• Aucun résultat trouvé

TROUBADOURS ET TROUVÈRES

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "TROUBADOURS ET TROUVÈRES"

Copied!
29
0
0

Texte intégral

(1)
(2)

TROUBADOURS ET TROUVÈRES

(3)

Collection Melior

LA POÉSIE FRANÇAISE

(4)

TROUBADOURS

ET

TROUVÈRES

AVANT-PROPOS par JACQUES AUDIBERTI et

LA MUSIQUE MEDIEVALE par WILLIAM RIME

ÉDITIONS SEGHERS

(5)

Dans la même collection MELIOR « LA POESIE FRANÇAISE » ont paru : PANORAMA CRITIQUE DE RIMBAUD AU SURREA- LISME par Georges-Emmanuel Clancier, PANORAMA CRITIQUE DES NOUVEAUX POETES FRANÇAIS par Jean Rousselot.

Paraîtront successivement : ANTHOLOGIE DE LA POESIE VIVANTE DU PASSE par Paul Eluard, DE CHENIER A BAUDE- LAIRE par Georges-Emmanuel Clancier.

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction réservés pour tous pays

© 1960 PIERRE SEGHERS, ÉDITEUR, PARIS Printed in France

Imprimé en France

(6)

A ma fille.

(7)
(8)

AVANT-PROPOS

LE POUVOIR DE « TROUVER »

'OC veut dire quoi ?

Certains présument qu'il s'agit de la forme appro- bative gasconne, issue du latin hoc, tandis que Dante lui-même y voit trois initiales D.O.C., dans une abrévia- tion mal élucidée.

Elle se divise en quatre secteurs principaux : le pro- vençal, le languedocien, le gascon et, contesté, le catalan.

On la parle encore, de moins en moins. Çà et là, cepen- dant, comme, par exemple, dans ma ville natale, Antibes, elle donne l'impression de se ranimer d'elle-même. Des jeunes, sur le port d'Antibes, discutent et crient dans la vieille langue. Ils apprécient ce qu'elle leur offre de plus dur, de plus « primitif » que le français.

L'aire de la langue d'Oc, au Nord, confine (Puy-de- Dôme, Haute-Loire, Drôme) soit avec le français parlé à titre terrien, soit avec les jargons « franco-provençaux » (dauphinois, forézien, savoyard) par des analogies imbri- quées, lesquelles, contrairement à l'avis de Gaston Paris, semblent bien, malgré tout, respecter une frontière précise et déterminée. Dans le département de la Dordogne, par exemple, de maigres pins et des champs séparent Ménes- trol-Montagnac, où ils disent l'aïgo, comme Mistral, de la Roche-Chalais, où, comme les paysans de Molière, ils disent l'ieau.

(9)

Au sud, de par le catalan, si celui-ci lui appartient vrai- ment, la langue d'Oc touche Valence et l'Aragon. Vers l'Italie, elle s'embrouille de piémontais dans la région de Sospel.

Tende est ambiguë. Mais Nice est nettement de langue d'Oc.

En somme, de Nice à la Gironde et de Saint-Vincent- d'Aoste à Bourg-Madame, l'enclave basque restant à part, chemine une langue qui, d'un clocher à l'autre, se modifie mais se comprend. N'ayant jamais atteint, dans les temps modernes, sauf à Barcelone, c'est-à-dire sous ses espèces hispanico-catalanes, à la condition politique et « cultu- relle », elle doit avant tout au génie de Frédéric Mistral et au mérite de ses disciples un sursaut de renommée ainsi qu'une ébauche d'orthographe admissible et reconnue.

Rappelons que la langue de Mistral est celle de la Provence arlésienne et rhodanienne, une des parties entre toutes du vaste domaine d'Oc, mais relativement centrale et confluente, si bien qu'on peut aller jusqu'à voir là une sorte de prédestination symbolique.

De Frédéric Mistral, et de ceux qui, avec une merveil- leuse et funèbre obstination, versifient, aujourd'hui, dans son esprit, l'œuvre réalise cet amer tour de force de tirer son hermétisme de sa vulgarité fondamentale. Elle n'est pas publique par cela même qu'elle dépend du peuple.

Elle se sert de mots ni tout à fait défunts ni tout à fait vivants, mais qui semblent pencher d'autant plus vers la mort que leur est attribuée, par la poésie, une vie censé- ment drue et coutumière, qui, en réalité, les fuit. Les

« pâtres et les gens de fermes » pour lesquels Mistral, dans l'inoubliable ouverture de Miréio, déclare qu'il « chante », ce sont eux, par excellence, qui jamais ne l'écouteront, bien qu'il soit juste de reconnaître que l'étoffe intrinsèque du ton mistralien est d'une qualité vraiment rustique et naturelle. A part quelques lettrés fanatiques, les usagers de la langue d'Oc, si tant est qu'ils se soient jamais inter- rogés sur ce point, la considèrent, non pas comme la rivale, si peu que ce fût, de la langue nationale, mais comme une manière intime, modeste et inférieure de prononcer celle-ci.

(10)

En somme, cette langue du Midi n'a jamais été une langue au sens actuel du mot. Les ethnologues, dans leur tentative pour sonder le passé, supposent que la nature escarpée et repliée des contrées méridionales favorisa la conservation ininterrompue du latin, combiné à une cer- taine survivance de dialectes indigènes, le ligure, l'ibéri- que, plus anciens.

En réalité, on trouverait à grand peine, entre Loire et Méditerranée, des vocables qui ne soient point ceux de Virgile, tout au moins dans leur forme essentielle. L'origi- nalité du parler d'Oc réside surtout dans le ton, le rythme et une sorte de complicité subtile, tantôt malicieuse, tantôt bourrue, avec les sentiments humains, les éléments de la nature et les objets familiers.

Vu l'ampleur de son domaine géographique et l'absence d'un centre déterminé, il se ramifie en autant d'échos de lui-même que le terroir comporte d'accidents.

La langue des troubadours différait-elle de la langue commune ? Lorsque Mistral et les poètes « occitants » écrivent en langue d'Oc, ils s'ingénient, quelle que soit la noblesse du thème abordé, thème le plus souvent mélan- colique et crépusculaire, à n'utiliser que le lexique vul- gaire. A cet égard, il est curieux de constater que la version française moderne de ces textes offre une résonance intel- lectuelle et recherchée qui n'est pas loin d'avoir l'accent d'un plaidoyer en leur faveur.

Or, cette résonance intellectuelle et recherchée était délibérément exploitée par les troubadours à l'intérieur même du parler d'Oc. Les poètes de cour écrivaient d'abord pour une classe privilégiée sans cependant oublier les

caractéristiques locales de leur idiome natal.

Dès le début de la floraison poétique médiévale, deux modes d' expression se font jour dans une rivalité parallèle.

D'une part le trobar clar, c 'est-à-dire le « trouver » clair, facile et accessible dont les champions les plus représen- tatifs sont Bernard de Ventadour et Guiraut de Borneil.

D'autre part, le trobar clus, le « trouver » clos, herméti- que et savant qui tire orgueil de noms illustres au premier rang desquels Arnaud Daniel que Dante cita.

(11)

Trobar clar et trobar clus ont en commun l'amour de la femme. C'est leur objet principal, le fleuve de leur inspiration, l'élan de leur culte. Mais il ne s'agit pas de ce que l'amour comporte de charnel. L'amour que chantent les troubadours s'enveloppe des prestiges d'un idéal pour ainsi dire mystique. La sincérité chaude et vivante n'était pas forcément absente, loin de là, du cœur de ces poètes quand ils exaltaient leur dame mais la règle du jeu exi- geait qu'ils le fissent selon un rite bien établi.

La beauté, la bonté, la vertu constituaient les parures suprêmes de la femme, celle-ci la reine, la déesse, la dis- pensatrice des peines et des joies. Tout un protocole che- valeresque reliait au troubadour l'élue de son cœur, de son esprit, de laquelle il attendait parfois, reconnaissons-le, qu'elle ouvrît pour lui son escarcelle. Il lui devait allé- geance. Il implorait sa « merci », autrement dit sa pitié.

Tout en lui reconnaissant les grâces féminines de la perfec- tion physique, il s'attachait, comme pour se punir de les admirer, de distinguer en elles, l'image de la pureté.

Les synthèses historiques risquent de marier, de pétrir en quelque bloc bien dessiné telles données qui, dans leur propre temps d'actualité, ne furent peut-être qu'esquissées ou mal reconnues.

Un auteur traitant, par exemple, du moyen âge méri- dional aura tendance à ramener à l'idée qu'il s'en fait la multitude insaisissable des événements, incidents, travaux et propos qui s'y produisirent. Rien n'échappera au thème établi, celui d'une contrée où prévaut l'Amour sous deux formules contrastantes et conjuguées, l'une charnelle et voluptueuse, l'autre spiritualisée à l'extrême.

Mais l'œuvre de l'Historien devient elle-même de l'His- toire. Le visionnaire rétrospectif, quand il nous transmet sa vision, la nourrit et la colore de ce qu'il a lui-même d'homogène avec elle. Maurice Magre qui, naguère, écrivit sur Toulouse et sur la croisade albigeoise, des pages sai- gnantes d'affection, de trouble et de mystère, il est certain que son œuvre a rejoint la légende d'un passé dont rien, pour nous, ne le sépare plus.

(12)

Acceptons donc d'imaginer les troubadours comme une troupe concertée accomplissant une mission définie à tra- vers les châteaux, les monastères, les incendies, les festins.

Le petit nombre des « formes fixes » où ils enfermèrent leur poésie, l'approximative unification de leurs dialectes respectifs et leur commune pratique de la rime, ignorée des anciens de Rome, concourent, c'est certain, à nous les proposer solidaires et cohérents.

Acceptons aussi que les troubadours, en entourant la chair de la femme d'une dévotion pécheresse, parfois concrète, parfois idéaliste, dans une atmosphère tantôt de liberté, tantôt de minutie protocolaire, ont entendu chan- ter plus haut que leur romance. Admettons que leurs poèmes, condensés par une prosodie rigoureuse, monotone, numérique, se rapportent plus ou moins à une mystique cachée, selon quoi le consolament — le baiser qu'une Dame donne à son poète — évoquerait ou représenterait le fameux consolamentum, le sacrement hérétique. Raccordons à un souffle unique Guilhem Figueira, qui apostrophe la Rome catholique (lo sains Esperitz... entenda mos precs- é franha tos becs — que le Saint-Esprit entende mes prêches-et brise tes becs !) Jaufre Rudel célèbre pour avoir célébré ses amors de terra lohndana, ses amours de terre lointaine, dont qui pourra jamais savoir s'ils se rapportaient à une femme, à la Vierge ou à la nostalgique illusion humaine ? et tous ceux qui, comme Bernard de Ventadour, aimèrent leur maîtresse, cadencèrent leur désir... Lo tems vai é vire- per jorns, per mes é per ans- é ieu, las ! no'n saï qué dire- qu'un' an volh e n'ai volguda- don anc non aie jauzimen- (le temps va, et vient, et vire- par jours, par mois et par ans- et moi las ! ne sais que dire- sinon que j'en veux une et que je l'ai voulue- dont je n'ai pas encore eu de jouis- sement.)

France Igly aime avec passion la poésie. Elle a résolu de la servir, avec autant de clairvoyance que de modestie, en offrant au public ces poèmes d'antan, traduits par elle et caressés par sa sensibilité féminine. Vous allez lire, retra- cées et revécues par une jeune femme d'aujourd'hui, ces chansons d'amour, d'aube, de toile ou de guerre, qui éma-

(13)

nent, ne l'oubliez pas ! de créatures chaudes et vivantes.

il vous suffira, comme France Igly et à son exemple, de rythmer ces chansons sur votre propre sang pour que rien ne subsiste de ce que les siècles semblent leur avoir conféré d'ankylose et de poussière. Leur brièveté parfois sèche et coupante, n'est pas forcément pénurie mais, bien plutôt, suprême science de choix, volonté de codification voca- bulaire.

Nous devons savoir gré à France Igly de nous transpor- ter dans une époque également véhémente, où, en présence de la divergence entre le romain écrit, c'est-à-dire le latin, et le romain parlé, c 'est-à-dire le roman, les troubadours d'Oc fixèrent et illustrèrent celui-ci.

Sur leur propre sol provençal leur langue n'était appe- lée qu'à un destin rustique et second. D'elle, cependant, se recommandent les lettres italiennes. Elle préside aux débuts de l'espagnol. Et, dans une évolution étroitement jumelle, elle joue un rôle important dans la venue au monde du français.

Les poètes du Nord de la Loire, les trouvères, du moins à leur toute origine, écrivaient dans une langue que d'abord son malaise et son grincement distinguent de celle des troubadours. Autant Bernard de Ventadour, par exemple, est pour moi, scansible, ouvert, de plain pied, autant un vieux texte d'oïl m'assène, comme, d'ailleurs, à quiconque, l'énigme du rapport entre son orthographe et sa pro- nonciation. Il est vraisemblable que l'artificiel et le contraint du langage d'oïl, s'opposant à la générosité plus naturelle et plus spontanée du « roman » du Sud, a donné, par la suite, au français son caractère éminemment abstrait, sans racines visibles, qui a fait de lui un espéranto de la raison et, finalement, l'idiome translucide de la civilité.

Jacques AUDIBERTI.

(14)

NAISSANCE DE LA MUSIQUE PROFANE

C

ÉTAIT une aventure hérissée de tentations multiples que de se plonger dans l'étude d'un tel sujet. Il n'est rien de plus mouvant que l'époque des trou- badours et des trouvères, aussi était-il aisé de faire la part belle aux folles anecdotes dont foisonne la « Petite Histoire ».

France Igly, on s'en rendra compte, s'est dès l'abord, imposée une discipline et il faut lui savoir gré de ne s'être point laissé détourner de son but et de n'avoir glissé dans les méandres de la facilité. Nous nous trou- vons en présence d'une étude des plus sérieuses dont l'illustration fait le plus grand honneur à son auteur.

Le lecteur ne trouvera point ici l'image un peu floue d'une époque où la badinerie était reine mais une succes- sion de poèmes choisis avec autant de goût, de pertinence que de sensibilité, émaillés de réflexions et de commen- taires nés de travaux minutieusement conduits avec un sérieux, une patience auxquels il convient de rendre hom- mage.

Nous nous en sommes rendu compte mieux que qui- conque lorsque, répondant à un désir de l'auteur, nous nous sommes préparés à évoquer l'exquis développement de la mélodie médiévale et avons confronté à son ouvrage les innombrables documents recueillis par les musico- logues.

La rigueur que France Igly s'est imposée rend plus lourde encore la mission qui nous incombe; aussi n'est-ce

(15)

pas sans de prudentes réserves que nous abordons cette introduction consacrée à la plus gracieuse efflorescence musicale du temps des troubadours et des trouvères.

TROUBADOURS ET TROUVERES : NOVATEURS Précisons d'emblée que notre intention n'est point d'entraîner le lecteur à une étude de la technique musi- cale de l'époque. Il nous permettra toutefois d'effleurer certains sujets destinés à situer, dans l'évolution de la mélodie médiévale, la contribution extrêmement impor- tante des troubadours et des trouvères auxquels on doit le véritable essor de la « mélodie mesurée ».

On connaissait au IX siècle, plusieurs formes d'expres- sion musicale et d'innombrables méthodes étaient ensei- gnées par des maîtres que l'on désignait du nom de « para- phonistes ».

Un courant « d'émancipation » musicale se dessinait déjà afin de soustraire l'inspiration des compositeurs, la liberté d'écriture, aux rigueurs des principes de la musique religieuse, du chant grégorien en particulier.

Après quelques tentatives de l'abbé de Cluny (879- 943), de l'abbé Odon, souvent confondu avec le précédent qui portait le même nom, les travaux de Guy d'Arezzo m a r q u e n t u n e évolution sensible sur le plan de la nota- tion musicale. Chose curieuse pourtant, il renonce à cer- tains signes spéciaux en h o n n e u r à cette époque, pour désigner les intervalles instables tels que le quart de ton cher à la mélodie antique. Cette particularité nous four- nira tout à l'heure l'occasion d'ouvrir u n dernier chapitre à quelques « réflexions personnelles ».

C'est à Guy d'Arezzo que l'on doit notamment l'usage de la « portée » ; c'est à lui encore que l'on attribue la désignation des différents degrés de l'échelle sonore par des syllabes empruntées à l'hymne en l'honneur de Saint

(16)

Jean Baptiste, dont précisément chaque demi-vers com- mence sur un degré différent, en montant :

Ut queant laxis Resonare fibris Miragestorum Famulituorum Solve poluti Labii reatum Sancte Joannes

N'oublions pas toutefois qu'à l'époque, la rareté des manuscrits ordonnait que l'on apprît les mélodies par cœur. Dans l'esprit de Guy d'Arezzo, ces différentes sylla- bes ne devaient donc avoir pour but que d'offrir aux chan- teurs un moyen mnémotechnique rappelant un son déter- miné. Un grand pas venait néanmoins d'être franchi puis- que cette désignation s'imposait finalement au point d'être définitivement adoptée pour traduire en syllabes les diffé- rents degrés de la gamme d'aujourd'hui.

Dans certains cercles, l'étude de la musique n'en demeu- rait pas moins fort complexe. Théorie et pratique prescri- vaient à ceux qui se destinaient à la composition ou à l'enseignement, neuf années de travaux assidus dans des séminaires dirigés par un collège de « maîtres » ou para- phonistes, comme nous venons de le voir. L'enseignement de la musique était placé de surcroît sous la haute surveil- lance d'un « archicantor » habituellement désigné en la personne de l'Abbé de Saint Pierre.

L'influence toujours plus marquée de l'art profane devait cependant porter ombrage aux théories de Guy d'Arezzo, mort en 1050 et provoquer une scission de plus en plus nette entre la musique religieuse enseignée par les moines, qui gardaient le monopole de l'érudition, et la musique profane qui naquit de la chevalerie. On connut alors les « musiciens naïfs » : les troubadours et les trou- vères.

Les croisades ont largement contribué à favoriser cette nouvelle forme d'expression. La courtoisie, la galanterie des chevaliers voulaient que l'on s'exprimât en poèmes;

les messages d'amour prenaient une rare élégance de for-

(17)

me; les chevaliers, selon les moyens de leur bourse, les faisaient transmettre aux destinataires par des musiciens voyageurs, jongleurs ou ménestrels dont ils payaient les services.

En effet, les troubadours et les trouvères n'exécutaient que rarement leurs œuvres eux-mêmes. Chevaliers, petits seigneurs adressaient, par le truchement de ces fidèles ser- viteurs souvent fort doués, sentiments nobles et propos galants à quelque prince auquel il convenait de rendre hommage, ou à leurs belles dont on tenait à conserver les pensées.

Les troubadours du Midi et les trouvères du Nord ont très vite suscité la plus gracieuse efflorescence musicale et contribuèrent de la plus large façon à faire connaître poèmes et mélodies dans toutes les classes de la société.

Il y eut bientôt des troubadours dans tous les milieux : moines et comtes, fermiers et marquis, marchands eux- mêmes qui trouvaient là, un heureux moyen de vanter leur commerce.

Il semblait qu'en chansons on pût se permettre une liberté d'expression plus grande qu'en simples discours, fussent-ils savamment écrits. Gracieusement habillé d'une courtoise mélodie, un poème s'autorisait de termes galants plus précis, le charme en était plus flatteur et pour peu que les voix des interprètes fussent harmonieuses, le succès des galants auprès de leurs nobles dames n'en était que plus assuré.

Parmi les principaux poètes-musiciens, citons en particu- lier Guillaume, comte de Poitiers et duc d'Aquitaine (1), Marcabru ou Marcabrun (2), un Gascon dont de nom- breux manuscrits ont été conservés, Bernard de Ventadour, fils d'un domestique, dont les aventures galantes furent nombreuses et qui, finalement, se fit moine à l'Abbaye de Dalon où il mourut. Citons encore Guiraut de Borneil dit le « Limousin » (3) qui fut remarqué par Dante, Bertrand de Born dont on admirait l'instruction, Foulques

(1) Voir page 35.

(2) Voir pages 41 et 169.

(3) Voir pages 79 et 162.

(18)

de Marseille qui fréquenta les cours des seigneurs du Midi, devint moine cistercien puis évêque de Toulouse en 1205 (1). Au nombre des poètes-musiciens du XII siècle, Conon de Béthune (2) laissa des manuscrits du plus vif intérêt. On doit, au XIII siècle à Thibaut IV, comte de Champagne et de Brie et roi de Navarre, des pièces d'une belle richesse expressive qui ont d'ailleurs bénéficié plus tard de plusieurs rééditions.

Il faut néanmoins attendre les années treize cent pour connaître les plus grands troubadours avec Jehannot de Lescurel et Guillaume de Machault dont on exécute aujourd'hui encore les ouvrages les plus marquants.

Mais on ne saurait mieux définir l'apport considérable des troubadours et des trouvères qu'en démontrant que leur art reposait sur des bases précises et que leurs connais- sances, leurs recherches ne furent pas conduites au hasard.

NOTATION ET INSTRUMENTS

Si la « portée » existait — Guy d'Arezzo en avait insti- tué l'usage de même que l'appellation des différents sons

— on ignorait les « clés » tout autant que les barres de mesures.

Les bibliothèques possèdent de nombreux manuscrits composés de la main des troubadours mais les musicologues qui se sont penchés sur ces reliques ont longtemps ignoré de quelle façon il convenait de les lire. La plupart des mélodies retrouvées étaient écrites dans la notation car- rée et l'on crut qu'il fallait exécuter ces chants comme un récit libre tel qu'on le fait en chant grégorien. Certains interprétaient les compositions des troubadours en se gui- dant sur les règles de la musique mesurée dont les princi- pes furent enseignés à une époque postérieure. Cette concep- tion attribuait à chaque note une valeur fixe. Or, ni l'une ni l'autre de ces méthodes ne paraissait donner satisfac- tion.

(1) Voir pages 65 et 67.

(2) Voir page 121.

(19)

Des recherches conduites par Beck d'une part et Aubry d'autre part, recherches toutes récentes d'ailleurs, ont éta- bli que le rythme des mélodies était étroitement lié à celui des vers, conformément à des modèles appelés

« Modes ». Les musicologues ont dénombré trois modes principaux; l'un, composé de « trochées » se distingue par une première longue, sur laquelle tombe l'accent, la seconde étant courte; le deuxième mode, composé de « ïambes » est l'inverse du premier; le troisième se compose de grou- pes trisyllabiques.

Dès la fin du XIII siècle, compositeurs et techniciens s'emparèrent de cette matière sonore quelque peu incohé- rente, développèrent, purifièrent l'art de la mélodie mesu- rée et se plongèrent avec délice dans les jeux attrayants de la polyphonie. Des règles strictes furent établies pour être enseignées dans des écoles auxquelles on donna le nom de

« Ménestrandies ».

Nous entrons déjà dans le domaine de la spécialisation;

en effet, les jongleurs-musiciens, forts de leur savoir, se séparèrent des diseurs et des mimes, se donnant le nom de Ménétriers, d'où le titre des écoles où l'on s'apprêtait à former les interprètes musiciens des générations mon- tantes.

L'école française ne fut pas seule à subir l'influence des troubadours et des trouvères. L'art des « Minnesingers » (1) allemands est dû à des courants identiques; on n'en cons- tate toutefois les répercussions qu'avec un siècle de retard.

Contrairement aux troubadours, les poètes-musiciens alle- mands ne faisaient pas appel à des jongleurs; ils interpré- taient eux-mêmes leurs œuvres.

Revenons à nos poètes-compositeurs et plus spéciale- m e n t à leurs serviteurs-exécutants qui, loin de se satisfaire de leur seule voix, s'accompagnaient d'instruments à cor- des, les « vièles », d'une forme évoluée et d'une facture

(1) Minnesinger vient de deux mots allemands du Moyen-Age : Minne : amour et Singer : chanteur. N. de l'A.

(20)

plus soignée que les « lyres à archets », les « rebecs » ou les « gigues ».

Le « rebec », instrument à archet en usage chez les jongleurs du XI siècle, disposait de trois cordes seulement;

sa forme que caractérisait l'absence de manche indépen- dant, comportait une caisse sonore s'amincissant progres- sivement jusqu'au chevilier; une mince planchette recou- vrait la caisse et tenait lieu, dans sa partie inférieure rela- tivement large, de table d'harmonie, et de touche, en sa partie supérieure fortement rétrécie.

Le n o m de la « gigue » apparaît pour la première fois dans les écrits de Jean de Garlande, vers 1230. En France, la « gigue » désignait, u n peu par dérision, les anciennes violes; plate et pourvue d'entailles latérales, elle fut long- temps préférée à la nouvelle forme de vièle et cela surtout chez les Minnesingers. Un écrit du t r o u b a d o u r Adenès évo- que en effet dans le « Romans di Cléomadès », les « gi- gueours » d'Allemagne et l'on retrouve à maintes reprises dans le langage moyen-allemand de l'époque, le mot

« giga »; il est toutefois cité comme étant u n terme étran- ger. Germanisé, il devint « Geige » adopté a u j o u r d ' h u i pour désigner le violon.

Dès le XII siècle, l'instrument préféré des interprètes fut néanmoins la vièle qui ne tarda pas à être dotée de cinq cordes. On lit sous la plume de Jean de Grochès (XIII que la vièle « paraît l'emporter sur les autres instruments à cordes; sur elle, u n bon artiste peut jouer toute espèce de chants, de cantilènes et toute forme musicale en général ».

On le voit, troubadours et trouvères disposaient déjà des plus riches moyens, aptes à traduire les plus savants accompagnements destinés à souligner chansons, danses et rondeaux. On saisit mieux alors la sélection qui s'opéra parmi les interprètes et la nécessité des études auxquelles ils durent désormais s'astreindre.

Dans la gamme des mélodies proposées à l'invention des troubadours et trouvères, une classification très nette ne tarda pas à être généralement adoptée ; ainsi, il eût été

(21)

malséant et du dernier mauvais goût d'écrire un poème d'amour en le soulignant d'une mélodie écrite sur le mode d'une « sirventes ». Le « Planh » était destiné aux vers consacrés à l'évocation de la mort d'un héros; les « ten- çons » étaient écrits de telle sorte que plusieurs chanteurs pussent soutenir, chacun à leur manière, les thèmes d'un dialogue; la « pastourelle », l'une des plus gracieuses que connut l'écriture musicale, était tout naturellement réser- vée aux poèmes chantant l'amour champêtre.

Chose curieuse, ces règles différaient selon les pays qui les appliquaient; sans doute les sujets de chansons, qu'ils soient traités par les troubadours, les trouvères, les Minne- singers ou leurs concurrents d'Ecosse ou d'Angleterre, étaient-ils semblables; il s'agissait toujours de poèmes fort galamment tournés évoquant des scènes d'amour, de récits où la drôlerie ne connaissait pas de bornes, illustrant les récriminations de jeunes femmes mécontentes de leurs vieux époux, de souvenirs de croisades; il n'était pas rare toutefois qu'une même mélodie se trouvât jointe en Flan- dre à un autre texte qu'en Poitou.

Ces différences n'ont rien de surprenant puisque la musique ne se transmettait que par le truchement d'une mémorisation plus ou moins fidèle. L'attrait d'une mélodie la rendait populaire ; elle passait les frontières mais, la langue des nouveaux interprètes étant différente, l'air chan- geait souvent de destination.

Troubadours et trouvères de France n'en appliquèrent pas moins avec une certaine rigueur, les règles établies au gré des perfections apportées à l'écriture musicale. Cette rigueur nous conduit à formuler quelques comparaisons avec la musique de notre temps et, aussi curieux que cela puisse paraître, avec le dodécaphonisme et la musique sérielle...

TOUTES REFLEXIONS FAITES...

Il n'est pas sans intérêt de constater que, d'évolutions en évolutions, l'écriture musicale paraît avoir accompli un retour à ses origines. Nous remarquions tout à l'heure que les travaux de Guy d'Arezzo préconisaient l'abandon

(22)

de certains signes spéciaux dont la présence indiquait les intervalles instables ou moindres que le demi-ton. A cette époque, l'enseignement de la musique dans les « Scholae cantorum » ne s'étendait pas seulement à ce que nous nommons aujourd'hui le solfège mais au rythme, à la tonalité et à la division des intervalles.

Cette étude était poussée fort loin et tenait à maintenir la pratique des principes antiques. La notation musicale d'alors reste encore pour nous à l'état de problème aussi les recherches sur la destination des « signes » se pour- suivent-elles aujourd'hui encore; il est toutefois certain que les écrivains de ce temps disposaient d'une variété de notations infiniment plus complète que les altérations, dièzes et bémols, que notre écriture actuelle nous propose.

On peut donc conclure que les musiciens qui ont précédé les troubadours avaient conçu une variété de signes telle que le dodécaphonisme n'avait pas de secrets pour eux.

L'art profane se devait d'apporter des simplifications à ces modes d'écriture afin de permettre à la musique de n'être plus seulement l'apanage des érudits.

Sous d'autres formes, grâce aussi à la technique des facteurs d'instruments, aux recherches dans le domaine de l'acoustique et de la reproduction sonore, nos composi- teurs d'aujourd'hui voient s'ouvrir des possibilités expres- sives infiniment étendues; il n'en est pas moins vrai que les écrivains du Moyen Age ne méconnaissaient pas les plus subtils intervalles sonores et avaient trouvé le moyen d'en établir une notation.

Mais, dira-t-on, qu'en est-il de la « série » ?

Certes, nous n'allons faire ici qu'un rapprochement et ne parlons pas de similitude car il faut bien convenir que les troubadours ignoraient les principes de la musique sérielle tels qu'ils sont appliqués de nos jours. Néanmoins, et non sans curiosité, nous constatons que certaines formes de chansons, le « Lai » en particulier, imposaient à nos musiciens-poètes, des disciplines sévères qu'il eût été mal- séant de transgresser.

Choisissons, pour notre démonstration, un premier exemple précis, relevé par Armand Machabey dans son ouvrage sur Guillaume de Machault : « le Lai du Chèvre- feuille comprend en réalité onze strophes, la première

(23)

et la dernière formées de deux couplets identiques, de forme et de mélodie, chaque couplet étant de quatre vers;

d'autres strophes sont de huit vers, la mélodie des deux premiers vers se répétant quatre fois, la construction mu- sicale est très systématique et les formules d'une simplicité qu'on qualifierait d'archaïque s'il ne fallait se méfier de cette simplicité même ».

Mais voici mieux encore. Le respect des règles est ici plus strict : le « Lai des Pucelles » débute par une série de neuf notes répétées quatre fois de suite, avant de dis- paraître. Le rapprochement que nous tentons de faire est plus sensible encore dans le « Lai Markiol » qui présente une phrase musicale en deux « incises » (1) répétées trois fois identiquement, puis trois autres fois avec quelques altérations, enfin avec des transformations plus nettes, tempérées par des rappels des deux premières « incises ».

Ce dernier exemple tendrait à démontrer que les trouba- dours imposaient à certaines de leurs mélodies, des règles sérielles dont le respect désignait leur auteur à l'attention des puristes d'alors.

Nous pouvons donc dire, en conclusion, que l'art des troubadours et des trouvères s'est rapidement acheminé vers un éclectisme auquel on doit la plus remarquable évo- lution de la pensée et de l'écriture musicales.

William RIME.

(1) Petite p h r a s e musicale jetée au milieu d'une autre plus importante.

(24)

LA POÉSIE COURTOISE

(25)
(26)

LES TROUBADOURS

(27)
(28)

A C H E V É D ' I M P R I M E R LE 18 MAI 1960 S U R LES P R E S S E S D E L'IMPRIMERIE WALLON

A V I C H Y N° d'édition : 899 N° d'impression : 587

(29)

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia

‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.

Références

Documents relatifs

Antonio Ereditato, porte-parole de l'équipe qui a fait cette stupéfiante découverte, a déclaré à Reuters que les mesures effectuées sur trois ans avaient montré que des

Cette difficulté à mesurer l’influence réelle des troubadours sur les trouvères, qui se matérialiserait par des reprises directes d’éléments mélodiques, semble

Les troubadours et les trouvères. Voyez l'intérêt profond qu'U. -s portent aux animaux et combien le monde prestigieux des machines les fascine. Pans ce domaine

(Dessins et maquettes).. Les troubadours et les trouvères. Voyez l'intérêt profond qu'U. -s portent aux animaux et combien le monde prestigieux des machines les

Nous avons cherché quelles astuces on pourrait « sortir » pour trouver un résul- tat d e calcu l plus vite que ne pourrait le faire la ca lculette.. Nous avons

Les trouvères au nord et troubadours au sud, sont au service des nobles ou sont eux mêmes des nobles Les jongleurs et ménestrels diffusent la musique, aussi bien pour le peuple

La notation Orientée Objet étant strictement appliquée, c'est un objet de la classe introFigure qui exécute les méthodes : les valeurs des champs x et y modifiés par la

Profitez d'un flux de travail de bout en bout et d'une découpe recto-verso rapide avec le premier chargeur automatique de feuilles grand format et l'empileur polyvalent HP avec