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Artistes et mémoire collective : se rappeler interpelle

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Academic year: 2022

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Artistes et mémoire collective : se rappeler interpelle

DOSSIER DOCUMENTAIRE

Un cycle de dix rencontres-débats proposé par le Master Projets Culturels dans l'Espace Public Université Paris I Panthéon-Sorbonne. En partenariat avec HorsLesMurs Ouvert aux artistes, urbanistes, acteurs culturels, étudiants, chercheurs, artivistes, architectes, élus, et à tous les membres du genre urbain que ces questions stimulent...

Chaque vendredi soir, du 26 janvier au 30 mars 2007 à la Sorbonne, amphi Bachelard, de 19h à 21h.

Entrée libre sur réservation. Inscription et programme détaillé

> www.art-espace-public.c.la

Avec le soutien du Ministère de la Culture et de la Communication, dans le cadre du Temps des Arts de la Rue

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Artistes et mémoire collective : se rappeler interpelle

« Le présent est indéfini, le passé n’a de réalité qu’en tant que souvenir présent, le futur n’a de réalité qu’en tant qu’espoir présent. »

Jorge Luis Borges, Fictions

Depuis longtemps, les artistes sont invités à imaginer des lieux ou des moments où la cité pourra, dans l’espace public, commémorer, se souvenir, honorer. Nombreux sont ceux également qui décident de s’emparer de fragments de la mémoire collective pour nourrir leurs œuvres. Dans le champ des arts plastiques et du spectacle vivant, quelles formes prennent ces projets artistiques qui travaillent le passé et sont travaillés par lui ? Comment certains artistes parviennent-ils à répondre à la demande de commémoration par des œuvres questionnant, de manière parfois provocante ou troublante, le lien entre passé et présent ? Comment contribuent-ils à l’invention d’une mémoire vive ?

Avec

Chantal Lamarre, directrice de Culture Commune, scène nationale du bassin

minier du Pas-de-Calais, Sandrine Leblond, de la compagnie Hendrick Van Der Zee,

Emmanuel Wallon, professeur de sociologie politique à l'Université Paris X-Nanterre.

Vendredi 23 Mars 2007, de 19h à 21h, à la Sorbonne.

Cette rencontre-débat est organisée par Dehlia Aouli, Kate Merrill, Caroline Moye, étudiantes au sein du Master Projets Culturels dans l’Espace Public de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

Cette rencontre-débat est présentée dans le cadre du cycle de rencontres-débats art espace public, proposé par le Master 2 Projets Culturels dans l'Espace Public de l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, sous la houlette de Pascal Le Brun-Cordier, professeur associé, directeur du Master. En partenariat avec HorsLesMurs, centre national de ressources des arts de la rue et des arts du cirque. Avec le soutien du Ministère de la Culture et de la Communication, dans le cadre du Temps des Arts de la Rue.

Programme complet du cycle > www.art-espace-public.c.la

Le Master Projets Culturels dans l'Espace Public > www.univ-paris1.fr/article3583.html Le Journal de bord du Master > http://masterpcep.over-blog.com

Site de HorsLesMurs > www.horslesmurs.asso.fr

Site du Temps des Arts de la Rue > http://tempsrue.org

Partenaires médias : paris-art.com — Stradda, magazine de la création hors les murs

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Présentation des invités

Chantal Lamarre dirige la scène nationale Culture Commune, qui dispose, depuis

1998, d’un lieu, la base 11/19, du nom de deux des six puits creusés à Loos-en- Gohelle (Nord-Pas-de-Calais) pour exploiter la mine à la fin du XIX

ème

siècle.

L’originalité du projet est d’avoir été conçu dès le départ en collaboration avec des élus dans un cadre intercommunal, en plein cœur du bassin minier et autour d’un projet orienté vers la création contemporaine. Chantal Lamarre revendique la dimension politique de son projet :

« immiscer la subversion du possible » sur un

territoire marqué par le fatalisme hérité de son histoire. Des artistes, elle n’exige qu’une chose : être des « révélateurs du potentiel humain ».

Sandrine Leblond accompagne le projet artistique de la Compagnie Hendrick Van Der Zee (H.V.D.Z). Guy Alloucherie, directeur depuis 1997, a créé cette compagnie

après avoir co-dirigé le Ballatum Théâtre pendant 15 ans, compagnie installée au Centre Arc-en-Ciel de Liévin. En 1998, Guy Alloucherie, fils de mineur, a choisi de revenir travailler dans sa région d'origine, le Nord-Pas-de-Calais, où il installe sa compagnie en résidence à la Fabrique Théâtrale, à Loos-en-Gohelle. Il collabore depuis au titre d'« artiste associé » au projet artistique et culturel de Culture Commune – scène nationale du bassin minier du Pas-de-Calais. Le dernier spectacle de la compagnie,

Base 11/19, est présenté au théâtre de l’Odéon (ateliers Berthier)

jusqu’au 31 mars 2007.

Emmanuel Wallon est professeur de sociologie politique à l'Université Paris X-

Nanterre. Membre du comité de rédaction des Temps Modernes et de la revue Études

théâtrales, il a présidé de 1998 à 2003 HorsLesMurs, association nationale pour le

développement des arts de la rue et des arts de la piste. Il est l’auteur d’un rapport au

ministre de la culture, Sources et ressources pour le spectacle vivant (Paris, 2005). Il

a dirigé notamment

L'artiste, le prince, Pouvoirs publics et création,

1991,

Le temps de l’artiste, le temps du politique

(Les Cahiers du Renard, 1993, avec B. Masson),

ainsi que Théâtre en pièces, Le texte en éclats (Etudes théâtrales, 1998), Le cirque au

risque de l’art, 2002, et Paris s’éveille (Les Temps Modernes n°610, 2002).

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Cadrage

La notion de mémoire collective

Brève histoire d’une notion

La mémoire collective est une notion fluide et polysémique, fréquemment utilisée : « que l’on parle du Chili, des pays d’Europe de l’est, de la Guerre de Yougoslavie, des mondes paysans et ouvriers disparus, du patrimoine local, tout est mémoire, c'est-à-dire « présent du passé » 1. Suite aux travaux fondateurs de Maurice Halbwachs dans les années 1920, la notion de mémoire collective se développe dans les années 1970 : dans un premier temps, elle est utilisée à des fins stratégiques dans le champ du débat historiographique. Les années 1980 sont marquées par une forte augmentation des publications sur la mémoire en sciences sociales, ce qui fait dire dès 1978 à Pierre Nora que « l’histoire désormais s’écrit sous la pression des mémoires collectives » 2. Cet envahissement des pratiques mémorielles est à analyser au regard des mutations du contexte social et politique : mort de De Gaulle, déclin du communisme, sensibilité accrue parfois militante aux dominés de l’histoire, « réveil » de la conscience juive 3.

Tentative de définition

« La notion de mémoire collective met l’accent moins sur les usages institutionnels et politiques du passé – sur les "politiques" et autres stratégies mémorielles –, que sur les représentations socialement partagées du passé, lesquelles sont effets des identités présentes qu’elles nourrissent pour partie en retour.

La question devient alors : comment passe-t-on de la multiplicité des expériences et des souvenirs, à l’unicité d’une mémoire dite "collective" ? Comment, non pas à l’inverse mais dans le même mouvement, une mémoire dite collective parce que portée par des groupes, partis, associations et autres porte-parole autorisés, peut-elle agir sur les représentations individuelles ? (…)

La mémoire collective se définit comme une interaction entre les politiques de la mémoire – encore appelée "mémoire historique" –, et les souvenirs — "mémoire commune", de ce qui a été vécu en commun. Elle se situe au point de rencontre de l’individuel et du collectif, du psychique et du social. En d’autres termes, les mémoires collectives se constituent dans le travail d’homogénéisation des représentations du passé et de réduction de la diversité des souvenirs s’opérant éventuellement dans les "faits de communication" entre individus et dans la transmission (Marc Bloch) ; dans les " relations interindividuelles" qui constituent la réalité des groupes sociaux comme ensembles "structurés"

(Roger Bastide). » 4

Une définition qui reste problématique

« La notion de mémoire collective est, pour Halbwachs lui-même, problématique : on perçoit qu’elle est le pendant des «représentations collectives» chez Durkheim. Le message disciplinaire adressé au lecteur est clair : on ne pense pas seul, mais toujours avec la société,

1 Marie-Claire Lavabre, « Pour une sociologie de la mémoire collective », article en ligne sur le site du CNRS http://www.cnrs.fr/cw/fr/pres/compress/memoire/lavabre.htm

2 Jacques Le Goff et Pierre Nora [dir.], Faire de l'histoire, Gallimard, 1974, 3 tomes ; rééd. 1986, Folio-Histoire.

3 Marie-Claire Lavabre, « Usages et mésusages de la notion de mémoire », Les Cours de la recherche, Critique Internationale n°7, avril 2000, p. 50.

4 Ibid.

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au point où celle-ci définit ce qui est remémorisé, et le reconstruit si besoin est. Cependant, Maurice Halbwachs semblait lui-même gêné par cette notion de mémoire collective, pratique et utile lorsqu’il s’agit d’apparaître face à ses pairs des autres disciplines (…). C’est pourquoi apparaissent dans le corps de son texte les notions de mémoire historique et de mémoire sociale. Après avoir confronté dans un premier chapitre mémoire collective et mémoire individuelle, il l’oppose dans un second chapitre à la notion de mémoire historique (…). La mémoire résulterait donc d’un double processus d’intériorisation et d’extériorisation : intériorisation d’une expérience non vécue, transmise par la parole et par l’écrit (notamment à l’école, par les livres d’histoire), extériorisation d’une expérience personnelle, mais restituée à travers le prisme de la société : même seul, la société est toujours là. » 5

Problématiques de la rencontre

La notion de mémoire collective a subi de multiples appropriations sociales, historiques et politiques. Elle est souvent convoquée au nom du « devoir de mémoire » pour légitimer la mise en place de politiques publiques qui en appellent à ce travail du passé, à cette récolte de souvenirs individuels afin de fabriquer une mémoire commune. Pour Emmanuel Wallon 6, il faudrait préférer à ce concept de « devoir de mémoire » ceux de « travail de mémoire et mémoire au travail » qui permettent d’envisager les conditions sociales de la production des représentations partagées du passé, et pas seulement sur les usages politiques du passé, d’une « mémoire par le haut ».

L’objet de cette conférence est de s’interroger sur la spécificité de ce travail de la mémoire par les artistes dans l’espace public, et de voir comment, dans un mouvement continu, ils tendent à produire une mémoire vive, une mémoire au travail.

Nous avons retenu comme acception de la notion de mémoire collective, celle de Marie-Claire Lavabre 7, qui la définit comme une interaction entre la mémoire historique et la mémoire commune, qui renvoie aux souvenirs. « Elle se situe au point de rencontre de l’individuel et du collectif, du psychique et du social. » Dès lors, les pans de la mémoire qui sont convoqués pour cette conférence sont ces événements qui s’inscrivent à l’articulation de la mémoire individuelle et collective.

 Comment, à partir d’une perception singulière et sensible, les artistes (plasticiens, metteurs en scène, circassiens, comédiens, chorégraphes…) travaillent-ils cette mémoire ? Comment la mise en récit publique et artistique des représentations du passé parvient-elle à donner du sens aux souvenirs individuels ?

Espace public et lieux de mémoires

Tout lieu, rural ou citadin, est un lieu de mémoires enfouies et multiples. Les paysages en portent les traces, les habitants sont les gardiens de souvenirs individuels, interpersonnels, de fragments d’une histoire commune 8.

 Comment les artistes qui interviennent dans l’espace public recueillent, interrogent et font surgir les mémoires plurielles dont ces lieux sont porteurs ? Quelles interactions se créent alors ?

Commémoration / célébration

La question de la mémoire collective invite à mettre en perspective les notions de célébration et de commémoration. La célébration semble provenir d’une autorité religieuse ou politique se

5 Jean Ferrette, « Des ouvriers sans héritage », Interrogations, N°3, L’oubli, décembre 2006.

6 Entretien réalisé avec Emmanuel Wallon, 14 février 2007.

7 Marie-Claire Lavabre, « Pour une sociologie de la mémoire collective », article en ligne sur le site du CNRS http://www.cnrs.fr/cw/fr/pres/compress/memoire/lavabre.htm

8 Extrait du Colloque « Mémoires des lieux et lieux de mémoires », Traverses 92, http://www.traverses92.ac- versailles.fr/colloque.htm

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référant ainsi à une mémoire historique. La commémoration invite quant à elle « à se souvenir ensemble » 9, elle convoque la mémoire commune, constituée des souvenirs individuels.

 Les artistes nous invitent-ils à commémorer ou à célébrer la mémoire d’un événement ?

Monument / évènement

Pour Emmanuel Wallon, « le monument émane toujours d’un acte d’autorité qui procède par concentration (…) alors que le montage d’une scène, l’aménagement d’un plateau de plein air ou l’organisation d’une déambulation avec acteurs et machines repose sur un agencement fait pour favoriser l’incursion de l’imprévu, de l’inouï dans l’espace public » 10.

Dans l’espace public, le frottement à un monument ou à un spectacle n’invite pas aux mêmes types de réactions, ni à la même mobilisation de la mémoire (mémoire historique, mémoire fantasmée).

 Entre le monument et le spectacle, le pérenne et l’instantané, l’évocation et l’interactivité, quelles différences effectives ?

 Quelles sont les spécificités de la réception du public ? De la convocation des savoirs ? De la sollicitation de l’imagination ?

 Comment le monument comme l’évènement contribuent-ils à faire de la mémoire une affaire contemporaine, consciente et sensible ?

Commande publique : « une mémoire par le haut ? »

La commande publique peut prendre de multiples formes : souscription publique, commande de l'Etat ou de collectivités territoriales, projets commémoratifs, dispositifs de soutien ministériel ou local à la création contemporaine...

 Comment la nature du commanditaire et de la commande influent-elles sur la réponse faite par les artistes ?

 Comment l’artiste peut-il être conduit à répondre de manière détournée à cette commande politique afin notamment de répondre à une attente sociale qui n’est pas toujours perçue par le politique ?

9 Entretien réalisé avec Emmanuel Wallon, 14 février 2007.

11 Présentation Culture Commune, http://www.culture-commune.asso.fr

10 Emmanuel Wallon, extrait du Colloque Traverses 92, « Mémoire des lieux - lieux de mémoire », 2005.

http://www.traverses92.ac-versailles.fr/traverses06/trav2005.htm

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Développements

I- Travail de la mémoire : Culture Commune et la compagnie HVDZ

Culture Commune, transmission de la mémoire et création artistique

Au départ, à la fin des années 1980, un territoire – le bassin minier du Pas-de-Calais – et la demande institutionnelle d'un festival ; peu d'équipements, peu de pratiques artistiques, peu ou pas de moyens financiers, peu de professionnels de la culture, et une seule équipe artistique professionnelle (toutes disciplines artistiques confondues) : le Centre Dramatique de Béthune. L'ambition et le pari partagés par les élus de mettre en mouvement la « société » bassin minier par l'action artistique et culturelle étaient pour beaucoup de regards extérieurs (et intérieurs) illusoires. Le travail de préfiguration, puis le travail de fourmi que sous-entend une démarche de développement, ont porté leurs fruits. D'actions artistiques en actions artistiques, un mouvement est aujourd'hui perceptible.

L’installation de Culture Commune sur le 11/19, lieu hautement symbolique du bassin minier au cœur de l’agglomération Lens-Liévin, a permis de s’engager dans un nouvel avenir sans renier mais bien en s’appuyant sur l’histoire humaine et le patrimoine industriel et culturel d’un siècle et demi d’activité mono industrielle minière. Le patrimoine constitue un nouvel axe d’actions de Culture Commune.

La mémoire

Culture Commune a constitué « une base de données de la mémoire du 11/19 et plus particulièrement de la mémoire vivante (entretiens filmés de mineurs, femmes de mineurs…) et de collectage de documents (écrits, photos, films…) ». Ces "récits de vie"

sont basés sur des entretiens semi directifs où la parole de l’interviewé est maîtresse. Ces interviews filmées sont transcrites et visibles sur support vidéo, audio ou papier, sur demande au Centre de Ressources (si accord de l’interviewé). Une des priorités est de permettre au public la consultation de ces

récits. Ces divers entretiens constituent des archives orales de grande valeur pour le bassin minier et pour l’histoire de la vie à l’époque charbonnière, mais constituent aussi un matériau pour la création artistique. Ces récits de vie peuvent être la première étape d’une envie qui deviendra création artistique. La compagnie Hendrick Van Der Zee a d’ores et déjà beaucoup travaillé avec les anciens mineurs sur la base de récits de vie.

Dans le cadre de Lille 2004 capitale européenne de la culture, Culture Commune a coproduit trois créations et une installation lors des Rendez-Vous Cavaliers, des randonnées spectaculaires sur les anciens chemins de fer des mines, avec les compagnies Hendrick Van Der Zee et KompleXKapharnaüM (La Tournée des Grands Ducs), le Théâtre du Prato (Deûles d’Amour) et Le Phun (Les Trous de mémoire). Il s’agissait de « raviver la mémoire, d’inviter les habitants à porter un autre regard sur le territoire dans lequel ils vivent à travers des actes artistiques posés (...). Pour cela les artistes ont « habité » le terrain, rencontré les gens, animé des ateliers : de la collecte de récits à l’organisation du spectacle, organisé des veillées...

L’objectif : « créer du possible », dit Chantal Lamarre, « en brisant des silences, en dépassant des idées reçues, en séparant de la mémoire pour faire oeuvre et interpeler. » » 11

11 « L’espace des possibles », Nord Eclair, 21/09/2004.

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Les Rendez-Vous Cavaliers

Ce sont des randonnées guidées, ponctuées d’interventions d’artistes. La compagnie de théâtre de rue Le Phun, l’an dernier à Gosnay, a bouleversé les habitants de rire et d’émotion. Cette année, dans le cadre de Lille 2004, les comédiens du Prato ont attendri et séduit la population le long de la Deûle. Ceux qui ont accompagné l’Inspecteur Maigret sur la péniche à Pont-à- Vendin, qui ont suivi Félix et Guy dans les bois ou qui ont écouté l’accordéon de Nono sous les ponts ne verront plus jamais leur région de la même façon. Grâce à ces spectacles d’un clin d’œil ou de trois heures, Culture Commune entend laver le regard des gens pour qu’ils redécouvrent leur quotidien. Désormais, le bout de cavalier, là, au bout du chemin, sort de l’indifférence et du mépris. L’espoir est qu’après la balade spectaculaire, le promeneur retourne avec plaisir sur les lieux du rire. Parce qu’on rit beaucoup dans les Rendez-Vous Cavaliers. On rit décalé, second degré et à gorge déployée. Éclats de rire sur éclats de charbon. À chaque rendez-vous, toujours plus de monde à pied, à bicyclette, en bus, en péniche. Les voisins, les copains, les riverains et les copains des riverains. « Il faut que la population directement concernée soit là, insiste Chantal Lamarre. Elle doit devenir complice, acteur, spectateur. » Pour sensibiliser les habitants, ceux qui n’ont pas l’habitude du spectacle vivant, une multitude d’ateliers est proposée en amont des créations ; des veillées sont mises en place des mois auparavant, les gens sont écoutés et la production artistique est menée avec leur collaboration, leur mémoire, leur histoire. « C’est toute une population qui se met en mouvement, explique encore Chantal Lamarre, car ceux qui possèdent la clef de la transformation du bassin minier, ce sont les habitants eux-mêmes. »

Marie-Pierre Griffo, L'Echo du Pas-de-Calais n°56, juillet-août 2004

La tournée des Grands Ducs, Hendrick Van der Zee et KompleXKapharnaüM, 2005

Un voyage de 15 km, 2 heures de spectacles, mêlant du cirque, de la danse, du théâtre et de la vidéo, a fait découvrir cette collaboration de la compagnie Hendrick Van der Zee du metteur en scène Guy Alloucherie et KompleXKapharnaüM. On découvre un homme, Alloucherie lui-même, gorge émue, qui rencontre son enfance dans les corons. Une collection d’images entre figures locales, travail harassant des pères et visite à la mer organisée par l’Amicale laïque. Autour de lui, des images portrait d’habitants, femmes en blouse, enfants collés à leur mère, hommes goguenards, qui témoignent sur le seuil de leur maison de briques : « Les terrils, c’est notre Tour Eiffel à nous. »

Emmanuel Bouchez, « Chefs-d’oeuvre en terrils », Télérama, 18/08/2004.

Les Trous de Mémoire, companie Le Phun

Cette année, la troupe du Phun est revenue en résidence. Les artistes ont rencontré les anciens, et puis les jeunes à qui ils ont demandé de relire et de retranscrire les récits de leurs aînés.

« Une vie, il faut la transmettre » dit Phéraille, leader de la compagnie. « La mémoire, ce n’est pas que du passé. »

« L’espace des possibles », Nord Eclair, 21/09/2004.

Un bus vient chercher les spectateurs, comme s’ils allaient au travail, et les amènent dans la forêt sur un ancien cavalier de mine. Un ancien mineur de fond, qui vient de ressurgir d’une mine, rejoint les spectateurs : « Heureux du travail accompli, il invite chacun à le raccompagner à la maison... Sur la route, il écoute les arbres de la forêt qui chuchotent l’hommage aux mineurs perdus. » Le spectacle continue jusqu’à la tombée de la nuit où les acteurs invitent les spectateurs à jouer et à entrer dans la vie des mineurs. « Des trous de mémoire pour faire le plein de souvenirs. »

L’Avenir de l’Artois, 23/09/2004

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La Compagnie Hendrick Van Der Zee (HVDZ)

« Depuis son implantation à la Fabrique, à Culture Commune, la Compagnie HVDZ a entrepris un travail sur la mémoire et la parole. En 1999, un premier travail mené avec d'anciens mineurs, Les Étoiles du nord, avait amené la Compagnie a touché du doigt la richesse de ce vécu, de cette culture ouvrière. Le chantier qui a mené ensuite au spectacle J'm'excuse en 2000 suivait également cette trace. Depuis ces deux expériences, la compagnie consacre une grande partie de ses recherches artistiques à la question de la mémoire et de la transmission. » 12

12 Extrait du site de la compagnie www.hdvz.org

Base 11/19, 2007

« Dans Base 11/19, Guy Alloucherie explore la mémoire de ceux que la mondialisation a laissés sur « le carreau ». A partir de paroles saisies à même le vécu, il tricote un spectacle militant où le cirque, le théâtre, la danse et la vidéo se font le vecteur poétique d'un combat politique.

11/19. Ces deux chiffres, qui autrefois résumaient le quotidien charbonneux des mineurs, désignent aujourd'hui le site d'implantation de Guy Alloucherie et sa compagnie H.V.D.Z.

C'est aussi le titre d'une création qui raconte l'histoire tissée au fil des ans entre ce groupe d'artistes et cette friche industrielle. « Au commencement donc était la Base 11/19. » Cette phrase reviendra scander le spectacle, comme pour redire d'où surgit le geste artistique. Sans doute faut-il remuer la terre noire des corons pour découvrir, creusés dans les fissures de l'enfance, les sillons de cette démarche. En 1998, quand il s'installe dans un ancien carreau de mines de Loos-en-Gohelle, Guy Alloucherie rompt avec le Ballatum Théâtre qu'il a cofondé avec Eric Lacascade et retrouve le Pas-de-Calais de sa jeunesse. Un territoire maudit par la crise économique, qu'il avait feint de pouvoir fuir sur les grands chemins du théâtre. Pourtant, c'est finalement là qu'il puisera la sève ardente d'une parole arquée par l'urgence de dire les désordres du monde, de tambouriner sa froide colère, de résister.

11/19 raconte cet itinéraire. Guy Alloucherie témoigne à la première personne, reprenant parfois cet accent du nord qui chuinte les syllabes. Il raconte, son enfance, le quotidien des gens simples, le mépris des hussards de l'école républicaine qui reproduisent la ségrégation sociale, la morgue des codes dominants, les premiers spectacles et les engagements politiques... Il avoue la difficulté de s'assumer artiste quand on vient d'un milieu ignoré et ignorant de l'art. « Dire comment j'en suis arrivé là. Parler d'un sentiment rémanent d'imposture. A d'autres endroits de honte, de lâcheté, quelquefois de trahison.

Parler du doute. Dans les bons jours, on dira que c'est du doute et dans les mauvais jours, que c'est un grand écart douloureux jusqu'à la rupture entre le monde ouvrier d'où je viens et le monde de l'art. » Mêlant texte, vidéo, danse et acrobatie, Base 11/19 procède par collages et cut up. Sur la scène recouverte d'une tourbe qui colle à la peau comme la sueur du malheur, les artistes donnent chair aux échos chaotiques du monde d'aujourd'hui. » Gwénola David, Mouvement n°43, mars 2007

Les Veillées, 2005

Dans Base 11/19, Alloucherie fait référence aux Veillées, un concept développé dans le cadre de la création de La Tournée des Grands Ducs qui continue à alimenter son travail :

« Le concept des Veillées, ou comment donner à voir d’un œil nouveau le quartier à ses habitants. En allant à la rencontre des associations, en sillonnant les rues, en frappant aux portes, en évoquant des souvenirs, en recueillant des anecdotes, en filmant les figures incontournables, en lisant des textes ou en dansant dans la rue sans prévenir et en finissant par inviter tout le monde pour une soirée où l’on donne le premier rôle au quartier et sans nostalgie, on réveille l’enfoui en le confrontant à l’ici et au maintenant. »

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Les Sublimes, 2003

« Guy Alloucherie y raconte son parcours de fils de mineur devenu metteur en scène de théâtre. Son enfance, son départ, puis son retour dans le pays minier, l’installation de sa compagnie à la Fabrique théâtrale (un ancien carreau de mine reconverti en lieu de fabrication de spectacles). Tout ce qui a induit une mise en question du théâtre qu’il fait. Et les questions sous-jacentes surgissent au fil du spectacle : pourquoi, pour qui, comment faire du théâtre ? »

Les Sublimes, c’est un spectacle sur l’économie et le physique. Le physique et le politique. Le lieu, le 11/19, nous a entraînés vers ça. C’est ça. Au fond, c’est pour ça qu’on fait Les Sublimes. Être sur un carreau de fosse, un lieu industriel… Ça travaille, comme on dit. C’est- à-dire que ça ne laisse pas indifférent. Les murs vivent et nous disent de témoigner ou de prendre en charge, du moins de ne pas ignorer que ce lieu ouvert à l’art par la volonté de nouveaux militants est celui de la classe ouvrière, des luttes, des grèves, des catastrophes, de la silicose, du travail. Donc, à un moment ou un autre, ce lieu qui représentait la grande industrie capitaliste et paternaliste issue des grandes exploitations du XIXème siècle (aujourd’hui transformée en néolibéralisme et mondialisation) nous dicte la nécessité d’un art réaliste, de celui qui dénonce et prend parti. »

http://www.culture-commune.asso.fr/hvdz/lessublimes.htm

II- Monuments / anti-monuments : commémorer ou célébrer ?

Le politique s’attache à vouloir honorer la mémoire ; la création d'une œuvre commémorative se doit de répondre à cette question tant du point de vue artistique, plastique et esthétique, que symbolique, historique et sociologique. « Au XXe siècle, la sculpture commémorative va assurer sa fonction symbolique traditionnelle de façon protéiforme et particulièrement transgressive après la deuxième guerre mondiale. Interrogeant la tradition sculpturale, elle va questionner nos racines culturelles en les rappelant parfois violemment au monde contemporain. Incarnant une mémoire collective éprouvée par l'histoire, sa forme tangible en assurera la permanence en prenant corps dans de multiples réalités. » 13

Le projet de Robert Filliou : Commemor. Echange de monuments aux morts

« Il est solennellement proposé aux peuples européens d’échanger leurs monuments aux morts respectifs. À cet effet, la création d’une COMission Mixte d’Echange de monuments aux MORts est suggérée, dont les activités s’accompagneront d’un recueillement sobre et nobles réjouissances. »

« Echanger, par exemple, les noms allemands et français tous victimes, quel que soit l’uniforme porté, de la même tuerie, c’est une idée efficace et belle, qui pourrait avoir un grand impact sur les mentalités. Mais quel village, quelle ville se montrera capable de l’appliquer ? Les échanges de monuments aux morts sont restés à l’état de montage photographique sur des maquettes. Pour Robert Filliou, ce projet était vraiment réalisable. Il rêvait d’hélicoptères qui auraient transporté les monuments d’un pays à l’autre, volant par-dessus les frontières soulevant les fantômes de la mort et de la haine pour un échange de vie entre gens d’aujourd’hui, ces activités s’accompagnant « d’un recueillement sobre et de nobles réjouissances. » »

Tilman Pierre, Robert Filliou nationalité poète, Les Presses du Réel, 2006, p. 188.

13 http://www.ac-reims.fr/datice/artsplastiques/pedagogie/sculpturecommemorative.htm

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Jochen Gerz

Né en 1940 à Berlin, Jochen Getz vit à Paris depuis 1966. Il a étudié les littératures allemande et anglaise, la sinologie et la préhistoire à Cologne, Bâle, Londres. Il commence à exposer et à publier à partir de 1968, et fut un acteur engagé des événements de 1968. Il intervient dans l'espace public depuis 1967 (Monument contre le fascisme, Hambourg-Harbourg, 1986-1993 ; 2146 pierres - Monument contre le racisme, Saarbrück, 1993 ; Le questionnaire de Brême, 1995 ; Le monument vivant de Biron, 1996, etc.), travaille les rapports entre textes et images depuis 1969, et réalise des installations, des vidéos et des performances depuis 1971 14.

Monument contre le fascisme, Hambourg-Harbourg, 1986- 1993, avec Esther Shalev-Gerz.

« En 1979, les élus de la ville de Hambourg lancent un débat public en vue de l’édification d’un monument contre le fascisme. Un concours est ouvert et c’est la proposition d’Esther Shalev-Gerz et de Jochen Gerz qui est retenue. Le monument, qui est installé sur une place très fréquentée de la ville, consiste en une colonne de 12 mètres de hauteur, érigée sur une base de 1m x 1m et recouverte de plomb, sur laquelle les habitants de la ville de Harbourg [ville de la banlieue de Hambourg] sont invités par un texte en sept langues à s’engager de manière publique par rapport au fascisme, en signant au moyen de crayons métalliques griffant le plomb de façon indélébile. Chaque fois que la surface accessible de la colonne est recouverte de signatures, celle-ci est enfoncée dans le sol. Ainsi a-t- elle disparu au bout de sept ans, seul son sommet restant visible aujourd’hui encore comme partie du sol de la place,

“car à la longue, nul ne pourra s’élever à notre place contre l’injustice.” » 15

« Lorsque vous avez lancé le projet de Monument contre le fascisme à Hambourg-Harbourg avec Jochen Gerz en 1986, certains critiques ont parlé d’« antimonument ». Comment, avec le recul, interprétez-vous cette réaction ?

Esther Shalev-Gerz : Nous n’avons jamais conçu ce projet comme un anti-monument.

La ville de Hambourg nous a passé commande en rapport avec une situation précise en soulignant qu’elle n’aspirait pas un monument traditionnel. Dans ce contexte, il nous a été possible de proposer quelque chose de nouveau et de différent. Je viens d’Israël. Là-bas, tout est monument : il s’agit d’une chose rigide, inchangeable, avec laquelle on doit vivre. L’un des ressorts du Monument contre le fascisme a consisté justement à s’interroger sur la signification de cette notion. Le monument a été mis entre les mains du public, c’est-à-dire dans le monde des vivants, non pas celui des morts. Au travers de leur signature contre le fascisme sur la surface du monument, les participants ont pris la responsabilité de réaffirmer leur position contre le fascisme. C’est en cela qu’on a pu modifier la perception du public. » 16

14http://seminaire.photo.ens.free.fr/archives/1998/gerz/gerz.html

15http://www.shalev-gerz.net

16Entretien avec Ester Esther Shalev-Gerz réalisée par Alice Laguarda le 28 octobre 1998 à Paris, extrait du site http://www.shalev-gerz.net

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Les Oies du Feliferhof

« Fin 1995, pour abriter une plaque commémorative de la dernière guerre, le commandement de la région militaire de Graz (Styrie - Autriche) lance un concours pour faire réaliser un monument par un artiste contemporain. Début 1996, le jury se réunit et déclare lauréat le projet d’Esther et de Jochen Gerz : Die Gänse Vom Feliferhof (Les Oies du Feliferhof).

L’histoire du Feliferhof

Pour tout comprendre, revenons en Autriche entre 1941 et 1945, tout particulièrement sur le site du Feliferhof, champ de tir et camp d'entraînement où sont éliminés très discrètement opposants et résistants au régime national-socialiste (hommes, femmes et sans doute enfants). (…) L'Autriche a toujours nié toute forme de résistance à l'intérieur de ses frontières.

Il faudra attendre 1980 pour qu'une plaque commémorative soit apposée sur un des bâtiments du site du Feliferhof, toujours terrain militaire, où viennent chaque année s'entraîner au tir les 10 000 appelés des sept casernes de la région de Graz. 50 ans après, la mémoire autrichienne a du mal à se déverrouiller...” 17

L’oeuvre, jugée trop polémique, n’a jamais pu être réalisée.

Projet : « Quatre mâts sont posés tous les 4,50 mètres sur une ligne droite à la même distance les uns des autres. Partant de l'accueil général, un chemin de graviers de 10 mètres nous conduit, à travers champs, jusqu'aux pieds des drapeaux. À côté de l'accueil se trouve un stand informant sur le lieu, on y trouve aussi la plaque commémorative dressée au sol. Les drapeaux sont blancs et portent chacun, dans une écriture rouge, l'un des textes suivants : LE COURAGE EST PUNI DE MORT / LA TRAHISON AU PAYS SERA DECOREE / LA BARBARIE EST FILLE A SOLDAT / SOLDATS NOUS NOUS NOMMONS AUSSI.

À chaque utilisation du Feliferhof (champ d'exercices de tir des militaires), les drapeaux seront de nouveau installés. Les drapeaux seront confiés à une section d'appelés qui devront les monter sur chacun de leur mât. Les drapeaux seront descendus à chaque départ du groupe de Feliferhof et déposés dans un lieu de stockage. Les drapeaux marquent la présence des soldats. S'il n'y a personne ils ne sont pas visibles. Les mâts vides sont couchés. Quand les drapeaux sont montés ils indiquent la présence des militaires. Ce modèle de mât permet un coucher et un redressement simples. Ce travail doit correspondre à la routine militaire que font, les uns après les autres, les groupes d'escadrons en exercice. Ce mémorial, intitulé Les Oies du Feliferhof, correspond à l'acte du souvenir et en est dépendant. Sa présence dépend du souvenir, et de sa présence dans notre conscience. L'alternance de la présence et de l'absence (souvenir et oubli) est un tout. (...) » 18

Le Monument vivant de Biron

19

« Le monument : personne ne savait où il se trouvait. Il était là, au milieu du village, depuis longtemps, mais ni les habitants, ni les touristes ne s'en apercevaient. Il faisait donc référence à quelque chose de visible qui, avec le temps, semblait avoir disparu. (...) On s'était habitué à lui et on ne le voyait plus. » Jochen Gerz

En 1992, Marc Mattera, maire de Biron en Dordogne, propose de restaurer l'ancien

17Jean-Jacques Gay, Les Oies Du Feliferhof d'Esther et Jochen Gerz, L'affaire des Drapeaux, texte en ligne : http://frontieres.synesthesie.com/gerz/gertz.html

18Ibid.

19 Photo et texte, extraits du site http://www.farm.de/gerz/gerzFR/Biron.html

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monument aux morts situé sur la place du village. Le projet, présenté devant tous les villageois, séduit et surprend. Jochen Gerz propose de restituer l'ancien obélisque en pierre de Dordogne et d'en réaffirmer la présence.

Une question secrète est ainsi posée aux 127 habitants de Biron autour du thème : « Qu'est-ce qui est, selon vous, assez important pour risquer votre vie ? ». J. Gerz a rencontré chacun des habitants lors d’entretiens individuels, un seul a refusé de répondre. Le Monument de Biron est constitué des réponses des villageois, qui sont reproduites au mot près sous la forme de sept lignes anonymes gravées sur des plaques émaillées, fixées au monument, au socle et au sol.

Chaque citoyen est ainsi co-auteur, responsable de l'oeuvre et porteur de la mémoire qu'elle constitue face à l'oubli.

Le Maire de Biron explique : « Notre monument aux morts est devenu "vivant" et nous en sommes fiers. Il a changé le rapport à la commémoration qui n’est plus seulement synonyme de recueillement mais d’interrogations permanentes et présentes sur ce rappel du passé, sur les questions que le monument suscite notamment chez les touristes. »

L’anti-monument de Thomas Hirschhorn, Deleuze Monument, 2000

« Diplômé d'une école d'art de Zurich en 1983, Thomas Hirschhorn s'installe en 1984 à Paris et débute une collaboration avec Grapus, un groupe de graphistes engagés politiquement. Déçu par le fonctionnement interne du collectif, il décide de se débarrasser du poids d'une tradition de lutte politique basée sur l'opposition et la négation et mène une carrière artistique personnelle à partir de 1986 (…). Dans la lignée de son travail avec Grapus, Thomas Hirschhorn met l'accent sur l'aspect social de son travail.

Pour l'exposition La Beauté à Avignon en 2000, il présente Deleuze Monument dans le jardin d'une cité HLM, à l'extérieur des remparts de la ville touristique et riche. Sa sculpture, montée en collaboration avec les habitants du quartier, est composée de quatre parties toutes reliées entre elles. Le choix de Thomas Hirschhorn s'est porté sur Gilles Deleuze, philosophe français mort en 1995, car ce qui est beau pour lui est « ce qui lui permet de réfléchir, de faire travailler son cerveau ». » 20

« Cassandre : Pouvez-vous revenir sur l’expérience du Deleuze Monument à Avignon : le lieu choisi, le processus, l’opposition rencontrée ?

Thomas Hirschhorn : Dans une réponse à une commande publique, le lieu choisi dit quelque chose d’essentiel sur le travail. 90% des habitants d’Avignon habitent en dehors des remparts, au-delà de cette frontière économique, sociale et touristique. Je voulais aller là où les gens habitent, faire quelque chose, non pour l’habitant, mais avec lui. Le désir de travailler dans une cité est lié à l’universalité de ce travail qui pourrait exister dans une autre cité dans le monde, hors d’un contexte chargé d’histoire. Le projet initial devait se faire à la cité Louis- Gros, il s’est fait à la cité Champfleury parce que les gens du quartier m’ont invité.

Le monument est l’archétype de la commande publique au cours des siècles. Comment recyclez-vous cette notion de monumental et d’hommage ?

C’est une critique du monument classique, par le choix des gens auxquels il est dédié et par sa forme. La tradition monumentale célèbre les guerriers ou les hommes de pouvoir sur les places centrales des villes ; je fais des monuments à des penseurs, dans des lieux à la périphérie, où habitent les gens, des monuments précaires qui ne visent à impressionner personne, qui refusent l’éternité du matériau noble, marbre ou bronze. J’ai voulu montrer que le monument vient « d’en bas ». J’aime les autels anonymes, où les gens apportent des fleurs et des bougies. » 21

20Laetitia Rouiller, Biographie Thomas Hirschhorn, sur le site http://www.newmedia-art.org

21Revue Cassandre, site www.horschamp.org, septembre 2005.

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III- Réinterroger les liens entre passé et présent, pour préparer le futur. Travailler à l’élaboration d’une mémoire vive.

« Comment aborder le monument et agencer le spectacle de telle sorte que leur alliance émancipe l’avenir, au lieu de sceller le révolu ? Le défi consiste pour les architectes et les artistes, mais aussi pour les pédagogues et les praticiens, à imaginer des façons de croiser les trajectoires passées et les perspectives futures, pour paraphraser Jorge Luis Borges. Ce travail de mémoire relève beaucoup moins d’un devoir que d’un désir. Il suppose un effort individuel ainsi qu’un engagement commun. » Emmanuel Wallon 22

Mémoire collective et renouvellement urbain

Deux exemples de projets où les pouvoirs publics impulsent des projets culturels et artistiques visant à collecter une mémoire vivante des habitants des quartiers en renouvellement urbain.

La vie est un chantier, compagnie T.Public, Saint Quentin, 2006-2007

La compagnie T.Public, association d’idées, a été créée en 2004 à Marseille par Matthieu Bouchain, acteur et metteur en scène 23.

Le projet La vie est un chantier est une réponse à l’appel à projet de la ville de Saint Quentin pour la Cité d’Urgence. Construit après la deuxième guerre mondiale, ce quartier était en état de délabrement avancé. La ville a décidé de le démolir et de le reconstruire. Afin de faciliter la transition pour les habitants, la ville s’est engagée avec la compagnie T.Public, dirigée par Matthieu Bouchain, sur un projet de deux ans autour de la transmission de la mémoire vivante de ce quartier en reconstruction.

Le travail de T.Public s’est initié en mai 2006 : dans un premier temps, des clichés des habitants ont été réalisés sur leurs pas de portes. Ces photos ont ensuite été imprimées et données aux habitants. Transformées en affiches de taille réelle, elles ont été exposées sur les maisons au retour de la compagnie en octobre. Les habitants ont aussi été conviés à un spectacle de pyrotechnie de nuit dans le quartier en chantier, construit avec les témoignages, mots, paroles récoltés 24.

Mémoire et espoirs d’Allende : Voix publiques, Villetaneuse, 2005-2006

Voix publiques est une action artistique et culturelle proposée par l’association Pulsart en collaboration avec le ville de Villetaneuse, dans le cadre de la réhabilitation de la Cité Salvador Allende et du réaménagement de l’espace public. Une opération de réhabilitation globale de la cité Allende a été engagée par la Ville de Villetaneuse en 2004. (…) L’association Pulsart a été interpellée par le service culturel de la Ville de Villetaneuse dans le but de mettre en place une action artistique et culturelle pendant la durée globale des travaux, sur le plan historique, la mémoire des habitants de la cité (destruction de certains bâtiments, réhabilitation, relogement). L’action s’est déroulée en trois temps, les deux premiers en 2005 et le troisième en 2006.

1. La mémoire, un repère historique. Mise en place de trois ateliers artistiques (écriture, arts plastiques, photographie) dans un appartement de la cité mis à disposition de l’association. Il s’agissait de capter le vécu, le passé des habitants au moment où la cité commençait à se transformer (1er trimestre 2005). Un auteur travaillait en atelier d’écriture avec les habitants sur les moments que ceux-ci considéraient comme historiques pour le quartier tant dans la sphère publique que dans la sphère privée (…).

22 Emmanuel Wallon, op. cit.

23 Extrait du site http://www.karwan.info

24 Extrait du site : http://www.ville-saintquentin.fr

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2. Le provisoire, un repère géographique. Pendant la durée des travaux, l’orientation dans l’espace public devient plus complexe. Il était question que des ateliers d’arts plastiques et d’écriture travaillent sur les murs de la cité en utilisant des affiches numériques créant une signalétique provisoire onirique et poétique autour des notions de passé, de présent et d’avenir (ex : aire de bonheur à 300m). Le but était de créer ainsi une circulation dans un labyrinthe esthétique s’ouvrant vers l’extérieur, amenant chacun à la recherche de l’autre, d’un ailleurs, le début d’un voyage.

3. Le circulatoire, un repère politique. La vie de la cité, le politique, n’existe que s’il y a mouvement, échange, circulation des hommes et des idées. L’ambition est de créer une dynamique d’échanges entre la cité Allende et le centre-ville au moment où la cité s’ouvre vers de nouvelles perspectives. Ce devenir doit être élaboré avec les habitants afin d’assurer une participation citoyenne effective. Par la mise en place d’un atelier de sculpture sur l’année 2006, des sculptures/bornes qui viennent jalonner un parcours entre la cité Allende et la Mairie. Ces sculptures utilisent toute la matière artistique produite lors des précédents ateliers.

Elles incluent des parties des corps en volume des habitants (réf : César). Ce seront des monuments aux vivants. Ce parcours trouve sa jonction à l’emplacement de la nouvelle gare où prend place une installation particulière axée sur le thème du pont.

Extraits des sites http://www.karwan.info, http://www.ville-saintquentin.fr et http://www.pulsart.org

IV- Archéologie de la mémoire : lorsque les artistes aident à déterrer et dépoussiérer la mémoire argentine

Chaque groupe humain construit son rapport à l’histoire et à son territoire, souvent orchestré par les ordonnateurs des projets publics. Les artistes en proposent de libres interprétations et se saisissent parfois des fragments de souvenirs dont sont dépositaires des franges de populations souvent oubliées de l’histoire officielle. Lorsque l’histoire est douloureuse, certaines propositions artistiques peuvent aller plus loin et aider à se rappeler, à faire émerger une autre histoire sur la scène publique.

Le groupe d’intervention urbaine Periferia

Basé à Buenos Aires, Periferia est un groupe d’artistes callejeros (de rue), dont l’intention est de construire à partir d’actions artistiques, une recherche de la mémoire, afin de récupérer l’identité argentine. Ils souhaitent apporter à la rue et aux personnes qui la vivent, par une attitude artistique participative, avec des interventions éphémères dans tous les espaces oubliés, les vides urbains qui ne signifient plus rien, une conscience collective, car en ces temps urgents, disent-ils, « nous n’espérons plus, nous générons. »

Le groupe propose des actions de collectage de la mémoire à partir de la réalisation d’un quadrillage archéologique, pensé et conçu comme métaphore des faits, dates, noms et moments historiques les plus significatifs de l’histoire contemporaine argentine. Une première action a été menée autour de la collecte de la mémoire des vingt dernières années de démocratie ininterrompues. Dans la continuité de cette action, une autre a été menée prenant comme métaphore les événements du 20 décembre 2001 (point culminant de la crise argentine, avec des manifestations dans les rues, à l’aide de casseroles, sévèrement réprimées).

Traduit de l’espagnol à partir du site www.escaner.cl/escaner51/aldocumentar.html

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Bibliographie

Ouvrages

Jorge Luis Borges, Fictions, Gallimard, 1991.

Pierre Tilman, Robert Filliou nationalité poète, Les Presses du Réel, 2006.

Articles

Jean Ferrette, « Des ouvriers sans héritage », Interrogations n°3, L’oubli, décembre 2006.

Marie-Claire Lavabre, « Pour une sociologie de la mémoire collective », article en ligne sur le site du CNRS.

Marie-Claire Lavabre, « Usages et mésusages de la notion de mémoire », Les Cours de la recherche, Critique Internationale n°7, avril 2000, p.48-57.

Sites Internet :

www.culture-commune.asso.fr www.hvdz.org

www.gerz.fr

www.cnap.fr Centre national des arts plastiques.

www.cnrs.fr/cw/fr/pres/compress/memoire/lavabre.htm www.escaner.cl Site chilien d’information culturelle.

www.farm.de/gerz/gerzFR/Biron.html Site sur le monument de Biron.

www.horschamp.org Pôle de ressources et d’actions art / société.

www.karwan.info Site d'information de Karwan, pôle de développement et de diffusion des arts de la rue et des arts du cirque en région PACA.

www.leslaboratoires.org Les laboratoires d’Aubervilliers.

www.mouvement.net Site interdisciplinaire des arts vivants.

www.newmedia-art.org Encyclopédie nouveaux médias.

www.pulsart.org Association nationale d'actions artistiques.

www.traverses92.ac-versailles.fr www.ville-saintquentin.fr

www.wtcsitememorial.org

Références

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