• Aucun résultat trouvé

Les derniers de la cordée des TSA

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Les derniers de la cordée des TSA"

Copied!
3
0
0

Texte intégral

(1)

Journal Identification = IPE Article Identification = 1855 Date: October 24, 2018 Time: 11:36 am

Éditorial

L’Information psychiatrique 2018 ; 94 (8) : 639-41

Les derniers de la cordée des TSA

Jacques Constant

Psychiatre des hôpitaux honoraire Formateur

À l’opposé des autistes médiatiques et géniaux, les hauts niveaux qui fas- cinent notre société. . ., eux, ils se situent à la mauvaise extrémité du spectre. Et ils ne sont pas très attirants ! Ils s’obstinent à résister à nos sollicitations théra- peutiques, éducatives et sociales. Ils n’entrent pas aisément dans nos références nosographiques et échappent en large partie à nos compréhensions psychopa- thologiques. Ils ne sont pas davantage compliants à toutes les bonnes pratiques et recommandations officielles. Enfermés dans leur monde, en proie – ou non – à des angoisses de toute fac¸on indicibles car ils sont le plus souvent privés de langage articulé, ils se frappent, et agressent leurs accompagnants.

Ils sont définis par le DSM 5 en bas de l’échelle des TSA au niveau 3 de sévérité, celui qui«nécessite un soutien très substantiel». Leur sémiolo- gie observable associe des«atteintes affectant sévèrement le fonctionnement de la communication et des interactions sociales», à des «préoccupations, rituels fixés, comportements répétitifs qui nuisent considérablement au fonc- tionnement»et provoquent«une détresse survenant lorsque les routines sont perturbées».

Le DSM 5 ajoute, non sans pragmatisme, qu’il est«difficile de rediriger leurs intérêts».

Ces sujets sont avant tout des êtres étroitement dépendants de l’environnement.

À l’opposé d’une vision qui les enfermerait dans leurs incapacités, nous pou- vons, en psychiatres, les percevoir aussi comme étonnammentcapables de bouleverser cet environnement par leur inertie même.

Quand ils ont réussi à épuiser les équipes des structures médicosociales où ils résident depuis qu’ils sont considérés légalement comme des handicapés (loi Chossy 1996), et qu’ils redeviennent momentanément des malades, chacun sait combien leur admission en urgence provoque la désorganisation des soins dans un service de psychiatrie générale.

En mettant l’accent sur ce saisissant paradoxe de la dépendance extrême entraînant une puissance quasi contestataire du jeu social ordinaire, on peut les considérer comme des sphinx posant des énigmes à l’ensemble du champ social.

Ces derniers de la cordée des TSA existent, c’est évident, mais c’est gênant car cette existence même traduit nos limites thérapeutiques antérieures et conteste toute l’énergie et l’espoir des prises en soins précoces. Ils pourraient être à ce titre une vivante lec¸on d’humilité.

L’évaluation des ressources et des limitations de ces personnes ne se réduit pas aux échelles de cotation quantifiées qu’on nous recommande d’utiliser.

Dans l’état actuel de nos ignorances, la complexité de ces êtres ne peut être approchée que par une démarche clinique d’intérêt global en prenant le temps, surtout, d’écouter en psychiatres les observations des familles où ils vivent et des accompagnants dans les structures qui les hébergent.

Les outils, disait G. Bachelard, ne sont que des«théories matérialisées»et pour remettre en cause les théories, ils se posent un peu là ! Car ces sphinx mutiques ne se contentent pas d’être environnemento-dépendants, ils sont aussi d’abord, surtout, parfois exclusivement, comportementaux. Quelles que soient nos convictions ils ne nous laissent aucun choix. Il faudra les aborder, chercher l’échange avec eux dans le registre hyper concret des conduites obser- vables. Nous serons obligés à l’incontournable interprétation de leurs attitudes avec le risque inhérent de projections. Les inter-prétations risquant de ne pas

doi:10.1684/ipe.2018.1855

Correspondance :J. Constant

<jacques.constant28@wanadoo.fr>

639

Pour citer cet article : Constant J. Les derniers de la cordée des TSA.L’Information psychiatrique2018 ; 94 (8) : 639-41 doi:10.1684/ipe.2018.1855

(2)

Journal Identification = IPE Article Identification = 1855 Date: October 24, 2018 Time: 11:36 am

J. Constant

être si«inter»que c¸a. Bien souvent, ce sont des«prêtations»à partir de ce que nous savons ou imaginons de notre propre fonctionnement psychique.

Et pourtant nous avons besoin de références pour pouvoir travailler avec ces personnes. Nous avons besoin d’hypothèses sur leurs modalités de fonctionne- ment. C’est justement là que se situent l’intérêt et la place de la psychiatrie. Et c’est peut-être là que depuis que légalement ces personnes ne sont plus consi- dérées comme des malades nous risquons de perdre cette place. Les discours médiatiques antipsychiatriques, les mises au pilori et les caricatures des hypo- thèses psychanalytiques semblent avoir découragé notre corps professionnel et finissent par cantonner la psychiatrie (abusivement confondue avec la psy- chanalyse) à une place marginale en dernier recours quand il n’y a plus qu’à gérer les acmés des crises et plus rien à penser.

Pourtant l’histoire de l’amélioration des conditions de vie de ces personnes doit beaucoup, dans un premier temps, aux efforts conceptuels des psychiatres qui se sont efforcés de «démembrer l’arriération profonde »et qui ont cru pouvoir permettre des«reprises développementales», voire des «modifica- tions structurales», grâce à l’éclairage psychodynamique. Avec le temps, cet espoir s’est avéré partiellement utopique, du moins pour les derniers de cor- dée. D’autres éclairages psycho- ou neurodéveloppementaux sont arrivés sur le marché des idées. Mais cette population nous oblige à n’utiliser qu’avec pré- caution et humilité nos références et nous place toujours à la limite de nos connaissances. Ces sujets, certes très difficiles à aborder, à mettre en cohortes à comparer, nous offrent dans la pratique quotidienne des surprises par rapport à nos certitudes, qui mériteraient la relance des recherches cliniques.

Ne pourrait-on rebondir sur ce constat ?

La majorité des chercheurs pense aujourd’hui que le fonctionnement psy- chique de ces personnes passe par leur singulière modalité de traiter les flux d’informations venus du monde extérieur et l’accent est mis sur les troubles de la perception et de la sensorialité. Ce qui, au passage rapproche les études neu- rodéveloppementales des hypothèses sur le vécu des nouveau-nés émises dans une optique néopiagétienne par A. Bullinger1. Les études, cependant, portent sur les autistes capables de répondre aux questions des chercheurs. Et c’est par convention que la pensée dominante postule que les personnes très déficitaires fonctionnent de fac¸on identique à celles qui ont des moyens intellectuels mieux développés. Prouver selon des critères scientifiques la pertinence – ou non – de cette hypothèse pourrait être un défi à relever par la psychiatrie. En nous inter- rogeant sans cesse sur nos représentations à leur endroit, les adultes autistes déficitaires nous offrent la possibilité d’études toujours réactualisées en fonc- tion des connaissances acquises dans d’autres domaines, et en particulier en neurosciences et en philosophie, politique et morale.

Comme des sphinx, ils posent la question«qui suis-je ?»et la société tout entière s’en est emparée.

Le curseur de l’intérêt sociétal s’est déplacé. Autrefois centré, dans la tradi- tion médicale, sur les troubles de la personnalité, il se focalise aujourd’hui sur la place sociale et le statut de droit de ces personnes. Depuis qu’ils ont quitté les pavillons de«défectologie»et qu’ils sont entrés dans la citoyenneté par le biais de la loi de 2005 sur l’accès aux droits, les représentations sociales les concer- nant n’ont cessé d’évoluer. Les psychiatres ne sont plus les seuls à interpréter leurs comportements et à leur bâtir des utopies sur mesure. Tout le monde s’y met, et notamment les nouveaux métiers qui accèdent aux responsabilités dans le monde de la santé mentale.

Ceux d’entre nous qui travaillent dans le médicosocial savent combien de sociologues, philosophes, penseurs de la modernité, politiques et autres acteurs responsables du champ de la santé mentale tiennent des discours nouveaux sur le handicap et ont fait évoluer les représentations sociales. Non sans acrobaties

1Bullinger A.Le développpement sensori moteur de l’enfant et ses avatars. Toulouse : Érès, 2004.

640 L’Information psychiatriquevol. 94, n8, octobre 2018

(3)

Journal Identification = IPE Article Identification = 1855 Date: October 24, 2018 Time: 11:36 am

Les derniers de la cordée des TSA

conceptuelles : ces sujets de droit voient leurs accès au droit commun entière- ment reconnu, mais le sujet«physio-psychologique»étant autiste et déficitaire on parlera de«droit commun accompagné»

Quoi qu’il en soit, les adultes autistes déficitaires profitent de ce vent de l’histoire. La notion de handicap de situation répond fort bien aux besoins de santé de ces sujets environnemento- dépendants. Leur qualité de vie s’est amé- liorée globalement depuis leXXIesiècle. Et le virage inclusif (voir l’éditorial de l’Information psychiatrique2, mai 2018), en demandant à la société de s’adapter à leur singularité, paraît la forme d’utopie qui convient à cette population, à cette nuance près que ces sujets manquent de savoir-vivre au point de ne pas valider les croyances et les bonnes intentions de ceux qui tentent d’améliorer leurs existences.

En 2013 une situation particulière d’une adulte TSA de niveau 3 (origine étiologique syndrome de Prader-Willi), renvoyée de son établissement pour des problèmes de comportement, secouait le monde du handicap et les pou- voirs publics : une décision d’un tribunal administratif enjoignant à l’État de trouver une solution sous peine d’une astreinte de 200 euros par jour, les gouvernants s’en sont mêlés. Cette affaire a engendré une réflexion nationale sur les nécessités de la communication entre les différentes offres de soin et d’accompagnement, sur les parcours de vie, la fluidité des parcours de soins, la nécessaire articulation inter-institutionnelle. (Rapport Piveteau,«Zéro sans solution»3, 2014) Derrière cette preuve éclatante du pouvoir des plus démunis (aidés de la puissance de lobbying des associations) se pose la question de l’articulation de la place et du rôle de la psychiatrie dans le paysage.

Sans attendre que des technocrates la définissent, les adultes autistes défici- taires continuent à narguer nos organisations et là encore des paradoxes sont à noter. Dans la représentation actuelle on s’accorde à trouver que leur per- sonnalité est impuissante (ou entravée) pour auto-organiser leur identité. Cela nous oblige en conséquence à structurer autour d’eux l’environnement et à cher- cher une cohésion institutionnelle bien contraire à la conflictualité ordinaire du monde du travail. Ils sont dyscommuniquants et muets, ce qui conduit à inven- ter des canaux de communication alternative au langage articulé... Leur repli sur eux-mêmes entraîne la nécessité opposée : l’articulation entre les institu- tions dont ils dépendent (y compris bien sûr leurs familles). L’énergie que leur inaction peut faire dépenser à leur entourage est tellement considérable que beaucoup préfèrent oublier tout simplement leur existence !

Cette position, à la fois idéaliste dans une société inclusive et implicite- ment négationniste vis-à-vis des personnes de niveau 3 du DSM 5, semble celle choisie par la Haute autorité de santé. Dans leurs recommandations de décembre 2017 portant sur«les interventions et parcours de vie de l’adulte» l’éclairage n’est porté que sur les autistes présentables et leurs droits de citoyens ainsi que les devoirs des professionnels envers eux pour favoriser leur inclusion dans la cité idéale. Mais les derniers de la cordée des TSA ne sont mentionnés qu’en postulant implicitement que«la prévention des comportements à pro- blèmes », au demeurant fort bien détaillée, aboutira à faire disparaître cette population si peu avenante.

Ce n’est pas la première fois que la psychiatrie devra s’occuper de ceux qui restent sous le tapis de l’idéologie dominante. Démontrer qu’on peut agir, inno- ver avec ces populations nécessitera toujours un investissement professionnel profond et un engagement pour offrir aux plus déficitaires de nos concitoyens une qualité de vie meilleure. N’est-ce pas au fond l’essentiel ?

2 Constant J. Prendre le virage inclusif. . .d’accord mais avec le warning psychiatrique allumé. . . L’Information psychiatrique2018 ; 94 : 327-30. doi:10.1684/ipe.2018.1802.

3 Piveteau D.« Zéro sans solution»: Le devoir collectif de vie sans rupture, pour les per- sonnes en situation de handicap et pour leurs proches. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/

rapport_zero_sans_solution_.pdf (consulté le site le 6 aout 2018).

L’Information psychiatriquevol. 94, n8, octobre 2018 641

Références

Documents relatifs

[r]

C'est ce que nous trouvons dans les souvenirs ,.Enfance&#34; de Vaillant-Couturier (par exemple p. 57 où la description se mêle avec l'action; p.. racontée au présent est en même

Ils sont des centaines de parents à se cacher derrière l’idée du besoin, piétinant ce droit inné à l’enfance, à savoir jouer et s’épanouir sous la haute

[r]

Ensuite, les élèves devaient créer leur sonnerie en débu- tant avec une note à la fois (monodie) et finir avec deux notes en même temps (polyphonie).. Par Jade P., 5 e

Quelle est la probabilité qu’un individu pris au hasard soit non fumeur et en bonne santé2. Un individu du groupe va chez le médecin parce qu’il n’est pas en

 Consigne : Réécris et souligne les conjonctions de coordination dans chaque phrase.. ● Le frère et la sœur sont en colonie

Nous rapportons dans ce travail l’observation d’un patient âgé de 70 ans qui a été hospitalisé au service de chirurgie viscérale I de l’Hôpital Militaire