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Carl VANWELDE, sur le site Entre café et journal, une pensée, le 17 janvier 2019.

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Texte intégral

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Pour Chantal Deprun,

qui m’a donné la meilleure raison de reprendre et de ter- miner ce roman, imaginé au début de l’année 2018 et en panne depuis longtemps : faire plaisir à une amie lectrice qui, se souvenant des quelques pages que je lui avais don- nées à lire à la fin de l’été 2019, avait tellement envie de savoir ce qu’allaient devenir Gaby et Simon. J’ai donc écrit pour elle, durant le printemps 2020, ce roman-feuil- leton qu’elle a découvert d’un épisode à l’autre, confinée au fin fond du Béarn, tandis que le monde, pour de tout autres raisons, retenait sa respiration…

*

À la mémoire de Marnix Vincent et de Monique Nagiel- kopf, amis chers et traducteurs émérites, et de René Walter, qui partageait avec patience sa passion pour les plantes, les pierres et tous les animaux.

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« Et on s’interroge : où se cache donc la poche de bonheur, si difficile à atteindre parfois quand on a tout, santé, beauté, métier, argent, jeunes enfants… ? Serait-elle comme la bosse du chameau, source accessible en seule zone aride, quand l’eau se raréfie ? »

Carl VANWELDE, sur le site Entre café et journal, une pensée, le 17 janvier 2019.

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1.

Le ciel d’avril hésitait. Depuis que la voiture filait vers le nord, il avait essayé diverses combinaisons de bleu lumineux, d’ardoise, de blanc mousseux, de gris profond, mais sans jamais se décider. La route s’était faite plus petite, sinueuse, bordée d’arbres cachant des forêts et rétrécissant la part du ciel. Puis ce furent des prairies et c’est alors qu’en quelques secondes, le ciel ne fut plus qu’une immense masse nuageuse attirée vers la terre pour y poser son ventre lourd. Le vent se leva avec violence et une tempête de grêle s’abattit rageusement.

Assourdie par le crépitement des grêlons qui semblaient vouloir fracasser les vitres et pulvériser la carrosserie, elle ralentit, effrayée, puis, prudemment, s’arrêta sur le bas-côté. Elle sentit que son cœur, en accord avec le tintamarre du déluge, cognait avec force dans sa poitrine. Il lui fallait de l’air. Elle entrouvrit la fenêtre et la pluie s’engouffra aussitôt, mais avec elle l’oxygène, la fraîcheur. Elle ferma les yeux. Ça allait passer. Juste un orage. Au bon endroit, somme toute ; quelques centaines de mètres plus loin, la forêt reprenait ses droits, et rien n’aurait empêché un arbre chancelant de la choisir pour cible. Ces choses-là arrivent. Tout arrive. Tout.

Peu à peu, le chahut s’estompa. Les grêlons firent place à des gouttes de pluie plus pacifiques. Et le vent se mit à pousser le vieux nuage lourd, le refoulant dans un autre coin du ciel. Temps de

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reprendre la route. Le GPS promettait qu’elle serait à destination douze minutes plus tard. Les ornières transformées en mares en décidèrent autrement, elle dut rouler avec précaution mais quitta enfin la forêt pour traverser un village, atteindre un hameau, avancer encore un peu. C’était là. La maison.

Un mur de pierre, couvert de lierre, laissait deviner des arbres de haute taille. Il était percé en son centre d’une ouverture où se déglinguait un double portail en fer forgé aux battants sévèrement déboités. Une allée conduisait à la demeure mais elle préféra se garer le long du mur. Quittant la Mercedes, la première chose qu’elle vit fut le ciel : il venait de virer au bleu dans un cadre de minces nuages blancs effilochés. Entrant dans la propriété, elle agrippa un des barreaux du portail ; si, il bougeait, mais sans doute personne n’avait-il éprouvé depuis longtemps le besoin de fermer les grilles. Sur le mur, deux escargots produisaient une molle et fascinante chorégraphie. Ses yeux se brouillèrent, elle les frotta un peu trop fort, sentit venir des larmes. Fatigue.

Après trois pas, le chuintement d’une de ses chaussures s’en- fonçant dans l’eau boueuse d’une flaque la fit s’arrêter net. Elle jura à voix basse. Et reprit son chemin, personne ne l’attendait, et quelle importance cela pouvait-il encore avoir, un escarpin… Dans les buissons et les arbres, l’eau de l’averse s’égouttait et l’on aurait dit des centaines de robinets en train de fuir. La pluie qu’elle avait connue en Sicile, c’était une bénédiction, un moment de rare extase, elle s’en souvenait bien, les parfums de la terre étaient enivrants, alors qu’ici, les averses faisaient partie du décor. Rien d’exceptionnel. Pourtant, l’odeur de la terre mouillée lui procura un bref sentiment de bien-être.

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L’allée couverte de gravier menait vers un petit rond-point au centre duquel trônait une vasque en pierre bleue où se mêlaient fleurs de toutes sortes et mauvaises herbes bien placées pour emporter la partie. Elle s’arrêta, leva enfin les yeux pour la regarder, la maison.

C’était une bâtisse massive en briques d’un rouge passé que recouvrait presque entièrement une abondante vigne vierge. De quand datait-elle ? D’avant la Première Guerre mondiale, sans aucun doute. Au centre, précédée de quelques marches, une porte très haute, surmontée d’une imposte. De chaque côté, deux très larges fenêtres pourvues de volets en bois. Ils étaient ouverts. L’un d’eux avait perdu le sens de la verticale. À l’étage, les mêmes fenêtres, plus une au-dessus de la porte, et les mêmes volets en manque de peinture. Près de l’entrée, une trace rectangulaire, celle, certainement, de la plaque en cuivre du médecin qui avait exercé ici son art. Guillaume. Elle connaissait le prénom mais le nom de famille ne lui revenait pas.

Adossée à la maison, du côté gauche, une annexe devait servir de garage. De l’autre côté, à une trentaine de mètres de la demeure, collée de tout son long au mur d’enceinte de la propriété, une grange en pierre d’un âge respectable disparaissait dans la végé- tation.

Elle se mordit soudain les lèvres. Venir de si loin sans avoir pensé à demander le nom et le téléphone du notaire. Elle ne pensait plus à grand-chose, ces temps-ci, c’est vrai, et c’était mieux ainsi. Mais comment allait-elle entrer sans clé ? Elle s’approcha et actionna la poignée sans conviction. En silence, la porte s’ouvrit.

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2.

Dans le hall, au-dessus d’un canapé désuet recouvert d’un velours bois de rose, une plaque indiquait que l’on était dans la salle d’attente. De part et d’autre du canapé, la porte du cabinet de consultation et celle des toilettes. Deux autres portes, muettes celles-là, et une volée d’escaliers en bois sombre luisant d’usure. La lumière du jour révélait qu’une fine couche de poussière régnait en maître dans la pièce mais celle-ci était néanmoins d’une étonnante propreté pour une demeure inhabitée.

Elle eut envie de s’asseoir. Non, de se rouler en boule sur le canapé. De rester là en attendant… quoi ? Sur la commode – un de ces meubles anciens mais sans style qui avaient encombré les salles de vente avant de finir par disparaître, en bois d’allumette ? –, une haute plante à longues tiges arborait des feuilles rigides d’un vert soutenu et brillant. On dirait une vraie, songea-t-elle en y portant la main. Elle la toucha à nouveau et fronça les sourcils : c’était une vraie plante ! En d’autres circonstances, elle aurait cherché à comprendre. Elle se contenta de penser qu’il ne manquait que le tic-tac d’une horloge de parquet à pendule, et fit deux pas vers la porte du fond du hall. Elle l’ouvrit. Et s’immobilisa aussitôt.

Était-ce une serre ? L’annexe d’un jardin zoologique ? Tout était vert et touffu. Et il y avait quelqu’un ! Là. Dans cette très étrange

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cuisine. Lui tournant le dos, assis à la table. Quelqu’un qui était en train d’éplucher des légumes. Sans voix, elle gardait la main sur la poignée. Soudain, l’homme se retourna. La cinquantaine, les cheveux mi-longs coiffés en tempête, le visage osseux et mal rasé, vêtu d’un jeans fort usé et d’un pull bleu qui ne l’était pas moins.

Un moment, tout se figea. Leurs regards se croisèrent et aucun des deux ne prononça le moindre mot. Puis l’homme ferma l’œil droit, pencha la tête. Elle toussa nerveusement.

— Je suis désolé, dit l’homme, le docteur ne reçoit plus de patients depuis… cinq ans. Depuis son décès, pour être précis.

Vous l’ignoriez, j’imagine.

Il lui sourit. Et ce sourire modifia instantanément sa physio- nomie. Dans la foulée, il ouvrit les deux yeux, ils étaient clairs, lumineux, et faisaient tranquillement le tour de cette femme vêtue avec élégance qui avait des airs de Cate Blanchett, grande et un peu gauche, les pommettes marquées, de grands yeux en amande, des cheveux blonds et lisses touchant ses épaules.

— Je m’appelle Gabrielle, je suis la… la propriétaire de cette maison, je suis de passage, je venais pour…

— Gabrielle ! fit-il.

Il se leva, lui tendit la main en ajoutant :

— Simon. Je suis ravi de rencontrer enfin la petite Gaby.

Surprise, elle mit un moment avant de serrer la main qu’il lui offrait.

— Gaby… Ça fait des siècles qu’on ne m’a plus appelée ainsi.

Ma grand-mère, pour tout vous dire.

— Dommage. Je trouve que ça vous va très bien. Et ça vous ira aussi très bien si vous prenez la peine de vous asseoir. Un thé, un café ?

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Elle fit oui, sans préciser, et tandis qu’il faisait chauffer de l’eau, elle regarda tout autour d’elle. C’était une vaste cuisine dont la porte vitrée et les deux fenêtres donnaient sur un jardin où foison- naient arbres et massifs, buissons, parterres, et qu’aucun jardinier n’avait dû arpenter depuis un certain temps. Mais à l’intérieur, la jungle qui lui avait sauté aux yeux était plus inattendue et plus impressionnante encore : partout des plantes grimpaient, plon- geaient, s’étalaient, rampaient pour grimper à nouveau. Et dans ce monde végétal trônaient trois grands aquariums. Dans chacun d’eux, la jungle à nouveau : des plantes de toutes les formes, des branches, des cailloux, des grottes, et, nageant dans ces petits mondes, toutes sortes de poissons, les uns quasi immobiles, d’autres dérivant avec calme et lenteur, quelques-uns enfin qui paradaient vivement.

Gaby n’en revenait pas, ne savait où poser les yeux. Du haut d’un vaisselier, une plante aux feuilles zébrées de vert et d’argent et au revers d’un magenta profond envoyait vers le sol une dizaine de tiges lourdes de feuillage. Elle s’en approcha.

— La misère se porte bien, n’est-ce pas ?

— La misère… ? fit Gaby.

— C’est son nom courant, la misère. Il va falloir s’en occuper, dit Simon, en couper la moitié pour la faire pousser ailleurs, rien ne se bouture aussi facilement que cette plante. En anglais, on l’appelle the wandering Jew, le Juif errant. Son nom officiel, c’est Tradescantia zebrina. D’après John Tradescant, un jardinier et botaniste anglais du XVIIe siècle.

— Elle est superbe, dit Gaby en tendant la main pour la toucher.

— Non, faites attention. Une personne sur deux, moi par exemple, fait une petite réaction à cette plante, des gratouillis qui

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peuvent durer quelques heures.

— Nous sommes deux ; si vous, ça vous fait quelque chose, alors moi, statistiquement, ça ne me fera rien, dit Gaby en effleurant et en soulevant les feuilles.

— Vous me direz. En attendant, je vous en prie, asseyez-vous.

Simon posa devant elle un bol fumant où flottait un sachet de thé et une petite tasse de café, avant de prendre pour lui un autre bol de thé, ébréché celui-là.

— Mon Dieu ! dit-elle soudain en s’écartant un peu. Un serpent !

Dans l’aquarium le plus proche d’elle, une mince créature aquatique déroulait la trentaine de centimètres de son corps filiforme. Elle s’immobilisa, tourna la tête vers Gaby.

— Non, rassurez-vous, c’est un poisson. Regardez, il a de petites nageoires pectorales.

— C’est vrai, on dirait de petites oreilles.

— Ou de petites pattes de devant, plus précisément. On l’appelle le poisson-roseau ou le poisson-serpent. C’est un Erpetoichthys calabaricus. Joli nom, n’est-ce pas ? Vous avez de la chance de l’apercevoir, il est plutôt nocturne, en principe. Cela dit, comme il vit depuis pas mal de temps avec des poissons diurnes, il a changé ses habitudes.

— Il est superbe ! dit Gaby, émerveillée. On dirait un bijou, un collier en vieil or. Ses écailles ont une forme magnifique, on dirait de petits diamants. Oh, il est parti…

— Il reviendra.

Gaby observa un moment les autres occupants de l’aquarium.

Ils avaient de gros yeux ronds et restaient sur le fond sans bouger.

— Qu’est-ce qu’ils font ?

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— Rien, ils vous regardent. Ce sont de petits poissons-chats amazoniens. Des Corydoras. Regardez celui qui se prépare à se glisser dans la bande.

— Il est vert émeraude !

— En effet. C’est un des anciens de la tribu, il doit avoir plus de douze ans.

— Oh… ! fit-elle, songeant qu’elle ignorait tout de la longévité des poissons.

— Cela dit, ce n’est rien à côté du doyen de la maison. Mais lui, c’est un phénomène. Il vit dans la salle à manger et il faut de la chance pour le voir, il est plutôt timide. C’est un magnifique Platy- doras armatulus, un poisson-chat lui aussi mais beaucoup plus volumineux, une sorte de tank paisible. Figurez-vous qu’il a trente ans, c’est le premier poisson arrivé ici, un cadeau de Kathryn à Guillaume.

Tant d’années… Gaby aurait voulu dire quelque chose mais les mots ne venaient pas et elle garda le silence.

— Ce bruit… ? finit-elle par dire.

— Ça, c’est l’eau rejetée par les filtres. Je m’arrange pour que le tuyau soit un peu au-dessus de la surface, j’aime bien cette musique. Et ça augmente le taux d’oxygène.

— On dirait une petite cascade…

— En effet. Et il y en a beaucoup dans cette maison.

Gaby reporta son regard sur les deux tasses qui l’attendaient, ne sachant laquelle prendre.

— Embarras du choix, fit remarquer Simon. Mais comme vous n’aviez pas précisé ce que vous désiriez…

Elle sourit, but une gorgée de thé.

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— Vous aviez l’air surprise, c’est le moins qu’on puisse dire, quand vous m’avez vu.

— Je vous avoue que je le suis encore. J’ignorais que la maison était louée, que j’allais y trouver quelqu’un…

— Elle n’est pas louée. Je vis ici. J’étais déjà ici quand Kathryn vivait encore.

Gaby le regardait avec le visage figé de quelqu’un qui ne comprend plus rien. Simon plissa les yeux, se passa la main sur la joue, lentement, comme s’il hésitait à aller se raser.

— Je me trompe ou vous n’avez pas lu les documents du notaire ?

Elle fit non d’un mouvement de la tête.

— La personne qui est venue à la lecture du testament était une femme assez jeune, mandatée par un cabinet d’avocat. Elle ne vous a rien dit ?

— J’étais en Italie à ce moment-là. Et puis après… Non, je n’ai jamais lu le moindre document, c’est l’avocat de mon mari qui m’a rappelé récemment que j’étais propriétaire de ce bien, et lui-même avait visiblement négligé le rapport détaillé de cet héritage.

— Je vois... Eh bien, sachez que le détail, c’est moi. Je bénéficie de l’usufruit de la maison, vous en êtes la nue-propriétaire.

Gaby ouvrit la bouche, pas un son n’en sortit.

— Ça veut dire que… que la maison m’appartient mais pas vraiment, c’est ça ? finit-elle par articuler.

— Non, elle vous appartient sans le moindre doute, de la cave au grenier, avec le terrain qui est autour, d’ici jusqu’à la rivière.

Mais j’ai le droit d’y vivre jusqu’à… Tant que je serai vivant, disons. Je l’entretiens, c’est mon obligation, et le propriétaire, vous en l’occurrence, est censé prendre en charge les grosses réparations.

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En dépit de son maquillage, Gaby avait pâli. Même ses doigts avaient blanchi. Simon se leva, prit la bouilloire électrique et versa un peu d’eau chaude dans son bol. Elle but lentement. Sa main tremblait et la bague en or en forme de coquille qui ornait son annulaire accrocha un rayon de soleil.

— Et si je voulais… si je songeais à… la vendre ?

— Rien ne vous en empêcherait. Mais si j’en crois le notaire, c’est invendable, une maison avec quelqu’un dedans. Sauf si vous trouviez quelqu’un qui aurait justement envie d’avoir sous la main un type comme moi, emballé dans de vieux murs…

Le sourire de Simon ne trouva aucun écho.

— De toute façon, ajouta-t-il, on est au bout de nulle part.

Région purement rurale, très peu d’habitants, aucune autoroute dans les parages, pas le moindre centre d’intérêt, et pas de grande ville à moins d’une heure. Un bien ici, qui voudrait en donner plus qu’une bouchée de pain ? La maison est vieille mais sans valeur architecturale, et sa rénovation coûterait un pont.

— Un pont ? fit Gaby.

— Un bras, si vous préférez. Vous êtes française, n’est-ce pas ? En Belgique, on est plus pont que bras.

— Non, je suis belge, mais je vis en France depuis… Depuis…

Elle se tut un instant. Se mordilla les lèvres.

— Trente ans. Un bail… Eh bien, dit-elle en se levant brus- quement, grâce à vous j’ai appris beaucoup de choses. Sur les mystères des héritages, sur l’immobilier dans la région et… sur les poissons.

— Vous partez déjà ? Vous n’en avez vu que quelques-uns ! Et rien de la maison. Vous ne la connaissez pas, n’est-ce pas ?

Debout devant la porte, elle reconnut que non puis bredouilla quelques explications, déjà 17 heures, la fatigue, remonter sur Paris où on l’attendait... Ils traversèrent le hall. Le plancher avait

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supporté bien des pas en un siècle et il en portait les mille traces mêlées. Un peu de cire…, se dit Gaby tandis que Simon lui ouvrait la porte. Le parfum d’après la pluie leur vint aussitôt.

— Vous étiez très proche de Guillaume et Kathryn, j’imagine, dit Gaby.

— De Kathryn seulement.

— … ?

— Après le décès de son mari. Une longue histoire. Ou pas si longue que ça. Cela dépend de l’endroit où on commence… Une histoire, c’est toujours une portion d’histoire, un fragment.

Gaby jeta un œil à son poignet en poussant un léger soupir.

— Peu de gens portent encore une montre. La vôtre est très belle, dit Simon.

— Merci. Il faut vraiment que j’y aille.

— Pardonnez-moi, je suis bavard. Quand il y a quelqu’un…

— La prochaine fois, vous me parlerez de Kathryn.

Elle lui tendit la main, il la serra. Elle était froide. Douce et si froide.

— Vous auriez pu vous garer devant la maison, lança-t-il tandis qu’elle avançait déjà dans l’allée.

Elle ne répondit rien, pressa le pas. Simon s’assit sur une marche. Gabrielle…, de passage et vite passée, une apparition.

D’habitude les fantômes s’attachent au décor, celui-ci filait sans un regard.

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3.

Alors qu’il allait rentrer dans la maison, Simon se retourna. Gaby, là-bas, debout près de la grille, s’était arrêtée et ne bougeait plus. Il eut le sentiment qu’elle allait tomber. Il la rejoignit à grands pas.

Arrivé près d’elle, il eut le temps de lui demander si ça allait et d’entendre un vague non, puis ses yeux clignèrent et elle s’affaissa mollement contre le portail. Simon réussit à ralentir sa chute mais elle se retrouva assise par terre. Il s’accroupit, lui prit la main.

— Qu’est-ce qui vous arrive ? Comment vous sentez-vous ? Respirez lentement.

— Un vertige, dit-elle dans un souffle.

— J’ai l’impression que vous avez fait une grosse chute de tension.

— Oui…

Doucement, il l’aida à se relever.

— Pas question que vous preniez le volant maintenant. Vous allez vous reposer un moment. Vous avez mangé ce midi ?

— Mm…

— Ça sonne plus comme un non que comme oui. Donc vous allez manger quelque chose, d’accord ?

Dans le hall, il ouvrit la porte de droite, elle donnait sur le salon.

Gaby se laissa conduire vers un sofa bien assez long pour accueillir une joueuse de basket.

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— La tête à plat, les pieds surélevés, commenta Simon en glissant un coussin sous ses mollets. Je reviens dans une seconde.

— Je suis désolée, tout ce tracas, je ne voulais pas…

Mais Simon était déjà parti. Gaby se sentait floue, cotonneuse.

Tournant la tête, elle vit d’abord, près de la porte, une photo- graphie encadrée. Noir et blanc ou sépia ? Trop loin pour qu’elle soit sûre, mais ce cliché accrocha longuement son regard. Sur une longue commode en bois brut, des aquariums et des plantes encore, dans quel jardin exotique avait-elle atterri ? Elle ferma les yeux. Pas longtemps. Simon lui parlait : « Mangez un peu de feta, c’est salé, et le sel, ça fait remonter la tension. » Alors elle mangea quelques cubes de fromage.

— Je vous propose ceci : vous terminez la feta, vous buvez un verre d’eau et vous dormez une heure. Pendant ce temps-là, je prépare le dîner, ainsi vous ne partirez pas le ventre vide.

— Hospitalité campagnarde…, murmura-t-elle. C’est gentil, je me sens affreusement gênée.

— Pas autant que moi si je vous laissais partir. Dormez un peu, vous en avez visiblement besoin. Si le sommeil ne vient pas, laissez- vous prendre par le bruit de l’eau.

*

Moins d’une heure plus tard, elle se réveilla brutalement.

Quelqu’un pressait son épaule, elle avait chaud, elle avait froid, l’air semblait ne plus vouloir entrer dans ses poumons.

— Qu’est-ce que je pourrais faire pour vous aider ? demanda Simon.

— Ça ne va pas, bredouilla-t-elle faiblement. Plus rien ne va. Je

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n’en peux plus. Je n’en peux plus…

— Voulez-vous que j’appelle un médecin ? Elle fit non de la tête.

— Vous avez l’air épuisée…

Elle fit oui cette fois.

— Vous avez faim ? demanda Simon.

— Non, je ne pourrais pas dîner. La feta m’a suffi.

— Je sais ce que vous allez faire : dormir, simplement dormir.

Une bonne nuit dans un bon lit. Laissez-moi quelques minutes, je prépare une chambre.

— Je…

— Ne dites rien.

Dans une armoire, il prit un plaid et la couvrit avant de quitter la pièce.

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