et l'amour entre les Souverains de Toulouse et les populations méridionales. Par le traité de Paris, les immenses possessions des Toulouse se fondent dans le royaume de France, le Pape se fait adjuger Avignon et le Comtat.

La descendance de Beaudoin de Toulouse et d'Alix de Lautrec devra se contenter des 82 paroisses de la vicomte de Lautrec.

Il faut voir un soir d'automne, Lautrec s'endormir sous les derniers rayons du soleil. Dans la petite ville, l'ombre couvre déjà à demi les vieilles venelles, les maisons du haut Moyen Age.

L'ensemble domine un immense paysage, ponctué, çà et là, de noirs cyprès, de pins parasols, de pigeonniers, tandis que se déploie au loin la grâce dorée des peupliers d'Italie sur un horizon indigo.

Les Toulouse, suivant l'usage féodal, portent le nom de leur minuscule « royaume » de Lautrec. Cette vicomte de Lautrec s'amenuise de génération en génération par le jeu des alliances et des successions, le droit d'aînesse n'existant pas dans la région. Notre famille partage les terres de Lautrec et par conséquent le nom avec une douzaine de familles : trois branches de Toulouse, Montfa, Ambres, Saint-Germier, les ducs d'Arpajon, les Maisons de Foix, de Lévis, de Panat-Villeneuve, de Voisins, de Gelas, de France (Henri IV par la reine Margot), de Noailles. Parmi eux paraît Odet, maréchal de Lautrec, celui dont Montluc disait : « Lautrec, encore qu'il ne fut guières carressable de son naturel », celui que Chateau- briand trouvait la fine fleur de la chevalerie. Pour se distinguer, nos ancêtres reprennent le nom de leurs aïeux paternels, le nom de Toulouse ; quant à la Croix pommetée, vuidée, cléchée d'or, nous ne l'avons jamais abandonnée.

Alexandre de Toulouse est le dernier de notre branche à habiter Lautrec. En 1670, devenu vieux, ses enfants établis, il pense non pas au repos, mais au ciel ; il écrit ses excellentes et savoureuses Méditations chrétiennes, puis, prenant le bâton de pèlerin, devan-

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HENRI DE TOULOUSE-LAUTREC 527 çant les décisions du Concile Vatican II, il traduit le catéchisme en Langue d'Oc, va l'enseigner aux petits enfants dans les diocèses de Saint-Pons et d'Adge ; quand il sent ses forces diminuer, ce grand seigneur se met au service des pauvres à l'hôpital général de Mont- pellier. Il meurt en les soignant en 1699.

A la veille de la Révolution, les Toulouse-Lautrec sont repré- sentés par deux branches : l'aînée, celle de Montfa, séparée en deux rameaux, le nôtre plein d'espérance, le puîné étant celui du peintre, rameau qui subsiste toujours. La deuxième branche est celle de Saint-Germier. A la fin du xvme siècle, Pierre-Joseph comte de Toulouse-Lautrec Saint-Germier est un magnifique soldat. Il a possédé durant dix-sept ans « Toulouse-Lautrec cavalerie » et commandé « Condé Dragons », devenu de nos jours « le 2e dragons ».

C'est un homme admirable, une espèce de saint que sans aucun fon- dement certains transforment aujourd'hui en comte de Foix, ce qui est faux, et en débauché extraordinaire, ce qui l'est plus encore.

Ses papiers conservés dans nos archives familiales prouvent la pureté de ses mœurs et celle de ses six enfants. Blessé à Fontenoy et à Lawfeld, marchant avec deux cannes il avait été député de la Noblesse de Castres à l'Assemblée Constituante. Là, au cours d'une dispute avec Mirabeau, il lui avait dit : « Monsieur votre père, qui me faisait l'honneur d'être mon ami, vous eût mis s'il eût vécu les bras dans l'état dans lequel j'ai les jambes. »

Emigré en Russie, où Catherine II lui fit dons de grands domaines en Courlande. Sa descendance prit fin, après la révolution russe, par la marquise Montecuculli et par la princesse Obolenski. Marie Bashkirtcheff, la charmante Moussia, remontait par les femmes à ces Toulouse-Lautrec devenus Russes.

Henri de Toulouse-Lautrec n'ignorait pas ce passé et répondit un jour : « Il y a des choses qu'on ne fait pas quand on porte le nom qui est le nôtre. »

Ses dispositions pour les arts graphiques n'étaient point un phénomène spontané. Il appartenait par son père, à une famille où beaucoup aimaient dessiner, peindre, graver, modeler.

Le comte Alphonse avait un grand talent. Des Allemands avisés ont volé une grande partie de ses œuvres, chez lui, à Loury, en Loiret, en 1871. Ses deux frères, Charles et Odon avaient les mêmes

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qualités : Charles, très académique, fut l'un des professeurs de son neveu Henri. Odon était un animalier de grande classe, un excellent coloriste. L'exposition de Rennes, en 1963, a présenté à merveille, dessins, fusains, aquarelles et peintures de ces trois frères.

Alphonse, Odon et Henri de Toulouse-Lautrec ont travaillé avec Princeteau et Lewis Brown, et souvent les élèves ont passé leurs maîtres.

Héréditairement, on retrouve ces dons chez les Toulouse.

L'arrière-grand-père du peintre, un autre Alphonse, a laissé de charmants dessins, des pastels.

Le frère de cet Alphonse, le comte Pons de Toulouse-Lautrec, excellait dans tous les genres ; peintures, gouaches, aquarelles, miniatures, dessins, gravures sur cuivre. Il a peint deux grands portraits de lui-même. Sur le premier, il s'est représenté dans un simple appareil : il avait un charmant visage, une fort jolie tournure. Une dame, conviée pour voir le tableau, sort son face à main, lorgne et se tourne vers l'Oncle : « Fi, Pons ! » lui dit-elle.

L'oncle Pons a tiré la leçon de ce reproche en jetant négligemment une peau de panthère autour de ses reins.

Dans la branche aînée, on retrouve aussi l'amour et la con- naissance du dessin chez mon arrière grand-père, mon grand-père, excellent paysagiste et chez mon père.

L'originalité et le talent de dessinateur sont devenus génie en se transmettant au pauvre infirme qui, pour oublier sa disgrâce, se plongea dans un travail acharné.

Sur cette disgrâce, on a longuement épilogue. Il était fils de cou- sins germains, mais ce n'est pas la consanguinité qui a eu, chez lui, d'effroyables et admirables résultats ; c'est la maladie. Sans la maladie, il eût marché sur les traces de ses devanciers paternels : cavalier, veneur, fauconnier, et dessinateur seulement à ses moments perdus.

Nul ne pouvait prévoir que surgirait dans une race parfaitement saine, un peintre illustre certes, mais nabot, horriblement laid, torturé dans sa chair. Il mériterait sur sa tombe, l'épitaphe que s'était composée Scarron, martyrisé aussi dans ses jambes peut-être atteint d'une maladie analogue :

Celui qui cy maintenant dort Fit plus de pitié que d'envie Et souffrit mille fois la mort Avant que de perdre la vie

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HENRI DE TOULOUSE-LAUTREC 529 Les travaux du docteur Devoisins semblent prouver qu'Henri de Toulouse-Lautrec était atteint d'une maladie des os, celle de Lobstein. Dieu merci, on ne trouve cette infirmité nulle part dans notre famille, en dehors du pauvre malheureux !

Avant la Révolution, un aïeul lointain des Toulouse-Lautrec a cherché pendant des années, la gamme sur le tambour. Il aimait le fromage et pour donner aux chèvres la santé et du bon lait, il les faisait paître sur son toit. A soixante ans il a commencé à se baigner tous les jours, dans le Tarn, au pied de sa terrasse, ce qu'il n'a jamais cessé de faire, hiver comme été, jusqu'à sa mort survenue à 82 ans. Il s'habillait à l'arménienne comme Jean-Jacques Rousseau, et j'ai un portrait de lui, dans cet accoutrement. Il faisait des vers, beaucoup de vers, polis, repolis, limés, relimés ; il les a publiés sous le nom de Breloques. Et voici le début :

Le serin vit De chenevis.

L'amour est

L'aliment des Belles...

Poésies légères s'il en fut, passagères s'il y en eut : c'était le moins poète des hommes, mais c'était alors la mode de rimer. Ceci dit, à la fin de sa vie, il était un magnifique vieillard, d'une courtoisie raffinée, un historien de mérite et un homme de grand cœur.

L'arrière-grand-mère paternelle du peintre aimait les singes.

Au soir de sa vie, on mettait le couvert de Julia, sa guenon, à table, à côté d'elle, et tous devaient avoir des égards pour Julia. De là l'origine probable de la légende ; on mangeait chez les Toulouse, des singes comestibles ! et le maître de maison envoyait porter aux dames horrifiées, leur assiette où nageaient des mains cuites semblables à des phalanges d'enfants... Un peu plus, on nous accusera d'anthropophagie !

Le grand-père paternel du peintre, Joseph-Casimir-Raymond que l'on appelait en Albigeois, le Prince Noir, était un grand homme brun, taciturne, passionné de vénerie. Ne pouvant chasser à courre en Albigeois ou en Rouergue, il avait loué un domaine dans les Landes, comme son fils Alphonse occupera, et pour la même raison, le domaine de Loury en Loiret. Il est mort comme il

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avait vécu, tout seul, dans une nuit froide et glacée, ayant glissé, étant à pied et dans le brouillard, au fond d'un ravin.

Le plus remarquable était le père du peintre, le comte Alphonse de Toulouse-Lautrec, cousin issu de germain de mon grand-père.

Je ne l'ai vu qu'une fois : j'avais douze ans et il voulait absolument me faire boire du pernod, à la stupéfaction indignée de mon père.

A sa sortie de Saint-Cyr, il rejoint le 6e de lanciers à Maubeuge.

Il s'y révèle cavalier infatigable, mais la discipline est sans charme pour lui. Il quitte promptement l'armée pour se consacrer à ses chevaux, à ses chiens, à ses faucons, à ses cormorans... à ses crayons.

Henri de Toulouse-Lautrec disait : « Rien de plus vertueux que ma mère... mais elle n'a pas su résister à un pantalon rouge ! » je pense, à la vérité que le pantalon rouge et l'amour, n'ont pas compté beaucoup dans cette union.

Cousins germains, c'étaient la carpe et le lapin ; lui, original, homme d'extérieur, artiste, panier percé. Elle, casanière, rangée, sage, pieuse, toutes les vertus bourgeoises au plein sens du terme.

Lui, toujours derrière ses chiens ou le faucon au poing. Elle, n'ayant jamais pratiqué un seul sport.

C'était en un temps où le mariage de raison était la règle.

J'ai toujours entendu raconter, et de première main, ce qui suit.

Un jour, on dit à la demoiselle :

— Adèle, il faut te marier.

(Elle est jeune et doit être extrêmement riche.) Elle répond :

— Et, avec qui ?

— Avec Alphonse, par exemple.

— Pourquoi pas ?

On dit au jeune homme :

•— Alphonse, il faut te marier.

(Il est jeune, ardent et doit avoir une fortune beaucoup plus modeste.)

Il répond :

— Et, avec qui ?

•— Avec Adèle, par exemple.

— Pourquoi pas !

Le mariage se fait : il en naît deux enfants, Henri et Richard, mort jeune.

La comtesse Alphonse se consacre à son fils. Mère toujours présente et admirable. Le comte Alphonse cède à sa fantaisie, père

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HENRI DE TOULOUSE-LAUTREC 531 insaisissable et admiré ; séparé pratiquement de sa femme, il parle d'elle, en disant : « ma cousine » et dès lors, il profite de la liberté reconquise.

Que d'anecdotes sur lui !

Au cours de son voyage de noces, il mène sa femme à Nice, l'y oublie, disparaît. La jeune épouse désolée, rejoint le domicile maternel et finit par apprendre que son mari existait toujours, en recevant ce télégramme laconique, daté de Loury en Loiret :

« Envoyez furets. »

J'aime beaucoup l'histoire de la dame qu'il conduit à l'Opéra dans une voiture élégante, rapide, haute sur roues. La dame se sent très regardée, elle a un peu de rouge au visage d'abord, puis prend courage, assurance et fierté... Elle n'est détrompée qu'à sa descente devant le théâtre. Ce que les badauds parisiens regardaient, ce n'était pas elle, mais des oiseaux de vol, faucons, autours, tiercelets, grands-ducs en cages sous la voiture « pour qu'ils prennent l'air ».

Ou encore, celle-ci : un jour, au Bois de Boulogne, l'oncle Alphonse, du haut de son magnifique cheval, toise un fiacre qui s'en va, trottinant, selon la chanson. De l'œil, il voit la malheureuse jument se traîner, elle a du lait plein les mamelles. Quelques pièces d'or et son lad, dégoûté, mène la jument jusqu'aux écuries du comte Alphonse. Au bout de quelques jours, l'avoine et les soins aidant, le lait augmente, la jument tape et démolit les bat-flancs. Alors l'oncle Alphonse la fait seller : arrivé aux Poteaux de la reine Marguerite, il saute à terre, sort une timbale d'argent, tire le lait et offre à boire à la ronde.

Il est un gastronome averti, créateur de recettes. (Son fils inventera des cocktails incendiaires) : par exemple, chez sa mère, il creuse un fromage de Roquefort en son milieu et, tous les jours, religieusement, il y verse un peu de bon porto. Le fromage saturé, il le mange avec délices.

Il reçoit de son âpre domaine de Montfa, des dindes, rentes de ses fermes. Or, il déteste les nerfs que l'on trouve dans ces volatiles. Il invente un étrange et gigantesque appareil, tout en poulies et fil d'acier ; avant, que l'on fasse rôtir une dinde, il prend soin de « l'énerver ».

Quand il fait chaud, il sort en ville en tenue légère, le front ceint d'une ficelle sur laquelle sont enfilés des ronds de citrons ; rien de meilleur, dit-il, pour se rafraîchir la tête.

Il craint de franchir les rivières sur un pont ; il traverse donc

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à la nage. S'il fait trop froid, il va chercher un gué, même très loin.

Le comte Alphonse a la passion du déguisement ; il existe une photographie de lui, par Delton, le grand spécialiste du Bois de Boulogne. Il est à cheval, au galop. Il tire à l'arc vers l'arrière.

Il est ce jour-là, entièrement drapé dans une cotte de maille, à la kirghize, casque en tête, le cheval harnaché à la manière de ce lointain pays.

Il s'habille en Ecossais, en Croisé, en Persan, que sais-je...

Son fils héritera ce goût du travesti.

Il fait des séjours, chez son frère Charles, à Albi. Parfois, il campe, dans le jardin, des mois durant, pour observer plusieurs générations de merles. Parfois il règne en haut de la tour, au milieu d'un capharnaûm indescriptible et de tous ses chers oiseaux.

Dans ce cas, il existe une poulie, un palan, un panier, grâce auxquels il communique avec l'extérieur et reçoit sa nourriture et celle de ses animaux.

Je ne puis résister au plaisir de citer cette lettre, qui n'est plus inédite, adressée à son frère, logé dans la même maison.

« Mon cher ami,

« Notre père et notre mère ont eu la main très malheureuse lorsqu'ils ont choisi ton prénom. Ils auraient dû prévoir que cer- taines personnes seraient empêchées de t'appeler mon cher Charles, parce que les deux mots sont désagréables à l'oreille.

« Je ne t'écris pas pour déplorer cette inadvertance de nos parents, non, mais pour te dire que, si je conçois très bien que ton cocher prenne ta rosse pour un cheval, je trouve indamissible qu'il prenne un rat pour une souris. Je lui avais ordonné de me fournir de souris pour mon grand-duc et il m'envoie des rats.

Mon grand-duc n'est pas natif de la Thuringe où ses congénères mangent de tout. Il a vu le jour, ou plutôt la nuit, dans le Périgord, région où bêtes et humains sont habitués à une nourriture de qualité.

Veuille donc prescrire à Léon de mettre dorénavant des souris dans mon panier.

« Ton frère affectionné, A. » Durant la veillée funèbre près de son fils mort, tous sursautent en entendant des coups de fusil ; le comte Alphonse, à l'abri derrière une lucarne, se distrait de son chagrin, en tirant des chouettes.

Le matin de l'enterrement, à Malromé, il disparaît dans le parc, sans souliers ; il a des cors aux pieds ! Il va chercher des champi-

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gnons. Il décide de suivre le cortège à cheval... toujours les cors aux pieds ! Finalement il abandonne cette idée, mais il grimpe sur le corbillard pour voir si le cocher conduisait son pauvre Henri au tombeau, comme doit être « mené un gentleman ».

Quand un des premiers livres paraît sur son fils, il envoie un cartel à l'auteur ; il propose les conditions du duel, étant l'offensé;

lui, le sabre à la main, les pieds dans une tranchée... les fameux cors ! l'écrivain s'escrimant autour de lui avec un simple bâton.

Ces conditions ne furent pas acceptées...

On a fait de lui un coureur de tous les cotillons. Sa principale erreur, si l'erreur vient de lui, a été d'accepter le mariage arrangé avec sa cousine germaine. S'étant rendu compte, à la naissance de son second fils, qu'il allait contribuer à la procréation d'une vraie cour des miracles, il a préféré « s'abstenir » comme il disait.

Voici deux lettres écrites par lui, au moment de la mort du peintre :

« Qui a le plus souffert du père ou du fils ? Lui, qui a le plus pâti de nous deux, car il a été humilié. Moi je n'ai que la torture morale, reproche sans trêve de ne pas m'être abstenu. Ma pitié paternelle fut cruelle, allant croissant, loin de s'émousser devant les succès artistiques de mon pauvre enfant et devant l'encens prodigué par de chauds partisans » (12 septembre 1901).

Et à sa mère, il écrivait :

« Chère maman, que de tristesse ! Dieu n'a pas béni notre union.

Que Sa Sainte Volonté soit faite ! Mais c'est bien dur de voir ren- verser l'ordre de la nature. J'ai hâte de vous rejoindre après le triste spectacle de l'agonie longue de mon pauvre enfant inoffensif, n'ayant jamais eu pour son père, une parole enfiellée... Plaignez- nous I... »

Ces deux lettres bouleversantes rendent un son parfaitement sain et humain.

Je ne prétends pas relater toutes les histoires qui ont couru sur le comte Alphonse. Je me suis borné à celles que j'ai entendues, dans ma jeunesse, et qu'on tenait pour vraies dans ma famille.

Je n'ai pas voulu jeter le manteau de Noé sur les singularités qui précèdent, mais j'affirme, et j'ai pour appuyer mon dire quelque deux tonnes d'archives et des milliers de lettres, que les Toulouse-

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Lautrec ont été dans l'ensemble des gens parfaitement raisonnables, méridionaux pur-sang, avec du soleil plein le cœur et de la gaîté plein l'esprit.

De leurs lointaines origines, ils ont gardé toujours l'horreur du métier de courtisan, l'amour de leur terroir languedocien et de sa magnifique langue. Mon propre grand-père, très lié avec Lacordaire, fut un des plus fidèles amis de Mistral. C'était un charmant lettré, écrivant à la perfection le français, l'espagnol, le catalan et la langue des Raymonds ; les vieux troubadours revivaient en lui.

Il me semble que notre famille peut être comparée à l'extra- ordinaire cathédrale d'Albi. L'ensemble de ses membres, gais, lumineux et droits sont comme les murs de briques de Sainte Cécile, associés dans un grand élan, vers la tradition, vers Dieu. Comme eux, ils sont simples, nets, d'un seul jet ! et devant le vaisseau austère, c'est la grâce flamboyante de la porte qu'un artiste italien, Domi- nique de Florence, a érigée au xve siècle. Eh ! bien, nos originaux, dont j'ai parlé, sont comme ce portail rajouté, bien différents du majestueux ensemble.

TOULOUSE-LAUTREC.

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