Article de recherche
Discrimination morphologique des glands
de chênes sessile (Quercus petraea (Matt.) Liebl.)
et pédonculé (Quercus robur L.)
J.L. Dupouey H. Le Bouler
1 INRA,
Champenoux,
54280Seichamps;
2SRFB
Pépinière expérimentale
de Guéméné-Penfao, route de Redon, 44290 Guéméné-Penfao, France(reçu le 12-4-1988,
accepté
le 22-8-1988)Résumé ― Nous étudions la
possibilité
de discriminer les glands de chênes sessile etpédonculé d’après
leurmorphologie. Sept
mesures de forme ont été effectuées sur 100glands prélevés
dans44 provenances de chênes françaises, lors de la
glandée
de 1984. L’analyse en composantesprin- cipales
montre une nette distinction entre les deuxespèces
selon la distance entre le rayon maxi- mum dugland
et son apex et, dans une moindre mesure, selon son rayon maximum. Un indiced’espèce
basé sur ces 2 mesures permet un taux de reconnaissance de 85% desglands.
Cet indicereste à valider pour d’autres années de
glandée
et sur un échantillon mieuxéquilibré.
Quercus robur L. - Quercus petraea (Matt.) Liebi. - gland -
morphologie
Summary ― Morphological
discrimination between Quercus robur L. and Quercus petraea (Matt.) Liebl. acorns. We study the practical feasibility of discrimination between pedunculate oak(Quercus
robur L.) and durmast oak (Quercus petraea (Matt.) Liebl.) usingmorphological
parame-ters. 44 populations were
sampled,
during mast crop year 1984, mainly from West, South-West and Central France. Seven shape variables were measured on 100 acorns in eachpopulation :
radii atdifferent level
along
the acorn, totallength,
maximum width andposition
of this maximum width.Principal
components analysis shows a net distinction between the twospecies,
according to thedistance between the maximum width and the apex, and, in a lesser extend, to the maximum width.
Acorn
shape
ishighly
correlated with the percentage of auriculated leaves observed afterplanta-
tion. The
species
index, based on acornshape, permits
identification of individual acorns with only15% error. It remains to be tested for other years and areas.
Quercus robur L. -Quercus petraea
(Matt)
Liebl. - acorn -morphology
Introduction
Les chênes sessile et
pédonculé occupent
une
place
depremier plan
dans la forêtfrançaise (respectivement
13% et 18%des surfaces boisées selon l’Inventaire forestier
national).
Face àl’augmentation
constante des surfaces
régénérées
parplantation,
lespépiniéristes
doivent pro- duire un nombre croissant deplants. Or,
cette croissance
s’accompagne
de trans-ferts de
glands d’origines
très variéesavec
parfois
une mauvaise maîtrise de leur provenance. La confusion existe non seulement entre lesorigines,
mais aussientre les
espèces
récoltées.Ainsi,
il n’est pas rare de rencontrer despropriétaires ayant
commandé à unpépiniériste
duchêne sessile et se
voyant
livrer dupédonculé ! L’impact sylvicole
est d’autantplus important
que ces semis sont instal- lés pourplusieurs
dizainesd’années,
etque les deux essences ont des auto-éco-
logies
très différentes(Becker, 1984).
Or,
la différenciation des chênessessile, pédonculé
et mêmepubescent, peut
être établie defaçon
nette sur le terrain,d’après
les caractères deport
desarbres,
de
morphologie
foliaire et des infrutes-cences
(Guinier,
1950;Dupouey,
1983;Grandjean
etSigaud, 1987).
Eneffet,
siles 2
espèces présentent parfois
des indi-vidus
morphologiquement intermédiaires,
leur nombre est
toujours
restreint(moins
de 5% de l’effectif des
populations),
et ilssont cantonnés à des milieux
particuliers.
Il est donc
possible,
lors d’une récolte deglands,
d’identifier les 2espèces.
En
revanche,
il esttoujours
apparu très difficile de contrôler aposteriori
lapureté
des lots de
glands
fournis à l’entrée despépinières.
De nombreux travauxsigna-
lent des différences
plus
ou moins nettesentre chêne sessile et
pédonculé, quant
àla couleur :
présence
de strieslongitudi-
nales
foncées,
à l’étatfrais,
sur legland
de chêne
pédonculé,
etquant
à la forme.Le
gland
du chênepédonculé
serait sou-vent
plus
gros,plus allongé
etcylindrique
que celui du chêne
sessile,
lui-mêmeplus globuleux,
arrondi.Moggi
et Paoli(1972),
à la suite de Poskin
(1934),
notent des dif- férences dans lerapport longueur
sur dia-mètre
maximum, supérieur
à1,6
pour lepédonculé,
inférieur pour le sessile. Demême, Poskin, puis
Escarre(1973) signa-
lent une différence sur la
position
du dia-mètre maximum du
gland,
celui-ci étant situéplus
bas chez le sessile que chez lepédonculé.
Mais d’autres étudesconcluent à l’absence de différences
signi-
ficatives entre les deux
espèces quant
à lamorphologie
desglands (Becker, 1972;
Rushton, 1978;
Brookeset Wigston, 1979;
Dupouey, 1983).
Nous essayons ici de
préciser
ces diffé-rences
morphologiques
entre chêne sessi- le etpédonculë,
sur la base d’un échan-tillonnage important
deglands,
enespérant apporter
un outil de contrôle de lapureté
des lots degraines
de chêne.Matériel et Méthodes
L’étude porte sur 18 provenances de chêne
pédonculé,
20 provenances de chêne sessile, 5 peuplementsmélangés
ou intermédiaires et une provenanced’origine
inconnue. Ces peu-plements
avaient été choisis pour la plupartdans un but indépendant de notre étude : la mise en place d’un
dispositif
decomparaison
de provenances de chênes par le groupe
«Chêne-pays
de Loire». Leur liste est donnéeau Tableau 1, avec indication, selon le récolteur, de la nature, sessile ou
pédonculée,
defespè-
ce. Cette indication, laissée à
l’appréciation
du récolteur, peut êtresujette
à caution. Il est à noter, comme c’est malheureusement le caspour de telles récoltes, que la surface échan- tillonnée et la densité de
l’échantillonnage
ausein de cette surface peuvent varier considéra- blement d’un
peuplement
à l’autre (d’un arbre isolé à une dizained’hectares).
Les lots de
glands
sont tous issus de laglan-
dée 1984. Les glands de faible densité (et donc
de faible viabilité) sont éliminés par flottation.
Les mesures sont effectuées sur la photocopie
de 100
glands prélevés
au hasard danschaque
lot. Elles sont au nombre de sept
(Fig.
1 ) :-
longueur
totale(LT);
- rayon maximal (RM);
- distance de
l’apex
dugland
au rayon maxi- mal (HR);- rayon
«polaire
nord»(PN),
égal au rayon mesuré à 1 mm de l’apex- rayon
«équatorial
nord» (EN), mesuré à5 mm de l’apex;
- rayon «équatorial sud»
(ES),
mesuré à 5 mmde la base;
- rayon «polaire sud»
(PS),
mesuré à 1 mm dela base.
On dispose, en
parallèle,
de la mesure du pourcentage de feuilles ayant des oreillettesdéveloppées à la base du limbe (bon caractère
de discrimination des chênes sessile et
pédon-
culé) sur lesplants
de un an dans lesplacettes
où les lots de
glands
initiaux ont été semés. Lepoids
desglands
est aussi noté.L’étude de ces données est effectuée par :
-
analyse
en composantesprincipales
des4 400
glands
et 7 variablesmorphologiques
afinde décrire la variabilité observée dans la forme des
glands
de ces provenances;-
analyse
factorielle discriminante de ces pro-venances selon le critère
espèce,
afin de déter- miner la forme caractéristique des glands de chacune des deux essences.Résultats
L’analyse
encomposantes principales
montre la
présence
de deux axes devariations de
la morphologie
au sein del’ensemble des
glands mesurés,
totalisant 80% de la variance totale. Lepremier (52%
de lavariance) représente
la varia-tion du diamètre du
gland (variables RM, PN, EN, PS, ES).
Le second axe(27%
dela
variance), correspond
aux variations delongueur
dugland (LT
etHR).
Un troisiè-me axe
(10%
de la variancetotale)
oppo-se les variables PN et
PS,
donc lesglands
cylindriques
auxglands ogivaux.
Si l’on
représente
lepoint
moyen dechaque
provenance sur leplan
des axes 1et 2 de la
projection
des individus(Fig. 2),
on constate une très bonne
séparation
des provenances sessile et
pédonculée
au
long
du second axe, donc selon la lon- gueur dugland.
Un faibledécalage
appa- raît aussi sur l’axe 1, selon le diamètre.Ainsi,
unepart importante
de la variabilitémorphologique
dugland
est liée àl’espè-
ce, par la
longueur
dugland
ou la distance de son diamètre maximal àl’apex,
et,dans une moindre mesure, par son dia- mètre.
Le
pourcentage
d’oreillettes observé surles
plants
de un an dans ces mêmes pro-venances est très lié lui aussi à la forme du
gland :
àchaque
extrémité de l’axe 2, lespourcentages
d’oreillettes sont ou tous nuls(chêne sessile),
ou tousproches
de100%
(chêne pédonculé).
Par contre, les provenancesqui apparaissent
enposition
intermédiaire sur
l’analyse
sont aussicelles
ayant
unpourcentage
d’oreillettesnon
caractéristique : M01, M02, M03, M04, R01,
R07 et R17. Pour ces prove- nances, entre 20 et 80% deplants
ont desfeuilles auriculées. Les provenances P05
(glands
trèslarges)
et R04(glands
trèsétroits)
s’isolent aux deux extrémités de l’axe 1.On observe sur le
graphique
le regrou-pement
dequelques
provenancesgéogra- phiquement proches. R08, R09,
R10 et R11, 4 provenances du bassin inférieur de l’Adour sontmorphologiquement
très sem-blables,
de même queR12,
R13 etR14,
toutes 3 des
Hautes-Pyrénées.
Parmi leschênes
sessiles,
P07 à P10proviennent
de la même forêt
(le Gavre,
Loire-Atlan-tique)
etP14, P15, P18,
P19 sont trois provenancesproches (confins
de laMayenne
et de laSarthe).
Notons aussi P02 etM03,
deux provenances de la Sarthe ainsi queP12,
P13 et M02 de la forêt deVibraye (Sarthe).
Après
élimination despeuplements
dou-teux
(entre
20 et 80% de feuilles auricu-lées),
onpeut
caractériserchaque espè-
ce. Le Tableau Il donne les valeurs moyennes pour
chaque
variable et le seuilde
signification
de la différence. Seul le rayonéquatorial
nordn’apparaît
pas diffé- rent entre les deuxespèces.
LaFigure
3montre la forme moyenne du
gland
dechaque espèce,
à l’échelle.L’analyse
dis-criminante de ces 2 ensembles de
glands permet
de déterminer les variables mor-phologiques séparant
au mieux les 2espèces,
et de fournir une formule discri- minante.Comme on
pouvait s’y
attendre au vudes résultats de
l’analyse
encomposantes principales,
les 2 variables lesplus
discri-minantes sont,
successivement,
la distan-ce du rayon maximal à
l’apex, puis
lerayon maximal. L’introduction d’autres variables
explicatives
n’améliore pas le modèle obtenupuisqu’elles
sont toutes fortement corrélées à ces deuxpremières
variables.
L’équation
discriminante obtenue est : 112. HR-84.RM-843(HR
et RMexprimés
enmm)
’ Elle fournit un indiced’espèce
dont lesvaleurs
positives indiquent
ungland
dechêne
pédonculé,
les valeursnégatives
un
gland
de chêne sessile. Lepourcenta-
ge deglands
bien classés par cetteéqua-
tion est de 80% pour le chêne
pédonculé
et 88% pour le chêne sessile.
Discussion - conclusion
Nos résultats confirment certaines obser- vations
antérieures, plus
ou moinssubjec- tives,
sur la base d’unéchantillonnage plus important
et par des mesuresquanti-
tatives. On obtient ainsi une bonne
sépa-
ration des deux
espèces
en fonction de lamorphologie
de leurgraine.
La différencede
rapport longueur
sur diamètre maxi-mum observée par Poskin
(1934) (1,7
chez le chêne
pédonculé
et1,5
chez lesessile)
se retrouveici,
avec des valeurs moyenneslégèrement supérieures (1,9
pour le
pédonculé, 1,6
pour lesessile).
Poskin obtenait avec ce seul
rapport
destaux de discrimination de 66% pour le
pédonculé
et de 70% pour le sessile. L’uti- lisation d’une fonction affine du rayon maximum et de saposition
sur legland permet d’augmenter
sensiblement ces taux. Par contre, la différence de hauteurrelative du diamètre maximum observée par le
même
auteur ne se retrouve pas : le diamètre maximum s’établit à la moitié de la hauteur sur tous lesglands.
Notre échantillon est toutefois biaisé par
une
surreprésentation
despeuplements
de chêne sessile de l’ouest et de chêne
pédonculé
du bassin de l’Adour. Cedéséquilibre peut
être de nature à limiter laportée
desrésultats,
enparticulier
lavalidité hors de ces zones de la fonction discriminante
proposée.
L’étude devrait donc être étendue à la moitié est de la France. La caractérisation despeuple-
ments récoltés devra être
faite,
à cetteoccasion,
non pas aposteriori
sur la mor-phologie
foliaire deplants
issus desglands récoltés, mais,
defaçon beaucoup plus sûre,
par la mesure de lalongueur
moyenne des
pédoncules
des infrutes-cences des individus échantillonnés.
Notons d’ores et
déjà
que Poskin(1934),
Escarre
(1973), Moggi
et Paoli(1972)
ontobtenu des résultats concordants dans des
régions
très différentes de la nôtre(respectivement
laBelgique, l’Espagne
etl’Italie).
De
même,
les récoltes ne concernentqu’une
seuleannée,
et onpeut
penserqu’un
facteurclimatique global
influence laforme
générale (en particulier
lataille)
desglands.
Defaçon
àpouvoir
utiliser pra-tiquement l’équation discriminante,
il serait bon de la recalculer surplusieurs
annéessur des provenances bien
identifiées,
afin de vérifier sa stabilité.Enfin,
la discrimination obtenue l’a étésur des
glands
récoltés in situ. Les carac-tères
morphologiques
observéspeuvent
donc être aussi biend’origine génétique (effets espèce,
provenance, descendan-ce...)
quephénotypique,
c’est-à-dire liésau climat
particulier
dechaque région
deprovenance, à son substrat
géologique
ouau
type
de station de récolte.Seules,
enthéorie,
desplantations comparatives
per- mettraient de s’affranchir de l’influence dumilieu. Mais on
peut
tout de même consta-ter que les variations observées en fonc- tion de
l’espèce
restent valablesquelles
que soient lesrégions,
et ont donc certai-nement une
large part d’origine génétique.
La fonction discriminante donne une
proportion
relativementimportante
degraines
mal classées(15%
enmoyenne),
au niveau individuel. L’utilisation de marqueurs
génétiques plus performants,
telles les
iso-enzymes,
devraitpermettre,
à condition de découvrir des marqueursspécifiques,
d’atteindre des taux de recon-naissance
proches
de100%,
mais à descoûts bien sûr très
supérieurs.
Il fautcependant
noter que notreméthode,
si elle negarantit
pas dans tous les cas uneidentification certaine de
l’espèce
auniveau
gland individuel, permet,
avec lamesure de 100
glands,
une bonne carac-térisation des provenances. On trouvera
en
Figure
4 la courbe derépartition
de l’in-dice
d’espèce
calculé pour les 100glands
de 3 provenances :
pédonculé typique (R09),
sessiletypique (P15),
et intermé-diaire
(P05).
On observe pour celle-ci unerépartition
bimodale de l’indicespécifique,
avec une
prédominance
des formes detype
sessile dans l’échantillon. Onpeut suspecter
dans ce cas unmélange
des 2espèces
dans lepeuplement
de récolte.D’un
point
de vuephysiologique,
lepoids plus important
de lagraine
de chênepédonculé (30%
deplus
que celle de chênesessile) peut
enpartie expliquer
laproduction plus importante
en biomassedes
jeunes plants
depédonculé,
au moinsjusqu’à
la mise enplace
dupremier étage
foliaire
(Lamond, 1978).
Nos résultats
permettent d’envisager
des
techniques pratiques
de tri desglands
à l’entrée des
pépinières
ou le contrôle dela
pureté
d’un lot de semences donné.Références
Becker M. {1972)
Quelques
observations mor-phologiques
chez le chêne sessile et le chênepédonculé.
Bull. Soc. Bot. Fr. 119, 3-4, 231-236 Becker M.{1984)
A propos dudépérissement
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