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Pourquoi y a-t-il des fleurs ?

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1378 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 22 juin 2011

actualité, info

Pourquoi y a-t-il  des fleurs ?

Mai est riche cette année : ciel bleu tenace, plein soleil et températures hors-normes dévêtent prématurément les foules légères, Xamax essoufflé est repris par un milliardai re tchétchène dont l’origine de la fortune n’a pas besoin d’être contrôlée, il faut l’interven- tion de Dick Marty et Denis Muller pour sau- ver l’honneur de la République, l’accident de Fukushima donne des idées provisoires aux politiciens pour remuer la torpeur préélecto- rale, Sanofi-Aventis a bien écouté ses amis diabétiques puisqu’il peut leur annoncer la mise prochaine sur le marché du nouveau lecteur de glycémie iBGStar ® «qui s’intègre naturellement à votre vie» puisqu’il est le pre- mier à se connecter à «votre iPhone» et que vous pourrez personnaliser tout en bénéfi- ciant d’un soutien spécialisé au moyen d’un

«numéro vert», une étude de l’EPFZ vient de démontrer que les cloches des églises per- turbent le sommeil, mais les répercussions

carte blanche

Jean-Paul Studer Médecine générale 2034 Peseux ejpstuder@bluewin.ch

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Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 22 juin 2011 1379 sur la santé ne sont pas connues, les émis-

sions de CO2 ont augmenté de 5% en 2010, balbutie-t-on brièvement à la radio.

Au jardin mai est pauvre parce que sec.

Mais je voulais en fait vous parler de pivoi- nes. Paeonia. Leur beauté ne cesse de m’inter- roger. Arbustives, herbacées, même émotion printanière, récurrente, attendue et surpre- nante, inépuisable, furtive, fragile, silencieu se.

Je ne sais à quoi comparer le contact du dos de la deuxième phalange de l’index fléchi avec la corolle dodue à peine déployée. Rien à voir avec la rose. Chaque année la même question sans réponse. Cette fleur dit ma pauvreté. A décrire la douceur.

Ce mardi de mai est lourd, décousu, et con- trasté : humainement triste, me dis-je dans le silence qui suit le départ du dernier patient, fenêtre ouverte sur le jardin de la cure et le clocher qui sonne toujours les heures. La pa- tiente africaine tout en rondeur et en rire, pudi- que, et un peu gênée ce jour de me demander un arrêt de travail pour soigner des hémor- roïdes par bains de siège avec un mélange d’herbes du pays natal que lui envoie sa mère, André, l’ébéniste géant et ses douleurs testi- culaires récurrentes, Sylvain et son TOC intrai- table, que l’AI récuse, ce jour tout embrouillé, grandiloquent et vide, et, en bout de liste, Luc, 50 ans, fils unique célibataire, au bénéfice d’une rente invalidité partielle depuis quinze ans pour un état d’asthénie physique et psy- chique d’origine peu claire, (c’étaient les beaux jours de l’AI !), qui a des acouphènes, inter- roge à nouveau les psychiatres depuis le dé-

cès récent de sa mère démente mais consulte en urgence sur le conseil de Telmed – qui a préconisé cannes anglaises et repos – pour une douleur du pied gauche le gênant briève- ment au lever et à la marche en forêt depuis l’été dernier lorsqu’il a quitté sa chaise relax un après-midi à la piscine…

Oui la pivoine. «… fleur pesante, mouillée, comme une joue contre mon genou d’enfant…

brièveté changée en parure, fragilité faite pa- rure… Avec ceci de particulier, sinon de plus, qu’elles pèsent, qu’elles s’inclinent, comme trop lasses pour porter leur charge de cou- leur. Quelques gouttes de pluie et ce serait l’éparpillement, la défaite, la chute», dit admi- rablement Philippe Jaccottet.1 «Je ne sais quoi les accorde avec la pluie» poursuit-il.

Il pleut ce jour. Robert 85 ans est assis en face de moi. C’est le service des automobiles ou la «télé» qui le pousse à la consultation, et la télé a toujours raison. Il est gris de teint de- hors et dedans, parle la tête inclinée du côté droit, il a une diététique sans faille, la sienne, que personne ne lui impose. Il ne supporte pas les matelas durs, il a les séquelles dou- loureuses d’un zona thoracique lointain, le chocolat noir a plus de fer que la viande, jus- tement il est un peu anémique, comme ses frères et sœurs. C’est gris. Il met du gris. Il m’énerve un peu. J’empoigne et retourne en bloc mon dossier manuscrit de 30 ans tout juste. Je me radoucis. Cette première page ! Mon écriture d’alors certes, mais ce relevé de l’anamnèse familiale : à 43 ans papa s’est tiré une balle de mousqueton dans la tête après

avoir tué sa belle-sœur ; une embolie pulmo- naire du post-partum a emporté maman à 40 ans. Robert avait deux ans et six frères et sœurs. Un arbre lui est tombé dessus à 20 ans, mais il a fait tout son service militaire. Il s’est marié à 53 ans. Il n’a pas d’enfant. Sa femme est morte il y a plus de dix ans.

Economiesuisse fait savoir – avec dans son dos les assureurs et les cliniques privées – qu’elle veut réformer le système de santé.

Sylvie Arsever évoque malicieusement Grisé- lidis Real et les nouvelles géographies mana- gériales de la prostitution zurichoise.

«Les pivoines vous échappent, vous obsè- dent. Comme une porte qui serait à la fois, inexplicablement, entrouverte et verrouillée…

Elles vous précèdent. On va les suivre sous les arceaux verts ; et que l’on se retourne, peut-être s’apercevra-t-on que l’on ne fait plus d’ombre…». La douceur.

1 Jaccottet P. Après beaucoup d’années, les pivoines.

Paris : Gallimard, 1994

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