• Aucun résultat trouvé

The place of the accumulation of objects: From a diagnostic sign to the subjective arrangement of the sense of life

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "The place of the accumulation of objects: From a diagnostic sign to the subjective arrangement of the sense of life"

Copied!
6
0
0

Texte intégral

(1)

L’Information psychiatrique 2019 ; 95 (6) : 419-24

Place de l’accumulation d’objets. Du signe diagnostic à l’aménagement subjectif

du sentiment de vivre

Julio Guillén

1

Julia Martin

2

1Docteur en psychologie,

Laboratoire SHS-CEC, Unité de recherche en psychologie OCeS (organisation, clinique et sujet), Dynamique subjective et clinique psychanalytique,

Université catholique de Lille, Faculté libre des lettres et sciences humaines, 60 bld Vauban, BP 109, 59016 Lille cedex, France EPSM Agglomération lilloise, CMP Franco-Basaglia,

239, rue du Faubourg-de-Roubaix, 59800 Lille, France

2Psychologue clinicienne, enseignante-chercheuse, Faculté de psychologie, Université nationale de La Plata, Argentine

Rubrique dirigée par Martin Reca

Résumé.À travers l’étude d’un cas clinique de notre pratique, nous proposons d’interroger la catégorie diagnostique « thésaurisation pathologique (syllogo- manie) » du DSM 5 tributaire d’un nouveau paradigme basé sur un critère dimensionnel, quantitatif, continu et gradualiste. Nous déplierons l’analyse en contrepoint avec une conceptualisation structurale de la position subjective déve- loppée à partir des descriptions psychiatriques classiques et de la psychanalyse.

Nous étudierons un ensemble d’éléments fondamentaux qui nous permettent, en termes de dynamique structurelle, d’argumenter les positions du clinicien pour soutenir ses interventions.

Mots clés :syndrome de Diogène, psychanalyse, psychopathologie, cas clinique, DSM

Abstract.The place of the accumulation of objects: From a diagnostic sign to the subjective arrangement of the sense of life.Through the study of a clinical case in our practice, we propose to question the diagnostic category “Hoar- ding disorder” in the DSM-5, coming from new paradigm based on dimensional, quantitative, continuous, and gradualist criteria. We will develop our analysis in parallel with a structural conceptualization of the subjective position developed by classical psychiatric descriptions and psychoanalysis. We will study a set of funda- mental elements that allow us to explain the clinician’s position and that support their interventions, in terms of structural dynamics.

Key words :Diogenes syndrome, psychoanalysis, psychopathology, clinical case, DSM

Resumen.Lugar de la acumulación de objetos. Del signo diagnóstico a la acomodación subjetiva del sentimiento de vivir.Mediante el estudio de un caso clínico de nuestra práctica, proponemos interrogar la categoría diagnóstica

“Tesaurización patológica (Silogomanía)” del DSM 5 tributaria de un nuevo para- digma o fundada en un criterio dimensional, cuantitativo, continuo y gradualista.

Desplegaremos el análisis en contrapunto con una conceptualización estructural de la posición subjetiva desarrollada a partir de las descripciones psiquiátricas clási- cas del psicoanálisis. Estudiaremos un conjunto de elementos fundamentales que nos permiten, en términos de dinámica estructural, fundamentar las posiciones que sostienen las intervenciones clinicas.

Palabras claves :síndrome de Diógenes, psicoanálisis, psicopatología, caso clí- nico, DSM

Les déchets viennent peut-être de l’intérieur, mais la caractéristique de l’homme est qu’il ne sait que faire de ses déchets.

La civilisation, c’est le déchet cloaca maxima.

Les déchets sont la seule chose qui témoigne que nous ayons un intérieur.

J. Lacan

Syndrome de Diogène, comportement d’entassement obsessionnel, collectionnisme pathologique, syllogo- manie, ne sont que quelques-uns parmi une variété de noms proposés pour les pathologies caractérisées

par l’accumulation d’objets ou de déchets qui sont souvent associées à un état d’incurie, à un isolement progressif, à une méfiance des autres et à des difficul- tés sociales. Aujourd’hui, dans la nouvelle classification proposée par le DSM-5, ces présentations ont trouvé une place bien précise :«Thésaurisation pathologique (syllogomanie) »dans la version franc¸aise du manuel DSM-51[1].

À travers l’étude d’un cas clinique de notre pratique, nous proposons d’interroger cette nouvelle catégorie, tributaire d’un nouveau paradigme, basé sur la statis- tique et non pas sur la singularité, en contrepoint avec

1 Les références au DSM-5 et au DSM-IV-TR dans le texte corres- pondent aux éditions franc¸aises qui figurent dans la bibliographie.

doi:10.1684/ipe.2019.1972

Correspondance :J. Guillén

<julio.guillen@univ-catholille.fr>

(2)

une conceptualisation structurale de la position subjec- tive développée à partir des descriptions psychiatriques classiques et de la psychanalyse.

Introduction :

le « trouble thésaurisation »

Le trouble thésaurisation, diagnostic présent dans le DSM-5, fait partie de la catégorie « troubles obsessionnel-compulsifs et apparentés » qui inclut, en plus, des troubles comme le trouble de dysmor- phie corporelle (dysmorphophobie). Il est intéressant de noter que ces troubles étaient séparés dans la classification précédente. Le trouble obsessionnel compulsif (TOC) appartenait auparavant à la catégorie

« Troubles anxieux » tandis que le trouble de dys- morphophobie appartenait à la catégorie « Troubles somatoformes». Le trouble thésaurisation n’existait pas dans l’ancienne classification2. Il s’agissait d’un des symptômes possibles du« Trouble de la personnalité obsessionnelle-compulsive».

Signalons ici que depuis longtemps, le terme

«névrose»a disparu des classifications psychiatriques.

Le terme psychose, quant à lui, n’a été retenu que dans sa valeur adjectivale :«Schizophrénie et autres troubles psychotiques » dans le DSM-IV [3] et « Spectre de la schizophrénie et autres troublespsychotiques»pour le DSM-5.

Désormais, on abandonne la structure multiaxiale et catégorique pour promouvoir un critère dimensionnel, c’est-à-dire quantitatif, continu et gradualiste : «. . .les frontières entre de nombreuses “catégories” de troubles sont plus poreuses au cours de la vie que ce que le DSM-IV affirmait, et de nombreux symptômes servant à décrire un trouble peuvent apparaître, à différents niveaux de sévérité, dans de nombreux autres troubles.

Ces résultats signifient que le DSM, comme toute autre classification médicale, doit trouver les moyens d’introduire des approches dimensionnelles pour les troubles mentaux. . .»(DSM-5, p. 3). Or, cette vision en termes de spectre a pour effet la dilution de la spécificité des troubles et, fait simultanément, qu’une grande diver- sité d’entités se trouvent associées sans que les limites entre elles soient claires [4].

Ces nouveaux regroupements laissent dans l’oubli les critères différentiels qui ont permis, par des travaux d’une grande finesse clinique, la construction même du champ de la psychiatrie – il suffit par exemple de citer lesÉtudes Psychiatriquesde H. Ey [5] – mais aussi de la psychanalyse, toujours intéressées par la question du sens et du déchiffrement du symptôme [6].

Alors, comment s’orienter dans la rencontre clinique ? De quelle manière cette nouvelle catégorie, « trouble

2Saïd Chebili discute l’évolution de ce syndrome dans son article«Le syndrome de Diogène : une œuvre d’art manquée ?»[2].

thésaurisation», pourrait nous permettre d’envisager la particularité d’un suivi et l’inscription de la singularité propre à chacun ?

Dans la lecture psychanalytique inaugurée par Freud, la névrose obsessionnelle est certes associée à un ensemble de traits de caractère et à des symptômes, mais elle ne s’y réduit pas, elle répond à un mécanisme unique : le refoulement. La caractérisation en termes de mécanisme apparaît très tôt dans l’œuvre freudienne comme en témoignent les textes«Les psychonévroses de défense»[7] et«Nouvelles remarques sur les psycho- névroses de défense»[8], et aussi dans sa lettre à Fliess du 1/1/1896 [9]. L’un de ses écrits,«La prédisposition à la névrose obsessionnelle », nous permet d’envisager la paire accumuler – jeter d’une manière originale :

« En particulier, la pulsion de savoir donne souvent l’impression de pouvoir se substituer au sadisme dans le mécanisme de la névrose obsessionnelle. Elle n’est au fond qu’un rejeton sublimé, intellectualisé, de la pulsion d’emprise, sa récusation, sous la forme du doute, occupe une large place dans le tableau de la névrose obses- sionnelle»[10]. Concernant la névrose obsessionnelle, Freud fit de grands efforts pour la distinguer d’autres pré- sentations symptomatiques qui lui ressemblaient, tout particulièrement des phobies, comme dans son texte

« Obsessions et Phobies » [11] où il le fera à partir des mécanismes en jeu, ainsi que dans « Inhibition, Symptôme, Angoisse», cette fois-ci concernant le destin de l’angoisse [12].

Jacques Lacan, pour sa part, en se positionnant comme lecteur de Freud et en restant fidèle à la nécessité de tenir compte de l’enveloppe formelle du symptôme [13], introduit la notion de«phénomène élémentaire » commeréponse du sujetpsychotique [14]. À la fin de son enseignement, cette notion sera reprise dans une pers- pective qui permettra de formaliser non seulement les désordres psychiques mais aussi les différents arrange- ments de la structure [15].

Dans ce cadre théorique, la différence s’établit alors entre le symptôme obsessionnel, produit du retour du refoulé, et d’autres phénomènes qui révèlent un méca- nisme de production qui ne répond pas au refoulement3. La notion de forclusion du nom-du-père permettra à Lacan de formaliser leur différence [17]. Elle est arti- culée formellement au fonctionnement signifiant en termes métaphorique et métonymique, à la distinction entre les registres imaginaire, symbolique et réel et à l’introduction de la différence entre l’autre de la relation imaginaire et l’autre comme trésor du signifiant. Ces élé- ments constitueront la base de la discussion que nous proposons du cas clinique que nous présentons à conti- nuation.

3Dans l’article«Réflexions autour d’un cas clinique de syndrome de Diogène et ses liens avec la psychose», Déborah Ducasseet al. proposent une discussion de la dimension diagnostique à partir d’un cas clinique [16].

(3)

Séquence clinique : Pierre, accumulateur ?

Sa réputation précède Pierre à son arrivée à l’hôpital :

«un personnage sympathique»,«le type aux bouts de papiers », «celui qui ferait un sinthomede ses petits papiers ». TOC, syndrome de Diogène, schizophrénie, dépression sont quelques-unes des catégories fuyantes qui essayent de capturer quelque chose de la maladie de Pierre ; une maladie sans remède. Il éveille de grandes attentes chez les soignants. Pierre est dans la cinquan- taine, il a suivi plusieurs traitements avec des psychiatres prestigieux mais sa maladie, classée dans le paradigme médical comme «accumulation compulsive d’objets», reste incurable.

Pierre vit seul depuis presque vingt ans. Ses parents sont morts et il ne voit pas ses frères qui l’ont escro- qué à plusieurs reprises. Il ramasse, selon ses dires,«au cas où. . .après je verrai si c¸a me sert ou pas». Le pro- blème est qu’il n’arrive pas à se débarrasser de ce qu’il a ramassé. Sa maison est devenue une grande déchette- rie, situation qui l’a amené à l’hôpital suite aux plaintes des voisins.

Nous l’avons rec¸u en consultation et, très vite dans les entretiens, nous avons été confrontés avec ce qui se dissimule derrière cette bizarrerie. Pierre nous dit en effet : «Je ne sais pas s’il est souhaitable de vivre pour moi, si la vie est vivable ou pas. J’aimerais tomber malade et mourir.»De la gentille caricature de lui-même connue par les autres, il en reste peu après chaque entre- tien. D’un ton ironique et rempli de désespoir, Pierre rejette toute intervention, il est surtout sceptique par rapport à l’efficacité de la psychanalyse : « Je crois que la psychanalyse fait de magnifiques descriptions mais elle ne résout rien. De mon ignorance, je soutiens que la psychanalyse est une pseudo-science. La plu- part des cas rapportés par les psychanalystes ont été des échecs.»

Avant de venir nous voir, il faisait longtemps que Pierre n’avait pas eu de suivi, parce qu’il était abattu et il n’arrivait pas à sortir du lit. C’est ainsi qu’il nous dira lors d’une rencontre :«Je ne crois pas que j’arriverai à venir vous voir ponctuellement, c’est mieux de ne pas me don- ner de rendez-vous, vous me recevrez quand vous aurez du temps libre, s’il vous en reste.»

À ce moment, nous intervenons en lui proposant dif- férents horaires pour fixer une rencontre qui pourrait permettre d’inscrire l’analyste comme un lieu où il ne serait pas qu’un simplereste. Or, ce lieu différent de celui de l’institution qu’il a fortement investi, n’est pas un lieu commode.

Dans ce temps de désolation, où l’analyste occupe encore une place résiduelle, vient s’inscrire une demande faite à Pierre pour participer à une « pré- sentation de malades »qu’il accepte, enthousiaste, en s’accrochant d’une certaine fac¸on à ces signifiants de

«malade»et«cas rare»qui«ne servent à rien». Le

retour qui lui a été fait suite à cette présentation fut qu’il était en effet un«cas rare»et qu’il aurait été mieux de canaliser la question des petits papiers, de ne pas la lais- ser glisser mais, au contraire, de trouver une manière de la régulariser. Indigné, il se plaint en nous faisant part de tout ce que, selon lui, on aurait dû faire ou lui deman- der. Ainsi, pour lui, cette présentation n’a pas été utile, elle a seulement servi à préciser son problème et à spé- cifier sa position :«Depuis que je suis ici, je vais de pire en pire. Vous ne pouvez m’aider qu’avec le problème de sommeil, avec des médicaments bien sûr.»

Que peut faire un analyste quand il se retrouve face à quelqu’un qui témoigne crûment de sa douleur d’exister ? Qu’attendre de la cure ? À qui d’espérer quelque chose encore, quand on est devenu un simple dépotoir de sa douleur d’exister ? À contrecœur, un lien commence à s’amorcer petit à petit. Par exemple, quand il nous croise dans le couloir, il nous apostrophe en disant :«Vade retro»,«Je te vois partout». C’était en 2007.

Quelques années auparavant, il avait démarré un suivi avec des professionnels de ce même centre de santé, dans un régime sous contrainte avec une moda- lité ambulatoire, par suite d’une plainte de ses voisins pour insalubrité de sa maison qui était remplie des objets que Pierre ramassait et qu’il n’arrivait pas à jeter. Il ramasse«au cas où»c¸a pourrait servir. Même si, selon lui, il ramasse« tout», il y a, dans les faits, un«pas- tout»qui se dessine, vu que c’est impossible detout ramasser. Néanmoins, il nous dit qu’il le ferait si c’était possible,«même un arbre, si je pouvais le porter». Un autre point intéressant est qu’il a des préférences. Tout n’est pas pareil : il est particulièrement intéressé par les papiers contenant des informations et par les chats qu’il dit«ramasser»et dont il s’occupe.

De plusieurs maisons qu’avait sa famille, la sienne est la seule qui lui reste après un différend avec ses frères et sœurs. C’est son seul bien. Elle est le symbole d’une époque dorée, associée cependant à une grande exi- gence scolaire et à un triste souvenir de ses parents : une mère qui jetait tout ce qu’il voulait garder, et un père silencieux. Au cours de son service militaire, ses troubles de sommeil débutent et il est réformé pour ce problème. Il situe à ce moment la première dépression :

«Je n’aimais pas la vie», mais il ne peut pas expliquer pourquoi. Il est dupé par son père qui le fera hospitaliser pour ce problème en 1984, moment où il situe le début de son mal actuel : une cure de sommeil menée par un médecin. Il dira à son propos :«Un célèbre professeur, je ne sais pas, il ne venait jamais me voir. Il m’a donné un comprimé. Mon père m’a fait hospitaliser, c’est une chose que je n’arrive pas à laisser de côté, j’ai été attaché 15 jours parce qu’ils sont des bâtards. . .quand je me suis rendu compte que je pouvais poursuivre ce médecin en justice pour privation illégale de liberté, il est mort.»

Après cette hospitalisation et en même temps que la mort de son père, apparaît la question des« petits

(4)

papiers ». À partir de ce moment, il ne peut plus marcher normalement, il est tout le temps pris par un besoin inexplicable de posséder des objets. La vie quotidienne s’organise et se désorganise par rapport au ramassage.

Sa passion pour la lecture deviendra un « thermo- mètre»de son rapport à la vie : quand il va mal, il n’arrive pas à se concentrer, il ne peut pas lire. L’accumulation, elle aussi, est une mesure de son mal-être. Quand ce comportement commence à céder, parce qu’il ne sort pas de chez lui après avoir perdu un être cher, ou par l’effet des médicaments par exemple, on voit surgir la

«dépression»et les reproches passés :«La vie est une merde, il faut savoir si elle est vivable pour pouvoir la vivre. Si quelqu’un veut vivre, qu’il le fasse, je ne sais pas si je veux vivre». Quelques années auparavant, sa mère et son frère l’avaient abandonné dans sa maison actuelle sans nourriture et sans argent parce qu’ils ne pouvaient plus le supporter ; c’est à ce moment qu’au comportement des«petits papiers»vient s’ajouter celui de«ramasser de la nourriture pour vivre»et, par cette voie, Pierre commence à nouer des relations avec des gens qu’il connaît dans la rue. Ainsi, face au vide, comme lors de la mort de son père, une nouvelle manifestation symptomatique apparaît comme arrangement possible de la réalité.

Revenons maintenant à ce temps de l’année 2007 où une amorce de relation thérapeutique commence à se dessiner. À cette époque, l’analyste se voit obligé de manœuvrer pour préserver la logique de la cure tout en admettant de travailler avec les autres profession- nels qui interviennent auprès de Pierre dans l’institution, assistant social, psychiatre, chef du service, et aussi à l’extérieur comme le tribunal, la curatelle et les voisins qui incarnent un autre social.

Par exemple, lorsqu’une nouvelle demande d’hospi- talisation est effectuée, notre équipe de santé men- tale s’y oppose, ce qui étonne les autres intervenants sociaux.

Des moments du passé commencent à résonner pour Pierre, où sa mère et son frère lui disaient de se tuer :«Ils me disaient c¸a, et alors je leur répondais : “Non, mainte- nant je ne vais pas me tuer”». En entendant cette phrase, l’analyste souligne explicitement le «non », signifiant particulier qui, comme l’a précisé Lacan en parlant de la dénégation telle qu’elle a été introduite par Freud, fonde la possibilité même d’un positionnement subjectif [18].

Pendant cette période, l’espace de la cure devient un lieu de«décharge émotionnelle»; quelque chose commence de cette fac¸on à se « vider ». Les mathématiques, en termes de valeurs, d’équivalences, commencent à fonc- tionner, ce qui ne sera pas sans effet sur sa position subjective. Il organisera un circuit pour«ses objets»: faire des cadeaux, faire un don, jeter une petite quan- tité par jour. Il dira vouloir jeter«parce que ramasser provoque des problèmes et je veux rester à la maison».

Nous interviendrons alors en disant que, pour ce faire, il

a besoinde quelqu’un d’autre. Il sera ému par l’attitude des gens qui veulent l’aider et commencera à réaliser que non seulement il a réussi à construire une vie autour du «ramassage», mais que de ce fait il discute avec les autres et qu’il est connu pour c¸a. Maintenant, il dira que la psychanalyse lui sert :«J’attendais le comprimé magique, mais je me rends compte que c¸a ne marche pas comme c¸a»,«les dames (il appelle de cette fac¸on les ana- lystes qui avaient fait la présentation de malades) avaient raison, ce que j’ai à faire, c’est de canaliser cette question des papiers». Alors, il décide de payer quelqu’un pour qu’il l’aide à jeter.

Pierre commencera à cette époque à parler de ses parents et à nous raconter de quelle manière il est devenu l’échec de la famille tel qu’ils l’avaient prédit mais, en parallèle, ils commenceront à apparaître dans son discours comme moins « jouisseurs » : « Ils se sont trompés eux aussi». Cela permettra une nouvelle intervention de l’analyste : «Selon eux, vous êtes un échec, mais un échec par rapport à quoi ? Il semble- rait qu’il y ait des idées à ramasser mais aussi d’autres pour jeter.»

Les tribunaux enverront une nouvelle ordonnance de nettoyage, mais cette fois-ci les représentants de la justice comprennent qu’il est important pour Pierre de sélectionner ce qu’il veut garder. Le jour du nettoyage, Pierre est toujours debout, non sans crainte du lende- main. Il s’active, participe et collabore avec les agents de la mairie. Au fur et à mesure que le nettoyage progresse, il verra apparaître des livres et des choses qu’il récupère ; il commence à imaginer la décoration des pièces de la maison. Pour la première fois, il nous surprend avec ses propos amusants, le fait de jeter et la bonne humeur vont ensemble :«Je ne vivais pas, je survivais»,«nouvelle maison, nouvelle vie».

À nouveau, la peur d’être confronté au vide apparaît mais, cette fois, dans le cadre de la relation transfé- rentielle, « vide » est distingué d’« espace », et nous soulignons qu’on ne peut pas vivre dans une maison qui est pleine. Pierre dira :«Je ne pouvais rien utiliser, maintenant, je perds certaines choses mais j’en gagne d’autres». Un rapport différent s’établit sur la base ce type de logique en«contrepoint». C’est alors que Pierre nous dévoilera son secret :«Avec ce que j’avais ramassé je me suis construit un bunker, je m’étais retranché, c’était une armure, un costume. Maintenant je me sens un peu nu.»

L’apparition du signifiant«armure »témoigne d’un moment de création dans le parcours de Pierre. En effet, tout en étant un signifiant de la langue et non pas un néologisme, il fait sens autrement et lui permet, dans un lien discursif, d’expliquer son symptôme d’une autre manière.

Chaussures neuves et portant un nouveau parfum, il dira à la séance suivante :«De toutes fac¸ons, ce n’est pas que je sois maintenant guéri, je jette beaucoup et je n’ai pas envie de ramasser, mais je peux faire une rechute.»

(5)

Discussion

Dans le cas de Pierre, plusieurs comportements semblent indiquer un«trouble thésaurisation ». Or, la question centrale pour le clinicien se pose : en quoi ce diagnostic permettrait-il d’orienter le suivi de Pierre ?

Ce n’est pas le symptôme ou l’ensemble des symp- tômes qui est déterminant, mais le type de solution symptomatique dans le cadre de la dynamique spéci- fiquede la structure subjective, ce qui tolère précisément la plasticité des phénomènes observés, notamment l’alternance entre la dépression et l’accumulation.

L’accumulation est en réalité une mesure de son mal- être : quand ce comportement commence à céder on voit surgir la dépression et les auto-reproches ; l’accumulation lui sert ainsi à occulter ce mal de vivre.

Les différents propos de Pierre nous montrent : –une relation de méfiance de l’autre, marquée tantôt par l’abandon tantôt par l’imposition absolue,

–une relation d’indifférenciation entre le tout et ses parties,

–la perplexité devant la question pour sa vie et pour son propre désir.

Comme il nous l’a dit, il a«la maladie du doute», il n’arrive pas à savoir s’il aura besoin de ce qu’il aurait pu laisser passer. . .et de ce fait, il le ramasse. Cette idée n’est pas dissociée de ce qu’il dit plus tard : «Je ne sais pas s’il convient de vivre, si la vie est vivable ou pas». Voici un point qui permet, selon nous, d’orienter le diagnostic, non tant le ramassage, le doute, l’isolement, mais son expérience du«sentiment de la vie». L’atteinte de la construction de la réalité semble toucher ses fon- dements mêmes, signalant un rapport potentiellement vide à l’autre et au monde représenté dans son histoire par une suite d’abandons, de sa mère, de son frère et du psychiatre qui l’avait rec¸u. Ainsi, le positionnement subjectif en relation au désir ne se pose pas pour Pierre en termes de vacillation et d’évitement comme pour le névrosé. En plus, d’autres éléments fondamentaux de la névrose obsessionnelle ne sont pas présents comme, par exemple, la révolte devant l’auto-reproche.

Sa narration révèle que, pour lui, il a été laissé tomber par les autres, et le discours qu’il adresse à l’institution ainsi qu’à nous-mêmes est marqué par cette déception : la psychanalyse est un échec, il ne pourra pas honorer les rendez-vous, les psychologues et les médecins n’ont pas posé les bonnes questions, il va de pire en pire et la seule chose qui marche, ce sont les médicaments pour le sommeil. Il ne peut pas assurer sa présence – ou il ne veut pas subir la déception de l’absence –«Vous pouvez me donner ce qui vous reste de temps».

Les différents éléments de la dynamique structurelle subjective, toujours à concevoir comme interdépen- dants, nous permettent de situer, nécessairement après-coup, la logique des interventions pour ce cas.

Un premier mouvement a été la réception de sa demande et la proposition d’une adresse transférentielle

autre que l’investissement«global»de l’institution, sous la forme d’un lieu et d’un temps déterminés pour la ren- contre. Cette offre consiste à passer d’un appel anonyme à un fonctionnement de l’autre qui, tout en soutenant la fonction du symbolique, soit en même temps incarné.

Le deuxième mouvement a été la proposition de la présentation de malades qui provoquera une ren- contre avec l’équipe faisant de son cas un objet de questionnement, ce qui permet de localiser un non- savoir et, de cette fac¸on, la distance nécessaire pour inscrire, d’une fac¸on toujours précaire, la barre sur l’autre qu’on verra réapparaître plus tard associée à ses parents quand il nous dira qu’ils se sont trompés. Ce qui nous revient dans ce premier temps, est l’ensemble des sentiments de désolation et de désespoir, une absence de réponse. Néanmoins, nous continuons à nous offrir comme adresse qui peut changer le cri silencieux en message. D’une certaine manière, cette possibilité com- mence à fonctionner, le lien commence à surgir, il nous voit, il nous apostrophe, notre présence commence à avoir une consistance :«vade retro!».

Mais ses liens à autrui sont instables. Il a déjà parlé de la trahison de son père qui l’a fait hospitaliser par une ruse et aussi de l’abandon de la part de sa mère et de son frère, sans oublier les rapports conflictuels avec ses voisins qui se traduisent par des plaintes répétées.

Signalons ici que, selon Lacan, une représentation privilégiée de l’autre c’est la loi. Dès le début de son enseignement, il pointera son importance :«C’est dans le nom-du-père qu’il nous faut reconnaître le support de la fonction symbolique qui, depuis l’orée des temps historiques, identifie sa personne à la figure de la loi.» [19].

Dans notre cas, il y a la loi des tribunaux et aussi celle des normes d’hygiène. Prendre position dans ce système complexe sera une des interventions clés dans ce cas. Il nous aura fallu questionner l’insalubrité comme motif d’intervention en termes de santé : quelles sont les conditions pour pouvoir vivre ? De cette fac¸on, mettre cette question abstraite en rapport avec la questionde Pierre : qu’est-ce qu’une vie vivable ? Nous avons dû également nous opposer à l’hospitalisation souhaitée par la justice et par son curateur, afin de«remettre son lieu de vie en état » et en même temps trouver une manière d’endiguer les plaintes des voisins. Cette figure de l’autre envahissante a pu devenir progressivement un lieu modéré : Pierre est ému par le contact avec les autres qui s’occupent de lui, discutent avec lui et le connaissent comme le«ramasseur», ce qui lui permet de se forger un nom. Ainsi, il décide de payer quelqu’un pour qu’il l’aide à jeter ; la circulation de l’argent crée un circuit de valeurs différent de la dépendance ou la revendication.

Il arrive aussi à accorder un délai pour son départ.

Nous pouvons alors conclure que, dans la dimen- sion signifiante, la paire ramasser-jeter aura permis l’apparition d’un intervalle, d’un «entre deux »; jeter n’est pas simplement se séparer, faire disparaître, ce

(6)

qui, en termes logiques, pourrait s’énoncer comme une disjonction exclusive de type ou je l’ai ou je ne l’ai pas. Il rentre dans une logique de conjonction « et je perds et je gagne » qui est une des caractérisations de l’opération de séparation pour Lacan, séparation en termes d’intersection d’ensembles dans le séminaire

« Les quatre concepts fondamentaux de la psycha- nalyse » [20], et plus tard séparation entre le corps et la jouissance dans le séminaire « La logique du fantasme » (séance du 7/6/67 [21]). De cette manière commence à se tisser sa position subjective, ramasser commence àluiposer un problème en termes de son désir: ramasser l’empêche de rester dans cette maison, ce qu’il veut.

Un certain fonctionnement métaphorique peut être entraperc¸u en lien avec les propos et les interventions de l’analyste : la cure fonctionne comme une«décharge» d’émotions, il dit s’être construit unbunker, une armure, un costume avec ce qu’il a ramassé.

Conclusion

Avec l’analyse que nous venons de proposer, nous avons voulu montrer certains éléments fondamentaux qui nous permettent, en termes de dynamique struc- turelle, d’argumenter les positions du clinicien pour soutenir ses interventions. La classification descriptive d’un tableau symptomatique, dans ce cas de«trouble thésaurisation», ne correspond qu’à l’instant du regard qui reste figé sur la description.

Si les interventions dans ce cas ont pu permettre une certaine stabilisation pour Pierre et aussi des ouver- tures possibles à un lien plus pacifique aux autres, nous ne sommes pas dupes pour autant de la fragilité de la solution. En prenant la métaphore«vestimentaire» littéralement – il viendra nous voir avec des nouvelles chaussures – il nous montre que l’avenir reste, autant pour lui que pour nous, une source d’incertitude.

Enfin, nous voulons souligner l’importance de situer tout « comportement » dans la logique d’une dyna- mique subjective, au-delà de toute réduction en termes de « trouble ». Le cas que nous venons de discuter nous aura permis de mettre en évidence l’importance centrale du symptôme, non pas comme un dysfonction- nement à éliminer, mais comme une possibilité qui, bien

qu’entraînant une souffrance, n’est pas moins une solu- tion pour le sujet.

Lien d’intérêt les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article

Références

1.American Psychiatric AssociationDSM-5. Manuel diagnostique et sta- tistique des troubles mentaux. Paris : Elsevier Masson, 2015.

2.Chebili S. Le syndrome de Diogène : une œuvre d’art manquée ?Inf Psychiatr2018 ; 94 : 365-70.

3.American Psychiatric AssociationDSM-IV-TR. Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson, 2015.

4.Hollander E, Benzaquen S. Is There a Distinct OCD Spectrum?CNS Spectrum1996 ; 1 : 17-26.

5.Ey H. Études Psychiatriques (1950). 2 volumes. Perpignan : Cercle de recherche et d’édition Henri-Ey (Crehey), 2007.

6.Belzeaux P. Place de la psychanalyse dans les Études psychiatriques d’Henri Ey. Inf Psychiatr2007 ; 83 : 55-61.

7.Freud S.«Les psychonévroses de défense». In :Névrose, Psychose et Perversion(1894). Paris : PUF. 1973. pp. 1-14.

8.Freud S.«Nouvelles remarques sur les psychonévroses de défense».

In :Névrose, Psychose et Perversion(1896). Paris : PUF, 1973. pp. 61-81.

9.Freud S.«Lettres à Wilhelm Fliess 1887-1902». In :La Naissance de la Psychanalyse(1987). Paris : PUF, 1956.

10.Freud S.«La disposition à la Névrose obsessionnelle. Une contri- bution au problème du choix de la névrose». In :Névrose, Psychose et Perversion(1913). Paris : PUF, 1973. p. 189-97.

11.Freud S.«Obsessions et phobies». In :Névrose, Psychose et Perver- sion(1895). Paris : PUF, 1973. pp. 1-14.

12.Freud S.«Inhibition, symptôme et angoisse». In :Œuvres complètes (1925). Tome XVII. Paris : PUF, 1992. pp. 201-86.

13.Lacan J.«De nos antécédents». In :Écrits(1964). Paris : Seuil, 1966.

pp. 65-72.

14.Lacan J.Le séminaire Livre III. Les psychoses(1955). Paris : Seuil, 1981.

15.Schejtman F. Ensayos de clinica psicoanalitica nodal. Buenos Aires : Grama, 2013.

16.Ducasse D, Alezrah C, Benayed J, Arbault D, Bardou H, Meniai M, et al. Réflexions autour d’un cas clinique de syndrome de Diogène et ses liens avec la psychose. Inf Psychiatr2011 ; 87 : 733-9.

17.Lacan J.«D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose». In :Écrits(1958). Paris : Seuil, 1966. pp. 531-83.

18.Lacan J.«Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la “Ver- neinung” de Freud». In :Écrits(1954). Paris : Seuil, 1966. pp. 381-99.

19.Lacan J. Fonction et Champ de la parole et du langage en Psychana- lyse. In :Écrits(1953). Paris : Seuil, 1966. pp. 237-322.

20.Lacan J.Le Séminaire Livre XI. Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse(1964). Paris : Seuil : 1992.

21.Lacan J. Séminaire XIV. La Logique du fantasme. Buenos Aires : Inédit, 1966.

Références

Documents relatifs

Nous souscrivons donc aux recommandations européennes les plus récentes concernant le traitement anticoagulant et antiagrégant des patients atteints de fibrillation auriculaire (et

Il faut souligner que c’est dans ce canton que se concentre la majorité (33%) des Équatoriennes et Équatoriens résidant (avec ou sans papiers) en Suisse 1. D’un point de vue

Mais pour tous ceux qui se pressent chaque matin sur des routes encombrées ou dans des trains bondés – ce qui pourrait concerner bientôt une majorité de la population

Ein verwandt- schaftliches Empfinden ergab sich vor allem aus dem gemeinsamen Status einer Republik, aber auch aufgrund der ähnliehen politischen Institutionen und

C’était le moment choisi par l’aïeul, […] pour réaliser le vœu si longtemps caressé d’ accroître son troupeau que les sècheresses, les épizoodies et la rouerie de

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des

l’utilisation d’un remède autre que le médicament, le mélange de miel et citron était le remède le plus utilisé, ce remède était efficace dans 75% des cas, le

Indeed, in both mammals and insects, these perceptual interactions are the basis of configural and elemental processing of mixtures of odorants, which may lead to the perception