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Les expressions du rouge : parler rouge

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Les expressions du rouge : parler rouge

Par : Annie Mollard Desfour, lexicographe, sémiologue et linguiste au C.N.R.S.

Résumé

L’exploration du rouge, au fil des mots, des textes, mais aussi des visuels, des œuvres d’art, notamment pour la publication du dictionnaire Le Rouge, a permis de mettre au jour l’importance de cette couleur, première par son éclat, sa lumière, par l’histoire ancienne et la qualité des matières colorantes permettant de l’obtenir, et pour sa symbolique d’intensité et d’extrême, aux polarités fortement marquées.

Couleur de référence dans toutes les civilisations, en particulier par ses liens avec le sang, référent universel, à la symbolique ambiguë, antagoniste : rouge vie et mort, puissance vitale, ardeur, courage, colère, violence et haine, amour et passion, désir, plaisir, sexualité... Les codes contemporains jouent des multiples rouges, anciens ou nouveaux, révélant tour à tour le rouge de l’élite et du luxe, du peuple et de la révolte, du bien, de la séduction et de l’érotisme, de la faute, de l’interdit, de la sanction... et du rouge-sang, symptôme d’un état physique mais aussi psychologique, témoignage des relations du corps et de l’esprit, soulignées en médecine ancienne dans la théorie des humeurs et des tempéraments associés aux couleurs. Par ses liens avec le corps, le cœur, les émotions, le rouge, dès le Moyen Age et jusqu’à nos jours, est employé pour ses pouvoirs thérapeutiques mais également pour ses valeurs symboliques, notamment dans certaines coutumes encore en vigueur.

Entre profane et sacré, jouissance et effroi, vertu et péché, prestige et transgression, le rouge étend sa gamme, affiche ses notes extrêmes, contradictoires, brouille les pistes...

Rouge, entre répulsion et fascination !

Mots-clés : Rouge, gamme chromatique, teintes, lexique, utilisations, symbolique, codes, ambiguïté, socioterminologie.

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Expressions of red: speaking red

By: Annie Mollard Desfour, lexicographer, semiologist and linguist at C.N.R.S.

Abstract

Exploring the red color through French words and works of art, Annie Mollard Desfour stresses on its primacy and its symbolic ambiguity. Red is linked with life and death, love and hatred, desire, passion, sexuality, anger, courage and ardor. Nowadays, contemporary codes play with multiple reds, old or new, revealing for example alternately the red of the elite and luxury, or the red of the communism and revolutions. A particular attention is paid to the blood red, symptom of a physical but also psychological state, testimony to the relationship between body and mind, underlined in ancient medicine in the theory of moods and temperaments associated with colors. Through its links with the body, the heart, the emotions, red, from the Middle Ages until today, is used for its therapeutic powers but also for its symbolic values, in certain customs still in force.

Between profane and sacred, enjoyment and dread, virtue and sin, prestige and transgression, red extends its range, displays its extreme, contradictory notes, blurs the tracks...

Red, between repulsion and fascination!

Keywords: Red, basic color term, shades, lexical words, uses, symbolism, codes, ambiguity, socioterminology.

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« Prenez garde à ne pas voir trop vite apparaître le rouge car avec lui surgissent les suprêmes puissances. »

(Nicole Avril, Dans les Jardins de mon père, 1989).

Entreprendre la rédaction d'un dictionnaire des termes de couleur1 peut sembler une gageure tant est grande la difficulté à « cerner » la couleur, la définir, non seulement d'un point de vue descriptif (quelle est la teinte exprimée ?) mais aussi d'un point de vue symbolique (quelle est la/les « valeur(s) » de la couleur, dans une société donnée, à une époque donnée ?).

Analyser le lexique français des couleurs c’est aussi décrire un système fonctionnant sur une base limitée de dénominations de couleur « directes »2, à laquelle s’ajoute une multitude de dénominations de couleur « indirectes » ou « référentielles », issues d’analogies, de métaphores3 d’origines très diverses et représentatives de nos goûts, de nos choix ; c’est rassembler et définir les dénominations désignant des couleurs, des nuances, mais aussi les expressions, locutions et proverbes formés avec un terme de couleur.

C’est ainsi fournir des éléments de réflexion non seulement sur le langage, la couleur, mais aussi sur une société particulière.

Qu’en est-il du rouge ? Comment la langue du XXe siècle et de la période contemporaine a-t-elle nommé le rouge ? Quel est son contenu, ses usages, ses connotations ? Qu’a retenu le rouge du XXe siècle et de l’ère contemporaine du rouge des siècles passés ? Quels sont les nouveaux termes du rouge contemporain ? Que nous disent-ils sur eux-mêmes et sur nous ?... Quelles sont les évolutions ? Les révolutions ?4

Couleur d’intensité et d’extrême, aux polarités fortement marquées, en lien particulier avec le feu5 et le sang, ses référents. Parmi tous les rouges, c’est le lien particulier avec le sang qui va associer la couleur rubescente à ses symboliques les plus fortes, ambigües et universelles…

1 Une liste non exhaustive d’études sur la couleur est disponible en fin de chapitre sous « voir aussi ».

2 Les dénominations de couleur « directes » sont de véritables termes de couleur,créés spécialement pour désigner une couleur ou perçus de nos jours comme tels, et désignant un champ de couleur : bleu, rouge, rose, rouge, vert, jaune, orangé, violet, blanc, noir, gris. Au nombre de onze, ces termes génériques, hyperonymes, permettent de classer, définir, les diverses nuances, leurs hyponymes.

3 Les dénominations de couleur « indirectes » ou « référentielles », hyponymes, sont les dénominations créées métaphoriquement par analogie avec des référents d'origine très variée. Le français puise abondamment dans ces référents pour nommer, nuancer la couleur.

4 Ces interrogations à l’origine de la publication du dictionnaire de la couleur. Mots et expressions d’aujourd’hui, Le Rouge, CNRS Editions, 2000, 2008.

5 Le feu est associé, également, à la couleur orange.

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Aux sources du rouge…

La couleur par excellence

Rouge ! La couleur rouge a un statut à part parmi les couleurs. C’est la couleur par excellence, la couleur archétypale, la première des couleurs… Le rouge n’est-il pas d’ailleurs à l’origine du nom d’Adam, le premier Homme- Adamus, nom latin d’Adam, signifie « fait de terre rouge » - certainement en lien avec l’hébreu dom, « sang » ?

Couleur la plus vive, elle entretient un rapport privilégié avec l’éclat, la lumière, le feu, la flamme, et nombreuses sont les nuances qui traduisent à la fois ces deux éléments6. De même, le rouge a des liens particuliers avec la couleur : les termes des langues romanes sont passés par une évolution au cours de laquelle couleur a été identifié à rouge, et encore de nos jours, notamment dans notre langue, le terme couleur peut, dans certains contextes, désigner le rouge7.

L’étymologie et l’histoire du lexique du rouge et de ses nuances attestent sa très longue histoire et confirment l’intérêt porté à cette couleur dès l’aube de la civilisation… Rouge vient du latin rubeus, -a, -um :

“ roux, roussâtre, rougeâtre ”, dérivé de rubere : “ être rouge ”. Rubeus a supplanté ruber, -bra, -brum, mot romain, terme courant pour désigner le rouge dans toute sa richesse de nuances (du rouge feu, rouge sang, rouge carmin au rouge orangé). Ces termes appartiennent à une racine indo-européenne présentant une alternance reudho-, roudho-8… Le latin disposait déjà de nombreux termes pour traduire le rouge, dans son sens général ou dans ses diverses nuances9, ce qui témoigne de la place privilégiée occupée par le rouge dans la culture grecque et romaine, au contraire du bleu, pour lequel il ne disposait que de termes imprécis et instables, reflet du peu d’intérêt porté à cette couleur.

Le rouge, avec le blanc et le noir, est la triade de base des sociétés anciennes et traditionnelles selon Berlin et Kay. Le blanc est non teint, le noir est sombre, sale tandis que le rouge est vif et dense. On retrouve cette triade notamment dans les contes de fées anciens, en particulier dans Blanche-Neige.

Le rouge a aussi un lien étroit avec le beau, pour des raisons symboliques, mais également pour des raisons historiques de techniques tinctoriales : la couleur rouge, étant autrefois la plus stable et donc la plus belle des couleurs, a été liée à l’apparat, et la robe rouge – la plus belle des robes – fut, en France, celle du mariage jusqu’à la fin du xixe siècle. Certaines langues attestent ce lien étroit du rouge avec la beauté, ainsi en russe, krasny signifie à la fois “ rouge ” et “ beau ”10.

6 Il s’agit essentiellement des termes ayant rapport au feu, aux flammes : ardent, braise, enflammement, enflammer, flamboyant, incandescent, incendie, rutilant. Dès le latin, certains de ces termes exprimaient le rouge : ardent (du latin ardeus :

« brûlant, éclatant, vif ; de la couleur du feu ») ; rutilant, (du latin rutilans, de rutilare : « rendre rouge, teindre en rouge ; être rouge ; avoir l’éclat de l’or »), de rutilus « rouge ardent ». ;

7 Ainsi couleur, coloré, en parlant de la peau, du teint.

8 Le vocalisme en eu est supposé par le vieil islandais riodr, le vieil anglais reod (red). Cette racine indo-européenne fournit aussi des formes verbales, dont le grec ereuthein, « rougir ».

9 Ruber, rufus, purpureus, punicus, rubicundus, rutilus, russus, coccinus, mineus, cerasinus, sanguineus, cruentus…

10 Voir article de G. Morgan.

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Mais la couleur la plus ambigüe

Couleur de référence dans toutes les civilisations, couleur du sang et du feu, éléments indispensables à la vie, mais aussi symboles de mort, le rouge, conjuguant en lui beauté et horreur, est, parmi toutes les couleurs, la plus ambiguë, et a, au cours des siècles, fasciné et effrayé les hommes…

Couleur des forces vitales, de la vie, de l’ardeur et du courage, couleur de la dignité et du mérite, le rouge a longtemps été considéré comme la plus noble des couleurs.

En héraldique gueules11 signifie « rouge » et donne ardeur, courage, « charité, hardiesse, générosité » (Nouveau Larousse Illustré 1904). Le rouge - la plus noble des couleurs - était autrefois réservé à l’élite, au point qu’il était interdit de porter de gueules dans ses armoiries à moins d’être prince ou d’en avoir l’autorisation.

En alchimie le rouge est l'étape ultime, la Quintessence – cinquième essence – où, lors de la rubification, est obtenue la Pierre (philosophale) rouge, Pierre au rouge, l’Œuvre au rouge, encore appelée pavot des philosophes, rubis précieux, Escarboucle des sages, Sang/Vin des philosophes/des sages…12La pierre philosophale, Œuvre au rouge, ou Rubedo, permet la transmutation des métaux en or, « guérit le corps humain de toutes les faiblesses et lui rend la santé », apporte la « Connaissance", la régénération, l'immortalité » !!!

« La Pierre devenait d’un rouge éclatant : c’était la rubification, symbolisée par le phénix [...] on possédait maintenant la Pierre philosophale, rouge et parfaite, condensation active du Spiritus mundi, “commencement et fin de toutes choses” (Azoth). […]. La Pierre philosophale devait se présenter sous la forme d’une poudre rouge éclatant, “de la couleur du rubis” (Paracelse), “Cela devient, écrit Ortholain (cité par Ganzenmuller), une pierre de plus en plus rouge, transparente, fluide, liquéfiable, qui peut pénétrer le mercure et tous les corps durs ou tendres et les transformer en une substance propre à faire de l’or ; elle guérit le corps humain de toutes les faiblesses et lui rend la santé ; grâce à elle on peut forger le verre et colorer les pierres précieuses en un rouge brillant comme l’escarboucle”. »

(Serge Hutin, L’Alchimie, 1971).

Dans la mythologie, le phénix13, oiseau aux ailes de feu, d’une extrême longévité et qui avait le pouvoir de renaître de ses cendres après s’être consumé sur un bûcher, était le symbole de la résurgence cyclique, de la régénération et de la résurrection, et fut donc associé par les alchimistes à l’Œuvre au rouge.

De même, au Moyen Âge, le phénix fut symbolique de la résurrection du Christ13, et parfois de la nature humaine et de l’immortalité.

Les mythes, les contes et légendes populaires, plus ou moins anciens, reflètent le symbolisme du rouge de la Connaissance et de la Science secrète : le bonnet rouge et pointu est celui qui coiffe les nains malicieux des légendes et contes de fées, doués de pouvoirs surnaturels, tout comme il coiffe les gnomes, nains difformes, qui, en cabalistique, sont les génies du monde souterrain, détiennent les secrets de la terre, des pierres, des métaux précieux, et animent plantes et animaux…

11 De gueule, « gosier d’un animal », du latin gula, « gorge, gosier, bouche », puis « bouche d’un être humain ». Au Moyen Age, gueules désigne des morceaux de peaux, rouges, découpées dans le gosier de l’animal (en particulier de la martre) et servant d’ornement aux vêtements.

12 L’œuvre au rouge est obtenue de diverses pierres ou métaux, par le feu, dans le fourneau de l’alchimiste (l’athanor), après être passée, au préalable et invariablement, du noir (l’Œuvre au noir) au blanc (l’Œuvre au blanc).

13 Du latin phœnix ; du grec phoinix : « couleur pourpre, oiseau fabuleux… ». « L’oiseau de cinabre » selon les taoïstes ».

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L’histoire des matières colorantes et de la technique, en nous faisant voyager au cœur de l’humanité, démontre le statut particulier de la couleur rouge. Si les matières colorantes végétales – l’andrinople ou rouge turc et surtout la garance, véritablement universelle14, ont joui d’une grande notoriété, elles n’ont toutefois jamais atteint le prix ni la gloire des matières colorantes animales : l’écarlate, le cramoisi, le vermillon, obtenus de la cochenille ou kermès, étaient d’un prix prohibitif, et donc réservés à l’élite. Mais c’est la couleur pourpre, obtenue du suc d’un coquillage marin, assimilé au sang15, qui fut un véritable objet de fascination et réservée, sous peine de mort, aux empereurs de Rome et de Byzance… Le rouge, d’origine animale ou végétale, devint la couleur représentative des rois, des chefs et dignitaires notamment dans l’armée, l’Église, la justice…, symbole du pouvoir, de la dignité, du mérite…

Matières colorantes rouges et pierres rouges - liées au sang et au feu - étaient censées non seulement combattre les hémorragies, fortifier le sang, le cœur, écarter la foudre, mais aussi favoriser l’effort, la lutte, le courage…

Matières colorantes et pierres rouges, liées au sang et au feu, étaient censées lutter contre les hémorragies, et favoriser le courage Le lexique – et ce parfois encore au début du XXe siècle – rend compte, dans ses sens figurés, de la gloire passée et de l’excellence de la couleur rouge : pourpre a désigné, par métonymie, le pouvoir, la puissance, la richesse ; le substantif écarlate, le premier choix, ce qu’il y a de plus distingué16 ; l’adjectif cramoisi était synonyme de magnifique, et la locution adverbiale en cramoisi : “ de façon parfaite, au plus haut point ” ; de même, rouge a désigné, jusqu’au milieu du XIXe siècle, un homme vain et orgueilleux…17

Beauté, gloire et excellence de la couleur rouge, mais également rouge du sang versé, de la violence, couleur de la guerre18, du meurtre et de la mort, de l’alarme et du danger. Rouge, c’est encore la couleur des tabous et de l’interdit, du péché, de l’Enfer et du Diable (en concurrence avec le noir), la couleur des bourreaux et des forçats, celle des prostituées et de la lanterne rouge des anciennes maisons closes…

Rouge, c’est également, de Judas à Barberousse et au renard Goupil, la couleur liée à l’hypocrisie, à la trahison, à la violence et au maléfice19

14 La garance qui sera la couleur des pantalons de l’uniforme militaire, notamment de l’infanterie et de la cavalerie françaises jusqu’à la Première Guerre mondiale. –

15 Il était nécessaire de sacrifier dix mille coquillages pour obtenir un gramme de colorant pourpre, aussi précieux que l’or.

16 « L’écarlate de la noblesse » (Nouveau Larousse illustré 1901-Larousse 20e siècle).

17 De nos jours, les locutions telles que dérouler le tapis rouge, rosette rouge de la Légion d’honneur… attestent de l’association persistante du rouge au mérite, à la gloire et à la reconnaissance de ce mérite.

18 L’association du rouge à la guerre remonte à la plus haute Antiquité. La « Planète rouge » fut d’ailleurs dédiée à Mars.

19 En particulier celui associé à la rousseur, aux roux.

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Le rouge contemporain - Champ chromatique et lexical

Notre société et notre langue du XXe siècle et du XXIe siècle reprennent à leur compte ces grands symboles inscrits dans l’histoire de l’humanité, hérités d’un passé parfois fort lointain, et les renouvelle parfois en les adaptant aux nouvelles réalités de notre monde.

Le rouge contemporain et ses nuances – Les mots pour le dire

Pour nommer le rouge la langue français a développé un système lexical très ample et structuré.

Au terme de base générique rouge, d’origine latine, elle a adjoint des dérivés du terme rouge, mais aussi du latin ruber, et du grec erythro-20.

Le vocabulaire des couleurs de notre langue du XXe siècle et du XXIe siècle commençant est le reflet de l’histoire ancienne du rouge qui englobait diverses nuances (orange, violet, brun, rose). Nombreux sont les termes désignant les nuances intermédiaires entre le rouge et une autre teinte (brique, bordeaux, cerise, cuivre, framboise, fuchsia, etc.). De même, roux, perçu de nos jours comme une nuance située, selon les contextes d’emploi, entre le rouge et le jaune / orange / brun, sans appartenir strictement au champ du rouge, a un rapport avec cette couleur par son étymologie et ses connotations.

« La palette est riche. Rouge velours, la robe des vins. Rouge-brun, le sang défraîchi. Carmin, les empreintes digitales les plus récentes sur les immenses tabliers blancs des bouchers. Rouge rosé, les biftecks dans les assiettes quand le couteau pointu fait jaillir un sang encore jeune. Vermillon, les lèvres des femmes. Rouge bleuté, leurs gencives. Rouge vie et rouge mort, les quartiers de bœuf alignés dans les camions aux portes battantes. »

(Nicole Avril, Dans les jardins de mon père, 1989).

Multiples et variés sont les référents qui expriment le rouge au XXe siècle et de nos jours : sang et feu, fleurs et fruits, pierres – généralement précieuses –, produits fabriqués, fonctions, peintres au rouge caractéristique, lieux d’où proviennent une œuvre artistique, une coutume ou manière de peindre, périodes artistiques ou marques caractérisées par la couleur rouge, termes ayant rapport aux croyances religieuses ou populaires, sentiments ou idées plus ou moins abstraites. Rouge… ardent, intense, strident, vif ou rouge éteint, sourd, mourant, passé ; rouge orange, -brun, violet ; rouge coquelicot, pavot ou ponceau ; rouge carotte, tomate, brique, rubis, feu, flamme, sang… rouge carmin, écarlate, magenta, pourpre, vermillon, andrinople, solférino, cardinal, pompier, vampire, opéra, Ferrari… rouge zeffirellien… ou encore rouge passion, frisson, scandale.21 Parmi cette foule de dénominations des rouges, nombreux sont les termes de couleur issus de matières colorantes, ce qui atteste du rôle qu’ont eu, dans l’histoire, ces pigments ou teintures, souvent très anciens… Et les références au sang !

Un référent primordial et universel du rouge : le sang

Le sang est le référent primordial, du point de vue symbolique, du lexique chromatique du champ du rouge. Rouge est le sang et il n’y a pas toujours de frontière stricte entre l’emploi désignant le sang lui- même et la comparaison de couleur : ce qui est taché de sang est rouge, les deux pouvant être sous-

20 Cantonné au vocabulaire scientifique où il établit un lien avec le sang. Voir « Dérivés de Éruthros, rouge, ruber ». Le Rouge. Dictionnaire de la Couleur, et infra « Rouge du sang de la vie ».

21 Voir « De Amarant(h)e à Zeffirellien. Variations sur le rouge » Le Rouge. Dictionnaire de la Couleur.

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entendus… Rouge sang, sanguin, sanguinolent, saignant, sanglant… sang-de-bœuf, sang de gazelle, sang de pigeon, sang de taureau, sang dragon... sang caillé, sang séché. Sans oublier les métaphores et métonymie : sang de la vigne, sang du Christ pour désigner le vin... Cette métaphore vin/sang est à la base même du christianisme, Jésus-Christ, le jour de la Cène, veille de sa mort, changea le vin en sang : « Prenez et buvez car ceci est mon sang, le sang de l’alliance » », et dans l’Eucharistie, le vin représente le sang du Christ.

Rouge du sang de la vie

Rouge des globules rouges ou erythrocites - de erythr(o) - du grec eruthros : « rouge », élément préfixal entrant dans la composition de mots savants ayant rapport à la couleur rouge, et par spécialisation, aux globules rouges : érythrémie, augmentation du nombre des érythocytes se traduisant par l’augmentation du taux d’hémoglobine et de la viscosité sanguine ; érythopoïétine ou EPO, substance hormonale interdite provoquant l’augmentation des globules rouges dans le sang, c’est-à-dire les volumes de transport sanguin d’oxygène, et donc une augmentation de la puissance musculaire... érythropathie, maladie des globules rouges ; érythropénie, diminution du nombre de globules rouges, anémie.22

Le sang rouge des érythocytes (globules rouges)

Rouge du sang des règles, des menstruations... et métaphores euphémistiques : avoir ses rougets, ses coquelicots, ses tomates, ses cardinaux, ses anglais, les anglais ont débarqué23. Rouge de ce sang évoqué par Nicole Avril dans le roman Dans les jardins de mon père (1989), confusion du rouge des fruits et de celui de cette

« impudeur même » :

« Je suis allongée dans une flaque et presque entièrement recouverte de ses eaux. Elles sont épaisses et rouges. D’un rouge superbe, d’un rouge souverain. […] Une débauche de rouge, fraises et cerises mêlées, broyées, liquéfiées. […] On me fait asseoir, on m’encourage à me vider une fois pour toutes

22 À noter aussi, pour les mots composés avec l’élément erythr(o)- : érypthropsie, altération de la vision chromatique par dominance du rouge, due à l’influence de toxiques tels que la scopolamine, ainsi que les dénominations de matières colorantes rouges, l’érythrine, extraite des lichens à orseille, et l’érythrosine, employée en solution aqueuse dans l’industrie alimentaire.

23 Par référence à leur ancien uniforme militaire.

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de mon jus, on m’essuie, on me lave, on refait mon lit. On chasse le rouge comme s’il était l’impudeur même. »

(Nicole Avril, Dans les jardins de mon père, 1989).

Rouge-Maux. Symptôme d’un état physique ou psychologique.

Le rouge est symptôme d’un état physique ou psychologique, et témoigne des relations du corps et de l’esprit - déjà soulignées en médecine ancienne dans la théorie des humeurs et des tempéraments associés aux couleurs.24 et dont rend compte le lexique contemporain. Par ses liens avec le corps et le cœur, le rouge, dès le Moyen Age et jusqu’à nos jours, a été employé pour ses pouvoirs thérapeutiques mais également pour ses valeurs symboliques, notamment dans certaines coutumes encore en vigueur.

Rougeurs de la peau, symptômes de maladie et nombreux termes issus du grec ou du latin : érythème, affection de la peau caractérisée par une rougeur superficielle, érythrose, rougeur anormale de la peau, érythrodermie, maladie de la peau caractérisée par un érythème aigu ou chronique ; rougeole, rubéole, rubéose, scarlatine, purpura... Spécialement, en langue courante, rougeur du nez, du visage, sous l’effet de l’alcool et locutions verbales imagées allusion à cette rougeur anormale : avoir le nez rouge, se rougir le nez, la trogne, s’allumer la crête, se pivoiner, se sanguiner, se tuiler...

Certains états psychologiques, mentaux, émotions violentes, colère, gêne, honte, timidité…

affectent également la couleur de la peau, du teint qui, par afflux de sang, rosit ou rougit. Être rouge, rougir de timidité, de colère, de fureur... Nombreux sont les termes savants formés sur l’élément préfixal érythr(o)-, éreuthr(o)-, ereuto, pour marquer un rapport à la couleur rouge, et par spécialisation aux globules rouges : érythromanie ; psychopathologie, tendance exagérée à rougir (+ angoisse immotivée concernant la couleur rouge » ; érythrophobie, éreuthrophobie, éreutophobie, peur de rougir en public entraînant la rougeur du visage... ; érythophobe, personne atteinte d’érythrophobie… La langue courante multiplie verbes et locutions verbales pour exprimer ce fard qui monte au visage : rougir, cramoisir, devenir écarlate, s’empourprer ... être/devenir rouge comme un coq, une tomate, un homard, une écrevisse, un vit de noce ... piquer un fard, une tomate, faire rougir son homard ; rougir jusqu’aux oreilles, jusqu’aux épaules, jusqu’au blanc des yeux ; avoir les yeux injectés de sang, voir rouge … ; se fâcher tout rouge...

« J’aime le rouge car il vient de l’intérieur de soi. S’afficher en rouge, c’est retourner son corps comme une peau de lapin pour mettre en plein jour ce qui palpite, saigne, jouit et souffre. Le rouge est une couleur animale et secrète »

(Nicole Avril, Dans les jardins de mon père, 1989).

Le lien entre le rouge et le sang confère à la couleur une symbolique extrêmement forte, en lien avec le corps et le cœur, l’esprit, la vie, la mort, la force, le courage…

24Dans la théorie des humeurs, popularisée par les écrits d’Hippocrate, la santé (de l'esprit ou du corps) varie en fonction de l'équilibre des humeurs dans le corps. Pour les anciens, il existait quatre humeurs : le sang, produit par le foie et reçu par le cœur (caractère sanguin ou jovial, chaleureux) ; la pituite ou phlegme ou lymphe, rattachée au cerveau (caractère lymphatique) ; la bile jaune, venant également du foie (caractère bilieux, plutôt enclin à la violence ; la bile noire ou atrabile, venant de la rate (caractère mélancolique/anxieux).

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Rouge-puissance vitale, intensité des émotions, des sentiments, de la passion…

Désir, plaisir, séduction, érotisme Puissance vitale, ardeur, intensité

Le rouge est explosion, extériorisation, ce qui sort ... comme le sang... éclate comme le feu, « la couleur de ce qui était dedans et qui sort ! ».

« Sang, feu, cri, pointe, c’est le domaine du rouge, la couleur de ce qui était dedans et qui sort ! Tout ce qui est violence, aveu, obstacle surmonté ou détruit, désir longuement recuit ou médité, [...], menace, éclat, manifestation. Non seulement le feu, la braise. »

(Paul Claudel, Conversations dans le Loir-et-Cher, 1935).

Il est lié à une impression d’ardeur, d’intensité, au jaillissement de la vie, à la puissance vitale, mais aussi au sang qui coule, la blessure, à la violence, la guerre25.

« La connaissance du rouge est évidemment attachée à la vue du sang, signe de la vie, signe aussi de la blessure, de la brutalité, de la cruauté. Dès la préhistoire, ces correspondances étaient acquises. »

(René Huyghe, Dialogue avec le visible, 1955).

Haine, colère, fureur, violence, meurtre sont les domaines du rouge…

Rouge belliqueux et guerrier qui se retrouve dans les uniformes rouges des diverses armées : pantalons rouges pour les militaires français26, habits rouges les soldats anglais – appelés tour à tour, selon les époques, en argot : écrevisse de rempart, homard pour les Français ; homard, vermillon, pour les Anglais.

Rouge du sang qui monte au visage : se fâcher tout rouge mais aussi du sang qui aveugle : voir rouge…

En argot, manger du pain rouge signifie vivre de crimes, d’assassinats.

Rouge est aussi la révolte, la révolution, celle du drapeau rouge de la loi martiale sous l’ancien régime devenu symbole révolutionnaire en 1792.

Rouge-émois, sentiments intenses, extrêmes

Le rouge, couleur d’intensité, est associé aux émotions et sentiments forts, violents qui brûlent comme le feu, nous rendent incandescents, et sont exprimés par les métaphores du domaine du feu : feu, flamme, incendie, enflammé, s’enflammer, flamboyant, brûler, braise, ardent, embrasé, incandescent.

« C’est le sang qui coule dans nos veines, la vie qui va, le feu, la colère ; l’adolescence est rouge. On rougit lorsqu’on ressent quelque chose de fort. Les non-dits entre deux êtres sont rouges aussi. Je crois qu’il y a des zones rouges comme il existe des zones d’ombre. »

(Jean-Jacques Goldman, Rouge, chanson,1993)27.

25 La Planète rouge de notre système solaire est nommée Mars par référence au dieu de la guerre.

26Teints à la garance. En argot militaire, on disait autrefois en pincer pour la garance : aimer le métier militaire.

27 Columbia, éd. P.A.U.

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Le rouge est encore et toujours la couleur représentative des sentiments passionnés, intenses, violents, de l’amour-passion, du sentiment qui brûle comme le feu. Rouge passion, rouge frisson... Le mot amour désigne en langue familière des fleurs et fruits rouges : amour en cage, alkékenge ou coqueret, fleur rappelant par sa forme et sa couleur la crête du coq ; pomme d’amour autre nom imagé de la tomate, et désignant aussi en confiserie une pomme rouge, caramélisée, présentée au bout d’un bâtonnet de bois, fréquemment proposées dans les fêtes foraines. Dans le langage des fleurs, le rouge signifie l’amour ardent, la passion :

« De même que le blanc est la couleur de l’innocence, le rouge est la couleur de l’amour […].

Couleur fondamentale ROUGE. (Signification emblématique ARDEUR). Nuances pâles : ardeur modérée, latente, pusillanime, capricieuse. Nuances vives : ardeur exaltée, sublime, violente, audacieuse. Nuances foncées : ardeur jalouse, constante, mêlée de tristesse. »

(Larousse Universel 1922, s.v. fleur).

Et la rose rouge a pour signification emblématique : « Amour », et pour langage symbolique :

« Amour ardent, signe de beauté. »28. Corine Fossey écrivait en 1994 : « Chaque couleur de rose possède sa propre symbolique. Ainsi la rose blanche est la fleur de la pureté alors que la rose rouge est celle des amoureux. […] [Le message] confié à une seule rose rouge, est sans équivoque : je vous aime passionnément. »

Langage des fleurs. La rose rouge : « Je vous aime passionnément »

28 Ibid.

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Rouge-plaisir, désir, séduction, érotisme, sexualité

La couleur rouge est liée aux désirs et aux plaisirs. Les fruits rouges ne sont-ils pas toujours les plus tentants ? Eve et la pomme du Paradis, Proserpine et la grenade des Enfers, Blanche-Neige et la pomme empoisonnée illustrent cette association entre cette gamme chromatique et la tentation29 .

Les fruits rouges : les plus tentants…

Rouges sont fréquemment les « envies » des femmes enceintes, désir de fruits rouges dont on dit retrouver les traces, les marques sur la peau de l’enfant, comme en témoignent ces deux extraits.

« L’attirance se porte souvent sur le rouge : toute une série de taches de naissance sont de fruits rouges, fraise, framboise, cerise, mûre. C’est un désir à contretemps, hors saison [l’exemple classique dans tous les milieux est celui de l’envie de fraises à Noël], un goût pour le trop vert ou

29Le rouge est la couleur du signal d’un danger mais aussi la couleur de la faute, du péché, de l’enfer et du diable.

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le trop mûr, les fruits sûrs ou blets, pour ce qui agace les dents. Dans ce contexte, l’envie est extravagante, témoigne d’un goût saugrenu, bizarre, perverti même. Étant temporairement privées de leur balancier interne – leurs règles –, les femmes ont leurs sens comme déséquilibrés.»

(Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire, 1979, ch. Physiologie, pp. 50-52).

« Avoir des taches de vin, avoir des fraises, des groseilles ? des raisins. Toutes sortes d’anomalies congénitales ou accidentelles de la peau se reconnaissent à la naissance et prennent par analogie l’appellation, en général comestible, de toutes choses désirées qui sont alors l’expression des envies de la mère ! Ces enfants présentent des taches de vin, de fraises, de groseilles, de raisins […]!

Devant cette évidence de la nature, et dans une touchante culpabilité, la femme grosse qui a une envie s’exclame : “Mon enfant en sera marqué”. »

(Philippe Brenot, Les Mots du corps, 1987, p. 120).

Couleur de l’amour, le rouge est aussi lié à la séduction et à l’érotisme. Rouge, c’est le rouge des lèvres peintes qui a triomphé au XXe siècle avec le Rouge baiser, premier rouge à lèvres indélébile permettant donc le baiser, créé en 1927 ; rouge, c’est aussi la couleur des dessous réputés coquins, des néons rouges des cabarets et du Moulin Rouge, de la lanterne des anciennes maisons de prostitution, des lumières rouges des quartiers “ chauds ”… Rouge, c’est encore la robe rouge des séductrices et prostituées, notamment de la prostituée de l’Apocalypse ; c’est la rousseur ardente de leur chevelure dans la peinture et la littérature (Nini-Peau-de-Chien, Julie-la-Rousse)… Chevelure « de feu » associée à des pouvoirs surnaturels, dangereux, qui ont fait accuser de sorcellerie les rousses, celles-ci se seraient trop approchées des flammes de l’enfer dont elles gardent les traces.

« Le rouge... C’est la teinte de la séduction et donc du désir.

Le rouge à lèvres,

Les dessous rouges, les néons rouges des cabarets et du Moulin Rouge et les lumières des quartiers chauds sont souvent rouges.

Comme la rose offerte par l’amoureux…

On peut même supposer que la pomme offerte par Ève à Adam devait être rouge.

D’où la lueur infernale qui se cache derrière le rouge : les flammes de l’enfer sont vermillon comme la moitié des diables, l’autre moitié étant noire. »

(Corinne Fossey, Rouge, 1994).

« Je suis née rousse.

Rousse comme il n’est pas permis de l’être.

Rousse sang, pas d’une couleur orangée très vive, mais d’un rouge flamboyant, un rouge rubis, un rouge hurlant. J’étais extrême, couleur révolution. Rouge incandescent, chauffée au rouge, enflammée, écarlate, feu.

Toute petite, je pensais même que mes cheveux étaient lumineux la nuit comme les yeux d’un chat.

Rousse et rouge c’était trop mais c’était trop bien, c’était juste, juste assez pour moi. Je vivais éblouie par ces rayons qui me collaient au corps comme une seconde peau. »

(Sonia Rykiel, Extrait préface du dictionnaire, A. Mollard-Desfour, Le Rouge, 2009) Force animale du rouge à l’extrême sensualité, lié aux pulsions sexuelles, à la libido, Bruno Bettelheim a développé cette relation du rouge au sexuel par ses analyses des contes de fées, notamment dans Blanche-Neige et dans Le petit Chaperon rouge.

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Pour Blanche-Neige :

« Au début de l’histoire, donc, la mère de Blanche-Neige se pique le doigt, et trois gouttes de sang tombent sur la neige. Les problèmes que l’histoire se charge de résoudre sont bien posés : l’innocence sexuelle, la blancheur, fait contraste avec le désir sexuel, symbolisé par le sang rouge.

Le conte prépare la petite fille à accepter ce qui, autrement, serait un évènement bouleversant : le saignement sexuel, la menstruation et, plus tard, la rupture de l’hymen. En écoutant les premières phrases de “Blanche- Neige”, l’enfant apprend qu’une petite quantité de sang (trois gouttes, le chiffre trois étant celui qui, dans l’inconscient, est le plus étroitement relié au sexe) est la condition première de la conception : ce n’est qu’après ce saignement que naît l’enfant. Ici donc, le saignement (sexuel) est étroitement relié à un “heureux” évènement ; le jeune auditeur apprend, sans explications superflues, que, sans le saignement, aucun enfant, pas même lui, ne pourrait naître. »

(Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, 1976).

Pour le petit Chaperon rouge :

« Tout au long du conte et dans le titre comme dans le nom de l’héroïne, l’importance de la couleur rouge, arborée par l’enfant, est fortement soulignée. Le rouge est la couleur qui symbolise les émotions violentes et particulièrement celles qui relèvent de la sexualité. Le bonnet de velours rouge offert par la grand-mère à la petite fille peut ainsi être considéré comme le symbole du transfert prématuré du pouvoir de séduction sexuelle, [...]. « Va chez grand- mère, qui est une femme mûre ; elle est capable de faire face à ce que tu représentes ; pas moi”. »

(Bruno Bettelheim, ibid).

Le passage par le rouge, une étape rituelle, celle de l’enfant, de la jeune fille à la femme... et à la vie sexuelle. Ainsi la coutume, l’étape rituelle d’autrefois, de « marquer », broder au fil ou coton rouge ses initiales sur son trousseau de mariage... de la couleur de l’identité féminine, du sang menstruel et du passage de l’enfance au monde adulte, de la virginité au statut de femme. La même symbolique se retrouve dans les pommes rouges d’Arménie, pommes de couleur rouge, offertes au lendemain d’un mariage, par les parents du marié aux parents de la mariée, pour attester de la virginité de la fiancée...

Le rouge : un rituel de passage. Le fil rouge des trousseaux d’autrefois

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On doit aussi évoquer Louise Bourgeois et l’installation « Red Room (Parents) », de 1994, où la couleur dominante est le rouge-sang qui recouvre le lit parental, œuvre par laquelle l’artiste touche « au

« noyau » de l’inconscient, réserve inépuisable de fantasmes, et au lieu interdit par excellence, celui de la chambre parentale, lié à ce que Freud appelle la « scène primitive » (Urszene), celle du rapport sexuel entre les parents »30.

Pour le film L’Empire de la passion de Nadia Oshima, Topor représente sur l’affiche un corps féminin, et le « continent noir » en triangle rouge !

Pour Sonia Rykiel aussi, rouge sexe, érotisme, jouissance…

« Rouge le parfum ?

Oui, comme le feu ou la tache dans la main quand on s’est brûlé.

Rouge comme la drogue ou la robe dégrafée, ouverte pour laisser passer la main.

Comme l’excès, la jouissance, le sans limite, la liberté, l’extrême provocation, le trop plein, la folie d’un champ de coquelicots, le velouté d’une étoffe, l’ivresse du vin, le roman par excellence, un sublime conte de fées.

Le rouge, c’est l’érotisme, le sexe, la fascination, la cristallisation dans l’amour fou… »

(Sonia Rykiel, extrait préface du dictionnaire, A. Mollard-Desfour, Le Rouge, 2009

Le rouge ? La couleur qui, en particulier par son lien avec le sang, est au cœur des mythes anciens, des coutumes, des codes et symboles des sociétés contemporaines. Couleur d’intensité et d’extrême, de la vie et de la mort, de la santé ou de la maladie, de l’amour et de la haine, de Dieu et du Diable, de la beauté et de l’horreur… Le rouge étend sa gamme, affiche ses notes extrêmes, contradictoires, brouille les pistes...

Rouge, toujours entre prestige et transgression, répulsion et fascination !

30 http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-bourgeois/ENS-bourgeois.html

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Bibliographie de l’article :

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Voir aussi :

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> GALISSON R., 1988, ‘Culture et Lexiculture partagées : les mots comme lieux d’observation des

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> GALISSON R., 1989, ‘La culture partagée : une monnaie d’échange interculturelle’, Le Français

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> KRISTOL A.-M., 1994, ‘Un champ sémantique en mutation constante : l’expression de la couleur

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> MEYERSON I., 1957, Problèmes de la couleur. Exposés et discussions du Colloque du Centre de recherches de

psychologie comparative, tenu à Paris les 18, 19 et 20 Mai 1954, réunis et présentés par Meyerson, I), E.H.E.S.S, Paris.

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> TORNAY Serge (dir.), 1978, Voir et Nommer les couleurs, Nanterre, éd. Laboratoire d'Ethnologie et

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Crédits photographiques

Les images reproduites pour ce chapitre sont libres de droit de diffusion. Les images des pierres proviennent de Wikimedia Commons (le jaspe rouge a été photographié par Doronenko), la broderie vient de la collection de l’auteur, tandis que les autres images sont issues de Pixabay.

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Annie Mollard Desfour Linguiste, lexicographe et sémiologue

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