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la mémoire individuelle et la mémoire collective dans la représentation de la guerre de libération nationale dans Entendez-vous dans les montagnes de Maïssa Bey

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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République Algérienne Démocratique et Populaire

Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique Université 8 Mai 1945 Guelma

Faculté des Lettres et des Langues

Département des Lettres et de la Langue Française

MEMOIRE

EN VUE DE L’OBTENTION DU DIPLOME DE

MASTER ACADEMIQUE

Domaine : Littérature et langues étrangères Filière : Langue française

Spécialité :

Littérature et civilisation

Elaboré par Dirigé par

ABDELLI Roufaida M. Maïzi Moncef

BOUCHEKAD Sihem

Intitulé

la mémoire individuelle et la mémoire collective dans la représentation de la

guerre de libération nationale dans Entendez-vous dans les montagnes de

Maïssa Bey

Soutenu le : ………. Devant le Jury composé de :

Nom et Prénom Grade

Mme Maafa Amel ………. Univ. de …... Président M., Maïzi Moncef ………. Univ. de …… Encadreur

M., Mme………….. ………. Univ. de …… Co-encadreur

M., Alioui Raouf ………. Univ. de …… Examinateur

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Résumé

A l’instar des autres travaux, ce mémoire tente de cerner, d’expliquer et d’analyser la mémoire individuelle et la mémoire collective à partir du roman de Massa Bey entendez-vous dans les montagnes.

En plus d’être un roman autobiographique, le récit de Maïssa Bey accroche le récit fictif à l’Histoire, ainsi la fiction et la réalité se confondent dans une écriture autofictionnelle.

L’auteure, grâce à une écriture où se mêlent la littérature et l’Histoire, raconte ses souvenirs douloureux, ses réminiscences et sa mémoire individuelle, cette dernière interpelle aussi la société et la mémoire collective.

Le récit de Maïssa Bey entendez-vous dans les montagnes, branché sur une partie de l’Histoire est raconté sans haine, ni passion, au contraire, l’écrivaine a su mettre les anciens militaires tortionnaires français pendant la guerre de libération algérienne devant leur crimes, ce qui fait que l’Histoire rattrape toujours les criminels de guerre. pour que l’oubli ne soit plus possible.

Mots clés :

Autofiction, autobiographie, mémoire individuelle, mémoire collective, récit et Histoire, pacte de lecture, littérature et Histoire

ياب ةسيام ةياور ىلإ اًدانتسا ةيعامجلا ةركاذلاو ةيدرفلا ةركاذلا ليلحتو حرشو ديدحت ةلاسرلا هذه لواحت ، ىرخلأا لامعلأا لثم ةخرص نوعمستا رارحلاا

.

ةيتاذ ةباتك يف عقاولاو لايخلا جمدني اذل ، خيراتلاب ةيلايخلا ةياكحلا طبرت ياب ةسيام ةصق نإف ، ةيتاذ ةياور اهنوك ىلإ ةفاضلإاب

.

تو ، ةيدرفلا اهتركاذو اهتايركذو ، ةملؤملا اهتايركذ ، خيراتلاو بدلأا نيب جزمت يتلا ةباتكلا لضفب ، ةبتاكلا يورت عمتجملا اًضيأ ةريخلأا ىدحت ةيعامجلا ةركاذلاو

.

بتاكلا فرع ، كلذ نم سكعلا ىلع ، ةفطاع وأ ةيهارك نود ىورُت خيراتلا نم ءزجب ةطبترم ،رارحلاا ةخرص نوعمستا يتلا ياب ةسيامةصق مئارجلا .ةيرئازجلا ريرحتلا برح ءانثأ مهمامأ نوقباسلا نويسنرفلا نويركسعلا نودلاجلا عضي فيك برحلا يمرجمب قحلي خيراتلا نأ ينعي امم ، ىتح .اًمئاد ًانكمم نايسنلا دوعي لا

.

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Abstract

Like the other works, this dissertation attempts to identify, explain and analyze individual memory and collective memory based on Massa Bey's novel Do You Hear in the Mountains. In addition to being an autobiographical novel, Maissa Bey's tale hooks the fictional narrative to History, so fiction and reality merge in an autofictional writing.

The author, thanks to a writing that blends literature and history, recounts her painful memories, her reminiscences and her individual memory, the latter also challenges society and collective memory.

Maïssa Bey's story do you hear in the mountains, connected to a part of history is told without hatred or passion, on the contrary, the writer knew how to put the former French military torturers during the Algerian liberation war before their crimes, which means that history always catches up with war criminals. so that forgetting is no longer possible.

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Dédicace

Je dédie ce travail à mes parents, ma mère pour sa tendresse et douceur qui m'ont depuis mon jeune âge parfaitement accompagnées ; mon père, l'incarnation des valeurs qui conduisent ma vie ; et mon frère Adem, les yeux par lesquelles je balise ma route.

Egalement à mes cousines

(Halima, Noussaiba, Marwa, Maissoune) et mon cousin Ayoub sans oublié le petit ange (Moutasim billah).

À toute ma famille et mes grandes mères

À toutes les personnes qui ont participé à l'élaboration de ce travail.

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Remerciements

Je tenais avant toute chose, à exprimer ma profonde gratitude envers mon encadreur,

M. Maïzi, pour ses conseils, directives minutieuses et corrections sans lesquelles ce travail

de recherche n'aurait pas vu le jour.

Je tenais enfin à exprimer mon profond respect et les plus grands remerciements au

plus généreux des enseignants : M. Ouartsi pour ses coups de main durant toute cette

formation de master.

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Dédicace

Mes parents, maman et papa ainsi que mon frère et ma sœur et un grand merci à mon

mari et mon homme Nacer, mon petit-fils Med Wassim et aussi un grand merci à mon

cousin monsieur Belaid et bien sûr monsieur Maïzi.

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La colonisation française fut une période sombre et cruelle. Les exactions et la torture ont

générées des séquelles indélébiles qui marquent jusqu’à nos jours les esprits des gens. La spoliation des terres algériennes au profit des colons, l’exclusion et les massacres perpétrés contre les autochtones et surtout les actes génocidaires comme ceux du 8 mai 1945, sont l’apanage du colonialisme français et cela jusqu’ au déclenchement de la guerre d’Algérie en 1954.

Ces atrocités et ces tueries préméditées et systématiques des algériens ont été qualifiés par Malek Hadad comme étant : « un moment pathologique de l’histoire ».

Cette période meurtrière de l’histoire et de la guerre d’Algérie est restée vivace dans la mémoire individuelle et dans la mémoire collective et sociale ; aussi bien celle des algériens que celle des français.

C’est ainsi que la littérature maghrébine et algérienne en particulier, n’a cessé de relater ces faits historiques et ces évènements sous une forme romanesque qui tente de se calquer le plus possible sur l’historicité et la véracité de ces années de braises.

C’est ainsi que la littérature algérienne postcoloniale va s’emparer de cette question historique douloureuse en la racontant sous la forme d’une fiction romanesque et même poétique. Des romanciers comme Mouloud Feraoun, Mohamed Dib, Malek Hadad, Assia Djebar, Kateb Yacine et d’autres encore, vont reprendre cette thématique coloniale à travers leurs déclarations dans les médias et surtout à travers leurs romans, qu’ils soient réalistes ou symbolistes.

Chez Mohamed Dib par exemple, on retrouve cette question coloniale à travers sa trilogie

Algérie qui est une œuvre réaliste par excellence. On retrouve aussi ce drame humain qui

caractérise la colonisation dans sa cruauté au sein de son œuvre allégorique qui se souvient de la

mer, où le colonialisme est comparé aux dédales mortels du minotaure.

Les romanciers algériens de l’époque postcoloniale décrivent ce moment tragique de l’histoire algérienne en général et de la guerre d’Algérie en particulier à travers une narration minutieuse des événements. Ils vont symboliser et médiatiser à travers la littérature une forme de stigmatisation de l’histoire ; afin que l’oubli ne soit plus possible.

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Selon Charles Bonn, le romancier maghrébin doit se décrire pour exister. L’écriture est alors une affirmation de soi, de son identité et de ses racines. On assiste alors à des thèmes récurrents dans cette scénographie historique : la quête de la liberté, la quête de l’identité, la quête de soi et la dénonciation du système colonial sous toutes ses formes.

Rappelons également qu’il existe en plus des écrivains algériens de l’époque coloniale, des écrivains de l’époque postcoloniale et des années 1990 comme Tahar Djaout avec les

chercheurs d’os, Nabil Fares, Rachid Mimouni et d’autres encore qui ont écrit des romans où

apparait chaque fois cette question coloniale qu’ils tentent de dénoncer ou du moins la comprendre.

Maïssa Bey fait partie de cette génération qui tente de perpétuer cette tradition littéraire et ce travail sur la mémoire. En plus de ses écrits sur la décennie noire et ce qu’on nomme communément l’écriture de l’urgence, Maïssa Bey a écrit aussi des romans qui remontent loin dans le passé et spécialement durant la guerre de libération nationale. Son roman entendez-vous

dans les montagnes en est une illustration de cette verve narrative qui décortique les tenants et

aboutissants des rouages inextricables de la guerre de libération algérienne.

La guerre de libération nationale est un thème qui a été abordé par de nombreux spécialistes parmi lesquels il y a des historiens, des sociologues, des essayistes et aussi des écrivains comme Maïssa Bey qui nous représente selon sa propre conception des choses, un évènement historique qui date de 1957.

Il faudrait savoir par ailleurs, que Maïssa Bey est profondément touchée par ces évènements douloureux. Son propre père a été torturé puis tué par des militaires français, elle va donc briser le mur du silence à sa manière. C’est d’ailleurs elle-même qui le précise en disant : « Mon écriture est un engagement contre tous les silences».

De son vrai nom Samia Benameur, Maïssa Bey est née en 1950 dans un petit village au sud d' d’Alger (Ksar el Boukhari). Son père, combattant du FLN, a été tué durant la guerre.

Nourrie, imprégnée de culture française, elle écrit dans cette langue surtout des romans autobiographiques, de fiction et de vraisemblance. Parmi ses romans, on peut citer juste quelques-uns : "Au commencement était la mer..." son premier roman. On peut citer aussi :

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Pierre, Sang, Papier ou Cendre (Ed. l'Aube, 2008). Pendant la décennie noire, elle a écrit un roman très pathétique : Puisque mon cœur est mort sans oublier bien sûr notre corpus :

Entendez-vous dans les montagnes (coll. aube poche 2010) qui est considéré par les critiques comme un

roman autobiographique. À travers, ce roman autofictionnel, l’auteur remonte vers le passé de l’Algérie en particulier vers la guerre de libération nationale par l’intermédiaire de la mémoire individuelle de la narratrice issue elle-même de la mémoire collective ou sociale.

Il faut préciser que ce roman de Maïssa Bey, à l’instar de ses autres écrits romanesques, constitue un récit autobiographique : Entendez-vous dans les montagnes porte sur son père, sa disparition, son absence cruelle, et parle aussi de la guerre d’Algérie et des silences différents mais communs aux deux sociétés (française et algérienne). Ce silence qui pèse dans le récit existe vraiment dans la réalité ou dans la mémoire collective, certains ne veulent pas remuer le couteau dans la plaie, d’autres essaient d’oublier ou de tronquer l’Histoire, mais pour la majorité des algériens, l’oubli n’est pas possible car souvent c’est la société elle-même qui devient historienne, ceci fera dire à l’auteure elle-même :

« Mon écriture est un engagement contre tous les silences. »1

Ainsi, le silence et la dissimulation socio historiques et socio psychologiques sont donc impossibles car l’Histoire rattrape toujours les criminels, les tortionnaires et leur conscience, l’Histoire est donc comme l’œil de Caïn, et de son côté, la littérature aussi rattrape à sa façon l’Histoire : entendez-vous dans les montagnes est un récit romanesque qui met à nu, par l’intermédiaire de la mémoire individuelle et de la mémoire collective, les massacres et les exactions commis lors de la guerre d’Algérie.

La mémoire individuelle signifie alors la mémoire personnelle, intime, celle de la narratrice qui incarne l’auteure. C’est une mémoire omniprésente, douloureuse mais au fond elle est cathartique et exutoire, elle ne contient ni haine, ni passion mais elle refuse l’amnésie et l’oubli. L’autre mémoire individuelle est celle du médecin, là aussi, c’est une mémoire individuelle et marquée par le repentir mais elle n’est pas volontaire, elle est surtout rattrapée par les faits et l’Histoire, personne ne peut y échapper, l’oubli est impossible, il est simplement refoulé dans la mémoire de cet ancien médecin militaire. Quant à la mémoire collective, elle aussi est

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incontournable, la société algérienne et française sont, elles aussi, rattrapées par l’Histoire en l’occurrence la guerre d’Algérie. Ainsi la mémoire individuelle et la mémoire collective se rejoignent dans le silence ou dans le bruit, dans la sérénité ou dans la passion, dans l’amour ou dans la haine, dans l’Histoire ou dans la littérature et même au niveau de l’inconscient.

Nous avons choisi de restreindre le champ d’étude pour nous consacrer à deux notions d’égale importance, mémoire collective et mémoire individuelle. Ainsi qu’à leurs usages à travers la représentation de la guerre de libération algérienne.

Notre question principale sera la suivante

Comment la mémoire individuelle rejoint la mémoire collective pour représenter des faits historiques sanglants de l’époque coloniale

Nous constatons que c’est à travers un roman autobiographique entendez-vous dans les

montagnes, que la mémoire individuelle de la narratrice renvoie à un moment douloureux de

l’histoire en l’occurrence les atrocités commises par le colonialisme lors de la guerre de libération nationale.

La conscience historique émotionnelle de la narratrice, qui semble à la fin du récit, pardonner sans oublier, est représentative de la conscience historique des algériens et des français. C’est comme si la mémoire individuelle de la narratrice est révélatrice de la mémoire collective ou sociale. Les deux mémoires sont inévitablement rattrapées par l’Histoire mais aussi selon Pierre Nora par la littérature : « pour que l’oubli ne soit plus possible. »2

Afin de consolider notre travail, nous nous réfèrerons aux notions fondamentales de mémoire individuelle et de mémoire collective avec cadre théorique les travaux sur l’autobiographie, les travaux de Paul Ricœur sur la mémoire et l’oubli. Egalement, ceux de l’historien Benjamin Stora sur la mémoire et la guerre d’Algérie. Sans oublier la notion de conscience historique introduite par l’historien et essayiste Aron Raymond et les interventions du professeur et historien Pierre Nora et sa vision sur « les mémoires » de la guerre d’Algérie.

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Dans la première partie, nous allons d’abord expliciter le rapport Histoire/ mémoire. Ensuite nous tenterons de repérer les indices textuels sur la mémoire individuelle et la mémoire collective qui ressortent du récit entendez-vous dans les montagnes. Nous verrons, dans ce cas précis, la dialectique entre la mémoire individuelle et la mémoire collective ou sociale à travers le récit autobiographique de Maïssa Bey.

Puis, dans le deuxième chapitre, nous revenons à quelques notions pertinentes pour notre analyse comme celle de roman autobiographique étant donné que cette notion a un rapport avec la notion de mémoire individuelle et enfin le rapport auteure/narratrice. Sans omettre les éléments périphériques du roman qui sont authentiques et donc d’une grande utilité pour notre réflexion. Une conclusion ouverte à d’autres analyses clôturera le mémoire

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Mémoire collective, mémoire individuelle et Histoire

La lecture du roman de Maissa Bey entendez-vous dans les montagnes renvoie inéluctablement aux enjeux de la mémoire individuelle de la narratrice et par voie de conséquence à la mémoire collective, en l’occurrence la mémoire des algériens stigmatisés par la guerre de libération et celle des français anciens colonisateurs. Ces deux mémoires sont donc inhérentes à l’Histoire.

1- Histoire et Mémoire

L’Histoire avec grand ‘’H’’ est tellement vaste qu’elle englobe tous les domaines imaginables mais ce qui nous intéresse c’est l’Histoire des guerres et des atrocités commises. Il n’y a jamais de peuple, de culture, d’époque sans Histoire car L’Histoire des évènements sanglants à travers le temps et l’espace est omniprésente. Même les évènements les plus reculés dans le temps sont toujours récupérés par les historiens, par des témoignages, par des écrits de toutes sortes. Par ailleurs, il n’ y’a pas d’Histoire, sans traces, sans séquelles, sans mémoire car cette dernière est capable de retenir les évènements les plus anciens, les évènements les plus reculés dans le temps, les faits immémoriaux. La guerre d’Algérie par exemple a été retracée depuis l’avènement de la conquête c’est-à-dire en 1830 jusqu’à l’indépendance : des historiens algériens, français et autres ont inscrit dans des documents divers les grands moments de la colonisation de l’Algérie et les atrocités qui s’en suivirent sans oublier les tortures3 que certains français ont voulu cachés

vainement. Or, chaque lieu, chaque village, chaque ville, chaque montagne4, chaque région est

marquée par ces moments sombres et cruels de la guerre d’Algérie, nul ne peut le nier car l’Histoire ne peut pas être ensevelie indéfiniment, elle rattrape toujours les tueurs, les bourreaux ou les tortionnaires. La guerre d’Algérie par exemple est inscrite dans les archives mais aussi dans la mémoire collective et individuelle de chaque algérien, nul ne peut l’effacer car elle est gravée à jamais dans les consciences des gens, il en va de même pour les français qui eux aussi sont rattrapés à leur insu par l Histoire meurtrière de l’Algérie, l’oubli est donc impossible. Cependant, l’Histoire s’intéressant aux grands évènements et aux grandes dates, peut parfois laisser de coté certains faits ou certaines mémoires, et pour expliquer cette occultation de certains

3 Note : Henri Alleg par exemple qui est un journaliste français lui-même torturé a témoigné sur cette pratique

atroce dans son livre « la Question » (Ed Minuit 1958)

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faits historiques, il faut revenir à la vision de l’Histoire de l’Algérie par le professeur et l’historien Pierre Nora qui a analysé cette amnésie et ces oublis dans son livre : les français d’Algérie (1961). En effet, pour cet historien, de nombreux évènements inhérents à l’Histoire de l ‘Algérie ont été non pas rejetés mais mis en quarantaine comme s’ils avaient moins d’importance et Pierre Nora cite quelques exemples de ces moments d’amnésie de l’Histoire : l’OAS, le massacre du 20 aout à Skikda, les algériens jetés dans la seine, le massacre des Harkis par le FLN en 1962, le conflit entre les gaullistes et les pieds noirs en Algérie etc. ceci fera dire à l’Historien en question les propos suivants :

« D’autant qu’une guerre n’est une et indivisible que par commodité de désignation et recouvre des événements qui passent inaperçus : massacres, embuscades, insurrections, attentats, exécutions, interrogatoires... à la fois multiples et divers, dont chacun peut,

indépendamment des autres, devenir foyer de mémoire 5»

Selon Pierre Nora, tous les évènements, des plus petits jusqu’aux plus grands font partie de l’Histoire, ils sont comme les petits ruisseaux qui font les grandes rivières.il n’y a pas une mémoire mais des mémoires : il faut donc soulever tous les problèmes relatifs aux deux pays : d’avant l’indépendance comme les massacres, embuscades, insurrections, attentats, exécutions, interrogatoires, tortures... et d’après l’indépendance comme les relations diplomatiques, l’émigration, le racisme, la haine, la rancœur, le traité de l’amitié, la reconnaissance des massacres etc.

L’Histoire ou l’historiographie à elles seules ne peuvent pas rendre compte de tous les phénomènes sociohistoriques c’est pour cette raison que d’autres domaines peuvent participer aux faits historiques et à leur écriture comme la sociologie, l’anthropologie, la psychologie et même la littérature. La dimension humaine ne peut être saisie que par le concours de toutes ces disciplines, c’est à ce prix qu’il peut y avoir communication entre la France et l’Algérie, une paix durable et surtout une mémoire partagée.

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C’est en ce sens que la torture et la mort du père de la narratrice avec ses autres compagnons sont certes des faits isolés mais ils rentrent dans l’Histoire, ils sont partie intégrante de l’Histoire, ainsi la mémoire individuelle et la mémoire collective se rejoignent dans la douleur et la souffrance de la narratrice comme dans son humilité à la fin du récit.

D’autre part, selon Pierre Nora, il n’y a pas que l’Histoire qui véhicule l’Histoire, la littérature aussi peut retracer à sa manière des faits historiques, elle peut greffer l’Histoire à la littérature comme c’est le cas de Maissa Bey dans entendez-vous dans les montagnes. Certes l’Histoire se veut réaliste et objective mais la littérature, même si elle reste subjective et émotionnelle, peut créer toute une atmosphère, tout un décor, tout un contexte, toute une mise en scène qui peut rendre compte de la dimension sociohistorique et socio psychologique des personnages vraisemblables voire de certains faits véridiques, le meilleur exemple est sans doute la trilogie dibienne, une véritable fresque réaliste qui montre sous forme esthétique la vie, la souffrance, la misère des algériens face au colonialisme des années 1930 à Tlemcen.

Il en est de même du récit Entendez-vous dans les montagnes qui est un récit où se mêlent la fiction, la tragédie, la beauté du langage, la littérature et l’Histoire. A propos de ce rapport littérature/Histoire, Pierre Nora explique dans son intervention :

« qu’il n y a pas que l’Histoire pour faire l’Histoire, il existe d’autres disciplines qui entrent en dialogue avec l’Histoire comme l’anthropologie, la linguistique, la psychanalyse, les arts du spectacle, la littérature, la musicologie… Puis l’Historien cite Benjamin Stora qui concluait la même année son ouvrage Le Livre, mémoire de l’Histoire sur l’impossibilité, pour les historiens, de se passer de la littérature et des travaux de ceux qui l’arpentent et l’explorent..6 »

A travers l’intervention de Pierre Nora, la littérature complète l’Histoire, elle est la face cachée de l’iceberg, elle comble en quelque sorte les ‘’ trous amnésiques ‘’ de l’Histoire. C’est dans ce sens que l’on peut lire et analyser le roman de Maissa Bey Entendez-vous dans les

montagnes, d’ailleurs dans le dos du roman, on peut lire quelques remarques pertinentes de

certains critiques :

- ‘’ Un magnifique petit texte, aiguisé comme la lame d’un couteau.’’ Thierry Lecrèce – Téléram

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- ‘’ Ce récit, d’une grande pudeur, est traversé par une tension très forte’’. Sylvie Tanette- Lire

- Dureté et sobriété de ce petit livre de pierre. il nous ouvre un peu mieux le cœur du monde

arabe. il n’y a pas de pardon chez Maissa Bey, mais il n’y pas non plus de haine ; il y a de l’art, ce qui n’est pas mal. ‘’

Patrick Besson- le Figaro

Le rapport littérature/Histoire est maintenant admis, accepté et clair pour certains critiques et certains historiens, en plus, la littérature, du point de vue historiciste, n’est pas immanente, elle ne renvoie pas à elle-même, elle n’est pas fermée, au contraire, elle s’ouvre sur le monde et sur l’Histoire, sur les hommes et sur la société, la fameuse citation de Roland Barthes nous éclaire encore plus sur la fonction de la littérature :

« L’écriture est un acte de solidarité historique […] l’écriture est une fonction : elle est le rapport entre la création et la société, elle est le langage littéraire transformée par sa destination sociale, elle est la forme saisie dans son intention humaine et liée aux grandes crises de l’histoire 7»

Que ce soit avec Pierre Nora ou plus tard avec Roland Barthes, la littérature est donc liée aux grandes crises de l’histoire. Maissa Bey avec son récit autofictionnel entendez-vous dans les

montagnes participe donc à ces grandes crises historiques signalées par Roland Barthes.

2- la mémoire collective

Le dictionnaire encyclopédique de psychologie8 définit la mémoire ainsi : « (du latin mémoria ou memorare : se rappeler). Conservation des informations du passé avec capacité de les rappeler ou de les utiliser. Sans la mémoire, la vie est impossible car l’accoutumance, l’habitude, l’apprentissage, l’éducation reposent sur elle. On distingue plusieurs formes de mémoire, selon que l’on considère le moment de l’évocation (mémoire immédiate, différée à

7 Roland Barthes. Le degré zéro de l’écriture. Paris : Seuil, 1972. p .18

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court, à moyen ou à long terme). D’après Pierre Delay (né en 1907), il existe la mémoire sensori motrice qui concerne les sensations et les mouvements chez les enfants en bas âge, il existe la mémoire sociale qui dure dans le temps et enfin la mémoire autistique émanant de l’inconscient. .. »

Dans cette définition, deux vocables intéressent notre sujet : la mémoire à long terme et la mémoire sociale, d’ailleurs, ces deux mémoires coïncidents d’une manière ou d’une autre. En ce qui concerne la notion de mémoire collective, il ne s’agit pas de mémoire au sens physiologique du mot c’est-à-dire au sens des neuro- sciences comme cela a été défini, mais il s’agit de la mémoire à court, à moyen et à long terme relative à l’Histoire. Dans le récit de Maïssa Bey entendez-vous dans les montagnes, la problématique tourne autour de la mémoire à long terme et plus précisément de la guerre de libération nationale de 1954 avec les conséquences fâcheuses qui en découlent sur les victimes.

Il s’agit donc de cerner la notion de mémoire collective et de mémoire individuelle. En ce qui concerne l’Histoire, ces deux entités ne peuvent apparaitre que dans un rapport dialectique ou mieux encore dans un rapport de contigüité car l’une est incluse dans l’autre. L’une rappelle l’autre, on ne peut pas isoler le premier cas du deuxième, elles sont nécessairement complémentaires car la mémoire de la narratrice (qui incarne l’auteure) ne peut venir que de la mémoire collective nationale, une mémoire marquée au fer rouge par les évènements sanglants de la guerre de libération algérienne contemporaine.

Généralement, la mémoire collective se rapporte à la mémoire historique de toute la société. C’est une sorte d’imaginaire collectif, une sorte de connaissance, d’information et de conscience émotionnelle collective. Celle de tout un peuple marqué à jamais par cette période noire et sanglante car selon J.P Sartre la conscience émotionnelle ne peut être conscience d’elle-même

que si elle est conscience des autres et le philosophe ajoute ( à Rome en Italie) à propos de la

guerre d’Algérie : ‘’ car je ne puis être libre si tous ne le sont pas’’ . En effet, Le passé rattrape les sociétés et l’Histoire laisse des traces indélébiles sur les consciences et la mémoire collective ou individuelle qui restent vives. En général, les événements historiques marquants sont généralement rapportés par des témoins vivants, par des écrits, par des historiens et aussi par des artistes et des romanciers. Ainsi la mémoire collective est formée de tous les souvenirs d'une population sur un évènement précis. Ces moments terribles provoqués par les guerres sont inscrits en lettes d’or dans des archives, des mémoires écrits, des écrits historiques, des médias,

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des stèles, des monuments, des photos et des films, des discours et des allocutions mais aussi à travers des œuvres artistiques comme par exemple le tableau sublime de Picasso intitulé ‘’Guernica’’ qui symbolise les massacres des civils par le système fasciste espagnol des années 1940, ou bien certains tableaux du peintre algérien Issiakhem qui a peint la misère, la souffrance et les atrocités de la guerre d’Algérie. Ces supports variés représentent donc la mémoire collective universelle en général ou nationale en particulier. Dans le cas du récit Entendez-vous

dans les montagnes, Maïssa Bey à sa manière, participe à ce dévoilement de l ‘Histoire et à la

résurgence de la mémoire individuelle et collective.

Selon la définition de Maurice Halbwachs, un sociologue français (1877-1945), la « mémoire collective » est une théorie scientifique stipulant qu’on ne se souvient jamais seul. Celle-ci est composée de plusieurs mémoires individuelles, elle constitue et modèle l’identité, la particularité, l’inscription dans l’Histoire du groupe concerné. Cela veut dire que notre mémoire et nos souvenirs sont en partie structurés par la société ».

Ainsi la mémoire collective est formée de tous les souvenirs d'une population sur un ou des évènements précis.

Ce qui signifie que la mémoire individuelle est partie intégrante de la mémoire collective car cette dernière est englobante et plus complexe. Il est fort possible qu’il y ait une mémoire personnelle, intime, une mémoire propre à une personne mais dans le cas d’évènements historiques à grande échelle, la mémoire est partagée, et les individus seront donc tous concernés émotionnellement et/ou intellectuellement par le passé. Comme par exemple la première guerre mondiale, la deuxième guerre mondiale, le bombardement d’Hiroshima, la guerre du Viêt-Nam, la guerre d’Algérie etc. ce sont des événements historiques sombres et cruels que l’humanité toute entière connait émotionnellement et intellectuellement. Ces évènements sont archivés et conservés pour l’altérité et pour la mémoire collective de l’humanité.

D’ailleurs lors des commémorations d’évènements historiques, c’est la collectivité qui assiste pour se remémorer des évènements marquants de l’Histoire, l’individu n’est qu’une partie du tout c’est-à-dire de la société qui est représentative et symbolique.

Il existe cependant quelques cas de mémoire individuelle (mais émanant de la mémoire collective) c’est le cas d’artiste solitaire, de poète esseulé ou de romancier intimiste qui s’isole,

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médite et ré- écrit l’Histoire à sa manière c’est-à-dire sous forme esthétique. C’est le cas de nombreux écrivains algériens comme Mohamed Dib, Kateb Yacine, Malek Hadad et d’Issiakhem l’artiste peintre et d’autres encore, et c’est le cas particulier de Maïssa Bey qui a créé récemment un roman, une fiction, une vraisemblance pour raconter l’histoire de la torture et de la mort de son père lors de la guerre de libération nationale algérienne. Bien que la guerre d’Algérie concerne toute la société algérienne, la narratrice double de l’auteur est rattrapée par sa mémoire individuelle, elle va raconter avec un style à la fois pathétique et tragique comment une rencontre hasardeuse avait réveillé l’Histoire, a fait ressurgir ses souvenirs personnels et douloureux, le passé sombre et cruel des événements de la guerre d’Algérie, la torture et la mort de son père en 1957 au champ d’honneur à Boghar en Algérie.

3- la mémoire individuelle à travers la fiction

Ce n’est pas à partir d’un roman purement fictionnel que l’auteure raconte sa mémoire individuelle, ce n’est pas non plus à travers un roman historique9 mais à travers un roman autobiographique ou autofictionnel, ce qui explique que la narratrice du récit est en quelque sorte le double de l’auteur, elle est sa voix, sa conscience, son incarnation.

En effet, « l’auteur réel peut s’inventer un double fictionnel qui lui permet de transposer dans l’espace de la fiction, ses propres relations avec le monde littéraire et avec la création. C’est une « épreuve de l’auteur » qui s’engage alors, épreuve qui est double : d’une part, le reflet de l’auteur réel dans la fiction permet de passer au crible le statut même de l’auteur, d’autre part, le caractère fictionnel de la représentation « joue de l’illusion romanesque pour créer un effet

d’auteur transmis de l’écrivain réel au lecteur 10 »

Ainsi, la mémoire individuelle de l’auteure en l’occurrence Maïssa Bey est reprise dans la fiction par la narratrice.

Pour retrouver cette mémoire individuelle et pour situer le lecteur dans le contexte de ce souvenir personnel de la narratrice, les deux passages suivants s’avèrent nécessaires :

9 L’exemple du roman historique est celui d’Assai Djebar : les femmes de Médine

10 Gabrielle Napoli, « L’auteur contemporain, une figure d’autorité ? », Acta fabula, vol. 14, n° 3, Notes de lecture, Mars-Avril 2013, URL : http://www.fabula.org/revue/document7668.php, page consultée le 30 avril 2020

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Un train à destination de Marseille, un compartiment et trois personnages : la narratrice, une petite gamine française innocente et un ancien médecin dans l’armée coloniale. La conversation entre les trois personnages se passe dans une atmosphère sereine, intime et presque solennelle avant que le drame intérieur apparaisse dans le discours.

De fil à aiguille, la conversation finit sur une question historique très douloureuse : en 1957, le médecin sexagénaire était dans la caserne où l’on a emprisonné, torturé puis tué le père de la narratrice. Le médecin se souvient de ce tragique évènement et la narratrice est profondément touchée.

C’est donc à travers une conversation sereine dans un espace clos et intime que vont se déclencher deux mémoires individuelles, celle de la narratrice et celle du médecin. Cet espace ou cette situation apparemment anodine va ébranler les deux personnages, les secouer intérieurement et les faire frissonner, ceci fera dire à Christiane Achour dans sa lecture du roman

11 : « . . Situation on ne peut plus banale où va se jouer, en creux et sans parole, l’affrontement le

plus affolant, celui qu’on ne peut apprivoiser : le passé resurgi auquel il faut mettre la bride pour ne pas sombrer et auquel il faut la lâcher pour pouvoir le murmurer dans l’intimité de l’être et le partager avec les autres que l’écriture espère, au-delà des blocages des individus. Passé resurgi de “la chambre noire” de la guerre de libération/guerre d’Algérie : la torture. »

Cette torture apparait à travers le récit du médecin écrit en italique en page 71 : « Allez-y ! Et

surtout ne vous laissez pas avoir s’ils prétendent ne rien savoir ! Ils finissent toujours par parler...il faut d’abord finir le travail. Il y en a de plus coriaces que d’autres. Et alors là, il faut sortir le grand jeu. Faut pas hésiter ! 12»

La chambre noire évoquée dans la citation signifie alors la mémoire individuelle de la narratrice. En effet, cette femme passe d’un voyage normal et tranquille vers Marseille à un voyage mémoriel douloureux et vif comme si cela datait d’hier. A travers un dialogue anodin, à travers les mots du médecin, elle revoie son père « Elle a souvent essayé de reconstituer le visage

de son père Fragment par fragment .Mais elle ne connait de lui que ce qu’elle revoit sur les

11 Article en PDF : Maïssa Bey (entendez-vous dans les montagnes) : l’épreuve de la mémoire par

Christiane Chaulet-Achour

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photos P. 18 13», elle revoit son image, son visage, la caserne, la taule, la torture puis le terrain

vague et la mort du père. Un flash back va donc s’opérer, la narratrice n’est plus dans le train, elle est maintenant dans la caserne, avec les soldats français, avec son père meurtri et les autres partisans, elle n’est plus en 2002, elle est en 1957 la date fatidique, celle de la mort de son père tué injustement et froidement par des soldats français. Le temps et l’espace sont autres, ils sont dans le passé, c’est comme si le train n’avançait pas mais revenait en arrière. Tout le passé, le contexte, les visages flous, le décor morbide lui revenaient dans sa mémoire, renaissaient vivement, occupaient son esprit et son âme : c’est la reviviscence totale du passé, une véritable hypotypose pour elle et pour le lecteur, comme par exemple l’extrait écrit en italique et raconté par l’ancien soldat en page 73, extrait qui permet à la narratrice qui écoute d’imaginer douloureusement la scène : le casernement, la jeep, les soldats, les 8 prisonniers

révolutionnaires, son père, les arbres, le feuillage, la clairière, puis les coups de feu.. .c’est la

fin, l’assassinat, le meurtre sans procès ni conscience, une exécution sans sommation.

La mémoire individuelle concerne aussi le médecin qui était soldat dans le casernement où a été torturé le père de la narratrice. Ce personnage sexagénaire, lui aussi est rattrapé par l’Histoire, par sa conscience et sa mémoire : dans une atmosphère lourde et teintée de tragédie, il raconte alors en détail les circonstances de la mort du père de la narratrice. Les deux personnages se retrouvent alors transposés dans le passé.

Ainsi, les deux protagonistes ou les deux mémoires se retrouvent rétrospectivement à un même moment de l’Histoire, aux mêmes événements dans lesquels l’une (la mémoire de la narratrice) est touchée et troublée profondément et l’autre celle du médecin se retrouve face à elle-même c’est-à-dire à sa conscience. Ce face à face des deux personnages dans un compartiment de train est hautement significatif car il indique la rencontre de deux consciences, la rencontre de la vérité et le moment fatidique de l’émergence de ce qui est caché ou bien dissimulé depuis longtemps. Il faut bien qu’un jour ou l’autre l’Histoire se dévoile, se raconte, se dit, s’écrit. Dans ce face à face, les deux personnages sont confrontés sans haine, ni passion à l’Histoire, à leur mémoire respective, à des faits réels incontournables, chaque personnage devient le miroir de l’autre, leurs regards se croisent dans une atmosphère teintée de tragédie et de remords : pour la narratrice la blessure ne s’est pas encore refermée et pour le médecin le

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procès de conscience semble le torturer aussi : comme pour se débarrasser de ce fardeau moral indélébile, l’ancien soldat raconte les événements douloureux comme pour se purifier, ses aveux deviennent alors un véritable purgatoire. Mais si le pardon est possible, l’oubli est impossible, ceci fera dire à l’historien Benjamin Stora : « la mémoire de la guerre d’Algérie va s’enkyster, comme à l’intérieur d’une forteresse invisible. Non pour être "protégée", mais pour être dissimulée, telle la figure impossible à regarder de la Gorgone. Les amnisties successives, viennent alors entériner, dans un climat d’indifférence, cette dissimulation de la "tragédie algérienne." 14 ».

De plus, se taire, pratiquer le culte du silence pour se protéger n’anéantit pas la souffrance qui, tôt ou tard, resurgit du passé qu’on aimerait oublier, ainsi le dit la narratrice de

Entendez-vous dans les montagnes : « Et quand vient le moment de... parce que cela finit tôt ou tard par remonter à la surface, non ? (P 58)15

Par ailleurs, il faut admettre que Benjamin Stora (spécialiste de la guerre d’Algérie) à l’instar d’autres historiens français, a depuis l’indépendance écrit objectivement l’Histoire sanglante de l‘Algérie. par exemple, dans son livre récent mémoires dangereuses16. Il explique que certaines

parties et certains partis extrémistes en Algérie et en France actuelles gardent encore cette rancœur dans leur mémoire ‘’ les feux ne sont pas éteints ‘’ selon son expression, cependant, dit-il, il y a un espoir avec la jeunesse d’aujourd’hui qui connait son Histoire mais qui veut aller de l’avant.

La présence du troisième personnage en l’occurrence la petite Marie est une présence fortement symbolique : elle est candide, innocente, coupée du passé et symbolisant le présent et l’avenir, elle constitue en quelque sorte la jeunesse évoquée par Stora, une passerelle17 qui

pourrait être reconstruite entre l’Algérie et la France actuelles à condition que l’ancien système colonial reconnaisse ses torts publiquement.

La narratrice (et le lecteur) passe donc du récit à l’Histoire et cela par l’intermédiaire des souvenirs qui remontent directement à la guerre de libération nationale, la mémoire individuelle

14 Histoire de la guerre d’Algérie, La Découverte, « Repères », 2004,( p. 93).

15 Etndez-vous dans les montagnes-P58, Ed. L’aube 2010 16 In les mémoires dangereuses – Ed- Albin Michel /2016

17 Note : voir à ce propos le traité de l’amitié établi entre la France et l’Algérie le 10 Mai 2005 mais qui n’est pas

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de l’instance narrative s’ouvre alors sur cette période et ces moments cruciaux et fatidiques de 1957 et les scènes racontées18 mais réelles se présentent clairement sous ses yeux comme dans

ce passage en page 67 où le médecin ancien militaire déclare : « .. Il a été torturé. Avec ses

compagnons. Pendant une nuit. Une nuit entière. Puis exécuté... de plusieurs balles. C’est ce qu’on nous a dit. ‘Abattu alors qu’il essayait de s’enfuir.’ Version officielle. Reprise par les journaux de l’époque. C’est ce qu’on appelait la corvée de bois. C’est comme ça qu’on se débarrassait des...19 »

4- la conscience historique (mémoire, Histoire, oubli et pardon)

Avant d’aborder la question de l’oubli et du pardon selon P Ricœur, il serait judicieux de revenir à une autre notion aussi importante. C’est celle de conscience historique définie par Raymond Aron20 comme ceci : « la conscience historique est l'impact de la pensée du passé sur l'action et l'existence présentes. » en effet, la conscience historique est une conscience de l’Histoire, une conscience de soi et une conscience des autres, elle ne peut être conscience d’elle-même que si elle est conscience des autres (les autres disait JP Sartre nous sont indispensables). Du point de vue de la didactique de l’Histoire, la conscience historique nationale21 ou

internationale est enseignée objectivement et sans partie pris dans toutes les écoles du monde. Parallèlement à cette didactique de l’Histoire, il existe de nombreux autres moyens pour éveiller la conscience émotionnelle et intellectuelle des jeunes22 comme par exemple les témoignages,

le théâtre, le cinéma, la télévision, les livres, l’architecture, le Net, enfin la culture en général. Comment revenir à l’Histoire nationale, comment faire l’Histoire sans haine, ni passion, comment faire revivre le passé douloureux mais instructif, comment revenir au passé pour

comprendre le présent 23et construire un avenir meilleur comment pardonner sans oublier, voilà tant de questions qui sont non dites mais apparaissent à la fin du roman entendez-vous dans les

montagnes, particulièrement avec le passage pathétique suivant :

18 Note : ces histoires racontées qui renvoient à la réalité sont appelées par P.Ricoeur : la re-figuration. 19 EDLM P. 67

20 Note : Philosophe et sociologie français (1905/1983)- parmi ces travaux, il existe ceux qui traitent de la

question de la conscience historique ;

21 Note : par exemple le texte historique est proposé par le programme officiel comme projet d’étude à tous les

élèves de terminale en Algérie.

22 Note : dans le récit les jeunes sont incarnés par l’innocence de la petite Marie.

(25)

- j’ai voulu vous dire.. . il me semble. . oui. . vous avez les mêmes yeux.. le même regard

que.. votre père. vous lui ressemblez beaucoup24 ( P 72).

D’autre part, à un certain moment du récit, vers la fin, la narratrice semble se résigner et pardonner sans oublier ou abdiquer, elle semble passer de la passion à la compassion ou mieux encore elle passe de la mémoire individuelle, de son passé douloureux et amer, de sa propre histoire à une sorte de philosophie de l’Histoire, à la notion de bien et de mal, elle n’arrive pas à comprendre comment l’homme est capable de commettre tant de crimes et tant de mal sur cette terre, elle transcende donc la mémoire individuelle pour aller vers la mémoire collective ou mieux encore vers la conscience collective et vers la folie des hommes :

«. . Toute petite déjà, elle essayait de donner un visage aux hommes qui avaient torturé puis

achevé son père avant de le jeter dans une fosse commune. Mais elle ne parvenait pas à leur donner un visage d’homme. Ce ne pouvait être que des monstres… elle voyait alors des hommes encagoulés, entièrement vêtus de noir pour mieux se fondre dans la nuit, un peu à l’image des bourreaux représentés dans les livres et les films d’histoire. Des hommes sans visages qui longtemps avaient caché ses rêves. Plus tard, riche de ses certitudes, elle ajoutait : des hommes qui n’avaient rien d’humain. P 42» 25

Toujours à propos de la mémoire, Paul Ricœur dans sa théorie sur la mémoire et l’oubli explique que : « bien que l’on ne puisse effacer ni retourner ce que nous avons fait ou n’avons pas fait, nous pouvons toujours donner de nouvelles interprétations aux événements passés. Le philosophe observe que ce qui peut être modifié dans le passé est bien « sa charge morale, son poids de dette, lequel pèse simultanément sur le projet et sur le présent 26 ».

Cette citation rejoint donc le retour à soi de la narratrice qui semble, non pas occulter le passé mais le « dépassionner » pour se tourner sobrement vers des questions purement humanistes et philosophiques, d’ailleurs cette idée de vivre le présent et penser à l’avenir est symbolisée au niveau du texte par la présence de la petite Marie qui incarne l’innocence et l’avenir.

24 Etndez-vous dans les montagnes-P72, Ed. L’aube 2010 25 EDLM- P 42

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Pour expliquer ce retour à la paix dans l’âme de la narratrice et au repentir insinué et non-dit du médecin /soldat, nous pouvons nous référer encore une fois à la philosophie de Paul Ricœur qui reprend un concept de S. Freud, celui de ‘’travail du deuil ‘’ :

« Le phénoménologue rajoute que ces arguments sont également valides pour la mémoire personnelle partagée voire pour l’Histoire. Ricœur nous montre comment la notion freudienne de « travail de deuil » sert de stratégie pour affronter les circonstances passées qui s’avèrent douloureuses, permettant de travailler progressivement la transformation de cet objet de souffrance jusqu’à ce que celui-ci puisse être internalisé par ce qu’il dénomme « l’oubli actif ». Cet oubli a comme but, non les événements en soi, mais le sentiment de culpabilité ou de dette, et « dont la charge paralyse la mémoire et, partant, la capacité de se projeter de manière créative dans l’avenir 27 »

Les deux citations veulent simplement dire que, sans pour autant oublier le passé et ses conséquences douloureuses, il serait préférablement que l’individu (comme la narratrice) se tourne vers le présent et l’avenir c’est-à-dire se tourne vers l’altérité car la conscience de soi est aussi conscience du monde et des autres et elle ne peut être conscience d’elle-même que sur le mode non positionnel selon l’expression de JP Sartre. Cette idée d’aller vers l’avenir est symbolisée au niveau du récit par la destination du train vers Marseille et par la jeunesse de Marie.

En conclusion, il est remarquable que les évènements qui ont marqué la mémoire individuelle de la narratrice (double de l’auteure) ont pour origine non pas un roman autobiographique au sens propre du mot mais un roman autofictionnel ou en d’autres termes la littérature.

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(28)

1- Le roman autofictionnel

Dans cette partie deux points seront mis en relief, le roman autofictionnel ou la littérature au service de l’Histoire, puis la mémoire littérale et la mémoire exemplaire.

1.1- le roman autofictionnel

Comme stratégie d’écriture du roman de Maissa Bey entendez-vous dans les montagnes, l’auteure n’a pas utilisé un roman autobiographique au sens propre du mot c’est-à-dire raconter sa vie ou sa biographie complète mais elle a utilisé le roman autofictionnel qui est défini ainsi : « Dans tous les cas, l'autofiction apparaît comme un détournement fictif de

l'autobiographie. Mais selon un premier type de définition, stylistique, la métamorphose de

l'autobiographie en autofiction tient à certains effets découlant du type de langage employé. Selon un second type de définition, référentielle, l'autobiographie se transforme en autofiction en fonction de son contenu, et du rapport de ce contenu à la réalité.28 »

En effet, pour remonter à la guerre d’Algérie en général et à la torture et la mort de son père en particulier, Maissa Bey a utilisé ce que Serge Doubrovsky 29 appelle la ficionalisation.

Au niveau pratique, à un certain moment du récit, l’auteure, par l’intermédiaire de son double (la narratrice) a greffé une partie cruciale de la guerre d’Algérie dans sa fiction. C’est ainsi qu’apparait un certain moment de l’Histoire de la guerre d’Algérie par la réminiscence de la narratrice et de l’ancien médecin militaire.

Au niveau narratif, le passage de la fiction à l’Histoire ou à la réalité ne constitue point une rupture, au contraire, le récit est limpide et la trame romanesque est continue, cependant, c’est grâce au discours des deux protagonistes du récit que s’enclenche l’aspect historique, le lecteur est ainsi projeté tacitement de la fiction à l’Histoire, il n’y a aucune information, aucun indice, aucune incise qui avertit le lecteur de ce passage, tout se lie et s’imbrique dans le texte, mais à

28

Méthodes et problèmes , L'autofiction , Laurent Jenny, 2003 - Dpt de Français moderne – Université de Genève

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un certain moment du récit, l’on revient vers le passé par le procédé de l’analespse. Le passé s’ouvre alors comme la levée d’un rideau du théâtre tragique et la mémoire de la narratrice s’éveille alors vivement, se projette dans le passé et s’accroche douloureusement aux récits du médecin, ces récits sont inscrits en italique mais le récit le plus bouleversant est noté en page 73/74.

Ainsi, le lecteur passe du récit de fiction au réel, du récit de fiction à l’Histoire. L’auteure par son écriture vraisemblable a greffé l’Histoire sur la fiction, le réel dans l’irréel, le vrai dans le récit. Cette hybridité des deux genres, fiction /Histoire se vérifie à plus d’un titre : le lieu, la date, la torture et la mort de son père sont ancrés dans la réalité, les déclarations de l’auteure, sa biographie ainsi que les photos et les documents authentiques contenus dans les premières pages du livre sont autant d’indices qui accentuent ce type d’écriture autobiographique ou autofictionnelle.

Encore une fois, ce qui est remarquable c’est que la littérature avec toutes ses spécificités esthétiques et rhétoriques est en mesure d’introduire des éléments ou des faits historiques à l’intérieur du récit, bien sûr. Cela se fait par des techniques spécifiques d’écriture, il n’y pas d’une part la littérature et d’autres part l’Histoire, au contraire l’Histoire se greffe dans le texte littéraire d’une manière indirecte et détournée, d’ailleurs Pierre Barbéris explique que le document littéraire peut cacher des questions historiques sans perdre pour autant sa littérarité, et il souligne ceci : « Que le document littéraire ait valeur historique, c’est incontestable, et on pourrait en donner de nombreux exemples.

Il n’en demeure pas moins qu’à partir du moment où on fait la lecture historique du document littéraire, le document littéraire ne cesse pas pour autant d’être intéressant en tant que littéraire, c’est-à-dire que la lecture de sa signification historique fait qu’il y a, malgré tout, un reste.

C’est précisément sur la signification historique de ce reste que j’aimerais m’interroger. » Et il ajoute :

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« Je voudrais essayer de préciser ma pensée. Il me semble que, très souvent, la littérature anticipe sur l’Histoire. J’entends par là que l’expression du caractère problématique et contradictoire du réel par la littérature anticipe très souvent sur des analyses proprement historiques. 30»

En définitive, Pierre Barberis rejoint l’idée de Pierre Nora sur le rapport littérature et Histoire et ainsi conforte la stratégie d’écriture de Maïssa Bey avec son roman autofictionnel :

Entendez-vous dans les montagnes, roman à travers lequel, l’écrivaine a su transmettre sa mémoire

personnelle à travers la mémoire individuelle de la narratrice qui devient alors sa voix, son incarnation, son double.

2.2- roman autobiographique et autofictionnel

Le roman autobiographique est un genre où l’auteur fait référence à la réalité et souvent à sa propre réalité et à son propre vécu, le romancier ( ou romancière) crée un personnage principal qui reflète sa réalité. Il délègue sa voix à ce personnage qui devient alors son double, deux exemples à titre d’illustration suffisent : la trilogie Dibienne où Omar incarne en quelque sorte le romancier et la trilogie de Jules Valles (L’Enfant, Le Bachelier, L’Insurgé) qui prend pour héros Jacques Vingtras. Dans notre cas la romancière Maissa Bey délègue sa voix à la narratrice du récit entendez –vous dans les montagnes.

Quant à l’autofiction c’est l’autobiographique transformé par la fiction, c’est-à-dire que le langage de la fiction va raconter la biographie d’un auteur en faisant appel à des éléments fictifs sortis directement de l’imaginaire de l ‘écrivain, c’est ce que les critiques comme Serge Doubrovsky 31 appellent la fonctionnalisation. la définition suivante nous éclaire encore

plus : « Dans tous les cas, l'autofiction apparait comme un détournement fictif de l'autobiographie. Mais selon un premier type de définition, stylistique, la métamorphose de

30 Littérature et société- Pierre Berbéris et Georges Duby, Diffusion sur France Culture le 2 avril 1974. Première

publication dans Écrire… Pour quoi ? Pour qui ?, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1975, pp. 35-65.

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l'autobiographie en autofiction tient à certains effets découlant du type de langage employé. Selon un second type de définition, référentielle, l'autobiographie se transforme en autofiction en fonction de son contenu, et du rapport de ce contenu à la réalité.32 »

De plus, se taire, pratiquer le culte du silence pour se protéger n’anéantit pas la souffrance qui, tôt ou tard, resurgit du passé qu’on aimerait oublier. Ainsi le dit le personnage de

Entendez-vous dans les montagnes...

Le seul recours... ou le seul remède si vous préférez... oui... oui... pratiquer tous, sans se concerter, sans s’être donné le mot, oui... on peut dire ça comme ça, pratiquer la culture du silence... pour se protéger. Peut-être... mais ne change rien à la souffrance des uns et des autres ; on peut simplement essayer de la tenir en distance, c’est tout, vous ne croyez pas ? Et quand vient le moment de... parce que cela finit tôt ou tard par remonter à la surface, non ? (Bey, 2005 : 58)

2.3. La mémoire littérale et la mémoire exemplaire

Ces deux notions sont pertinentes pour l’analyse du récit en question. la première est une mémoire vive, douloureuse et qui fait mal et la deuxième moins stigmatisante, est une sorte d’apaisement, de sobriété et de pensée à l’avenir, la citation suivante nous donne les deux acceptions : « La mémoire littérale consiste à ressasser le passé, à rappeler la douleur, à aimer répéter sa souffrance ; la mémoire exemplaire est un autre stade où il s’agit de produire un futur au‐delà des erreurs passées33»

Au niveau du corpus, la mémoire littérale apparait particulièrement avec les pensées douloureuses de la narratrice profondément meurtrie par les scènes de violences, de tortures et d’exécution de son père et de ses compagnons. Les récits du médecin sont comme une lame ou un couteau remué dans la plaie, ils ont réveillé chez la narratrice des moments marqués au fer rouge, des moments qui la rongent de l’intérieur, qui la torturent et qui brisent son cœur, de son côté l’ancien militaire est tétanisé par ses aveux est resté assis comme dans un sarcerdoce : « :

32

Méthodes et problèmes , L'autofiction , Laurent Jenny, 2003 - Dpt de Français moderne – Université de Genève

33Deblaine, Dominique Cité dans : Guinoun, Anne Marie. Autobiographie Francophonie :

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elle le regarde, elle l’observe, elle le détaille attentivement, minutieusement, comme si elle voulait fixer dans sa mémoire chaque trait de son visage. Lui, il a les yeux baissés, les mains posés sur ses genoux .P70 »

Mais au lieu de se révolter, d’exprimer sa haine et sa rancœur, cette figure féminine, par son stoïcisme et sa grande âme va transcender miraculeusement ces moments de détresse pour aller vers une sorte de mémoire exemplaire dans le sens de mémoire dirigée vers l’avenir, vers l’altérité : au lieu d’exprimer la haine et la rancœur, elle pose maintenant le problème de la violence coloniale dans une dimension philosophique et humaine. Ainsi, elle va non pas démythifier la question de la torture et de la mort des combattants algériens, mais la sublimer et la dépassionner comme pour prouver au monde son vrai courage et son humilité et comme pour prouver aussi que la haine et la rancœur ne sont pas des solutions pour l’avenir de l’Algérie et de la jeunesse algérienne. De cette façon, la narratrice, par son élan du cœur et par la force de son âme, mettra les assassins face à eux-mêmes, devant leur image violente et criminelle, un jour, devant le monde et l’Histoire, ils auront tous ces massacres dans leur conscience.

Toute cette philosophie relative à la mémoire exemplaire apparait surtout dans les pensées profondes de la narratrice : « elle se tait à présent. Même si tout n’est pas dit, même si une

douloureuse palpitation la fait encore frémir, quelque chose s’est dénouée en elle. Que ce soit lui ou quelqu’un d’autre, peu importe. Elle se dit que rien ne ressemble à ses rêves d’enfant, que les bourreaux ont des visages d’homme, elle est sûre maintenant, ils ont des mains d’homme, parfois même des réactions d’homme et rien ne permet de les distinguer des autres. Et cette idée la terrifie un peu plus. P69 ,70 »

On remarque donc à travers cet extrait que pour la narratrice et ses rêves d’enfant innocente, l’Homme ne peut pas faire autant de mal (elle essayait de donner un visage à ces hommes), ces tortionnaires ne sont donc pas des humains mais des monstres. Ainsi, ces rêves d’enfant se dissipent et s’estompent pour laisser place à une femme désolée et triste, particulièrement lorsqu’elle imagine la torture de son géniteur : « dans ses yeux sombres et dans ce regard qui se

dérobe, dans ce visage tourné vers la nuit, s’esquisse soudain le reflet de nuits lointaines qui se bousculent dans in charivari de cris et de supplications » (P. 14)

(33)

En dépit de sa profonde désolation, il existe pas mal d’énonciations qui montrent encore une fois que la narratrice a une hauteur de vue sur les êtres et les choses, qu’elle est en quelque sorte digne malgré ses profondes blessures et cela apparait surtout par son comportement sacerdotal et honorable vis-à-vis du médecin ancien soldat et complice des bourreaux : au lieu de crier, au lieu de s’emporter ou de montrer sa haine, elle semble le plaindre et le déplorer et non le haïr et le condamner, il semble que pour la narratrice, l’Histoire ne se fait pas dans le bruit et la passion mais dans la sagesse et la commémoration au sens de mémoire collective ou partagée car au-delà de la mort, l’Histoire reste immuable et rattrapera toujours les criminels de guerre comme dans notre cas ou le médecin militaire français a été rattrapée par les évènements sanglants de la guerre d’Algérie ( ces souvenirs douleureux sont inscrits dans le roman en italique) .

3- le personnage principal double de l’auteure ou le pacte de lecture

Généralement dans les romans autobiographiques ou autofictionnels, les personnages se présentent comme le double de l’auteur, ils sont sa voix et son alter ego. C’est comme si l’écrivain a délégué sa voix à son personnage principal, personnage souvent démiurgique selon le vocable de G. Genette, c’est-à-dire qu’il sait tout sur les autres personnages et sur les évènements et les lieux. Cette Homologie entre l’auteur et son personnage central est expliquée dans la citation suivante : « Ainsi l’auteur réel peut s’inventer un double fictionnel qui lui permet de transposer dans l’espace de la fiction, ses propres relations avec le monde littéraire et avec la création. C’est une « épreuve de l’auteur » qui s’engage alors, épreuve qui est double : d’une part, le reflet de l’auteur réel dans la fiction permet de passer au crible le statut même de l’auteur, d’autre part, le caractère fictionnel de la représentation « joue de l’illusion romanesque pour créer un effet

d’auteur transmis de l’écrivain réel au lecteur 34 »

Comme on peut le remarque à partir de cette citation, l’auteur peut s’inventer et apparaitre à partir d’un récit fictionnel : dans notre cas, l’argument le plus convaincant de cette réincarnation de la réalité se confirme par de nombreux points, d’abord par les déclarations et les interviews de Maissa Bey elle-même, ensuite par son autobiographie et enfin par les éléments périphériques

34 Gabrielle Napoli, « L’auteur contemporain, une figure d’autorité ? », Acta fabula, vol. 14, n° 3, Notes de lecture, Mars-Avril 2013, URL : http://www.fabula.org/revue/document7668.php, page consultée le 30 avril 2020

(34)

inscrits dans la première page du roman ( photo du père, sa fonction d’instituteur, son acte de naissance etc. .)

Tous ces indices montrent la véracité du volet historique inséré dans la fiction et établissent ainsi un pacte de lecture. Le pacte de lecture renvoie à tous les indices textuels, énonciatifs et illustratifs qui interpellent le lecteur et tissent avec lui une complicité, un lien, une communication. Selon l’expression de R Jacobson, cet accrochage est une fonction phatique du langage. Voici une définition qui nous éclaire encore plus :

« Le Pacte de lecture, c’est le pacte passé explicitement ou implicitement entre l’auteur et son/sa lecteur. Il peut être lié au genre (c’est le cas du pacte autobiographique) ou à l’univers imaginé par l’auteur· L’auteur s’engage à proposer un univers complet et une histoire cohérente tandis que son lecteur s’engage à y croire. »

Dans la suite de l’article, on peut lire :

« Dans le Pacte autobiographique, l’auteur· raconte sa vie ou un morceau choisi de sa vie et demande à être cru. Dans l’autobiographie, la relation avec l’auteur est embrayée (il vous demande de le croire, il voudrait obtenir votre estime, peut-être votre admiration. .35 »

En somme, le pacte de lecture dans notre cas renvoie donc à l’adhésion du lecteur algérien en particulier et du lecteur en général et ainsi, on passe de la mémoire individuelle (celle de l’auteure et sa douleur historique) à la mémoire collective établie dans ce cas précis par le pacte de lecture. C’est comme si Maïssa Bey, par l’intermédiaire de la narratrice, voulait partager sa peine avec le lecteur et le prendre à témoin. Il y a donc à travers ce roman autofictionnel une visée communicative.

4- La mémoire individuelle et collective à travers les indices para textuels

En principe, il n y a pas que les écrits, les films et les textes historiques ou romanesques qui renvoient à l’Histoire et à la mémoire collective d’une société donnée, il y a aussi les photos, les images et les illustrations qui accrochent aussi l’individu à des évènements historiques passés ou présents. N’oublions pas qu’il existe la sémio linguistique ou sémiotique et la sémiologie de l’image, ainsi l’image est parlante, connotante , significative, elle constitue un message complet à lire et à interpréter.

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En ce qui concerne notre corpus, nous avons tenté au fil de notre analyse de voir comment le roman autofictionnel de Maïssa Bey renvoie à l’Histoire de la guerre d’Algérie de 1954 et plus précisément à la torture et à l’exécution de son père en 1957 à Boukhari par l’armée française. Il s’agit maintenant de voir comment les photos et des illustrations établissent un lien avec la mémoire individuelle de l’auteure et par voie de conséquence avec la mémoire collective. En premier lieu, la couverture du roman est très significative : un homme d’un certain âge, sans doute un algérien campagnard est debout sous un arbre dénudé, il regarde à l’horizon où se trouvent des montagnes. Déjà cette image accroche le lecteur et rappelle le titre entendez-vous

dans les montagnes, selon de nombreuses recherches, ce titre rappelle l’hymne national algérien ( min djibalina..).

En second lieu, dans les dernières pages du roman, figure la photo authentique du père de Maïssa Bey toute enfant assise sur ses genoux.

Enfin deux documents authentiques sont aussi notés, l’acte de naissance du père assassiné et son diplôme d’ancien instituteur.

Non seulement, toutes ces illustrations authentiques branchent le lecteur sur l’Histoire et par voie de conséquence sur la mémoire individuelle et la mémoire collective mais encore elles sont fortement pathétiques et touchantes.

La citation suivante nous éclaire un peu plus : « Ainsi l’écrivain ou l’Historien cherchent-t-il par quelques documents interposés des images qui puissent animer ou éclairer leur discours, les sélectionnant à la fois selon leur goût, leur jugement et leur adéquation. .36 »

(36)

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