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Abord éthique des soins en médecine gériatrique

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Abord éthique des soins en médecine gériatrique

Auteurs :

Serge Nowak, Infirmier diplômé d'état, Hôpitaux Unviersitaires de Genève, Hôpital de gériatrie

Charles-Henri Rapin, Gériatre, Directeur CEFEC, CIG, Hôpitaux Unviersitaires de Genève, Hôpital de gériatrie Revue du soignant en gériatrie - Septembre - Octobre 2003 - N° 2

L’espérance de vie en régulière augmentation dans tous les pays industrialisés entraîne une demande accrue en soins aigus pour les personnes très âgées 1. Les soignants se trouvent de fait confrontés à des demandes distinctes. D’une part, ajouter des années à la vie et d’autre part, respecter le droit à mourir dans la dignité.

La nature de ces attentes, substantiellement très différentes, mérite la réflexion des soignants. Pourtant, celles-ci ne révèlent pas de caractères contradictoires : nombre de nos contemporains aspirent, légitimement, à vivre le plus longtemps possible sans pertes fonctionnelles et dès lors qu’ils estiment, en fonction de leur âge et des circonstances, que leur vie ne vaut plus la peine d’être vécue, ils revendiquent une mort digne et sans souffrance.

Les enjeux éthiques

Quels sont donc les enjeux éthiques révélés par la technicisation des soins gériatriques ?

Face aux possibles dérives, une extrême vigilance s’impose, et les propos de Patrick Verspieren mettent en relief l’essence même du dilemme : Toute notre civilisation moderne, tous nos moyens techniques, toute la puissance de la médecine, risquent de nous leurrer et de nous faire oublier que l’homme est mortel. Lorsque la lutte contre la mort devient tentative de négation de la mort, elle est négation de la condition humaine, et ne peut alors que conduire à des attitudes inhumaines. » 2

Où commence l’excès de soins ? A-t-on le droit de s’abstenir de certaines thérapeutiques ?

La médicalisation du grand âge fait aussitôt resurgir le spectre de l’acharnement thérapeutique.

L’épreuve du quotidien ne fait que révéler la complexité de ces questions.

À travers l’expérience qui est la nôtre, celle de la création d’une unité de soins intermédiaires à l’hôpital de gériatrie de Thônex (Hôpitaux Universitaires de Genève), nous témoignerons de la réflexion éthique constante qui guide notre pratique de soins.

Soins intermédiaires :   définition et généralités

Depuis avril 2000, le département de gériatrie des Hôpitaux Universitaires de Genève a été doté d’une unité de soins intermédiaires afin de répondre de façon plus adéquate aux personnes âgées nécessitant des soins aigus, l’hôpital général où se trouvent les soins intensifs se situant géographiquement à plusieurs kilomètres.

Cette structure de soins, dont la dotation en personnel et en matériel technique permet le monitorage non-invasif des paramètres vitaux lors de décompensations somatiques aiguës 3, peut être assimilée à un plateau technique se situant à mi-chemin entre les services de soins intensifs et les services de médecine conventionnels.

Lorsqu’un malade de l’hôpital de gériatrie voit son état de santé s’aggraver, nous lui offrons ainsi des moyens adaptés au niveau de soins requis.

Cependant, le risque inhérent à ce type de structure est de dépasser les limites de ses capacités en voulant traiter des personnes dont la pathologie relève clairement des soins intensifs. Une bonne collaboration entre les soins intermédiaires et les soins intensifs est donc indispensable.

Interdisciplinarité et pluralisme éthique

Des réunions préparatoires ont structuré les lignes directrices de notre projet de création d’unité de soins intermédiaires gériatriques, l’objectif premier étant d’augmenter l’efficacité de la prise en charge médico-infirmière des personnes âgées nécessitant des soins aigus.

Il y a eu de nombreuses préoccupations organisationnelles, mais les débuts de notre pratique ont surtout été marqués par la confrontation à des situations sensibles qui ont éprouvé les affects de l’ensemble de l’équipe soignante.

Lors de nos colloques interdisciplinaires, nous avons rapidement relevé de nombreuses similitudes entre notre vécu professionnel et celui des équipes de soins intensifs 4.

Pour les aides-soignantes et les infirmières, la réflexion traduisait une implication émotionnelle importante. Certaines questions revenaient inlassablement :

- le respect de la vie ;

-le respect de la personne soignée ; -le sens du soin ;

-la limite des soins aigus ; -le renoncement aux soins ; - la place de la famille.

Différentes professions de santé interviennent au chevet du malade, chaque intervenant se présentant avec sa propre humanité : son histoire de vie, ses croyances, ses valeurs personnelles et la déontologie spécifique à son corps professionnel.

Les médecins ont certainement une sensibilité différente de celle des infirmières 5 ; ils sont souvent accusés par ces dernières d’être trop agressifs et de s’acharner sur les bénéficiaires de soins. Pour leur défense, ils répondent que les infirmières baissent trop facilement les bras parce que leur proximité relationnelle envers les malades influence fortement leur jugement, parfois au détriment de l’objectivité clinique nécessaire.

Ce sont souvent les conflits d’équipe qui suscitent la réflexion et motivent les demandes de conseils en éthique clinique, mais au-delà des éléments diviseurs, il y a aussi une recherche commune qui s’articule autour des principes de respect de la vie et de bienveillance 6. Notre souci de bienveillance nous oblige à une appréhension globale de chaque situation clinique. Nous ne pouvons réduire la

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la place de la famille.

Différentes professions de santé interviennent au chevet du malade, chaque intervenant se présentant avec sa propre humanité : son histoire de vie, ses croyances, ses valeurs personnelles et la déontologie spécifique à son corps professionnel.

Les médecins ont certainement une sensibilité différente de celle des infirmières 5 ; ils sont souvent accusés par ces dernières d’être trop agressifs et de s’acharner sur les bénéficiaires de soins. Pour leur défense, ils répondent que les infirmières baissent trop facilement les bras parce que leur proximité relationnelle envers les malades influence fortement leur jugement, parfois au détriment de l’objectivité clinique nécessaire.

Ce sont souvent les conflits d’équipe qui suscitent la réflexion et motivent les demandes de conseils en éthique clinique, mais au-delà des éléments diviseurs, il y a aussi une recherche commune qui s’articule autour des principes de respect de la vie et de bienveillance 6. Notre souci de bienveillance nous oblige à une appréhension globale de chaque situation clinique. Nous ne pouvons réduire la dynamique des soins à une visée vitaliste, il faut également évaluer la qualité de vie probable de chaque bénéficiaire de soins à l’issue de son hospitalisation.

Ainsi, notre pratique des soins aigus en médecine gériatrique exige-t-elle que nous fassions régulièrement la part entre le trop » et le trop peu », c’est-à-dire entre l’acharnement et l’abandon thérapeutique 7.

 

Les critères d’admission en unité de soins intermédiaires

- Cardiovasculaire : décompensation cardiaque aiguë nécessitant un traitement ou une surveillance, crise hypertensive, infarctus du myocarde, syndrome coronarien aigu, troubles du rythme cardiaque.

- Respiratoire : BPCO décompensée ne nécessitant pas de ventilation assistée, crise d’asthme avec signe de gravité, pneumopathie sévère, empyème, pneumothorax nécessitant un drainage pleural avec aspiration.

- Néphrologie : insuffisance rénale aiguë.

- Infectiologie : sepsis sévère et choc septique, en l’absence d’indication ou par défaut de place en réanimation.

- Endocrinologie : diabète décompensé, hyperosmolaire ou acido-cétosique, insuffisance surrénalienne aiguë, hyper ou hypothyroïdie avec répercussion systémique aiguë.

- Troubles hydro-électrolytiques : hyper/hypokaliémie majeure, hyper/hyponatrémie majeure, hyper/hypocalcémie majeure.

- Pathologies digestives ne nécessitant pas de surveillance en milieu chirurgical : pancréatite aiguë, traitement médical de l’iléus.

- Surveillance après gestes techniques : examen endoscopique…

Cependant, si ces critères diagnostiques définissent l’admissiblité du sujet en unité de soins intermédiaires, ils ne peuvent à eux seuls déterminer son admission de façon effective.

Le processus décisionnel comporte des facteurs organiques, mais aussi éthiques.

 

Principes éthiques et concepts de soins

L’évolution de la médecine vers plus et de meilleures possibilités diagnostiques et thérapeutiques a mené à une augmentation des conflits de valeurs dans nos institutions hospitalières. Les soins quotidiens aux patients, en particulier lorsque la vie est menacée, posent des problèmes aux équipes soignantes, aux patients et aux familles. » 8

Dans nos sociétés pluralistes, il existe plusieurs modes de pensée. L’éthique clinique propose de développer une pratique de la médecine et des soins plus respectueuse des valeurs des malades, de leur entourage ainsi que des professionnels de santé : Values Based Medicine.

Cependant, force est de constater que le contexte actuel est largement dominé par le souci de la connaissance scientifique et la course aux performances. La médecine, qui jusqu’alors était un art, serait-elle devenue une science ?

Plus la médecine se voudra scientifique, moins elle sera humaine. » 9

L’art médical réside dans le fait que tout médecin ne s’occupe ni du vivant en général, ni de l’humanité prise en bloc, mais toujours d’un malade en particulier. Il intervient donc dans une histoire personnelle.

Dans une perspective technicienne, il existe une autre approche médicale fondée sur les preuves : Evidence Based Medicine.

La qualité première de ce concept est de favoriser l’élaboration de processus formels d’évaluation des technologies médicales, en termes d’utilité, d’efficacité et de coût-efficacité. Il vise à permettre de garantir que les processus de soins offerts répondent à certains critères de qualité

10.

Mais il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que la pratique courante laisse souvent apparaître une discrimination des patients en fonction de leur âge (âgisme).

Le poids de l’âge du patient

Plusieurs études démontrent qu’à sévérité égale de la maladie, il y a une faible influence de l’âge sur le pronostic des malades admis en réanimation.

Mais l’objectivité des résultats de ces recherches suffit-elle à tempérer la subjectivité des médecins, infirmières et aides-soignantes ? Un soignant jeune a certainement quelques difficultés à se projeter dans la situation de son patient âgé 11...

La standardisation de certaines situations, pour un groupe de malades donnés, pourrait conduire à des dérapages inhérents aux impératifs socio-économiques. Aussi, de la rationalisation » des procédures au rationnement » des soins, il n’y a qu’un pas !... Il est alors à craindre que les personnes âgées 12 et les malades mentaux 13 soient les premiers touchés par des mesures discriminatoires.

Les concepts d’Evidence Based Medicine et de Values Based Medicine ne sont pas forcément contradictoires. Notre médecine moderne doit certainement avoir cette double exigence : celle de son efficacité technique, autant que son souci du respect de la personne soignée et de ses valeurs.

Il serait illusoire d’aborder la question de la limite des soins aigus sans avoir évalué, au préalable, le rapport effet-bénéfice de toute thérapeutique.

L’effet d’un traitement est objectivé par son impact sur l’organe cible. Le bénéfice, lui, est plus difficile à déterminer car il implique le vécu subjectif du bénéficiaire de soins (contraintes liées au traitement, effets secondaires, qualité de vie...).

Si, a priori, la notion d’acharnement thérapeutique peut paraître à la fois floue et péjorative, nous pouvons la définir comme un interventionnisme médical injustifié à l’égard de l’initiation, de la maintenance ou de la non-cessation de traitements inopportuns pour le bien-être du patient » 14.

Le consentement libre et éclairé

La liberté de la personne, à savoir celle du malade, est un principe fondamental auquel se rattachent les concepts d’autonomie et d’autodétermination, d’intégrité et d’inviolabilité 16.

Ces concepts font peu partie de l’histoire de l’éthique médicale, le serment d’Hippocrate lui-même n’en fait pas mention. Les codes de déontologie médicale et infirmière ne signaleront l’obligation du recueil du consentement du malade après information préalable qu’à partir du

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Ces concepts font peu partie de l’histoire de l’éthique médicale, le serment d’Hippocrate lui-même n’en fait pas mention. Les codes de déontologie médicale et infirmière ne signaleront l’obligation du recueil du consentement du malade après information préalable qu’à partir du deuxième tiers du XXe siècle.

Un changement important s’est opéré en Occident depuis ces dernières décennies, mettant l’accent sur la primauté de l’individu par rapport à l’État et les institutions. C’est ce principe qui occupe aujourd’hui la place centrale des débats bioéthiques aussi bien aux États-Unis qu’en Europe.

Dans notre pratique quotidienne, les questions du consentement éclairé et du refus de soins s’avèrent essentielles. Elles génèrent ponctuellement des débats contradictoires dès lors que la personne soignée suscite quelque doute quant à sa capacité de discernement.

Le droit à l’autonomie pose le principe selon lequel il est injustifié d’imposer au malade un traitement ou un geste diagnostique sans son consentement libre et éclairé 17.

Cependant, plusieurs études ont démontré qu’en situation d’urgence peu de malades sont réellement consultés sur l’orientation médicale à donner à la prise en charge.

Les décompensations somatiques aiguës entraînent fréquemment une altération de l’état de conscience allant de la confusion à l’agitation, voire même au coma. L’atteinte des fonctions cognitives réduit les capacités de discernement et invalide alors la compréhension que peut avoir le sujet de soins de la situation et des thérapeutiques qui lui sont proposées. À cela s’ajoute la notion d’urgence qui entraîne l’équipe soignante dans une dynamique activiste.

Lorsqu’il est impossible de recueillir le consentement de la personne soignée, nous sommes ponctuellement confrontés au dilemme du choix des attitudes thérapeutiques.

En l’absence de consentement éclairé et compte tenu de la précarité de la situation du malade, les médecins peuvent décider des mesures qui semblent s’imposer. Mais ce consentement présumé n’est pas toujours le reflet de la volonté profonde de l’intéressé.

S’il est parfois possible de recueillir l’avis de la famille, des études ont démontré qu’en interrogeant les malades au sortir des soins intensifs, les choix retenus par leurs proches n’étaient (a posteriori) pas ceux qu’ils auraient faits eux-mêmes 17.

L’expérience nous apprend qu’il faudrait en effet discuter le plus tôt possible avec chaque bénéficiaire de soins afin d’envisager toute éventualité et toute possibilité thérapeutique. Aussi importe-t-il que les choix de ce dernier soient inscrits dans le dossier médical afin d’éviter des décisions aléatoires lors des situations d’urgence, et de préciser le pourquoi de ces options (ce qui n’est pas fait dans 40 % des cas).

Il est difficile d’être certains d’opérer de bons choix, respectueux de la volonté du sujet, si les questions ne lui sont pas posées dès son admission à l’hôpital alors qu’il bénéficie de toutes ses capacités de discernement.

En ce sens, les directives anticipées (aussi appelées testament biologique ») s’avèrent-elles un outil déterminant de la relation

soignants/soigné(e)s ? Elles peuvent modifier favorablement notre pratique afin que nous soyons en accord avec les besoins et attentes de chaque malade 18. Mais là aussi, ne nous leurrons pas, lors d’un transfert en urgence, le malade et sa famille n’ont pas toujours le réflexe de se munir du testament biologique et de le joindre au dossier médical.

La notion de cas

Au cours de ces dernières années,le renouveau de l’éthique médicalea remis à l’honneur le mot casuistique » . L’objectif premier est de recentrer l’attention sur des cas concrets, sur des situations singulières et donc sur les patients, sans pour autant rejeter la référence aux principes 19. Aussi, la spécificité de l’éthique clinique repose-t-elle sur la notion de cas.

Actuellement, le souci des particularismes s’impose aux soignants avec acuité. Ces derniers doivent-ils en tenir compte ou leur appartient-il d’imposer les valeurs communes ?

Entre objectivité et subjectivité, notre pratique quotidienne révèle le caractère unique de chacune des situations pour laquelle la relation soignants/soigné(e)s est toujours à réinventer.

De fait, il nous semble difficile de réduire notre réflexion éthique à une synthèse livresque. Nous exposerons donc en pages 20 et 21 deux cas cliniques qui, nous l’espérons, illustreront clairement l’essence même de nos préoccupations.

Analyse et commentaires  des cas cliniques

Le cas clinique de Charles ne semble pas, a priori, avoir suscité de problème éthique ni de conflit d’équipe. Ceci résulte certainement de la perception qu’en ont eue les différents acteurs : les médecins, l’équipe soignante, le bénéficiaire de soins et l’entourage familial.

Le sentiment de positivité de ces différents vécus a largement été favorisé par deux critères déterminants : les traitements mis en œuvre n’ont pas fait appel à une haute technicité et n’ont pas occasionné de lourde contrainte pour le malade, et chaque épisode aigu a bénéficié d’une résolution favorable.

Nous pouvons raisonnablement imaginer qu’en cas de recours à des actes plus invasifs et/ou d’un échec thérapeutique, l’analyse que nous en ferions à ce jour serait bien différente.

Au-delà des aspects techniques (les moyens thérapeutiques) et utilitaires (l’atteinte des objectifs), il est un élément essentiel à considérer : chacun s’est senti respecté. Ce sentiment de respect résulte d’une relation qui s’est tissée tout au long de l’hospitalisation de Charles, dans les échanges interdisciplinaires, l’écoute des attentes du bénéficiaire de soins et de sa famille.

En revanche, le cas de Vincent, malgré ses similitudes médico-techniques et sa résolution favorable (guérison du foyer infectieux et retour au domicile), a très nettement été vécu comme un acharnement thérapeutique par la majorité de l’équipe soignante (aides-soignantes et infirmières).

L’incapacité de discernement de Vincent, conformément aux dispositions médico-légales, a été objectivée par l’avis d’un médecin spécialiste et mentionnée dans le dossier médical. Par défaut, nous nous sommes conformés aux choix de son épouse... mais pouvions-nous

raisonnablement interférer dans la dynamique du couple ?

Sylvie Van Daele 20 affirme que les infirmières sont souvent plus pessimistes que les médecins quant au devenir médical des malades, mais que leur point de vue se veut aussi plus humaniste.

Il serait cependant spécieux de croire qu’il y a d’une part, les bonnes infirmières » et d’autre part, les médecins interventionnistes ».

Comme nous l’avons évoqué à propos du pluralisme éthique, la proximité relationnelle de l’équipe infirmière envers la personne soignée nous a probablement privés de l’objectivité nécessaire au point d’occulter le fait que Vincent soit rentré chez lui à l’issue de son séjour hospitalier.

En conclusion

La technicisation de la médecine gériatrique est sans nul doute le reflet de la progression de ce que Michel Foucault a appelé le bio-pouvoir » 21, ce dernier touchant dès lors toutes les disciplines médicales.

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, ce dernier touchant dès lors toutes les disciplines médicales.

Depuis le début des années 1960, toutes les avancées médico-scientifiques ont généré des interrogations nouvelles, d’ordre philosophique, éthique et même socio-économique.

À notre époque, alors que les préoccupations gestionnaires et le souci de rentabilité se font de plus en plus pressants, où la notion de justice distributive » prend une importance grandissante, notre structure de soins intermédiaires offre une liberté de choix, une accessibilité et une égalité de traitement aux plus âgés d’entre nous.

Si les bénéficiaires de soins sont parfois partagés entre espoir et inquiétude, n’ignorons pas notre propre ambivalence de soignants qui peut parfois se traduire par des attitudes paradoxales allant de l’acharnement thérapeutique à l’abandon thérapeutique.

Soucieux de la respectabilité de notre pratique, nous nous devons d’être respectueux des valeurs de chacun.

Il est donc impératif de favoriser le dialogue, dans une ambiance de vérité au sein des équipes interdisciplinaires, avec les patients et leurs proches 22. Ceci est à la fois notre défi et notre devoir d’humanisation des soins.

 

Cas cliniques

Un consentement substitué

• Vincent a 100 ans, il vit en appartement avec son épouse âgée de 71 ans.

Il y a trois ans, il a présenté un adénome prostatique et a bénéficié d’un traitement chirurgical.

Depuis deux ans, Vincent démontre une perte importante de son autonomie et une baisse marquée des fonctions intellectuelles. Il bénéficie d’un encadrement infirmier à raison d’un passage par jour pour la toilette et l’habillement, son épouse gérant l’ensemble des tâches ménagères et l’accompagnant dans sa promenade quotidienne.

Leur fille, âgée d’une quarantaine d’années, est célibataire. Très proche de ses parents, elle est une personne ressource essentielle.

Le 29 octobre, Vincent nous est adressé par le service des urgences de l’Hôpital général pour prise en charge et traitement d’une broncho-pneumopathie des lobes supérieurs droit et gauche, avec hyperthermie à 39,5 °C et déshydratation.

Compte tenu de son état de confusion et d’agitation, ainsi que de son opposition à tout soin, un scanner cérébral a été effectué aux urgences : une atrophie cérébrale ainsi qu’une maladie des petits vaisseaux sont objectivées. Le diagnostic de démence vasculaire est prononcé par un médecin spécialiste.

C’est dans ce contexte de décompensation somatique et psychique qu’il nous faut intervenir. L’incapacité de discernement du sujet nous incline à nous référer aux souhaits de son épouse quant aux stratégies thérapeutiques à adopter, en tenant compte de la réalité clinique ( versus organique) et des possibilités médicales, autant que des limites qui nous sont imposées par les troubles comportementaux observés.

Durant toute son hospitalisation, Vincent ne s’exprimera que par des cris et des attitudes d’opposition radicale. Chaque jour, nous nous entretenons avec son épouse et sa fille afin de tenter d’opérer des choix réalistes.

Le 30 octobre, en raison de troubles importants de la déglutition, il nous semble impossible de poursuivre l’alimentation, l’hydratation et l’administration des médications nécessaires par voie orale. Nous posons, avec beaucoup de difficultés, une sonde naso-gastrique à Vincent qui, très agité, l’arrache aussitôt. Dans l’ensemble de l’équipe, le trouble est manifeste, nous sommes tous désemparés et beaucoup d’entre nous pensent que nous pratiquons là un acharnement insensé.

Son épouse nous demande avec véhémence de procéder à une nouvelle tentative de pose de la sonde ou, à défaut, d’élaborer une autre stratégie thérapeutique.

Afin de permettre à chacun de ménager une distanciation émotionnelle nécessaire à la réflexion, nous lui proposons de nous réunir le lendemain matin (elle et l’équipe soignante) pour réexaminer la situation et déterminer les actions possibles.

Le 31 octobre, à l’issue de notre rencontre, il est décidé qu’un cathéter veineux central sera posé sous sédation. Il permettra l’administration des antibiotiques spécifiques autant que la nutrition parentérale, sans risque d’encombrement bronchique. L’acte se déroule sans incident, rendant Vincent enfin accessible aux traitements. Des psychotropes sont prescrits en réserve pour le cas où un accès d’agitation du bénéficiaire viendrait à compromettre la continuité des soins.

Le 5 novembre, l’amélioration clinique de Vincent est manifeste. Il est apyrétique, les troubles de la déglutition sont réduits et il est alors possible d’envisager une reprise progressive de l’alimentation par voie orale. Cependant, lors d’un bref épisode d’agitation, le malade arrache son cathéter veineux.

En accord avec l’épouse, nous décidons alors de ne pas pratiquer de nouvel acte technique, mais de prendre un relais thérapeutique per os, de stimuler l’hydratation et la prise alimentaire tout en surveillant la déglutition.

Énergiquement encadré par son épouse lors de chaque repas, Vincent a repris son alimentation et suivi son traitement médicamenteux jusqu’à son terme.

Le 28 novembre, Vincent rentre à son domicile accompagné de sa fille et de son épouse.

Un consentement mutuel

• Charles a 102 ans, il vit en appartement avec son épouse âgée de 96 ans.

Tous deux sont autonomes sur le plan locomoteur et leurs capacités cognitives sont parfaitement conservées. Ils n’ont aucun antécédent médical notable, sont très entourés de leurs deux filles et leur niveau social élevé leur permet de s’allouer les services quotidiens d’une employée de maison.

Le 4 février, Charles présente un état fébrile à 40,1 °C, il nous est alors adressé pour la prise en charge d’un sepsis sévère d’origine urinaire probable. Dès son admission, des prélèvements biologiques et bactériologiques sont effectués, une perfusion ainsi qu’une antibiothérapie par voie IV périphérique sont instaurées.

Charles est un sujet autoritaire, cependant il est compliant vis-à-vis des soins qui lui sont dispensés, mais demande à être informé de tout traitement entrepris et de tout résultat d’examen.

Les examens complémentaires effectués (radiographie thoracique, échographie rénale et pelvienne) mettent en évidence un abcès rénal droit sur lithiase. Le médecin référent propose un transfert en service d’urologie afin de poser une sonde de néphrostomie.

Nous apprenons que Charles et son épouse sont membres de l’association EXIT ». Ils nous interrogent alors sur la nature de l’acte proposé, ainsi que sur le pronostic, posant clairement la question des limites de l’acharnement thérapeutique.

Il leur est alors expliqué que par le recours d’un geste relativement simple et d’une antibiothérapie adaptée, nous pourrions traiter cet épisode infectieux aigu, sans pour autant nier la fragilité d’un état de santé résultant du grand âge. À l’issue de l’entretien, Charles et son épouse acceptent le projet thérapeutique proposé.

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Il leur est alors expliqué que par le recours d’un geste relativement simple et d’une antibiothérapie adaptée, nous pourrions traiter cet épisode infectieux aigu, sans pour autant nier la fragilité d’un état de santé résultant du grand âge. À l’issue de l’entretien, Charles et son épouse acceptent le projet thérapeutique proposé.

Le 8 février, le transfert à l’hôpital cantonal est effectué.

Le 17 février, de retour à l’hôpital de gériatrie, Charles est à nouveau pris en charge dans l’unité de soins intermédiaires pour réhydratation et surveillance rapprochée. Il répond favorablement aux traitements administrés.

Le 20 février, Charles est orienté en service de médecine gériatrique pour suite de soins.

Durant plus d’un mois, le séjour sera essentiellement marqué par une asthénie notable, ainsi que par un état subféfrile persistant. Après stabilisation de l’état de santé, les préoccupations de l’équipe soignante et de la famille seront surtout orientées par le projet de retour à domicile, son adéquation, ainsi que des modalités d’encadrement infirmier nécessaires.

Le 26 mars, Charles présente un nouvel état fébrile à 39,3 °C accompagné d’une hypotension marquée ; des hémocultures et un prélèvement d’urine sont effectués, une perfusion intraveineuse par voie périphérique, ainsi que des antipyrétiques sont dispensés.

Un colloque interdisciplinaire avec les équipes de médecine gériatrique et de soins intermédiaires est rapidement organisé. L’état aigu de Charles est assorti d’une altération marquée des facultés mentales, compromettant ainsi sa participation à la délibération décisionnelle.

Conformément au souci constant de non-acharnement verbalisé par le bénéficiaire de soins et son épouse, il est alors décidé de ne pas poser de cathéter veineux central et de ne pas administrer d’amines. Une sonde vésicale est mise en place, le malade est transféré en unité de soins intermédiaires.

L’évolution clinique est rapidement favorable et le 28 mars, Charles réintègre le service de médecine gériatrique.

Il faudra à nouveau un mois d’hospitalisation pour que Charles se rétablisse. Il sera revu deux fois en consultation d’urologie afin d’évaluer les possibilités ultérieures d’ablation de la lithiase rénale. L’épouse et les filles du bénéficiaire de soins exprimeront à de multiples reprises leur gratitude aux équipes soignantes pour les soins prodigués.

Le 29 avril, Charles rentre à son domicile accompagné de son épouse et de ses deux filles ; il se déplace seul à l’aide d’un déambulateur.

Bibliographie

1 J.-C. Chevrolet, J.-P. Janssens, A. Laszlo, Prise en charge de patients âgés en milieu de soins aigus », Médecine & Hygiène, 2368, 14 novembre 2001.

2 P. Verspieren, Face à celui qui meurt, Éditions Desclée de Brouwer, Paris 1984, p. 27.

3 J.-C. Chevrolet, J.-P. Janssens, A. Laszlo, Prise en charge de patients âgés en milieu de soins aigus », Médecine & Hygiène, 2368, 14 novembre 2001.

4 S. Van Daele, Soins palliatifs et réanimation : est-ce conciliable ? Approche éthique en soins infirmiers », InfoKara, n° 59, p. 37 à 41, mars 2000.

5 H. Doucet, De l’éthique à l’éthique clinique, Conférence du soir/Institut universitaire Kurt Böesch/Sion, novembre 1995.

6 G. Durant, Introduction générale à la bioéthique, Éditions Fides, Bibliothèque nationale du Québec, 1999, p. 195.

7 A. Laszlo, S. Pautex, La futilité en médecine gériatrique, un véritable enjeu », La Presse médicale, tome 31, n° 10, 16 mars 2002.

8 C.-H. Rapin, Values Based Medicine », Actes de la XIVe Rencontre de l’unité de thérapie cognitive de l’âgé, Genève, 24 novembre 2000, p.

5.

9 D. Folscheid, B. Feuillet le Mintier, J.-F. Mattei, Philosophie, éthique et droit de la médecine, Presses Universitaires de France, Paris, 1997, p. 111 à 121.

10 B. Burnand, Contribution de la médecine factuelle à l’évaluation de la qualité des soins », Médecine & Hygiène, 2337, 7 mars 2001.

10 A. Laszlo, S. Pautex, La futilité en médecine gériatrique, un véritable enjeu », La Presse médicale, tome 31, n° 10, 16 mars 2002.

11 M. Faller-Möller, Rationnement et éthique sont-ils compatibles ? », Soins infirmiers, 6/99, ASI, p. 70 à 73.

12 R. Panchaud, Rationalisation des soins : une illusion en psychiatrie ? », Soins infirmiers, 6/99, ASI, p. 74 à 76.

13 Colloque annuel de la corporation professionnelle des médecins du Québec, Euthanasie ou acharnement thérapeutique ? Une question de bioéthique », 12 mai 1990, 30 (3), p. 3-15.

14 G. Durant, Introduction générale à la bioéthique, Éditions Fides, Bibliothèque nationale du Québec, 1999, p. 217.

15 G. Durant, Introduction générale à la bioéthique, Éditions Fides, Bibliothèque nationale du Québec, 1999, p. 223 à 226.

16 J.-G. Guimond, Bien-être de la personne et acharnement thérapeutique à l’unité de soins intensifs » in Au chevet du malade. Analyse de cas à travers les spécialités médicales, Collection Panétius, D.J. Roy et C.H. Rapin Ed., Centre de bioéthique, Institut de recherches cliniques de Montréal, 1994, p. 69 et 70.

17 M. Olmari-Ebbing, Directives anticipées, un outil d’humanisation des soins », Gériatrie pratique, 3/2001, p. 27 à 31.

18 G. Durant, Introduction générale à la bioéthique, Éditions Fides, Bibliothèque nationale du Québec, 1999, p. 98.

19 S. Van Daele, Soins palliatifs et réanimation : est ce conciliable ? Approche éthique en soins infirmiers », Info-Kara, n° 59, mars 2000, p.

37 à 41.

20 M. Foucault, Histoire de la sexualité. La volonté de savoir, Éditions Gallimard, Paris, 1976.

21 C.-H. Rapin, Values Based Medicine, Actes de la XIVe Rencontre de l’unité de thérapie cognitive de l’âgé, Genève, 24 novembre 2000, p.

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Ethique des soins en médecine gériatrique

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