Philippe Daudet
a bel et bien été assassiné
RENÉ BREVAL
Philippe Daudet a bel et bien été
assassiné
« Il faut un certain courage à Léon Daudet pour écrire toutes ces choses sur la police, mais à sa place je me méfierais, ces gens-là sont très forts;
ne craint-il pas un jour qu'il lui arrive malheur ? »
MAURICE BARRÈS.
COLLECTION ALTERNANCE
Les Éditions du Scorpion
JEAN D'HALLUIN, ÉDITEUR - 1.. RUE LOBINEAU, PARIS - 6e
IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE VINGT EXEMPLAIRES SUR ALFA-MOUSSE
RÉSERVÉS POUR L'AUTEUR NUMÉROTÉS DE I A XX
© by Editions du Scorpion, 1959
AVANT-PROPOS
En relatant l'affaire Philippe Daudet, nous n'avons pas eu l'intention d'écrire un roman.
Cela nous eut été très facile, il suffisait simple- ment de reprendre à notre compte, la thèse du père de la victime.
La « Série Noire » eut été dotée ainsi d'un ouvrage de plus !
Nous avons préféré nous en tenir aux faits, et la recherche de la vérité a été notre seul but.
En agissant ainsi, nous avons le sentiment que nous allons mécontenter à peu près toutes les parties en cause et nous le regrettons à l'avance ! Il ne nous a pas paru possible d'agir d'une autre façon.
Etant donnée la durée exceptionnelle de cette affaire, il ne pouvait être question d'en relater tous les événements.
A titre d'exemple, le chapitre du « crime anar-
chiste », avec les développements et commentaires de presse eut exigé deux volumes, la Cour d'Assises bien davantage !
Nous pensons toutefois n'avoir négligé aucun fait essentiel ceci afin de permettre à nos lecteurs d'avoir une vue complète de cette affaire.
PREMIER CHAPITRE UNE MORT MYSTÉRIEUSE
Le début de l'affaire.
LES DESESPERES
« Un jeune homme d'une vingtaine d'années a
« tenté de se suicider Boulevard Magenta, dans un
« taxi, en se tirant une balle de révolver à la tête.
c Etat grave — Lariboisière. »
Telle était l'information que donnait le Petit Parisien du 25 Novembre 1923 dans la rubrique des Faits divers.
Le mardi suivant, la Presse parisienne annonçait la mort de Philippe Daudet, fils de Léon Daudet — Directeur de l'Action Française et député royaliste de Paris, « décédé après une courte maladie ».
Seul le journal monarchiste qui, sous la signa- ture de Charles Maurras, consacrait au jeune défunt un long article nécrologique, n'indiquait pas les causes du décès.
Le samedi 2 Décembre, le journal anarchiste
« Le Libertaire » publiait une édition spéciale à grande sensation. En titre énorme, on pouvait lire : LA MORT DE PHILIPPE DAUDET ANARCHISTE
SON PERE LEON DAUDET ETOUFFE L'AFFAIRE
Dans l'article de tête, l'Administrateur du Jour- nal, Georges Vidal relatait les visites que la jeune victime lui avait faites avant sa mort tragique car le suicidé, dans le taxi, était Philippe Daudet.
Au cours de ces entretiens, le jeune homme avait affirmé des sentiments anarchistes et avait laissé, dans le cas où il lui arriverait malheur, une lettre à remettre à sa mère et dont on pouvait lire le texte :
« Mère chérie, pardon pour la peine immense
« que je vais te faire ; j'étais anarchiste depuis
« longtemps, ma cause m'appelle et je crois de
« mon devoir de faire ce que je fais. Je t'aime
« beaucoup — Philippe — P. S. Embrasse bien les
« gosses de ma part. »
Le lendemain — à cette époque les journaux paraissaient le Dimanche — l'Action Française annonçait, en titre identique à celui du Libertaire:
PHILIPPE DAUDET A ETE ASSASSINE C'était le commencement de l'affaire la plus mystérieuse du demi-siècle. Mais, avant de pour- suivre notre récit, il nous paraît nécessaire de pré- senter au lecteur : Léon Daudet, son fils Philippe et, en premier lieu, l'Action Française dont nous empruntons l'historique au Larousse du vingtième siècle :
« Journal quotidien, 1908-1944. Succéda à la
« Revue politique bi-mensuelle créée en 1899 par
« Henri Vaugeois. »
« Invoquant l'intérêt national et le salut public, il combattit les idées libérales et démocratiques, développant les théories du nationalisme intégral, démontrant, par des raisons toutes laïques, la pri- mauté necessaire du catholicisme en France, pré- conisant une restauration de la Monarchie hérédi- taire, traditionnelle, antiparlementaire et décen- tralisée. »
Charles Maurras y exposa la théorie de la monarchie.
Jacques Bainville y exposa jusqu'à sa mort la politique extérieure de la France, Léon Daudet y mena, sur maints sujets, une politique ardente.
Ajoutons que l'Action Française n'était pas seu- lement un journal mais également une ligue, avec une section féminine et dont les camelots du roi représentaient l'élément de choc.
C'est également au Larousse du Vingtième siècle que nous empruntons la biographie de Léon Daudet :
« Journaliste et écrivain français, fils d'Al- phonse Daudet, né à Paris en 1867, mort à Saint- Denis de provence en 1942. Il fit des études médi- cales, puis se tourna vers les lettres et collabora au Figaro, au Gaulois, au Soleil, à la Libre Parole où il seconda Drumont dans sa campagne antisé- mite, puis il adhéra au nationalisme intégral de Charles Maurras et fonda avec lui, en 1907, l'Ac- tion Française quotidienne, où il a déployé son talent violent, sa robuste gaieté rabelaisienne, sa verve satirique et amère. » Citons quelques extraits de ses articles, dans la période précédant la mort de son fils :
Sur Aristide Briand :
Depuis quelque temps, j'étais sans nouvelles de mon vieil adversaire Aristide Briand, et je me demandais s'il n'était point par hasard entré avec ce bandit de Ducrocq (1) au service des recherches de la Banque de France où s'il ne mettait pas le vin en bouteilles chez Georges de Grèce !
Candidat au Ministère de l'Intérieur.
Je ne vous cache pas d'ailleurs que, comme Ministre de l'Intérieur, je ne vois que votre modeste serviteur.
Sur l'Ouest-Eclair :
« La campagne d'affiches ordurières du maître- chanteur de provocateur du meurtre, André Gau- cher (2) policier mondain, de ses compères et com- plices l'Abbé Trochu et Desgrées du Lou ».
Il s'agissait des dirigeants de l'Ouest-Eclair, important Journal de Rennes, devenu, depuis la Libération, l'Ouest-France.
Léon Daudet, suivant son humeur du jour, les baptisait souvent Trop-Chu ou Desgrées du Porc !
(1) Directeur de la Police Judiciaire.
(2) Ancien collaborateur de l'Action F rançaise, entré en dissidence.
Philippe Daudet.
Philippe Daudet était fils et petit-fils d'intellec- tuels. Le fait fût souligné à l'époque par la Presse, car il n'est pas rare qu'une pareille ascendance ait pour effet des conséquences psychologiques sur certains sujets.
Ses parents étaient cousins germains. Son père, après une union malheureuse avec Jeanne HUGO, petite-fille du grand poète, divorça et se remaria avec sa cousine Marthe ALLARD qui écrivit, sous le nom de Pampille, de charmantes chroniques.
« Philippe n'était pas un enfant normal ». Voici ce que, après le drame, écrivit son père dans l'Action Française.
« Un trouble nerveux rongeait Philippe depuis quelques années, depuis une première fugue accomplie à l'âge de douze ans et qui nous avait stupéfiés. Echappant à notre surveillance, il avait
pris un billet pour Marseille avec l'argent de ses étrennes, voyage en troisième toute la nuit. »
« Arrivé à Marseille, éprouvant ce qu'il avait fait et plein de remords car il avait la conscience aisément bourrelée, il allait trouver un de nos amis qui nous prévenait. »
« Je l'envoyai chercher aussitôt et, à son retour, sans le gronder, je le montrai à plusieurs médecins connus qui nous rassurèrent, sa mère et moi, de leur mieux, tout en nous engageant à veiller. »
« Deux ans passèrent sans alerte, mais au prin- temps dernier, il y eut deux nouvelles échappées de quelques heures ne dépassant pas l'école buis- sonnière, qui alarmèrent cette fois sérieusement mon ami le Docteur Lucien Bernard. »
« Il ne me cacha pas que le renouvellement des fugues lui paraissait relever du mal comitial, bien qu'aucun symptôme du mal n'apparut, et qu'il y avait là une menace pour l'avenir. »
Sur cette maladie de la fugue, nous lisons, dans le Larousse Médical :
« Abandon brusque du domicile, suivi habituel- lement de déambulations plus ou moins prolongées, survenant par accident, par accès, de manière transitoire au cours des désordres mentaux les plus variés. »
« Sous des influences diverses, animés de mobiles divers, volontairement et consciemment ou de manière impulsive, ou même inconsciemment les aliénés fuient parfois de chez eux et s'en vont plus ou moins loin. »
« Ce sont les mégalomanes qu'appelle ailleurs leur rêve d'idéal et de sublime, les mélancoliques désireux de se retrancher d'une société dont ils sont indignes, les persécutés occupés à dépister la mal- veillance d'ennemis imaginaires, les alcooliques dans l'affollement et la crainte de toutes les choses et de tous les êtres, les paralytiques généraux dans un besoin irraisonné et incessant de mouvement. »
Imprimerie spéciale de la Collection Alternance
Paris
N° d'Editeur : 718 Dépôt légal : 4° trimestre 1959
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