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astronomique” dans Christian Grappe (dir.) La Cathédrale de Strasbourg en sa ville. Le spirituel et le

temporel.

Jérôme Cottin

To cite this version:

Jérôme Cottin. ”La Cathédrale protestante, Tobias Stimmer et l’horloge astronomique” dans Christian Grappe (dir.) La Cathédrale de Strasbourg en sa ville. Le spirituel et le temporel.. colloque tenu à l’Université de Strasbourg, Palais universitaire, 3-4 septembre 2015, Sep 2015, Strasbourg, France.

pp.225-237. �hal-03417902�

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La cathédrale protestante, Tobias Stimmer et l’horloge astronomique

*

Jérôme Cottin

Professeur à la faculté de théologie protestante, Université de Strasbourg

La cathédrale de Strasbourg fut protestante pendant presque 150 ans. Cela constitue une originalité et un cas unique en France. Devenue église protestante quand la capitale alsacienne adopta officiellement la Réforme en 1529, elle redevint brièvement catholique au moment de

« l’Intérim » (1549-1559)1 avant de retrouver son statut protestant dans les dernières décennies du XVIe siècle et pendant la plus grande partie du XVIIe siècle2. La cathédrale redevint définitivement catholique en 1681, après la prise de la ville par Louis XIV.

L’objet de la présente étude sera d’abord le suivant : identifier les actions témoignant de la présence protestante. Elles peuvent avoir été exécutées sous forme d’inscriptions, d’effacements, de gestes ou d’absence de gestes, de construction. Gestes iconoclastes, attitude iconophobe et réalisations plastiques se mélangent. Nous nous concentrerons ensuite sur l’horloge astronomique. Cette horloge du XVIe siècle (1533-1448 et 1571-1574) était certes la deuxième, mais elle se substitua entièrement à la première (1352-1354), et la troisième (rénovée par Jean-Baptiste Schwilgué en 1838-1842) lui apporta principalement des améliorations techniques. Dans son aspect actuel comme dans son programme iconographique, l’horloge constitue bien un témoignage du protestantisme strasbourgeois, dans son double aspect humaniste et confessant, ce qu’aucun des nombreux ouvrages de vulgarisation ne dit 3.

1. D’un iconoclasme modéré à une iconophilie passive

Peut-on voir aujourd’hui, dans la cathédrale, des traces de cette présence protestante relativement longue, en négatif (iconoclasme) comme en positif (constructions ou adaptations typiquement protestantes) ? Peu, il est vrai, car l’histoire postérieure de la cathédrale s’est

* Jérôme Cottin, « La cathédrale protestante, Tobias Stimmer et l’horloge astronomique », dans Christian Grappe (dir.), La cathédrale de Strasbourg en sa ville. Le spirituel et le temporel, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2020, pp. 225-237.

1 Suite à la défaite de la ligue de Smalkalde (alliance militaire des princes protestants contre l’armée de l’empereur Charles-Quint) à la bataille de Mühlberg en 1547, la ville est contrainte de redonner momentanément à l’Église catholique trois églises, parmi lesquelles la cathédrale.

2 Cette présence protestante n’empêcha pas l’Église catholique de tenter de reprendre possession de la cathédrale.

Ainsi, en janvier 1569, une messe fut célébrée dans la sacristie du chœur de la cathédrale par les chanoines catholiques, à l’occasion de l’élection du nouvel évêque Le Grand chapitre comprenait des chanoines protestants et d’autres catholiques. Mais il s’agissait avant tout de titres honorifiques, indépendants de la vie cultuelle qui se déroulait dans la cathédrale. Il y eut même une « guerre des évêques », avec l’élection de deux évêques entre 1592 et 1604, l’un protestant, Jean-Georges de Brandebourg, et l’autre catholique, Charles de Lorraine, évêque de Metz, qui finit par l’emporter.

3 Théodore UNGERER, L’horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg, Strasbourg, F-X Le Roux, 1952, p. 27 : « L’horloge actuelle diffère peu de celle de Habrecht, parce que Schwilgué dut placer ses mécanismes dans l’ancien édifice » ; Benoit VAN DEN BOSSCHE, Strasbourg, la cathédrale, Saint-Léger-Vauban, Zodiaque, 1997, p.

355 : « L’horloge astronomique telle qu’elle se présente aujourd’hui remonte au milieu du XVIe siècle, lorsque le Münster était un haut lieu de la Réforme ».

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empressée d’effacer les traces de la religion rivale. On trouve toutefois quelques éléments. Le reste doit être raconté et décrit4, même si, sur cette présence protestante, les témoignages historiques sont finalement assez ténus5.

Après « l’Intérim », le protestantisme strasbourgeois, marqué par la tradition de l’humanisme rhénan, devient plus strictement luthérien6. Un luthéranisme relativement intransigeant, au point même de chasser ou de surveiller étroitement les protestants non luthériens (anabaptistes et calvinistes). En ce qui concerne les images et objets de culte, le glissement d’une Réforme humaniste et zwinglienne sous la direction de Martin Bucer7 vers un luthéranisme plus strict fut plutôt une bonne chose : Luther prône la tolérance vis-à-vis des images et statues qui peuvent rester dans les églises, pourvu qu’elles ne soient pas vénérées.

Mieux, les images bibliques ou les images du Christ sont souhaitables, car elles aident à intérioriser le message du Salut fondé sur la Bible et incarné par le Fils de Dieu8.

Si l’on peut donc penser que, pendant la fin du XVIe et la plus grande partie du XVIIe siècle, les images dans la cathédrale ne posèrent pas problème aux protestants qui venaient à l’écoute de la Parole, il n’en alla pas de même dans la première phase de la Réforme (1519-1530), celle qui était la plus humaniste, mais aussi la plus tentée par l’iconoclasme, sur le modèle des villes suisses proches, Bâle et Zurich.

De fait, des actes iconoclastes furent menés dans la cathédrale (comme dans les autres églises de la ville). On en rapportera quelques-uns9 :

- En mars 1525, six bourgeois demandèrent au Magistrat la suppression d’un certain nombre d’« idoles scandaleuses » dans la cathédrale, parmi lesquelles la grande croix d’argent qui contenait des reliques, à l’arrière du maître-autel (elle ne fut enlevée qu’en décembre 1526).

- Une statue de la Vierge fut retirée de nuit et remplacée par un crucifix et un tableau comportant les mots « À Dieu seul la gloire » (Allein Gott die Er).

- Un grand Saint Christophe fut retiré de la cathédrale, non sans qu’on lui ait auparavant coupé les pieds.

Afin d’éviter les actions individuelles et les débordements, ce fut finalement le Magistrat qui, en 1530, légiféra : il décida d’enlever les images problématiques pour la foi évangélique, mais sans les détruire : elles furent rendues à leurs donateurs. Au sens propre, on ne peut donc

4 Pour une analyse de l’iconographie protestante de l’horloge de Strasbourg, faite dans une perspective pastorale : Pierre-André BETTEX, « Le magistrat, l’église, l’horloge, le suisse et le touriste », dans Olivier Bauer, Félix Moser (dir.), Les Eglises au risque de la visibilité (Actes du 3e cycle roman de théologie pratique 2001), Lausanne, « 3e supplément aux Cahiers de l’Institut Roman de Pastorale », 2002, pp. 51-66.

5 Marc LIENHARD, « La cathédrale à l’heure du protestantisme », dans Joseph DORÉ(dir.), La grâce d’une cathédrale Strasbourg, La Nuée bleue, 2007, p. 357-367.

6 Marc LIENHARD, « L’établissement de l’orthodoxie luthérienne à Strasbourg au XVIe siècle », Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses, 94/4, 2014, p. 381-405.

7 Sur le rapport de Bucer aux images : Frank MULLER, « Bucer et les images », dans Marc LIENHARD, Christian KRIEGER (dir.), Martin Bucer and Sixteenth Century Europe, Leiden-New York-Köln, E.J. Brill, 1993, p. 227-237.

8 Jérôme COTTIN, « La Réforme et les arts visuels », Arts Sacrés, n° 21, Art et protestantisme, (janvier-février 2013), p. 36-41 ; Jean WIRTH, « Luther et les images », Arts Sacrés, n° 38, Luther et l’art, (octobre-décembre 2017), pp. 63-69 ; Marc LIENHARD, « Luther et les images », Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses, 97/3, 2017, pp. 349-360.

9 Frank MULLER, « L’iconoclasme à Strasbourg, 1524-1530 », dans Iconoclasme, vie et mort de l’image médiévale (catalogue d’exposition), Strasbourg-Berne, 2001, p. 84-89 ; Id. « L’iconoclasme à Strasbourg (1524-1530) : nettoyer la cathédrale et les autres églises de Strasbourg des ‘idoles scandaleuses’ », in Annuaire de la Société des Amis du Vieux-Strasbourg, t. XLI, 2017-2018, p. 135-142.

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pas parler d’iconoclasme (= destruction d’images), mais plutôt d’aniconisme. On pourrait parler à ce propos d’un « iconoclasme discret ». Ce retrait des images ne concerna, du reste, que celles qui étaient trop ouvertement catholiques, ainsi que les objets de culte présents à l’intérieur de l’espace cultuel, là où les fidèles priaient et écoutaient la Parole. Les sculptures et programmes iconographiques qui se trouvaient à l’extérieur du bâtiment furent préservées : elles relevaient de l’espace public. Dans la phase ultérieure à l’iconoclasme initial, l’iconographie relative au Christ ne posa plus problème, puisque le luthéranisme revendique une foi centrée sur le Christ, et plus particulièrement sur le Christ crucifié. Enfin, suivant sans doute en cela la position du réformateur Zwingli à Zurich, cet iconoclasme ne toucha pas aux vitraux.

On peut donc parler d’un iconoclasme modéré, limité à quelques objets symbolisant la foi de l’ancienne Église ; stricto sensu, il faudrait plus parler d’iconophobie que d’iconoclasme, dans la mesure où les objets d’art furent rarement détruits. Nous avons là la preuve d’une nouvelle conscience artistique, typique de la modernité, où les concepts de valeur artistique l’emportent sur la perception idolâtre (en positif ou en négatif) de l’objet de dévotion.

Cet iconoclasme protestant ne fut du reste pas le seul ; il fut même relativement peu important si on le compare aux destructions liées la Révolution française au cours de laquelle plus de 200 statues furent détruites ou mutilées, les biens de l’église furent vendus, et la flèche ne fut sauvée que parce qu’on la coiffa d’un immense bonnet phrygien.

Plus surprenant : il y eut aussi, bien avant la Révolution française, des actions de destruction faites par les catholiques eux-mêmes quand ils reprirent possession de la cathédrale. Afin de la remettre au goût du jour (peut-être aussi pour marquer leur différence par rapport à l’occupation protestante qui conserva de nombreux objets), et aussi de l’adapter aux consignes du Concile de Trente, ils détruisirent en 1683-85 le grand retable sculpté des frères Hagenauer, démolirent la chapelle d’Erwin et surtout le jubé dont ils déposèrent les statues10. Des scènes

« dérangeantes » furent aussi supprimées.

Ainsi plusieurs chapiteaux médiévaux situés sur des piliers de la nef à proximité du chœur, et qui représentaient des critiques parodiques de cérémonies catholiques, ont été détruits en 1685. Nous en avons une reproduction grâce à un dessin que fit l’artiste protestant Tobias Stimmer en 1576 [1] : on y voit les scènes anticléricales sur les chapiteaux, ainsi que des détails de deux d’entre elles : des animaux célébrant la messe. Les autres scènes représentent une procession mortuaire pour un renard décédé, conduite par un ours qui porte l’eau bénite, un loup avec une croix et un lièvre qui tient un flambeau. Un cochon et une chèvre portent le mort, accompagnés d’un singe. Ainsi une image réalisée par un protestant témoigne-t-elle d’un acte iconoclaste commis par l’Église catholique, à propos d’une image anticléricale faite par d’autres catholiques !

Peut-on, à l’inverse, voir des traces d’une présence, voire d’une iconographie protestante ? La plupart n’existent plus. On sait que les protestants avaient, selon leurs habitudes, peint des versets bibliques (en allemand) sur les murs : ils ont disparu.

10 La destruction des jubés dans les églises et cathédrales françaises fut très courante au XVIIIe, pour répondre aux exigences liturgiques du Concile de Trente : Gilles DROUIN, Architecture et liturgie au XVIIIe siècle. Offrir avec et pour le peuple, Paris, éditions du Cerf, (Lex Orandi), 2019.

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Jean-Paul Lingelser a récemment travaillé sur quelques inscriptions de l’époque protestante de la cathédrale de Strasbourg11. Il a montré que « des inscriptions bibliques à la cathédrale de Strasbourg remontent aux débuts de la Réforme protestante et apportent un éclairage inédit sur les sermons de Matthieu Zell et de Martin Bucer donnés à la paroisse Saint- Laurent située dans le bras nord du transept. Cette partie de l’édifice devient en quelque sorte le lieu de naissance du mouvement évangélique à Strasbourg. »12.

Sur la première de ces inscriptions, qui n’est plus connue que par une gravure datant 163013 [2], on trouvait, en haut, le texte de Marc 1,15 écrit dans le texte allemand de Luther :

« Die Zeit ist erfüllet und das Reich Gottes ist herbeigekommen. Tut Busse undglaubt an das Evangelium ». Le texte inférieur citait Matthieu 25 sur le jugement dernier : les paroles de gauche annonçaient la vie éternelle, celles de droite la condamnation14. Cette même gravure montre du reste que l’iconographie du chœur – qui représente même une mitre d’évêque – n’a pas été effacée.

La deuxième inscription se trouve sur deux grandes baies surmontant l’entrée de la chapelle Saint-Jean. Elle est peu visible, ce qui l’a sans sauvée même si elle est très altérée, et reproduit le texte des dix commandements en y adjoignant sans doute Romains 10,4 et, de manière certaine, 1 Timothée 1,5, ce qui en fait une sorte de manifeste protestant15.

Lingelser conclut son étude de la manière suivante :

Les différentes inscriptions des deux baies du bras nord du transept de la cathédrale sont un témoignage capital de l’époque protestante. Cet espace était dédié à la paroisse Saint-Laurent. Les textes étudiés remontent aux débuts de la Réforme, vers 1535, et le texte du décalogue, tel qu’il figure dans l’inscription située au-dessus de l’entrée de la chapelle Saint-Jean, présente une forte similitude avec celui de Martin Bucer. Les deux versets des épîtres pauliniennes sont en revanche très proches de la Bible traduite par Martin Luther. Ces textes reflètent aussi, sur le plan linguistique, une forme dialectale très locale s’inspirant du bas allemand. Ces inscriptions sont fortement altérées, et tombées dans l’oubli. Elles auraient certainement mérité, par une action de mécénat, d’être préservées et restaurées à l’occasion de la commémoration du 500e anniversaire des 95 thèses de Martin Luther en 201716.

On sait également que les protestants avaient placé devant le maître-autel une simple table de communion en bois (habitude réformée), pour célébrer la Sainte-Cène sous les deux espèces.

Peut-être doit-on encore créditer la présence protestante de ce que la sculpture-automate qui se trouve sous le magnifique orgue sur le flanc droit de la nef soit encore en place. Cette figure peinte, appelée « Rohraffe » (singe hurlant) [3], s’animait et proférait des cris, calembours et injures pendant certains offices (un homme caché dans le grand pendentif de l’orgue lui prêtait sa voix). Elle avait été vigoureusement dénoncée par le célèbre prédicateur

11 Jean-Paul LINGELSER, « De quelques inscriptions de l’époque protestante à la cathédrale de Strasbourg », Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses, 98/1, 2018, p. 3-16.

12 Ibid., p. 3.

13 Gravure de Isaac Brunn, « La nef du Münster » (1630), dans Hans REINHARDT, La cathédrale de Strasbourg, [Grenoble], Arthaud,1972. On pourra la consulter au cabinet des estampes et gravures de Strasbourg.

14 Voir aussi LINGELSER, « De quelques inscriptions de l’époque protestante à la cathédrale de Strasbourg », art.

cit. [n. 10], pp. 4-7.

15 Ibid., pp. 7-14.

16 Ibid., p. 15.

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catholique de la cathédrale, Geiler de Kaysersberg. La Réforme arrivée, la sculpture se tut, mais resta en place. On peut imaginer que garder une sculpture qui proférait des insultes et calembours lors des cérémonies catholiques n’était pas pour déplaire aux protestants !

2. L’horloge astronomique et les peintures de Tobias Stimmer

L’horloge astronomique – à la fois construction technique, manifeste scientifique et œuvre d’art – est encore aujourd’hui la curiosité touristique la plus appréciée du sanctuaire.

L’horloge primitive étant hors d’usage, la construction d’une nouvelle horloge fut décidée par la ville qui s’adressa d’abord au théologien Nicolas Prugner (ou Bruckner), lequel s’intéressait beaucoup à l’astrologie17. Il est l’auteur du cadran extérieur qui se trouve au-dessus du portail Sud, et que l’on peut encore voir18. Quatorze années plus tard (en 1547), le projet rebondit, avec deux mathématiciens de la Haute École, Michel Herr et Christian (ou Chrétien) Herlin, aidés de l’architecte de la cathédrale, Bernhard (de Heidelberg), qui réalisa l’édifice de pierre. Mais, à peine entamés, les travaux furent interrompus par l’Intérim. Ils ne reprirent qu’à sa fin, en 1571, conduits par une nouvelle équipe autour de Conrad Dasypodius (1532-1601), successeur de Herlin et fervent admirateur de Copernic. Il se fit aider par deux jeunes horlogers de Schaffhouse, les frères Isaac et Josias Habrecht, ainsi que par son collègue David Wolkenstein.

Le peintre Tobias Stimmer (1539-1584), originaire de Schaffhouse comme Dasypodius – ce qui explique sans doute qu’on lui ait confié cet important chantier –, fut chargé d’exécuter les panneaux des boiseries et de faire les esquisses des statuettes et figurines [4].

C’est donc une équipe alliant des compétences pluridisciplinaires (mathématiques, astrologie, horlogerie, arts visuels), et plusieurs sensibilités religieuses protestantes (luthérienne alsacienne et réformée suisse ; humaniste et luthérienne, comme nous le verrons) qui se met au travail. Le résultat fut à la hauteur de cette diversité de compétences et de sensibilités19.

Je me concentrerai sur le programme iconographique de Tobias Stimmer, artiste de la Renaissance tardive dans le Rhin supérieur, qui a opéré une synthèse entre les styles germaniques et italiens20. Dessinateur prodige, il excelle dans les détails naturalistes comme Dürer son aîné. Il semble avoir particulièrement aimé les représentations d’animaux et les figures de la mythologie païenne. De la Renaissance italienne, il a emprunté l’ocre-brun, les

17 Théodore UNGERER, L’horloge astronomique, op. cit. [n. 3], p. 15

18 Les remarquables médaillons de cuivre repoussé représentant les signes du zodiaque qui le décoraient se trouvent actuellement dans la salle de l’horlogerie du Musée des Arts décoratifs (palais Rohan).

19 Je renvoie à Théodore UNGERER, L’horloge astronomique, op. cit.[n. 3], p. 17-22 (« La seconde horloge »), et p. 28-29 et 46-47 (pour l’iconographie) et à Roger LEHNI, L’horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg, Saint-Ouen, éd. La Goélette, 2002, « L’horloge du 16e siècle », p. 6-10, qui présentent une description de la deuxième horloge. La description la plus complète se trouve chez Victor BEYER, « L’horloge astronomique », dans Victor BEYER, Jean-Richard HÄUSSER, Jean-Daniel LUDMANN, Roland RECHT, La cathédrale de Strasbourg, Strasbourg, Editions Publitotal, 1973, p. 399-410, mais il mélange parfois la deuxième et la troisième horloge. Mgr Modeste SCHICKELÉ, L’horloge astronomique et la cathédrale de Strasbourg, Strasbourg, éd. de l’Alsacien, 1923, et Roland RECHT, La cathédrale de Strasbourg, Strasbourg, La Nuée Bleue, 1993, ne consacrent respectivement que 20 lignes (p. 5-6) et 10 lignes (p. 77) à la deuxième horloge, qui représente pourtant l’essentiel de ce que nous voyons actuellement.

20 L’œuvre complète de Tobias Stimmer a été présentée par Max RIEDER, Tobias Stimmer. Leben und Werke, Zürich-Berlin, Atlantis Verlag, 1940. p. 53-72, et par le catalogue d’exposition au Kunstmuseum de Bâle, Tobias Stimmer, 1539-1584. Spätrenaissance am Oberrhein, Basel, Kunstmuseum, 1984.

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clairs obscurs, l’affection pour les figurations de nus, représentés en perspective, plongée et contre plongée. Il connaissait bien les récits bibliques, ayant illustré par ailleurs une Bible21. Il est l’un des rares artistes protestants réformés connus de cette époque.

La contribution de Tobias Stimmer à l’horloge astronomique est très importante ; la plupart des commentateurs la sous-évaluent en parlant de 10 tableaux. En réalité, il y en a 24, à quoi il faut ajouter 15 dessins en grisaille très travaillés, servant de modèles aux sculptures22. Il faut encore ajouter le globe céleste [5], ainsi que les deux tabelles des phases de la lune, richement et originalement décorées par des masques, des figures de prophètes et autres figures fantastiques, qui se trouvent actuellement au musée des Arts décoratifs de Strasbourg au Palais Rohan. L’artiste – qui a mis trois ans à réaliser l’ensemble – a d’ailleurs exécuté lui-même une gravure de l’horloge [6], une fois que les panneaux, réalisés dans son atelier23, ont été montés sur place.

Les peintures en grisaille, à l’origine de la plupart des sculptures24, mériteraient un traitement à part. Disons qu’elles sont extrêmement travaillées et mélangent des éléments mythologiques, allégoriques et même fantastiques à des observations de la nature (en particulier les dessins animaliers). Elles sont d’une grande finesse, avec un style qui annonce le maniérisme [5]. Ce sont des peintures a tempera, sur toile. On peut comprendre que le sculpteur (anonyme) n’ait pas réussi à reporter toutes les finesses du trait dessiné et peint dans ses réalisations plastiques.

L’horloge actuelle a gardé les dimensions de celle du XVIe siècle25 [7]. Trois corps de bâtiments complètement indépendants s’élèvent au-dessus d’un soubassement (ou buffet). Le corps du milieu, le plus important et le plus décoré, comprend les mécanismes de l’horloge ; la tourelle de gauche, en bois, cache les contrepoids, et est surmontée du coq (dont l’original du

XVIe siècle se trouve actuellement au musée des Arts décoratifs du Palais Rohan) [8] ; la partie de droite est constituée d’un escalier en limaçon en pierre, et permet d’accéder aux étages.

Concentrons-nous maintenant sur les peintures de l’horloge.

Le soubassement (ou buffet) :

- Devant le buffet, se trouvait le globe céleste (aujourd’hui au Palais Rohan), que Dasypodius avait déjà fait construire en 1557. Le rouage était caché derrière un pélican de bois doré qui semble porter le globe sur son dos et qui s’ouvre le flanc d’un coup de bec pour pouvoir nourrir ses petits (symbole du don du Christ à l’humanité). Il est décoré de motifs cosmogoniques en relation avec les recherches de Copernic. On reviendra sur ce globe à cause d’un mystérieux événement dont il sera question à la fin de cette contribution.

- Derrière le globe, se trouve la large base de l’horloge, avec le grand calendrier séculaire au centre. Il s’agit d’un grand disque en trois parties, la partie centrale, fixe, montre une

21 Paul TANNER, « Neue Künstliche Figuren Biblischer Historien zu gotsförchtiger Ergetzung andächtiger Hertzen », dans Tobias Stimmer, 1539-1584, op. cit. [n. 19], p. 185-200.

22 Reproductions des peintures en grisailles et des tabelles astronomiques : Max RIEDER, Tobias Stimmer, op. cit.

[n. 19], p. 198-206,

23 Ce expliquerait peut-être le fait que les scènes fourmillent de détails peu visibles pour l’observateur des peintures in situ.

24 Ce sont les 4 âges de la vie, la mort, les 7 chars des jours/des planètes, le soleil et la lune, ainsi que le dessin de 2 putti.

25 Elle est d’une hauteur totale de 18 m, a une largeur du 7,30 m à la base ; le buffet fait 4,15 m de haut.

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carte de l’Alsace et des pays limitrophes et une vue de Strasbourg à vol d’oiseau. À droite et à gauche du calendrier, des images représentaient, pour les années à venir, les éclipses lunaires et solaires.

- Les peintures que l’on peut observer sont les suivantes :

Aux 4 coins du calendrier, figurent les grands empires de l’Antiquité avec leurs noms : l’Assyrie (ASSYRIA), la Perse (PERSIA), la Grèce (GRAECIA), Rome (ROMA). On peut les identifier avec ceux évoqués (mais non nommés) par le prophète Daniel (2,37- 40), puisque la référence de ce texte est citée par ailleurs.

À droite de la niche, on trouve deux peintures. Il s’agit d’abord, en haut, de la création d’Ève, surmontée de l’inscription : IN PRINCIPIO CREAVIT DEUS COELUM ET TERRAM, Genèse 1 (Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre). Il est étonnant que la citation (Genèse 1,1) ne cadre pas avec l’image qui représente la création de la femme (Genèse 2,21-22). Autre surprise : Dieu n’est pas représenté, même de manière christomorphique, mais remplacé par une sphère lumineuse, sur laquelle est inscrit en trois langues (hébreu, grec, latin) le mot Dieu (YHWH, Theos, Deus)26. Ce changement iconographique témoigne de la sensibilité réformée du peintre suisse qui refuse de représenter Dieu de manière anthropomorphe [9]. Il s’agit ensuite, en bas, de la résurrection des morts, avec l’inscription : EXPERGISCIMINI ET LAETAMINI QUI HABITATIS IN PULVERE, Ésaïe 26[,19] (Réveillez-vous et réjouissez-vous, vous qui habitez dans la poussière). La nudité des corps est mise en avant et anatomiquement bien représentée ; la scène est équilibrée : les nus se répondent, tout en s’opposant ; on sent l’influence de la peinture italienne de la première Renaissance (le Jugement dernier de Michel-Ange à la Sixtine ?) [10]

- À gauche de la niche, on trouve deux autres peintures. Il y a d’une part, en haut, le Christ triomphant (et jugeant)27, accompagné de David et de prophètes à gauche, de Paul28 et d’apôtres à droite ; au-dessous, les quatre vivants, et l’agneau29, inspirés d’Apocalypse 4–5, avec les inscriptions : ASCENDISTI IN ALTUM, CEPISTI CAPTIVITATEM, Psaume 68[,19] (Tu es monté sur la hauteur ; tu as emmené des captifs)30 ; le Christ juge tient d’une main un spectre et la palme, de l’autre l’épée et le fouet. On trouve d’autre part, en bas, le jugement du juste et de l’impie, avec au centre une figure de la mort, qui tient une pelle dans sa main droite, accompagnée de l’inscription : VENITE BENEDICTI PATRIS MEI, POSSIDETE REGNUM VOBIS PARATUM. DISCEDITE A ME MALEDICTI IN IGNEM AETERNUM, Matthieu 25[,34] (Venez, les bénis de mon Père, héritez du Royaume qui a été préparé pour vous.

Éloignez-vous de moi, les damnés, dans le feu éternel). Un homme en prière est assisté de trois femmes, allégories de la foi, de l’espérance et de l’amour, tandis qu’à l’opposé

26 Il ne s’agit ni d’un soleil (qui est déjà présent à gauche), ni d’un médaillon, comme l’affirme Victor BEYER,

« L’horloge astronomique », art. cit. [n. 18], p. 408, mais d’un signe iconographique, utilisé par ailleurs par le peintre et connu dans la tradition réformée, qui signifie Dieu.

27 Cette scène peut être lue comme constituant la partie supérieure d’un unique motif, dont la partie inférieure constitue la suite. Le Christ trônant devient alors le Christ juge.

28 Paul, et non Pierre. S’agit-il là d’une marque typiquement protestante ? On peut le penser.

29 Il a des cornes, comme celui de l’apocalypse de Dürer. Avons-nous là l’indice d’une filiation ?

30 Le Christ n’est pas assis sur un char, mais sur un trône (cf. Apocalypse), contrairement à ce qu’affirme Victor BEYER, « L’horloge astronomique », art. cit. [n. 18], p. 408.

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un impie détourne le visage. Une femme (représentant l’Antéchrist ?) lui tend un calice d’une main et tient un serpent la gueule ouverte de l’autre, tandis qu’une figure inquiétante lui prend le bras droit. Cette scène est très élaborée et fait preuve d’une grande maîtrise à la fois des figures dans l’espace, des couleurs et de la représentation des personnages [11].

Au-dessus de la niche, on trouve encore deux peintures. Sont représentées respectivement, à droite, ce que l’on a coutume d’appeler « la vie païenne » et, à gauche,

« la vie chrétienne ». Vu le sens des versets bibliques et des symboles qui accompagnent cette double scène, il serait toutefois plus exact de parler de « la mort de l’impie » et de

« la mort du croyant ». « La mort de l’impie » est figurée par une femme sensuelle aux seins nus, tenant de la main droite un verre de vin et de la main gauche des mauvaises herbes, repoussant du pied un livre fermé. La mort se profile derrière elle, et un serpent s’étire vers elle ; elle est accompagnée de l’inscription : PECCATI STIPENDIUM MORS EST, Rom 6 (Le salaire du péché, c’est la mort). « La mort du croyant » est représentée par une femme dont les seins sont couverts. Elle tient de la main gauche une coupe d’où sort une croix, et lit un livre ouvert (la Bible) ; elle est accompagnée d’une colombe (le Saint-Esprit) se détachant sur un soleil. La suite du verset (Romains 6,23) est écrite : DEI DONUM VITAE AETERNA PER CHRM, Rom 6 (mais le don de Dieu est la vie éternelle en Jésus-Christ).

Galerie du buffet

Sur la galerie du buffet se trouvent trois constructions distinctes : La partie centrale :

- Au premier niveau, l’imposant astrolabe (aujourd’hui planétaire) était pourvu d’un cadran sur lequel le soleil, la lune, les planètes et les étoiles tournent autour de la terre.

On a remis en place l’ancien astrolabe, bien que Dasypodius ait été un fervent partisan de la théorie copernicienne31.

Pour ce qui est du décor peint, il y a, dans les quatre coins, quatre figures allégoriques représentant les saisons, disposées selon le sens des aiguilles d’une montre, avec les inscriptions VER – AETAS – AUTUMN – HIEMS (printemps, été, automne, hiver).

Ce sont quatre figures masculines qui représentent quatre âges de la vie. Le Printemps est un jeune homme blond, environné d’oiseaux et de fleurs. L’Eté est un homme au grand chapeau, moissonnant, accompagné d’épis de blés et de signes de l’orage.

L’Automne est une figure plus âgée, tenant une perche d’où sort de l’eau, accompagné d’un pélican et d’un couple de canards. L’Hiver est un vieillard à barbe blanche assis au coin du feu, un chien assoupi à ses pieds. Certains ont vu dans cette figure peu attirante une allusion au pape Paul III peint en 1543 par Titien. Une figure grimaçante et peu sympathique se profile derrière. Y aurait-il là une discrète polémique anti romaine ? - Au deuxième niveau, le cadran lunaire (aujourd’hui un globe) est représenté au-dessus

de l’astrolabe. Au-dessus du globe, on trouve deux figures, inspirées d’Apocalypse 12 (le combat de la femme et du dragon), représentant, à droite, l’Église (une femme couronnée posant les pieds sur un croissant de lune se détachant sur une mandorle de

31 La raison est sans doute que Herlin avait déjà commencé cette partie et que la municipalité voulait terminer l’ouvrage rapidement. En compensation, on chargea Stimmer d’exécuter dans la tour de gauche un portrait grandeur nature de Copernic (mort en 1543).

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lumière et ouvrant les bras pour offrir un enfant nu, surmontée de l’inscription ECCLESIA CHRISTI EXULTANS) et, à gauche, l’antéchrist (qui revêt la forme d’un dragon à 7 têtes couronnées, qui menace l’enfant nu), surmonté de l’inscription SERPENS ANTIQUUS ANTICHRISTUS. Par rapport aux représentations des saisons, celles-ci sont moins travaillées.

- Le troisième niveau consiste en un balcon à deux étages, faisant saillie en demi-cercle sur la partie inférieure, complètement ouvert (Schwilgué en a recouvert une partie).

Au premier étage défilent quatre figures des quatre âges de la vie : enfance, jeunesse, âge mur, vieillesse (figures récentes, mais inspirées de dessins de Stimmer)32 ; une des figures sort tous les quarts d’heure.

Au deuxième étage, la figure sculptée de la Mort et le Christ33 sonnaient, en alternance, les heures34 (aujourd’hui, ce sont les douze apôtres).

- Le couronnement de l’édifice est taillé en pierre. Il cachait aux visiteurs un carillon à 9 cloches qui faisait entendre toutes les heures un cantique, tandis que le coq de la colonne de gauche battait des ailes et chantait trois fois (allusion au reniement de Pierre)35. On y observait des statues en pierre de trois évangélistes (le quatrième a été ajouté en 1842, et leur position a été modifiée pour faire place, au centre, à une statue du prophète Ésaïe – remplacée au XIXe siècle par celle de Paul) et de musiciennes (une harpiste, une luthiste, une flûtiste, une violoniste)

La colonne de gauche (chambre des poids) sert à la descente de cinq poids. Elle est décorée par trois figures de Stimmer (une par étage) [12] :

- Au premier niveau, on pouvait contempler le portrait en pied de Copernic (qui est passé ensuite du niveau inférieur à celui du milieu)36 ; il est représenté tenant un brin de muguet avec, à son pied botté, un compas, une pyramide, un livre, une sphère, ainsi qu’une tablette avec l’inscription VERA EFFIGIES EX IPSIUS AVTOGRAPHO DEPICTA (image véritable peinte d’après son portrait). On reconnaît là l’influence de Dürer, de ses portraits et autoportraits.

- Au deuxième niveau se trouvait une peinture représentant le géant aux pieds d’argile, d’après le songe de Nabuchodonosor interprété par le prophète Daniel, avec l’inscription DANIEL II CA. Cette figure peinte a été déposée et est maintenant exposée au musée des arts décoratifs du Palais Rohan [13] ; elle a été remplacée par un portrait du XIXe

siècle, assez médiocre, de Schwilgué. Le choix du texte et de la figure biblique est étonnant, car il contredit a priori le manifeste à la gloire de l’astronomie. Daniel, qui révèle la signification du songe du roi Nabuchodonosor, ne dit-il pas en effet : « Le mystère que le roi demande à comprendre, ce ne sont pas les sages, les astrologues, les magiciens et les divins qui sont capables de l’indiquer au roi, mais il y a dans les cieux un Dieu qui révèle les mystères et qui fait connaître au roi Nabuchodonosor ce qui

32 Par exemple, celle de l’enfance (reproduite chez Roger LEHNI, L’horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg, op. cit. [n. 18], p. 8).

33 Il sont tous deux récents selon Ungerer, L’horloge astronomique, op. cit. [n. 3], p. 28.

34 Conception christologique du salut, en cohérence avec la théologie luthérienne, qui fait du Christ ressuscité le maître de l’humanité et du temps.

35 Luc 22,33-34

36 À ce niveau a été rajouté en 1843 un portrait de Schwilgué, le restaurateur de la troisième horloge, de peu de valeur artistique (voir infra).

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arrivera à la suite des temps » (Daniel 2,27-28) ? La réponse du roi assyrien est une confession de foi au Dieu biblique : « En vérité, votre Dieu est le Dieu des dieux et le Seigneur des rois, et il révèle les mystères puisque tu as pu révéler ces mystères » (Daniel 2,47). L’importance de cette figure du géant aux pieds d’argile – et du texte biblique correspondant– donne l’une des clés d’interprétation du programme iconographique et de l’horloge dans son ensemble. On y reviendra.

- Le troisième niveau montre une représentation d’Urania, la déesse de l’astronomie, debout sur une sphère, ailée et drapée à l’antique, tenant le globe et un compas. Sur le côté donnant sur le chœur, on trouve Les trois Parques avec leurs noms : LACHESIS, CLOTHO, ATROPE. Leur style pourrait être inspiré de Hans Baldung.

- Tout en haut se trouvait le coq datant 1354, de 1,17 m de hauteur (il se trouve actuellement au musée Rohan). Il s’agissait d’une sculpture animée dont l’étonnant mécanisme a été soigneusement décrit par Ungerer37. Le fait que le coq fasse penser au reniement de Pierre a-t-il constitué une raison pour que la présence protestante non seulement le garde, mais le mette en valeur ?

L’escalier en colimaçon

Sur le linteau de la porte de la porte d’entrée de l’escalier en colimaçon, qui constitue la première création architecturale du style Renaissance à Strasbourg, on trouve un putto qui s’appuie sur un sablier et tient de la main gauche une tête de mort ainsi qu’une inscription en hébreu, grec et latin tirée d’Ecclésiaste 2 [14].

Remarques sur l’esthétique de cette iconographie :

On a incontestablement affaire à un peintre d’envergure. Il connaît et synthétise, dans ces peintures, diverses influences de la peinture italienne :

- esthétique de la première Renaissance (représentation des corps humains ; maîtrise de la perspective) ;

- influence de Titien et de Véronèse par les motifs et la force expressive des représentations ;

- influence des peintres vénitiens Gentile Bellini et Vittore Carpaccio (présence de la constellation du Navire [NAVIS] sur le globe ; mise en avant d’éléments de la nature, d’une nature parfois inquiétante dans laquelle l’humain n’est qu’un élément parmi d’autres) ;

Il sait parfaitement adapter ses motifs à un espace étroit, parfois contraignant ; enfin, c’est à la fois un grand dessinateur et un fin coloriste.

On a par ailleurs affaire à une peinture qui annonce le maniérisme : couleurs aux contrastes parfois violents avec une prédilection pour le clair-obscur ; climat étrange, inquiétant ; privilège accordé aux courbes ; abondance des personnages et des détails.

Remarques sur la théologie de cette iconographie :

Elle est incontestablement protestante, mais pas exclusivement :

37 Théodore UNGERER, L’horloge astronomique, op. cit. [n. 3], p. 11-1, qui précise que « la tête, la queue, la

langue fendue, les ailes et certaines plumes se mouvaient, à certaines heures du jour ».

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- On note ainsi des archaïsmes iconographiques (présence de la Vierge, le Christ juge).

Cela étant, le thème de la vénération de Marie, qui était présent dans la première horloge avec l’adoration des Mages, a été supprimé38.

- Le choix des versets bibliques (Esaïe 26,19 et Psaume 68,19) atteste une lecture – courante à l’époque – à la fois christologique et eschatologique de l’Ancien Testament.

De fait, ils parlent l’un et l’autre de la victoire sur la mort remportée par le Christ dès lors qu’ils sont compris en fonction de lui. Or c’est précisément la résurrection des morts et le Christ triomphant qui sont figurés. Les deux versets illustrent ces représentations tout en les trouvant déjà annoncées dans l’Ancien Testament39. Dans un cas, le verset retenu ne cadre pas immédiatement avec l’image présentée. Il s’agit de Gn 1,1 qui illustre la représentation de Gn 2,21-23. Toutefois, la tension ainsi créée permet de centrer le propos à la fois sur l’humanité, qui s’avère centrale en Gn 2,21-23, puisque ces versets décrivent la création du premier couple, et sur l’universalité, présente en Gn 1,1 puisqu’il y est question de la création des cieux et de la terre dans leur globalité. Le décalage que l’on observe ainsi peut permettre d’envisager qu’une réflexion théologique a été sous-jacente à la conception des différents panneaux. Cette réflexion semble bien avoir été elle-même d’inspiration luthérienne, dès lors qu’est affirmée la centralité du Christ et que l’Ancien Testament est lu en fonction de lui.

- Le souci de montrer la déchéance de l’humanité, sa situation pécheresse, ou encore de rappeler que, derrière les succès techniques (ou politiques, ou commerciaux ou artistiques) de cette dernière, Dieu reste le maître de l’agir humain (thème du songe de Daniel 2 ; place accordée au coq qui fait penser au reniement de Pierre40) témoigne de l’anthropologie « pessimiste » protestante.

- Un motif, au moins, témoigne de la sensibilité réformée du peintre Tobias Stimmer : le refus de représenter Dieu sous forme humaine dans la scène de la création d’Ève, fût-ce par la médiation du christomorphisme.

- La théologie qui transparaît est encore ouverte à l’eschaton, aux fins dernières. On relève ainsi un intérêt pour le temps, l’histoire, l’épopée humaine, l’avenir (plus que le passé) de l’humanité. Deux temps sont en tension : le temps de Dieu et le temps des humains. S’affiche aussi la conscience que l’histoire humaine a un début et une fin. Le

38 Au-dessus de l’astrolabe, la façade montrait la Vierge Marie avec l’enfant sur ses genoux ; aux différentes heures de la journée, les Rois mages sortaient d’un côté pour venir s’incliner devant la Vierge et l’Enfant (Théodore UNGERER, L’horloge astronomique, op. cit. [n. 3], p. 11).

39 Es 26,29, sans être pour autant cité, peut constituer l’arrière-plan de différents passages néotestamentaire qui parlent de résurerection (Mt 11,5 ; 27,52 ; Lc 7,22 ; Jn 5,28). C’est l’un des versets vétérotestamentaires les plus sollicités, avec Ez 37,12, pour trouver dans l’Ancien Testament une annonce de la résurrection. Quant à Ps 68,19, traduit littéralement, il parle même de la prise de la captivité (et cela par le Christ dans l’interprétation attestée ici), ce qui peut être compris en fonction du fait qu’il l’aurait emmenée avec lui dans les hauteurs – c’est là déjà l’interprétation patristique majoritaire du passage. Cela pourrait d’ailleurs rappeler le fait que, au registre supérieur du pilier des anges, le Christ juge est figuré avec des ressuscités sous ses pieds [NDLR]. On peut ajouter à cela que dèjà, dans le Nouveau Testament, Éphésiens 4,8 cite explicitement Ps 68,19 pour comprendre et commenter ce texte dans une perspective christologique aux versets 9-13, sans s’attarder pour autant sur « il a capturé des prisonniers ».

40 Il y avait peut-être, dans le soin de conserver le coq de la première horloge, une intention antipapiste : Pierre, le successeur du Christ et le premier pape selon l’Église romaine, est aussi le seul disciple qui a renié trois fois le Christ avant le chant du coq.

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temps, l’histoire, l’avenir, le devenir, sont entre les mains de Dieu et du Christ (en fonction notamment de l’usage qui est fait de Ps 68,19), non des humains41.

- Plusieurs éléments allant plus dans le sens d’une philosophie de la sagesse humaine (Ecclésiaste) sont aussi présents : une méditation sur la brièveté de la vie ; le temps qui passe (sablier) ; l’omniprésence de la mort, plusieurs fois représentée42.

- D’autres éléments sont plus inspirés par « l’humanisme » des débuts de la Réforme à Strasbourg. Ainsi, l’importance des figures de l’Antiquité païenne à côté de celles tirées de la Bible, les citations bibliques en latin, les représentations « exactes » d’éléments de la nature.

Cela étant, l’iconographie qui orne l’horloge est, dans l’ensemble, clairement protestante, comme en témoigne le nombre des versets bibliques peints (avec indication du chapitre et du livre biblique) qui accompagnent les scènes représentées. On peut ainsi faire de cet objet technique et artistique une double lecture, à la fois « humaniste » et « confessante ».

À l’appui de cette deuxième lecture, qui semble être parfois cachée sous la première, on peut ajouter un dernier élément, qu’il faut pourtant présenter au conditionnel ; l’actuel conservateur du musée des Arts décoratifs au Palais Rohan n’a pas pu me confirmer avec exactitude cette information, et un seiziémiste de Strasbourg a émis quelques doutes. Selon Victor Beyer, toutefois43, le globe céleste renfermait la preuve d’une lecture plus confessante de l’ouvrage : il constitue extérieurement, de par les constellations astrales peintes sous forme d’allégories par Tobias Stimmer, un manifeste à la gloire de Copernic. Mais il aurait aussi contenu, de manière cachée, un manifeste luthérien qui aurait été ignoré par Dasypodius lui- même. Une restauration de 1953 fut l’occasion d’ouvrir le globe. On découvrit que la paroi intérieure était tapissée de feuillets de cantiques luthériens et que l’intérieur du globe contenait deux manuscrits scellés : l’un sur les principaux événements du monde depuis sa création, l’autre sur les événements concernant la Réforme à Strasbourg. Il est malheureusement impossible de mettre la main sur ces documents ; ils ont disparu44. L’affaire reste à éclaircir.

Quoi qu’il en soit, l’horloge astronomique est un monument complexe et complet. Elle constitue un triple manifeste à la fois scientifique, artistique et spirituel, à la gloire de l’héliocentrisme copernicien, mais aussi (bien que plus discrètement) de la Réforme. Elle est magnifiquement décorée par l’artiste protestant Tobias Stimmer, dont les peintures de personnages et de paysages montrent que le protestantisme n’a pas évacué les arts visuels. Elle a surtout eu le souci de les faire sortir de la liturgie romaine et du service de la messe, pour les réorienter vers des objets décoratifs ou utilitaires de la vie quotidienne. On en a là un parfait et magnifique exemple.

41 « Il y a dans les cieux un Dieu qui révèle les mystères, et qui fera connaître […] ce qui arrivera dans la suite des temps » (Dn 2,28).

42 On remarque sous la clé de voûte, une longue banderole qui porte l’inscription : OPTIMA QUAEQUE DIES MISERIS MORTALIBUS AEVI. PRIMA FUGIT SUBEUNT MORBI TRISTISQUE SENECTUS.

43 Victor BEYER, « L’horloge astronomique », art. cit. [n. 18], p. 410, lequel se réfère à : Victor BEYER, Henri BACH, Ernest MULLER, « Le globe céleste de Dasypodius. Étude historique, hymnologique et horlogère », Bulletin de la Cathédrale de Strasbourg, n° 7, 1960, p. 103-139.

44 Le Conservateur du musée, consulté, pense qu’ils auraient été jetés par une femme de ménage qui pensait avoir à faire à de vieux journaux. Ou alors ces documents étaient-ils eux-mêmes des vieux journaux ?

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