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Conflits inter-parentaux et conflits inter-étatiques en matière de garde des enfants et de droits de visite

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Conflits inter-parentaux et conflits inter-étatiques en matière de garde des enfants et de droits de visite

ROMANO, Gian Paolo

ROMANO, Gian Paolo. Conflits inter-parentaux et conflits inter-étatiques en matière de garde des enfants et de droits de visite. In: Colloque organisé par le CEMAJ de l'Université de Neuchâtel sur « Enlèvement parental international d'enfants », Neuchâtel, 1er février 2013, Neuchâtel, 1 février 2013, 2013, p. 1-14

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:135081

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Conflits inter-parentaux et conflits inter-étatiques en matière de garde des enfants et de droits de visite

Gian Paolo Romano

Professeur à l’Université de Genève intervention prononcée dans le cadre du

Colloque organisé par le CEMAJ de l’Université de Neuchâtel sur

« Enlèvement parental international d’enfants » Neuchâtel, 1er février 2013

Je tiens d’abord à remercier Mme Guy-Ecabert pour l’aimable invitation qu’el- le m’a adressée.

La façon dont cette invitation a été rédigée m’a aussitôt intrigué.

Il y était question du conflit à la fois entre parents et entre ordres juridiques.

Et la médiation internationale y était présentée comme outil de résolution de ce double conflit.

Or une telle dualité d’angles de vue – plan interétatique et plan interindividuel – me paraît la bonne manière d’aborder les problèmes que suscite la vie inter- nationale des individus.

Problèmes qui seraient passionnants pour l’esprit s’ils n’étaient pas souvent dramatiques pour les intéressés.

Je m’efforce quant à moi depuis quelques années d’avoir simultanément en vue les relations entre particuliers et les relations entre Etats et d’en étudier l’en- chevêtrement, l’articulation.

Le titre que j’ai choisi pour mon intervention en porte témoignage.

Il est d’ailleurs largement inspiré par la lettre d’invitation que j’ai évoquée.

Vous l’aurez remarqué : les enlèvements internationaux n’y figurent pas.

Je suis convaincu qu’ils demeurent indissociables des questions relatives à la responsabilité parentale.

Comme les organisateurs m’ont demandé d’apporter le cadre théorique, je me suis permis d’élargir un peu notre horizon.

J’espère de ne pas avoir abusé de la liberté qu’ils m’ont généreusement laissée.

***

Quelques définitions d’abord.

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Je les ai empruntées assez largement aux instruments internationaux.

- J’entendrai par « garde » le droit (qui est aussi un devoir) de prendre soin de l’enfant au quotidien et de vivre avec lui ou en tout cas de déterminer sa résidence ;

- par « autorité parentale » le pouvoir de prendre ou participer à la prise des décisions importantes concernant l’enfant (par exemple sa scolarisation ou un traitement médical, etc.) ;

- le « droit de visite » est quant à lui le droit d’entretenir des contacts avec l’enfant et de l’emmener ailleurs pour la période d’exercice de ce droit ; - enfin, la « responsabilité parentale » est l’ensemble de ces prérogatives

juridiques.

Cela étant précisé, je vous propose de suivre un plan en trois étapes.

Et d’abord de cerner la source et l’essence des conflits en la matière (1) ;

de passer ensuite en revue les instruments principaux que connaît le droit d’aujourd’hui pour prévenir et résoudre ces conflits (2).

Ce qui devrait nous permettre de mesurer l’apport que peut y fournir la mé- diation internationale (3).

I. – Conflit d’ordres juridiques

Posons le cadre.

Un couple – qu’il soit marié ou non – peut avoir des attaches avec des pays différents.

Typiquement : Monsieur est ressortissant d’un pays et Madame d’un autre pays.

L’un des époux ou partenaires peut d’ailleurs avoir une double origine (être bi- national), ce qui accroît l’internationalité du ménage.

Le couple peut vivre ensemble dans le pays de la nationalité de l’un de ses membres, ou bien dans un troisième – ou selon le cas quatrième ou cinquième – pays.

Pendant la vie commune, le couple peut se déplacer une ou plusieurs fois, au gré des étapes de la carrière d’un d’eux.

La non-sédentarisation des ménages, l’essor des couples itinérants, est l’un des éléments saillants des modes de vie de la famille contemporaine.

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A une différence d’origine et de résidence, s’ajoute parfois une différence de re- ligion, perçue souvent comme plus profonde : il est alors question de couple mixte.

Bref, les combinaisons sont multiples.

***

Le moment de la vie du couple qui nous intéresse aujourd’hui est la crise.

Crise qui conduit à sa séparation.

Et, s’il s’agit d’époux, le plus souvent, au divorce.

En revanche, si le couple n’est pas marié, il n’y aura pas de contentieux sur le divorce pas plus que sur les effets patrimoniaux du divorce (régimes matrimo- niaux, obligation alimentaire, prévoyance professionnelle).

Je précise cela car souvent, en cas de couple marié, le différend sur la res- ponsabilité parentale ne constitue qu’un volet d’un contentieux plus vaste.

Il y a d’ailleurs des parents qui font semblant de souhaiter avoir des droits plus amples sous l’angle des relations avec l’enfant.

Ce n’est là qu’une stratégie de négociation pour obtenir davantage – ou concéder moins – sur le terrain patrimonial.

L’enfant devient objet d’un marchandage.

Ce ne sont pas les cas que nous aurons à l’esprit.

***

Je souhaiterais, pour illustrer ceux-ci, prendre un « cas d’étude », un case study.

Celui que j’ai choisi est inspiré d’une affaire soumise à la Cour de Justice de l’Union Européenne.

Le couple n’a pas de liens avec la Suisse.

C’est un choix délibéré.

Cette distance géographique et émotionnelle devrait nous permettre d’observer les choses d’un regard neutre et de mieux apprécier les enjeux.

Les protagonistes sont une dame, de nationalité allemande, et un monsieur, de nationalité espagnole.

Ils ont convolé et ont eu un enfant, qui a la double nationalité.

Il est hispano-allemand, ou allémano-espagnol (vous choisissez).

Le ménage habite quelques années en Allemagne. Il s’installe ensuite en Espagne.

Crise conjugale. Accord sur le principe du divorce.

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Désaccord sur la garde de l’enfant. Chacun des parents se bat avec acharnement et est prêt à tout ou presque pour se l’adjuger.

Ayant peu de contacts avec l’Espagne, Madame souhaite retourner en Allemagne et bien sûr emmener l’enfant avec elle.

Passons au « scanner » cette situation.

Nous sommes face à deux particuliers qui réclament des droits de responsa- bilité parentale sur leur enfant commun.

Je me permets de le rappeler (les truismes sont parfois bienvenus) : un conflit est provoqué par la revendication simultanée par au moins deux sujets du même espace de liberté de telle sorte qu’il est impossible dans ce monde de satisfaire les deux réclamations au même temps.

Pas de doute : nous sommes en présence d’un conflit entre individus.

Comment le trancher ?

On peut d’abord s’en remettre à ce qu’on appelle communément la justice pri- vée.

C’est le parent le plus fort, le plus menaçant, le plus teigneux qui l’emporte.

Une espèce de loi de la jungle, qui nous ramène à l’état de nature.

Ou alors – personnes évoluées que nous sommes –, on peut en appeler au Droit (avec un grand « D »).

Or le Droit, d’après une vue quasi-universelle, est en place lorsqu’une autorité tierce et impartiale – un juge – tranchera le conflit et que la décision qu’il rend saura s’imposer au besoin avec la force.

Le juge vérifiera quelle est la prétention qui pèse plus lourd. On le sait, la Justice (avec un grand « J ») est la déesse aux yeux bandés qui tient une balance entre les mains.

***

Seulement, ici, Mesdames et Messieurs, les choses sont plus complexes.

Puisque le couple – et plus précisément la famille, enfant compris – est intégré aux milieux sociaux de deux Etats, de deux communautés ou sociétés étati- ques : Espagne et Allemagne.

Autant dire que ces deux communautés étatiques sont également affectées par le litige.

C’est en ce sens qu’on peut parler d’« Etats concernés ».

Or chacun de ces Etats a ses règles de droit tout autant qu’il dispose de juges pour les mettre en œuvre.

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Et chacun de ces Etats aurait « vocation » (c’est le terme consacré dans la doc- trine de droit international privé) à prévenir le litige entre les parents au moyen de ses règles de droit et en tout cas à le faire trancher par ses juges.

Double problème du conflit de lois et du conflit de juridictions.

Débarrassons-nous rapidement du conflit de lois.

On peut penser que celui-ci n’est qu’apparent. Car les règles du Código civil d’Espagne et du BGB allemand sont en l’espèce à peu près identiques.

Elles s’accordent à trancher le contentieux entre parents en fonction de l’intérêt de l’enfant : Kindeswohl en allemand, interés del menor en espagnol.

S’agissant de concrétiser cet intérêt, la loi de chaque Etat s’en remet au juge en lui laissant une large discrétion.

***

Arrêtons-nous un instant sur la notion d’« intérêt de l’enfant ».

Et citons d’abord le mot malicieux du Doyen Carbonnier, qui notait, il y a cinquante ans déjà, à quel point l’« intérêt de l’enfant » avait été érigé en

« notion magique ».

« Elle a beau être dans la loi – je cite – ce qui n’y est pas c’est l’abus qu’on en fait aujourd’hui (…). Pourtant, rien de plus fuyant, rien de plus propre à favoriser l’arbitraire judiciaire ».

Il faut convenir qu’on peut entretenir des vues différentes sur ce qui est conforme à l’intérêt d’un même enfant.

Notre Espagnol et notre Allemande estiment l’un et l’autre que l’intérêt de leur fiston est mieux servi si la garde lui est attribuée.

Nos protagonistes peuvent bien sûr être en parfaite bonne foi et chacun peut être parfaitement à même de s’occuper de l’enfant.

Nous avons deux visions de la justice du cas concret qui, pour être subjectives, n’en sont pas moins a priori légitimes.

Mais elles sont incompatibles.

Il faut donc trancher.

Sauf que là – je me permets d’y insister – deux Etats ont une légitimité a priori égale pour le faire.

Et attention !

Non seulement chaque Etat peut-il avoir vocation à dire quel est le parent qui mérite la garde.

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Mais chaque Etat – et chacun des juges qui en est l’organe – peut être fondé à estimer que l’intérêt de l’enfant est mieux satisfait si l’enfant vit avec le parent qui est son ressortissant et réside sur son territoire.

N’a-t-on coutume de dire : « deux juristes, trois opinions » ? Les juges sont aussi des juristes.

Donc « deux juges, deux opinions » (deux opinions suffisent pour notre dé- monstration).

Et d’ailleurs, et de façon plus sérieuse, qui dit discrétion d’un sujet (ici du juge) dit liberté ; et qui dit liberté dit pouvoir pour le sujet qui en bénéficie d’exercer cette liberté de manière différente d’un autre sujet qui en bénéficie également.

***

Faut-il conclure que l’intérêt de l’enfant est une notion inutile ? Je ne le crois pas.

Il y a une dimension absolue, objective, de celui-ci.

Pour l’illustrer, je ferai appel à vos souvenirs de la Bible.

Le roi Salomon est saisi par deux femmes qui réclament le même enfant.

Il propose de le couper en deux, comme un fruit ou une part de gâteau, si vous préférez.

Eh bien, le roi Salomon propose une solution contraire à l’intérêt objectif, absolu, universel, de l’enfant : merveilleux stratagème pour découvrir qui des deux soi- disantes mères était la vraie.

L’intérêt objectif de l’enfant est donc de vivre sans être dépecé par les deux parents qui le tiraillent d’un côté et de l’autre.

Il m’est arrivé d’assister à des scènes de ce type.

Il y a des données antérieures au Droit qui délimitent le cercle de ses manifes- tations possibles.

Un juriste-philosophe peu connu en dehors d’Allemagne, Heinrich Henkel, s’attarde sur ces « biologisch-antropologische Vorgegenbenheiten des Rechts ».

L’enfant n’a pas le don de l’ubiquité.

Il ne peut pas être à la fois avec la mère en Allemagne et avec le père en Espa- gne.

On parvient de la sorte, enfin me semble-t-il, à ramener à un sens fort l’ex- pression intérêt supérieur de l’enfant (overriding interest).

« Supérieur » par rapport à quoi ?

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Supérieur par rapport à l’intérêt de l’enfant tel qu’interprété subjectivement par chacun des parents.

Mais supérieur aussi à la vue subjective de cet intérêt que peuvent entretenir les juges des deux Etats concernés (au sens vu plus haut).

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Je vous propose de revenir à notre affaire après ce détour philosophique.

Et de supposer pour un instant que le juge espagnol soit saisi par le père et que le juge allemand soit saisi par la mère.

C’est bien d’ailleurs ce qui s’est passé en l’espèce (avec les particularités que l’on dira).

Le juge espagnol prononce une décision qui confie l’enfant à la garde – derecho de custodia en espagnol – au père espagnol.

Motifs : les racines espagnoles de l’enfant sont jugées plus importantes que les racines allemandes ; l’enfant est désormais scolarisé en Espagne.

Saisi par la mère allemande, le juge allemand accorde le Sorgerecht à la mère.

Motifs : les liens entre l’enfant et la mère sont plus forts que ceux qu’il a développé avec le père ; l’enfant a déjà vécu quelques années en Allemagne avant de s’installer en Espagne ; la période allemande a été la plus sereine de sa courte vie ; il connaît mieux la langue allemande.

Notons encore ceci.

S’ils divergent sur l’identité du parent qui doit avoir la garde, les juges espagnol et allemand s’accordent néanmoins pour penser que le parent non gardien doit en tout cas avoir des droits de visite assez larges.

Voilà au moins un point consensuel entre les deux juges : les deux parents sont les deux dévoués, responsables ;

l’enfant doit pouvoir continuer à baigner dans les deux cultures, à s’alimenter de cette double origine, qui en sus d’être source de richesse, fait partie de son identité.

***

Nous avons là un conflit hispano-allemand de décisions.

Le conflit de décisions est au fond un conflit de juridictions, c’est-à-dire un conflit entre les juges qui les ont rendues.

Ne l’oublions pas : les juges sont les organes des deux Etats. La décision alle- mande porte d’ailleurs en épigraphe : « im Namen des deutschen Volkes » ; la dé- cision espagnole est rendue pour le compte du « Reino de España ».

Peut-on dire que nous sommes en présence d’un conflit entre Etats ?

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Si vous êtes favorable à synthétiser les choses de la sorte, vous serez pratique- ment les seuls en Europe – avec moi, bien entendu (et je ne sais pas s’il s’agit d’une bonne ou mauvaise compagnie).

Un conflit, avons-nous dit, existe lorsque deux sujets réclament chacun le même espace de liberté.

Nous avons ici deux Etats, qui sont deux sujets (de droit international, mais peu importe), qui revendiquent le même espace de liberté : de déterminer avec quel parent (et indirectement dans quel Etat) l’enfant devra vivre.

L’Etat espagnol a dit : « cet enfant, c’est le père qui le prend en charge et qui peut décider de l’organisation de sa vie ».

L’Etat allemand a dit : « cet enfant, c’est la mère qui le prend en charge et qui peut décider de l’organisation de sa vie ».

Résumé autrement.

Le Royaume d’Espagne, par son juge, qui est son organe (comme la bouche est un organe de l’être humain : on souvient de ce que Montesquieu disait des juges) a dit : « cet enfant, c’est moi qui distribue les droits relatifs à la responsabilité parentale sur lui et j’accorde la garde au père » ;

la République fédérale d’Allemagne, par l’intermédiaire de son juge allemand, a dit : « non, cet enfant c’est moi qui organise la responsabilité parentale et j’accorde la garde à la mère ».

Donc : chacun des Etats revendique le pouvoir, le droit, de déterminer la respon- sabilité parentale sur tel enfant.

Je pense qu’on peut affirmer qu’il y a là un conflit de revendications, un conflit de prétentions de deux Etats et donc conflit entre les deux Etats au sujet de la résolution du conflit entre les parents.

***

Quoiqu’il en soit, observons la situation qui se dégage du conflit hispano-alle- mand de décisions.

Adoptons l’optique des justiciables d’abord et des Etats ensuite.

Côté des justiciables.

Peut-on dire que le conflit entre les parents est résolu, qu’il est résolu en Droit, par le Droit, qu’il reçoit une solution juridique définitive, certaine, qui emmène de la paix ?

Le conflit de prétentions privées non seulement n’est-il pas résolu mais il a encore plus de raison d’exister à présent que chaque prétention en conflit a reçu l’aval d’un juge.

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Chacun des parents peut opposer à l’autre la décision qui lui donne raison.

En un mot : pour résoudre le conflit entre les parents, pour leur restituer la cer- titude dans leur sphère juridique, il faut que les Etats, les juges, résolvent le désaccord entre eux sur la meilleure façon de le résoudre.

***

Envisageons les choses du côté des Etats.

La préoccupation primordiale d’un Etat est que tout litige entre personnes privées puisse être résolu, que la paix sociale soit restaurée.

C’est là un intérêt commun de l’Espagne et de l’Allemagne.

Un litige non résolu est comme un cancre dans le tissu social ; il peut se pro- pager à d’autres relations similaires, exercé une influence déstabilisatrice sur la société.

Les deux soi-disant ordres juridiques finissent par créer un désordre juridique dans la sphère des intéressés.

Chacun des Etats a manqué l’objectif premier de son droit privé. Les deux décisions se neutralisent mutuellement.

Il y a plus.

Les organes des deux Etats ont dû administrer et laissé prospérer deux procé- dures longues et onéreuses pour les particuliers et les contribuables espagnols et allemands.

Il y a eu un procès en Allemagne et un procès en Espagne.

Auditions de l’enfant ; expertises et contre-expertises ; avocats engagés dans un pays et dans l’autre.

Tout cela a été assez largement inutile.

La machine de la justice a largement tourné dans le vide.

On peut penser que le conflit est de facto résolu : le parent qui a raison du point de vue l’Etat où se trouve l’enfant au moment de la décision l’emporte.

Et tant pis pour l’autre Etat et pour l’autre parent ; la décision rendue par l’autre Etat est vouée à l’inefficacité.

Notons d’abord c’est là solution du conflit de décision (et du litige entre les parents) qui n’est vraiment pas apportée par le Droit ; ce « coup de pouce » n’est pas juridique.

De plus, une telle solution risque de ne pas être définitive.

A chaque fois que l’enfant dépasse la frontière pour aller d’Espagne en Allemagne en visite chez sa mère, son statut change.

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La mère pourra le retenir. Une telle rétention ne sera pas illicite du côté allemand. Elle sera le moyen de réaliser le droit de la garde que la décision allemande a accordé à la mère.

Et ainsi de suite. L’enfant risque de se trouver perpétuellement écartelé.

Pour éviter que la mère retienne l’enfant, l’Espagne pourrait interdire à l’enfant de se rendre en Allemagne et à la mère d’exercer son droit de visite en Allemagne.

Voilà qui n’est pas conforme à l’idée, commune aux deux juges, que le bien être de l’enfant exige que celui-ci puisse passer du temps dans les deux pays de sa double d’o- rigine.

II. – Moyen pour prévenir le conflit d’ordres juridiques

Il convient de résoudre et, mieux, de prévenir les situations où deux Etats (deux ordres juridiques) se prononcent sur la responsabilité parentale dans les cas envisagés.

Distinguons moyens de résolution d’un conflit de décisions et moyen de pré- vention d’un tel conflit.

***

Parmi les moyens de résolution, on ne peut que citer la mise sur pied d’un système pour trancher un conflit de jugements.

Il s’agirait d’en charger une Cour tierce et impartiale qui trancherait entre les prétentions des deux Etats.

Ce peut être en Europe un Tribunal européen : par exemple, une chambre spé- cialisée au sein de la CJUE.

Celle-ci aurait pour tâche d’apprécier les mérites respectifs des décisions des deux Etats membres, et d’en maintenir l’une et écarter l’autre.

Dans notre exemple, la Cour pourrait être saisie par l’un des deux juges, espagnol ou allemand, ou par un des parents.

Supposons qu’elle privilégie la décision espagnole.

Celle-ci sera efficace en Allemagne également. Ce qui implique que l’Allemagne de- vra renoncer à sa décision en se pliant à la solution imposée par la Cour.

L’enfant pourra se rendre en Allemagne en visite chez sa mère et celle-ci ne pourra pas le retenir à l’issue de la période du droit de visite.

C’est un système semblable que prévoit l’article 618 du Code de procédure ci- vile française : « Lorsque la contrariété des décisions est constatée, la Cour de cassation annule une des décisions ou s’il y a lieu les deux ».

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Les inconvénients qui s’attachent à tel système sont évidents : on aurait une solution à l’issue de pas moins de trois procédures : allemande, espagnole, eu- ropéenne.

Voilà qui entraîne des coûts et des temps considérables.

Décidément, ce ne peut qu’être en dernier ressort qu’on a recours à une telle solution.

Ne dit-on pas : « Mieux vaut prévenir que guérir » ? Il faut d’abord essayer de prévenir.

L’objectif à atteindre est de faire en sorte qu’une seule décision puisse être ren- due qui soit valable (efficace et exécutoire) dans les deux Etats concernés.

Comment faire ?

***

Un premier pas consisterait à réduire les fors compétents jusqu’à l’unité.

C’est ce que fait la Convention de La Haye de 1996 ; c’est ce que fait aussi le Règlement Bruxelles-IIbis qui s’en inspire en effet très largement.

Ces deux instruments attribuent compétence aux autorités de la résidence ha- bituelle de l’enfant.

Les juges des autres pays, s’ils sont saisis, devront décliner leur compétence.

C’est là en tout cas une règle de principe.

Parfois on peut hésiter quant à la localisation de la résidence habituelle.

Dans notre cas de figure, ce serait le juge espagnol qui est compétent.

A supposer que les deux juges des deux Etats pensent chacun que la résidence de l’enfant se trouve sur leur territoire, le conflit de compétences pourrait être résolue par la règle de la litispendance.

Ainsi, dans notre affaire, à supposer que le juge allemand estime lui aussi, comme le juge espagnol, que la résidence de l’enfant se trouve en Allemagne, et qu’il y ait deux juges compétents, le conflit de compétence sera tranché (et le conflit de décisions pré- venu) par la priorité de la saisine.

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Les règles de compétence ne parviendraient pas à prévenir le conflit de décisions ou des ordres juridiques si elles n’étaient pas complétées par des règles sur la re- connaissance de ces décisions.

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Ainsi, cela ne servirait pas à grand-chose d’empêcher que le juge allemand saisi en second lieu exerce sa compétence si la décision espagnole peut ne pas être reconnue par l’Allemagne.

Dès que la décision espagnole se voit refuser la reconnaissance et le caractère exé- cutoire en Allemagne, voilà que la compétence du juge allemand devrait être admise.

Et ce afin d’éviter un déni de justice.

On vient là à l’instrument peut-être le plus efficace pour prévenir des conflits entre ordres juridiques au sujet de la résolution de question de garde.

C’est l’octroi de la reconnaissance et, ajoutons, de la force exécutoire.

Sauf que les Conventions et Règlements en la matière n’imposent pas aux Etats parties ou membres de reconnaître en toute hypothèse la décision émanant des autres Etats parties ou membre.

La liste de motifs de refus de reconnaissance que contiennent ces instruments est encore assez fournie :

ordre public notamment compte tenu de l’intérêt de l’enfant, y compris droit d’être entendu, droits de la défense d’une personne, inconciliabilité des déci- sions.

Revenons à notre cas d’étude hispano-allemand.

L’enfant n’avait pas été entendu dans la procédure espagnole, car il se trouvait en Allemagne à la suite d’un déplacement que l’on pouvait penser illicite.

Le juge espagnol a donc tranché sans l’entendre.

Or le droit de l’enfant d’être entendu dans les procédures qui le concernent a en Al- lemagne, un rang constitutionnel : il fait partie intégrante de l’ordre public al- lemand.

La décision espagnole risque de ne pas être reconnue en Allemagne.

Auquel cas, le juge allemand retrouverait sa compétence.

Un remède à ceci consisterait à prévoir des règles standardisées sur l’audition de l’enfant dans les procédures internationales.

C’est une des propositions que l’Institut suisse de droit comparé a adressé à la Com- mission européenne : proposer une directive établissant un minimum des règles com- munes pour éviter un déni de reconnaissance.

Une prochaine étape consisterait à établir une obligation de reconnaissance, une reconnaissance impérative.

Prenons une affaire intercantonale.

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Un juge zurichois statue sur un litige concernant la garde d’un enfant issu d’un couple dont le mari respectivement père est zurichois et l’épouse respectivement mère est ge- nevoise.

La garde est attribuée au père zurichois et la mère se voit attribuer des droits de visite une fois toutes les deux semaines.

L’enfant grandira donc à titre principal à Zurich et non pas à Genève.

Le juge genevois peut ne pas être d’accord avec le principe d’une telle décision.

Il peut même la trouver scandaleuse.

Ce n’est pas pour autant qu’il peut s’opposer et opposer sa coopération si par exemple la mère à l’issue d’une visite ne voudrait pas restituer volontairement l’enfant au père.

***

En revenant à notre affaire hispano-allemande, l’obligation de reconnaissance – par exemple d’une décision espagnole en Allemagne – pourrait être subordon- née à ce que l’Etat de la décision ait sollicité le point de vue de l’Etat requis.

- La difficulté majeure que pose les situations transfrontalières tient à ce que les deux parents résident souvent dans deux pays différents mais que la compétence à trancher revient au juge d’un seul de ces pays.

- Les juges nationaux ne sont pas toujours armés pour porter un « regard multilatéral » sur la situation.

Leur optique peut être biaisée.

Il est difficile d’éviter que, dans une situation hispano-allemande, les juges espagnols, dans l’appréciation de l’intérêt de l’enfant, s’intéressent d’abord au côté espagnol, c’est-à-dire de l’Etat au nom duquel ils rendent justice.

Et inversement.

- On peut penser à donner au juge allemand la possibilité de soumettre ses

« observations », de donner son appréciation de l’intérêt de l’enfant vu du côté allemand, appréciation dont le juge espagnol devrait tenir compte.

Substantiellement, c’est presque une décision hispano-allemande, une co- décision, comme hispano-allemande est l’espèce au fond qui la suscite.

La proposition ne semble pas irréaliste.

Le Règlement Bruxelles II-bis prévoit déjà la possibilité d’un tel « dialogue judiciaire ».

Le mécanisme du renvoi à une juridiction mieux placée suppose, on l’a dit, un accord entre juridiction, un échange de vue.

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Au fond, un tel débat entre points de vue opposés a lieu également au sein de toutes les juridictions qui se composent de trois juges au plus, y compris les juridictions arbitrales.

La décision est prise à la majorité.

Mais le principe de la collégialité impose que chacun des juges, y compris arbitraux, ait pu exprimer son opinion.

***

Une autre option, plus novatrice celle-là, consisterait à créer des tribunaux composites, tribunaux mixtes, sur le modèle des tribunaux arbitraux.

Le grand problème du droit international privé dans ces matières comme dans d’autres, c’est que le tribunal chargé d’une affaire est national – « mono-na-tio- nal », si j’ose le terme : d’un seul Etat – alors que la relation humaine en cause est, par hypothèse et par définition, internationale.

Il peut manquer à un tribunal mono-national le degré d’impartialité et de neu- tralité qui caractérise un tribunal supra-national, ou « bi-national »

Mais je pense que j’ai déjà dépassé mon temps de parole, et donc je vous remer- cie de votre patience en espérant ne pas en avoir abusé.

Je me réjouis d’écouter vos questions, si vous en avez.

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