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Dieux, masques, et hommes: à propos de la formation de l'iconographie de Bès
VOLOKHINE, Youri
VOLOKHINE, Youri. Dieux, masques, et hommes: à propos de la formation de l'iconographie de Bès . Bulletin de la société d'égyptologie de Genève , 1994, vol. 18
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DIEUX, MASQUES ET HOMMES' À PROPOS DE LA FoRMATIoN DE L'ICoNocRAPHIE oB BÈs
Youri
VOLOKHINE
Récemment, plusieurs études sont venues renouveler
le
regard queI'on
porte sur le dieu Bès,pour lequel la
bibliographie égyptologiqueétait
déjà considérable. Michel Malaise a clairement exposéle lien
de ce dieu avecle'cycle
solaire,Dimitri
Meeks a apporté de nombreux éléments nouveaux sur la personnalité de Bès, et Véronique Dasen, au sein d'une étude sur les nains en Égypte et en Grèce, alivré
une riche contribution pour l'intelligence de ce dieul .Le
présentarticle
se propose néanmoinsde
discuterà
nouveaude la
formation del'image
classique de Bès,en
insistant surle
réseau d'échangesqui
existe entre cette divinite et d'autres personnages ou animaux du paysage mythologique égyptien2.Rappelons que le nom de Bès n'est souvent sous la plume des égyptologues qu'un nom générique pour un ensemble de divinités composant une même famille divine: on parlera
ainsi volontiers
<des
Bès>. On
constate égalementun important hiatus
entte l'iconographie du dieu et les attestations textuelles du nomdivin
Bès, qui ne constituentpar ailleurs qu'un
assezmaigre
dossier.L'image de divinités ou de
personnages< bèsoides > apparaît sporadiquement dès
l'Ancien
Empire; dès laXVIII"
dynastie, cette iconographie connaît une augmentation considérable. En revanche le mot âs en tant que nomdivin,
n'est attestéqu'à partir
dela XXI"
dynastie,et
clairementmis
en relationI
L'ancienne monographie de Fr. BALLoD, Prolegomena zur Geschichte der Zwerghaften Gôtter in Âglptens, Moscou 1913, est toujours utile à consulter;cf
également B. BRUYÈP.E, < Le culte de Bès, Taourt et d'Hathor dans les ateliers de la nécropole >>, Fouilles de Deir el-Médineh 1934-1935 (FIFAO l6), Le Caire 1939, p. 93-108; H. Bor.wrr, RÂRG (1952), p. l0l-109 s. v..' < Bes ); D. MEEKS, Génies, anges et démons enÉgpti
(Sources Orientales 8), Paris 1971, p. 52-55; H. ALTENMÙLLER, LÀ|
(1975), col. 720-724 s. v.:n Bes r. Parmi les études récentes,
c/
M. MATAISE, < Bès et les croyances solaires >, Studies in Egtptologt Presented to Miriam Lichtheim, Jerusalçm 1990, vol. 2, p. 680-729; D' MEEKS, << Le nom du dieu Bès et sesimpliiations mythologiques >>, The Intellectual Heritage of Egltpt. Studies Presented to Lâszlô Kâkosy (Stud.
Aeg. l4), Budapest 1992,p. 423-436; V. DesBN, Dwarfs in Ancient Eg,pt and Greece, Oxford 1993, p. 55- 83. pour I'iconographie de Bès, voirV. TRANTAMTnTH, s. v..'<( Bes-Beset >>, dans: Lexicon lccnographicum Mythologiae Classicae 3, Z:urich - Munich 1986, p. 98-108 et ll2-114.
2 Sur le même sujet, voir J. RoveNo, < The Origin of the Bes-image >>, BES 2 (1980), p. 39-56. Romano insiste avecjustesse sur le caractère autochtone de Bès et sur la part léonine de son iconographie. Il ne m'a malheureusement pas été possible de consulter l'étude de J. RoMANo, The Bes Image in Pharaonic Egtpt, Ph. D. Thesis, New York University (1989).
82
Youri VoLorsrNp
BSEG 18 (1994)avec I'image du dieu seulement à l'époque ptolémaique3.
Le portrait
quel'on fera ici
de Bès reposera donc essentiellementsur
lesparticularités
des représentationsdu dieu,
et sur le contexte et la nature des objets oùil
apparaît.l.
Personnages masquésUn
ensemblede
documents atteste,pour une période allant de I'Ancien au Nouvel
Empire,une
iconographiequi révèle I'existence de
personnages déguisés, anonymes, dont l'apparence rappelle certaines caractéristiques futures du dieu Bès.'
Un groupe de documents nous met en présence de danseurs masqués.La
plus ancienne attestation de cette iconographie consiste enun fragment de relief ayant
appartenu au"o1npi"*"
funéraireau -i
Sànouré(V"
dynastie)à Abousira. On distingue le haut
du çorpsd'un
personnage, dont laposition
des bras indiquequ'il
est sans doute entrain
de danser. Son visage,vu
deprofil, offre
destraits
marqués de rides autour de la bouche, etil
porte une barbe encollier
particulière, ainsiqu'une coiffe,
surmontée de deux oreilles animales, peut-être delion.
Sapoitrine
est pendante.S'agit-il d'une divinité
oud'un
per- sonnage humain masqué? On serait plus naturellement enclin à pencherpour
la première hypothèse, v-ula proximité iconographique de ce
personnageavec les divinités
de<fécondité>'.
Cependant,l'état très
fragmentairedu document ne permet pas d'être
catégorique.Il
manque le contexte; aussis'agit-il
de chercher des parallèles.La
problé- matique esquissée, à savoir I'existenced'un
personnage dontil n'est
pas aisé de détermi- ner la nature divine ou humaine, se confirmera avec les autres témoignages.Sur un
relief
conservé auBritish
Museum et datant du début dela VI'
dynastie,
nous voyons une danserituelle
de jeurnes g"nru .Au milieu
d'une petite troupe, un personnage, tenant un bâton terminé par une rnain, arbore unecoiffure
ressemblant à cellevue
sur le fragment précédent,mais
surmontéed'oreilles plus
pointues.Il tient
une corde,ou
une bande de tissu, et est vêtud'un
pagne. La présence de ce personnage au seind'une
scène rituelle, tendrait à prouverqu'il s'agit d'un
homme masqué. Cependant, un déguisement signifie intrinsèquementqu'un
acteur est investi d'une personnalité autre que la sienne;il joue un rôle, il
se comporte commeun
personnage autre quelui-même. La
marque de'
Voi. D. Merrs, Op. cit. (1992), p. 423-425-o L. Boncneror, Das Grabdenkmal des Kônigs sarllu-re' (t'yvDoc 26), Leipzig 1913, Band
II:
die Wandbilder, pL.22 et Band II: Text, p. 38-39.t
J. Benvrs, Fecundity Figures. Egtptian Personnirtcailon and the lconologt of a Genre, Warminster 1985, spécialement p. 127-13l.
u T. G. H. Ituns, Hieroglyphic Textsfrom Egltptian Stelae12,London (British Museum) 1961, pl. XXV'3 (BM n. 994) et p. 26. Cette scène a été fréquemment commentée: J. Cepnnr, < Note sur un bas-relief du Èritish Museum >, BIFAO30 (1931), p. 73-75'Capart voyait dans cette cérémonie un épisode d'une fête liée à la cirioncision;
c/
aussi H. Wtr-D, Les Danses sacrées (Sources orientales 6), Paris 1963, p. 76-77;J.VANDTER, Manuel d'archéologie églptienne,Paris 1964, vol. IV, p. 402-403. D'autres éléments posent également un problème d'identification: les oreilles pointues s'apparentent plus, selon les conventions de rçrésentation égyptiennes, à celle d'un chien, d'un cha! qu'à celle d'un lion, cf. R. M. et J. J. JANSSEN' G)owing up in Àniient Egpr,, London 1990, p. 63-65. Voir également, pour la compréhension générale de la scène eisur I'identification des détails iconographiques, Cl. Sounorw, La main dans l'Égprc pharaonique.
Recherches de morphologie stucturale sur les objets égtptiens comportant une main, Bem 1984, p. I 12- I 16.
BSEG
t8 (1994)
DIEUX, MASQUES ET HoMMESl'aninralité
conféréepar la coiffure
désigneun
élémentde la
personnalité qu'endosse I'acteur.Le
personnagedivin
auquelil
estfait
référence, le référent mythologique, reste cependant anonyme.une
statuette en calcaire, égalementde I'Ancien
Empire, montre un personnage-
ouune divinité -
nu,_de stature trapue, portant le même type de
coiffi.rre surmontéesd'oreilles
animalesT.Plutôt qu'un
homme déguisé,il
est vraisemblable qu'une statuette de cetype
désigne unedivinité,
un de ces << génies> qui
peuplentle
paysage religieuxégyptien. Dans ce
cas,on pourrait voir là le réferent divin
que nous cherchions pour notre personnage. Dans lerelief
duBritish
Museum, le contexte était clairement celui de lajeunesse; dans le cas de cette statuette, la nudité du personnage, à défaut de contexte, pourraitfaire
référence à l'enfance.Un
relief
de la tombe de Kherouef(XVIII.
dynastie) montre une scène comparables , sedéroulant lors des cérémonies de la fête sed du roi Aménophis III (époque
où I'iconographie de Bès connaît justement un important développement). La déesse Hathor préside à cette cérémonie, déesse à laquelle B,es estlié
au moins dès leNouvel
Empiree .Figurant en
queuede
cortège, derrière desjeunes
gens,trois
personnages masqués selivrent
à une gesticulation assez énigmatique.L'un d'eux tient
unemain
de commande- ment, comme surle relief
duBritish
Museum, tandis que les deux autres effectuent des mouvements avec les bras, dans uneattitude qui
rappellecelle du
personnage figurant sur le fragment dereliefdu
complexe de Sahouré; ce geste s'apparente à une danse,peut- être un simulacre de combat.ces
personnages, àla poitrine
tombante, portentle
même masquede lion. Il
est admis que les Égyptiens portaientà l'occasion
des masques cul-tuels'". Si
nousvoulons voir
en ces personnagesune
représentationréaliste
d'acteurs masqués, ladifformité
de leur corps poserait un problème, carelle
les apparenterait plu-tôt
à unefiguration
dedivinités.
Sur un plancultuel,
la présence de ces personnages adi-peux,
bestialiséspar leur
masque,au côté d'acteurs
humains,tendrait à montrer
que I'iconographie,égyptiennefonctionnerait ici
de façon comparable àl'iconographie gric- que du satyre" . Lorsque le
masqueest porté, I'acteur est investi de la
personnalitét
L. Boncnenor, Das Grabdenlonal des Kônigs Nefer-ir-keLre. ervDoc),Leipzig 1909, p. 70.8 The
Epigraphic Survey, The Tomb ofKheruef,
(OP
1}2),Chicago 1980, pl. 40. Voir le cornmentaire de cette scène par E. F. WENTE,(
Hathor at the Jubilee >r, Studies in Honor of John A. Ililson (SAOC 3S),chicago e 1969,p- 83-91, spécialementp.86-87. cf. égalementcl. souporvE, op. cit.,p. llg-120.
Sur les liens entre Bès et le monde hathorique, voir G. PrNcn, Votive Offerings to Hathor,Oxford 1993,
p.291-292.
'o À la différence des masques funéraires, nous sommes mal renseignés sur les masques cultuels en Égypte
(c/
M. Munnev, < Ritual Masking >, Mélanges MaspéroI.
Orient Ancien fMIFAO 661, Le Caireiôi+,
p.251'255). En raison sans doute des matières com.rptibles dans lesquelles ils étaient confectionnés, peu d'exemplaires nous en sont parvenus. Voir: J. VBncovr-rBR, Dictionnaire archéologique des techniques, Paris 1964, p. 593-594 s. v..' < masque @gypte) >; crf également: chr. srrnen, L,illl
di1z),col. I 196-'1 199 s. v.: < Maske >."
Voi. I'a.ticle essentiel de C. BÉtrno et C. BRoN, < Le jeu du satyre >, dans: La cité des images. Reli- gion et société en Grèce ancienne, Paris 1984, p.127-145. La problématique examinée par les aùieurs est comparable à celle de notre sujet, d'autant plus que le personnage du satyre, au corps bestialisé, masqué, évoluant en troupe, s'apparente bien aux Bès.83
84
Youri
VoLoxHrNPBStiG
1S(tee4)
BSÉGt8 (ree4)
DIEUX, MASQUES ET HoMMES 85semblent prêtes à se détendre pour bondir. Le personnage a un_e crinière et une queue
qui
peuventfàire
penseraux attributs d'un lion ou d'un babouinls.
Comme I'attestent cer- tainsivoires,
son nom estAha
< le combattant >. Onpourrait
penser quela frontalité
de safiguration
témoigne du geste du guerrierqui fait
face àl'ennemi.
Tenant généralement des serpents dans ses mains, ce dieu combat les forces maléfiques.Il
estdifficile
cepen- dant de se prononcer surla
nature exacte de ces objets.On
s'accorde à penser que cesivoires
devaientjouer un rôle
protecteurlors
des naissances; eneffet,
les textesqui y figurent
sont généralement des formules de protection lors de I'accouchement, mais aussi de protection nocturne.On
a supposé aussi que cesivoires dont l'extrémité
pointue est sculptée en gueule delion,
servaient à tracer un cercle autour de la couche de la mère et du nouveau-né.Une
divinité similaire
apparaît figurée sur une boîte enivoire
trouvée à Abydos, datée de laXIII"
dynastie(fig. l)tt.
Debout, de face, le dieu écarte les bras; derrière pend une queuede fauve qui pourrait faire partie dq
costume(si l'on interprète comme
une ceinture les deux iignesqui
partagent sataille\I-e
visage aux oreilles rondes n'est pascoiffé
de la crinière habituelle.Il
est doncdifficile
de déterminers'il s'agit d'une
face de lionne ou de singe.Fig. 1: Boîte en ivoire de la
XIIf
dynastie (D'après J. Garstang, El Arabah, pl. XI, E3).Une tombe de la
XII"
dynastie de Thèbes, dans la zone du Ramesséum, alivré,
conte- nus dans une petite caisse de bois, certains de ces ivoires accompagnésd'un lot
de papy- ruset d'autres figurines. Parmi les
objets, unefigurine
enbois,
maintenant auBritish Museum, montre une femme, portant une sorte de pemrque
surmontéed'oreilles
dett H. Ar-rnxlm,r,p n,
LÀl
(1975),col. 97 s. v..' Aha.t'J.
Gnnsr,,rro, El Arabah:A
Cemetery of the Middle Kingdom(EM),
London 1901, pl.V
no E3 et pl. XI.20 La ceinture se retrouve par ailleurs dans I'iconographie des singes,
c/
E. BntxNen-Tl,tur, Die ah- tigtptischen Scherbenbilder (Bildostraka) der Deutschen Museen Sammlungen, Wiesbaden 1956, pl.III
n' 100 et p. 98-99.véhiculée par
I'effigie. Il
se confond avec son modèlemythologiqu"tt ' L'i"onographie
retranscriràit ce phénomène par une ambigu'rte entre corps humains et corpsdivins'
Un
rare exemplaire de masque en cartonnageaété
découvert dans unemaison de
laXII"
dynastie àKahunl3.
Ce masqueà
I'expression < bèsoide i> est percé detro';s
auxy"u*,
à la bouche et aux narines, cequi
nous montrequ'il fut
sans doute porté.Une
sta-Lette
enbois
a également été trouvée dansla
mêmedemeure'". Il s'agit d'un
person- nageféminin
au faciès grimaçant, encadré par unecoiffe
delion;
dans son dos pend une quËue de fauve. Avec une crinière delion, attribut
du mâle, juxtaposée à un corpsfémi- nin, notre
personnage témoigned'une
certaine ambivalence sexuelle, que nous retrou- vons plusieursfois
dans le sillage de Bèsr5 . Nous pourrions nous demander à nouveau si cette statuette représente un personnage masquéou
unedivinité. Le fait
quela tête
soitplus
grossequ.
1u norrnulepourrait
suggérerle port du
masque.Mais s'il s'agit de
languÀion d'un trait
physiologique, apparaît alorsl'idée
du nanisme,notion
absente pourlei
doquments considérésjusqu'à
présent, maisqui
deviendra une caraçtéristique essen-tielle
pour Bès.2.
Une
fauneinquiétante
Jusqu'à présent, la plupart des documents considérés nous
situait
surun plan cultuel;
un"
uut"
àocumentation nousmontre
cependant unedivinité
comparableévoluant
au seind'une
faune mythique. Sur les ivoires magiques duMoyen Empire
apparaît eneffet
un personnagequi
partage une iconographie comparable àcelle
des acteurs masqués'" .Au
seind'un" 6unl
fantasmagorique,celle
généralementliée
au désert,lieu
inquiétant par excellence, apparaît unedivinité
vue de face, sous forme masculine ouféminine' on
reconnaît généralement en ce personnage
la préfiguration du dieu
Bèsclassiqu"" ' Su'
les ivoires, le
personnagese tient solidement campé sur
sesjambes, qui,
fléchies,t2 Le même type de question se pose parfois également dans le domaine proche-oriental, c/ R- D. BAPNETT'
< Homme masqué ou dieu-ibex? >, Syria 43 (1966), p' 259-216'
t, W. M. F. pErRE, Kahun, Gurob, and Hawara (ERl), London 1890, pl. VilI.27. On connaît également des masques de Bès en limon datant de la XIX" dynastie, c/ B. BnwÈnr, FIFAO 16 (1939)' p. 276'
to w. M. F. PETRE, op. cit., pl. V[I.14.
tt À Basre Époque, le nom féminin de Béset est attesté,
c/
H. ArreNr"rÙr-lrn, LÀ|
(1975), col' 731 s. v.:< Beset>. ce terme semble se rapporter à une compagne féminine de Bès, une naine à coiffure nubienne, ftutOt qu'uu doublet féminin au âieu, cf. J.BvwÉ, Talismans égtptiens d'heureuse maternité' < Faïences tt Li"r-n"r,
à
pois foncés, Paris 1991, p. 95-96. Sur Béset, voir égalementw.
ryARD, << A Unique Beset Figu- rine>,Oriintali-a4l(1972),p.149-159'quinepensepastrouvefuneBésetdanslafigurinedeKahun'mais ptutOiun. forme de Sekhmetlp.l5l).
On peut aclepter également I'attribution du nom de Beset aux formes ié.ini.é"g du dieu,c/
K. Boisn-G*t ."t-S, < A Beset Amulet from the Amarna Period >, JEA 63 (1977)' p. SS-fOO. L'hypothise énoncée par Bosse-Griffiths (p. 105) selon laquelle les formes féminines de Bès iBeset) sont à iépoque amamiennl d", p"r.onnifications des filles de roi est cependant peu convaincante'16 Pour ces objets, voir H. ALTEM"TÛLLER, Die Apotropaia und die Gdtter Mittekiglptens, Munich 1965; du même auteur, <Ein Zaubermesser des Mittleren Reiches>, s,4K 13 (1986), p. l-27; la question est bien ,eru'oe.
p- i.
KoE*,c, Magie et magiciens dansl'Égpe
ancienne, Paris 1994, p. 85-98.tt
voir
les commentaires de H. G. F$crD& < The Ancient Egyptian Attitude towards the Monstrous >' dans: Monsters and Demonsin
the Ancient and Medieval lllorlds (éd'A. E'
FARKAS,P' O'
HnYEn'E. B. HARRISsoN), Mainz 1981 , p. l3-26, spécialement p' l7-20'
86
Youri Vor.oxurNp
BSEGt8 (1e94)
lions, et
tenant dans sesmains deux serpent"". Lu
comparaisonavec la figurine
de Kahun observée précédemment s'impose, mais également avec les représentationsfigu-
rées sur les ivoires magiquesqui
se trouvaient dans Ia même caisse. Onvoit
eneffet
sur un des ivoires le même type de personnageféminin,
nu, avec unecoiffe
deiion,
et tenant des serpents.Avec le dieu Aha des ivoires magiques, la plupart des éléments
constitutifs
de la future iconographie de Bès sont présents: l'espace sauvage danslequel il évolue, la nudité,
lerôle
magiqueiré à
I'enfance,à la
naissance,la frontalité de la figuration. Le
nanisme n'apparaît cependant pas directement. Les jambes deAha
sont souvent fléchies comme cellesd'un
danseurou d'un guerrier prêt è l'attaque;
cetteposition
s'apparente égale- ment à celled'un
nain aux jambes arquées 22 .3.
Le nain
et le singeLes tentatives
d'identification
delaphysionomie
du dieu Bès avec des nains patholo- giques ou des pygmées sontanciennes",
maisn'ont
cependantjamais
,Conné de résultats concluants2a. Bès est une image composite issue deI'imaginaire
égyptien.En lui, il y
asans doute du nain, peut-être du pygmée, mais aussi du
lion,
du singe, de I'hippopotame.Dans les représentations de Bès de
profil, un
déhanchementtrès
marqué est apparent.Cette posture se retrouve dans les représentations des singes, notamment des babouins, mais évoque aussi
la
physionomiedu lion, aux
pattes courteset au long
corps ondulé.Mais
cette attitude évoque aussi le nanisme, ou unedifformité
physique dueà
l'obésité, comme celle de la fameuse reine de Pount: commepour la plupart
des éléments consti-tutifs
de l'iconographie de Bès, une même image appelle des rapprochements divers. On peut observerainsi un
réseau assez complexe d'échanges iconographiquesentre
lions, hippopotames et autres animaux sauvages, pouvantà I'occasion
se confondre dans une représentation mixte25. Tous
ces éléments tendentnaturellement à nous orienter
versI'Afrique. Mais il
nes'agira
pasd'une Afrique réelle, dont
Bès serait issu,mais d'une Afrique
fantasmagorique,celle de la
faunemythique du
désert,et
égalementcelle
du mythe de la déesse lointaine. Chercher un prototype réel au dieu Bès a conduit à compa-rer des détails iconographiques du dieu avec des particularités observées
partt J. E. qumru- , The Ramesseun (ERA), London I 896, pl. III.
"
À propos de Aha Y. KoENIc, Op. cit., p. 88 dit: < sa taille de nain ne se remarque pas sur les ivoires magiques car il occupe tout le champ disponible >; cependant, Aha ne présente pas les difformités physiques du nain.t3 Voir G. MaspÉno, < Sur une formule du Livre des Pyramides >>, Rec. Trav. 14 (1893), p. 187. A. Ero,nN voyait en Bès un Africain chargé d'exécuter à l'origine des danses guerrières, cf. ZÀS
3l
(1893), p. 73.G. JÉeuER reprit également ces conclusions, cf. < Notes et remarques 24. Origine du dieu Bès >, Rec.
Trav. 37 (1915), p. I l4-l 18. Sur ce débat, consulter désormais la synthèse de V. DASEN, Op. cit., p. 60-64, qui observe avec justesse que Bès, bien qu'autochtone, exprime néanmoins un concept égyptien du Sud (p. 63).
to S.lon A.-P. LEcA,
<
il est vain d'essayer de faire un diagnostic 'ex arte' >, cf. La Médecine égtptienne au ternps des pharaons, Paris 1988, p. 251."
Cf. B. GEoRGE, < Eine lôwenkôpfige Nilpferdgôttinin
Stockholm >, Medelhavsmuseet Bulletin 12(t977), p. 38-aa.
l'etlurographie contemporaine en
Afrique26,
àfaire
de Bès une image d'un sorcierafri,
cain27 . Par contre, en comparant les
rides
faciales de Bès avec celles observées sur les visages desAfricains
représentés dans des scènes du NouvelEmpirJs,
rides qui ne sont pas forcément des scarifications maisplutôt
destraits expressifs",
on pounait articuler I'hypothèsed'une
africanisation du visage du dieu,qui
ne serait pas surprenante. Mais le plus souvent, les rides faciales de Bès apparaissent clairement comme des déformations dues à la grimace léonine-" .On peut s'étonner du fait que le nanisme, qui n'apparaît pas à l'origine
dansl'iconographie
des ancêtres du Bès classique, devienne une caractéristique fondamentale du dieu. Des statuettes du début de l'époque historique montrent déjà des nains, mais ne présentent généralement pas les critères permettant de verser ces pièces dansle
dossier des ancêtres directs de Bès3l .Malgré la respectabilité que certains nains historiques purent acquérir en
Égypte (comme Seneb àl'Ancien Empire),
le nain lesteul
personnage marginal dans la société égyptienne,qui à l'occasion
provoquela
déil'si,sn12;il iou" iependànt
unrôle rituel
endansant dans certaines cérémonies, et apparaît souvent comme artisan-orfèvre. Le voya- geur
Herkhouf
ramenade
sonpériple un nain africain,
peut-êtreun
pygmée,pour
les(
danses du dieu > et la distraction du jeuneroi
Pépi(VI"
dynastie), réitérant un sernbla-ble
présentoffert
auroilzézi
(Ve dynastiel33.L'iconographie confirme l'existence
des danses de pygmées.En effet,
une série defigurines d'ivoire
datant dela XIIe
dynastie trouvées àLischt'"
nous montreun
groupe de pygmées danseurs.Ils
se distinguent del'iconographie de Bès, mais ont cependant des affinités avec lui, par
exemplel'expressivité
de leurstraits,
laposition
de leurs jambes etla
nudité. Une question inté- ressanteest la relation à I'Ancien Empire entre les nains et les
singes.En effet,
sur certainsreliefs,
des singessont
menésen
laissepar
desnains,
tenantune
<<main
deBSEG
t8
(1994)r DIEUX, MASQUES ET HoMMES 8726 Par exemple les remarques de L.
Krncn
sur une statuette où la face de Bès est entourée de petits cercles en reliefs. Pour Keimer,il
s'agirait de scarifications faciales telles que l'on peut les observer en Afrique centrale, ainsi I'hypothèse de I'origine africaine de Bès serait confirmée, cf. <lJn Bès tâtoué? >, ASAÉ,42 (19a3), p. 159-161.27 L Dprpvcu-LABoRrE,
(
Le dieù Bès, nain, pygmée, ou danseur? >, CdÉ 16 (19a1), p. 252-254.28 quelques exemples chez J. Vpncoutrrn, dans: L'image du noir dans I'art occidental, Fribourg 1976, p. 73 no 40, p. 84 no 59, p. 85 n" 62.
tt Certains égyptologues préfèrent néanmoins considérer les rides du visage de Bès comme des marques tribales, c/ E. Bnwxrn-Tx.ew, Egtptian Artists' Sl@tches, Istambul 1979, p.33 et pl. VI EGA 4509-1943.
30 Exemple net chez M. G. A. REISNER, Amulets (CGC),Le Caire 1958, vol. II, pl. lY no 12657.
"
Voir H. W. MûLLER, MÀ:S 5 (1964), p. 32 et n"A
39,A
40; J. E. QunELL Hierakonpotis (EM\, London 1900, vol. I, p. 7 et pl. XI. Autres exemples chez Fr. BArLoD, Op. ciL, p. 36-38.32 Nous lisons dans les instructions d'Aménémopé:
(
ne te moque pas d'un nain>>, cf, H. O. L,c,NcB, Das lI/eisheitsbuch des Amenemope, Copenhague l925,l{XlV.9 et p. I19.33 Traduction de ce texte célèbre chez A. RoccATI, La littérature historique sous I'Ancien Empire égtptien (LAPO l1), Paris I 982, p. 206-207 . Sur les rapports entre pygmées et nains pathologiques, qui en sont pcut- êtreles ersatz,
c/
D. SnwnvaN, < Pygmies and Dwarves in the Old Kingdom t>, SerapisI
(1960), p.53-62.to W. C. H.ews, The Scepter of Egtpt, New York 1953, vol. I, p. 223 fig. 139. Voir aussi E. Bnuirrm.- Tnnur, Der Tanz im alten Àgtpten nach bildlichen und iwchrftlichen Zeugnissen
(lF
6), Gltckstadt 1938, p.34-36etabb.12.t
-
88
commandement
)
(comme les personnages masqués que nous avons étudiés ci-dessus)35 . DansI'imaginaire
égyptien, singeset
nains sonttous deux liés à l'Afrique. Les
singes sont aussi liés à la danse et à la musique'o. On sait arrssi que les Egyptiens considéraient que les babouins saluaient I'astre solaire à son lever37, dans une gesticulationqui
huma-nise le
singe.Enfin, Ies
singes,tout comme Bès, ont leur place dans le m:'nde
du cosmétique,lié
à l'érotisme38l Parfois, le singe peut aussi être humanisé par le portd'un
collier3e ou de bracelets. Entreun
singe humanisé et Bès bestialisépeut intervenir
une certaineconfusion: il est parfois difficile de savoir si certains objets
représentent un singe ou un Bès40.Le lien
ténu entre Bèset le
singe, quel'on
retrouve dansle
monde hathoriquedu
cosmétique,résulte en partie de leur
appartenancecommune au
Sud myttrifie. La petitetaille
du singe (du moins de oeux que les Egyptiens connaissaient) par rapportà la
stature des êtres humains,fait
égalementd'eux
des êtres en < réduction >' des caricatures d'humains.Ainsi,
nous nous trouvons face à une équationimplicitement
signifiée par desdétails
iconographiques entrenain,
singe,et
enfance.Pour D.
Meeks,peiite taitle et nudité font que les nains, et le dieu Bès intrinsèquement, sont liés
ài'"nf*c"ot ;
Bès apparaîtainsi
pourD.
Meeks comme une(
transposition apotropaïque de prématuréo". Su.
certains objets duNouvel Empire, on
constate que Bès est dotéd'un nombril
proéminent et rouge43,détail
queI'on pourrait
interpréter commela figu-
ration de la cicatrice encore sanguinolente du nouveau né dont le cordonombilical vient
d'être tranché.À
cette image, s'ajoute celle de Bès le nain, simiesque et léonin en même,tJ.
VeNomrD'ABBADTE, <Les singes familiers dans I'ancienne Égypte>, RdÉ 16 (196a), p. 158-163;cf.également Cl. SoURDrvE, Op. cit.,p.19-47. Parfois les nains peuvent également mener des chiens en tuirr].; on pensera que les singes et les chiens sont assez proches dans les conceptions égyptiennes, pour qu'un ai"u singe comme Baba soit fréquemment représenté avec une tête de chien, et soit indifféremment appele < le chiJr > ou < le singe o, noir
ih.
DERCHAIN, < Bébon, le dieu et les mythes >, RdÉ 9 Q952), p' 23- 47. Naturellement, le cynocéphale apparaît comme un opérateur d'un rapprochement entre ces deux espèces.tu E. BnrxNBn-Tneur, Op. cit. (1938), p. 33-34. Un passage du papyrus Anastasi nous dit < que I'on
apprend aux singes à danser > (Pap. Anastasi
lIl
4.1), cf A. H. GenorNsn, BAe 7, Bruxelles 1937 , p' 24, 6-'l ' eiia traduction de R. CAMIN95, Late Eglptian Miscellanies, Oxford 1954, p' 83't7 Selon H. KUr"nCn, une posture semblable n'a jamais été observée par les zoologues' La seule attitude qui pounait être comparée sèrait celle du babouin levant les bras lorsqu'il soigne un de ses congénères,
iy
Vte d" srng"s. Mæurs et sçuctures sociales des babouins hamadryas, Paris 1993, p' l2-15.,t Voi. ph. DERCHATN, < La pemrque et le cristal >, SAKZ (1975), p. 55-74, spécialement p. 68-69.
"
M. V,qtlOC,Ch, < Deux objets thériomoçhes découverts dans le mastabaV
de Balat >>, Le livre du centenaire(MIFAO 104), LeCaire 1980, p. 143-151, spécialementp' 146'.o L,effigie est celle d'un personnage auxjambes arquées et à la queue pendante, trouvée dans le sanctuaire d'Hathor à=Mirgissa: voir J. Vsncourret et alii, Mirgîssa I, Paris 1970'
p
341'ot Cf.D. MEEKS, ( Zoomorphie et image des dieux dans l'Égypte ancienne >, Le Temps de la Réflexion (1e86), p. 187.
tt cf. D. Meers, op. cit. (1992)' p. 427.
ot B. BnwÈns, FIFAO 14(1937), p. I l5; voir aussi: Aménophis III. Le pharaon-soleil, Paris 1993, p' 354- 355.
BSEG rS
(tss4)
DIEUX, MASQUES ET HoMMEs 89temps, que le
jeu
del'analogie
égyptien renvoie àl'Afrique
et par là également au péri- ple solaire, àI'idée
de renaissance et au mythe del'æil
de Ré en Nubie4.
Vers I'image
classiqueAu Nouvel Empire les éléments du
puzzlemythologique
se sont assernbléspour
constituerI'irnage
classiquedu dieu
Bès.On
peut penser que c'est par le biais de lapolitique
étrangère del'Egypte, au moment notamment des
contactsaccrus avec I'Afrique, comme lors du
règne d'Hatchepsout,que l'alchimie s'est
produite4s .Bès entrerait
ainsi
dansle
cadred'une
élabora-tion égyptienne d'une mythologie du
Sud.L'iconographie du
personnageva
donc, àp4rtir du Nouvel Empire,
connaître une grandecéÈ brité,
due enparticulier semble-t-il,
à son adop-tion par la
sphère royalea6.À Oeir
el-Bahari,dans le temple d'Hatchepsout, un Bès
figure accompagnéde la
déesse hippopotame, sous lelit
d'accouchementde la
reine-mère(fig.
2)47 .Si I'on
compare Ia physionomie de ce Bès aveccelle du dieu Aha des ivoires
magiques, nousvoyons un
phénomène intéressant.À la
mai- greur du dieu Aha aux côtes saillantes, se trouve substituée une adiposité marquée par des bour-relets abdominaux. La position
ramassée dudieu, qui est plus trapu que sur les
ivoires, sembleindiquer un certain
nanisme.Mais
cettestature peut également
faire
penser à celled'un
hippopotame, dont les jambes courtes, latête
menaçanteet la
panserebondie sont
caractéristiques. Présentdès les ivoires
du MoyenEmpire
au côté deAha, l'hippopotame (la
déesse Taouret enparticulier)
évolue dansun
espaceà Ia fois proche
< géographiquement> de celui de Bès (le
rnonde sauvage) mais également fonctionnel(la
protection magique, les soins envers l;enfant) et iconographique (corpsdifforme,
gueule grimaçante, pattes delion). Enfin, tout
comme Bès, l"hippopotarne évolue en troupe dansl'imaginaire
égyptien. Dans une scène figuréeoo La connexion entre Bès-cercopithèque-chatte, telle qu'elle appamît notarnment sur les figurines de
faÏenceàpois,rappellelamiseenscènedel'apaisementdeladéessiàangereuse,voirJ.Bwr.:e,
Op
cit.,p.g (introduction de J. Yovorrr) et p. 87-94.o5 v..DnseN, Op. cit.,p.83.
ouM.
Meratss, Op. cit., p. 690. Le phénomène a cependant été amorcé plus
tô!
car l,on connaît par exemple un scarabée de stéatite bleu trouvé à Lischt, où le cartouche d'AménemhatIII
est entouré d'une figuration de Bès/dha et de Taouret,c/
w. Hews, scepter of Egtpr, New york 1953, vol. ,1., p.239.ot É. Nnvrule, Deir El-Bahari,London 1897, vol. Ii, pl. 51.
Youri VoLoxgrNE
BSEG 1S(1994)
t5\
!-4.\:
L ,i-_, i
\.
^-a u
)
Fig. 2: D'après Naville, Deir El-Bahari (vol. II,
pl.5l).
90
Ycuri \ioLoxHhie
de la tombe
d'Amenemhat-sourer (frg.
3)a8, Bèss'inscrit
dans une séquence iconogra- phique où sont représentées des statues dedivinités:
onvoit,
de façon assez inhabituelle, deux hippopotames, deux Bès de face, deux lions. Les Eiès et les lionstirent la
langue: ce détail iconographique est une caractéristique animalequi n'est
pas attestée,sauferreur,
dans les représentations d'êtres humains.Fig. 3: D'après Sâve-Sôderbergh, Four Eighteenth Dynasty Tombs, pl.
XXXVII.
Le mobilier de la tombe de Torriyou et d'Iouiya livre des exemples
sup-erbes del'iconographie
< bèsoideron. Su,
deslits et
des chaises apparaît une troupe5ude
Bès adoptantà la fois I'attitude du
danseuret du
guerrier.Ils tirent la
langue,manient
des tambourins, agitent des couteaux, portent des ailes: toutes ces postures témoignentd'une
sorte de danse apotropaïque, commele confirment
les signessi
< protection),
que cer- tains Bès de cette scène portent au bras.Leur
coqps est recouvertd'incisions:
ce détail pourraitfigurer
le pelaged'un
fauve oud'un singet'
.Alors
que le dieuAha était
généta- lement représenté nu, les Bès, depuis leNouvel
Empire, sontle plus
souvent vêtusd'un
ot T. SÂw-SôpERBERcH, Four Eighteenth Dynasty Tombs, Oxford 1957, pl. XXXVII et p. 40. Dans cette
.
scène, tout comme à Deir el-Bahari, Bès est en relation avec le lit.on J. E. quner-u, Tomb of Yuaa and Thuiu (CGQ, Le Caire 1908, pl. XXIX, XXXI,
XXXII' XXXN'
XXXV, XXXVN, XXXX, XLI, XLII.to
Cor."
I'exprime V. DASEN, Op. cit., p. 71. Voir aussi p. 56-57, à propos des divinités liées à la nais- sance et qui apparaissent en bande.5'Les pois peints sur les faiences de Bès font sans doute référence au pelage d'un jeune lion; voir
J. BuLrÉ, Op. cit., p. 108-109 et n. 222. Dans le rnême ordre d'idées, voir le Bès du Musée d'Edimbourgh, dont le corps apparaît constellé de pois,
c/
J. RoMANo, Op. cit. (1980), p. 53 fig. 5. On remarquera toutefois que sur le mobilier de la tombe de Iouiy4 une divinité hippopotarne accompagnant des Bès a également le corps couvert d'incisions, c/ J. E.Qunn4
Op. cit. (1908)' pl. XLI-DIEUX, MASQUES ET HoN{MEs
9l
pagne, portent de hautes plumes sur ia tête, et branciissent à I'occasion des aiiess2. Dès
cette
époque,les Bès
apparaissentparfois traités comme des motifs
décoratifss3.À
Amarna. on a retrouvé quantité de figurines, d'amulettes, de scarabées où apparaît Bèssa.Une peinture
murale
représentant Bès, dans une maisonde
ta capi_t4ledu
schisme ato- nien, témoigne encore unefois
de la faveur populaire du personnagess .Uur pot à onguent provenant de Ia tombe de Toutankhamon nous montre un
lion
dressé adoptant ainsiI'attitride
de Bès.56 Cette correspondance iconographique est remarquable, et montre clairement le lien entre Bès et lelion.
Dans ce eas, aulieu d'un
Bès déguisé enlion, ii s'agit plutôt d'un lion
déguisé en Bès, cequi iilustre
bien le mécanisrne de la bes-iiaiisation
et de l'humanisation que nous avions évoqué ci-dessus.On
constateégalement la
présencede divinités
ài'apparence de Bès parmi la population des
< dé- mons)) qui
peup_lent['au-delà. Sur une vignette
duLivre
desMorts'', un dieu à
I'apparencede.Bès
est représenténu,
"*ioignunt ,u
quËu"animale ing,
+).Dans
la plupart
des cas,la
queue animale de Bèsfait
partied'un
costurne:soit
reliée àun
pagne,soit
ratta- chée à la dépouille de fauvequ'il
ponte sur les épaules.Les artistes égyptiens
qui
répugnent souvent à montrerclairement la
zone dejuxtaposition
des éléments ani- maux et humains58,ont
peut-être dans ce casfait
em- BSEG 18{1994) B^çic i8
(199,$)''O -
,,67-;"
\'9 t. -f.4 rll i
r'i lt;
li| :..
\GJ
)
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.'i i\
i r' I i:
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':/-!--
lt
\
t"',i-:
poigner cette
queuede fauve à
sa baseo- li l"ll Fig.4:
D,aprèsNaviile,TB,pt.39.
même du dieu, pour masquer cette
jonctiont'. Dunr." -'E- -'- -r'--
chapitre,
le dieu
apparaît sousdifférents
noms.Invo-
qué sous
celui de
<lion >, on
apprendqu'il fait partie d'une troupe de
< combattants"B.BnnyÈns, FIFAO16(1939),p.255.VoiraussidesBès(costumés>,cf.A.Pnor,AncientEgtptian Figured Ostraca in the Petrie Collection, Warminster 1983,
n'7
(UC 33198); E. BRUNNER-TF.Aw, Egtptian Artists' Sketches, Istambul 1979, p. 3l-32 eT pl. V no 6. Les plumes de la coiffe de Bès sont peut-être àl'origine des plumes d'autruche, détail africanisant encore le personnage,
c/
D. VALBELLE, Satis et Anoukis, Mainz I 981, p. 120 n. 666 et p. 96-97 (sur la coiffure de plumes d'autruche)."
Cornrn" sur un fragment de frise de la chambre à coucher du palais d'Aménophis IlI,c/
W. SrswNsoN Surcu,The Art andArchitecture ofAncient Egtpr2, London 1981, p. 290frg.287.'o w. M. F. PETRIE, Te!! El Amarna (ERl), London 1894, pl. XVII n" 286 à291.
"E.
Pspr et C. L. WoLLEy, The City of Akhenaten, London 1923,vo\. I, pl. 18.3, où I'on distingue le milieu du corps de deux Bès dansant, portant un pagne et une queue animale. Sur la présence de Bès lors de l'époque amarnienne, voir M. Meletse, Op. cit., p.740.tu H. Cenrrn, The Tomb of Tutankhamen, New York 1963, vol. III, p. 146 et pl. XLViiI. Meilleure photo chez I. E. S. EDwARDS, Toutankhamon (éd. française), Paris 1978, p. 2i7.
tt É. Nevu,t-s, Das Àgtptische Totenbuch der XYItrL bis XX. Dynastæ, Berlin 1886, vol.
I, pl.
39;Fr. BArLoD, Op" cit., p. 29 (Chapitre 28 du papyrus de Neferoubenef).
i8 Lalonction <1es têtes animales des dieux à leur corps humain est cachée par des éiéments de costumes, voir E" FIoru.n;Nc, Les Dieux de i'Égpte. Le lJn et le Multipte (trad. française), Monaco 1986, p. 102.
se Ce geste particulier est attesté dans d'autres représentations de Bès, voir J. RoMANo, Op. ctL (1980), p. 55 (Brooklyn Museum 16.426); K. BossE-GRIF'Fwus, JEA 63 (19i7), pl. XV; F{. ALTENMÛLLE& SAK 13 (1986). p.
I
Abb. 2.riii +
I
L
92
Youri VotorHNg
BSÉG tS (1ee4)résidant dans
Héliopolis >.
Ce théonyme, dans lequelon
reconnaîtle nom
deAha
< le combaffant>, est déterminé dans le papyrus de Neferoubenef par un
hiéroglyphe représentant une créatureau faciès humain, aux oreilles
animalespointues, tenant
un couteau, et au corps obèse d'hippopotame.Au chapitre
144 duLivre
desMorts
apparaît unedivinité
à tête de Bès60, gardienned'un
porche dansl'au-delà,
nomméef Nço hl-hr <celui à la face terrible (?)rut.
Cette
indication, pour la
premièrefois,
nouslivre
une épithètequalitative sur le
visaged'un
Bès,et
nousindique
donc une perception égyptiennede la grimace habituelle
du personnage. Ce Bès entre ainsi dansla
catégorie desdivinités
del'au-delà dont le
nom, formé par un composé appcsitionnel incluant^le substantif &r en second membre,définit la
personnalitéen ce
qu-'ellea de terrifianto' . On
constate aussi, notammentdans
lespuiy.ur
m1'thologiques63,I'existence de différentes divinités
anonymesdont I'icono-
graphie se rapproche de celle de Bès.Tous ces éléments
confirment
clairement quel'on
aaffaire
à une catégorie de person- nages partageant un caractère commun. Les Bès s'apparentent à une faune redoutable, et de cefait
efficace magiquement, siI'on
sait seconcilier
leur pouvoir.4.
La
question dela frontalité
Bès est
l'une
des raresdivinités
égyptiennes expressives.Les
représentations de Bès attestentd'une
large palette demimiques:
Bès grimace, montre les dents,tire la
langue, plissele front et le
nez, semble parfois témoignerd'une
franchejovialité, parfois d'une
colèreterrible.
Le visage de Bès, mis en évidence par lafrontalité,
témoigne de sa natureuo R. LBpsrus, Das Todtenbuch der Àgtpter nach dem hieroglyphischen Papyrus in Turin, Leipzig 1842, pl.LXIY.72; E. A. W. Btnce, BD, p. 346.
ut H]-h, est traduit par < celui à la face mauvaise
)
par P. BARGUET, Le livre des Morts des anciens Égtptiens (LAPOl),
Paris 1967, p. 198, et par < pale of face > par T. G. ALLEN,sloc
37 (1974), p. 132.Cependant le terme ll1, dans cette graphie et ce sens, n'est pas attesté par le Llôrterbuch. Le déterminatif de la pustule entraîne à supposer une connotation négative pour ce terme, que I'on pourrait rattacher à
l|t,
Il/b.Ifi,
7 < chagrin, peine >. Mais il est possible qu'il s'agisse d'une graphie fautive du terme souvent altestê nhJ-hr, que I'on atraduit généralement par <terrible de visage> (R. Et. SAYED, BIFAO
8l
[1981], p. 114 s4); le ierme nhl,traduit par < sauvage >> (Wb. 11,290, 5 à propos du lion), déterminé parfois par le même signe de la pustule, se réfère peut-être au regard, voir J. Vexpren, Le papyrus Jumilhac, Paris 1961, p. 195 n. 254 (Jumilhac XVI.8); H. v. DE[.rEs & W. WESTENDoRF, ll/ôrterbuch der Medizinischen Texte 2 (1962), p. 582- 583; comparer avec hlj < celui qui a un leucome sur I'ceil >, ALex 78.2558; mais I'on a aussi compris nfl-frrcomme
(
celui qui toume le visage >, en référence à I'attitude hostile du crocodile,y'
K. SEnr, JNES 6e9a\,p.4TetJ.QUAEcEseuR,dans: L'animal, l'homme, IedieudansleProche-Orientancien(CEPOA), Louvain 1985, p. 132.
ut Voir J. ZANDEE, Death as an Ennemy, Leiden I 960, p. 206, 208. Egalement R. EL SAYED, < Nehaher >, BIFAO 81.(lg9l), p. I I 9-140 (liste de ces noms génériques: p. I 3 I -1 36).
u' Voi. Al. PT.ANK9FF, Mythological Papyri (Bollingen Series XL.3), New York 1957, où I'on voit un Bès bicéphale dans le papyrus n" 3 (Nesi-Pautui-Taui), et des divinités momiformes à face léonine représentée frontalement, papyrus
n. l0
(Pa-di-Amon), noll
(Khonsou-Renep), no 17 (Khonsou-MesB).
Dans l'étonnant papyrus de Djed-Khonsou-iouf-ankhlI
(n" 22), aux représentations si peu conventionnelles, nous voyons un-liàn ailé dont le visage de face et souriant est assez < bèsoide > (fig. 69 p. 175 vol. texte), ainsi qu;une fernme au visage de Bès, de face, tenant une tête coupée. On peut constater par ailleurs que l'artiste qui dessina ce papyrus avait une prédilection marquée pour les représentations de visages de face'BSEG 18
(1994)
DIEUX, MASQUES ET HoMMES 93apotropaïque; sa grimace, son
rictus pareil
àcelui d'un lion terrible, fait fuir
les forcesmaléfiques. Le regard était source de
puissancemagique pour les Églrptienss. La frontalité
de Bès témoigne du geste du magicien dont le regardpétrifie
les forcesmaléfi-
ques en leur faisant face.Ce rôle apotropaique de la
mimique
de Bès, que lafrontalité
met en évidence, n'est pas le seul que la posture frontale du dieu pouvait suggérer dans les conceptions égyptiennes.On
retiendraqu'intrinsèquement le
visage de Bès estun
masque. Précisément, dans la langue égyptienne,le mot
masque sedit
< tête ))65, ou(
face >66.Ainsi, la
face de Bès, considérée comme un masque indépendantd'un
corps, est unmotif qui
sesuffit à lui-
même. Des
milliers
d'amulettes, mais aussi demultiples
autresutilisations
dumotif
de la tête seule du dieu, comme sur les manches demiroirs,
les pions dejeu,
des instruments de musique, nousmontrent
que parspro toto
le dieu se résume en une face. Sur lescip-
pesd'Horus,
le visage de Bès estfiguré
comme un masque, au-dessus deI'enfant
Horus;une
fois
porté, comme nous le montre une statuette de Berlin67, ce masque permettra au jeune dieu d'assumer les vertus apotropaïques\qElérées par la face grimaçante du dieu.Par ailleurs,
il y
alieu
de constater,parmi
les représentations des animauxqui
évoluent autour de Bès, une présence parcimonieuse mais constante de lafrontalité. Lions,
singes, chats, sont eneffet parfois
représentés avec la tête tournée de faceet le
corps deprofil.
Dans
la
statuaire,il arrive
quel'on
représenteun lion
avec la tête tournée;la
statiie est alors conçuepour
quele
spectateurvoit le
visage de faceet le
corps deprofil68.
DansI'iconographie, on
représenteparfois le lion
avecla tête de face, mais alors il
est en action, dévorant ou saisissant le corpsd'un
ennemiqui gît
sur le sol6e.L'attitude
corres-6o Sur le < mauvais æil >, voir J. F. BoRGHours, < The Evil Eye ofApophis >>,JEA 59 (1973),p. l14-150;
Y. KoENIG, Op. cit, p. 187-199.
ut L" rnu"qu" funéraire est ainsi une ( tête qui cache >> (tp
n
sltt),c/
D. Merxs, < Dieu masqué, dieu sans tète>>, Archéo-NilI
(1991), p. 5-15. Par ailleurs, un pilleur de tombe, ayant trouvé une momie royale, dit dans la relation de son larcin, que(
sa tête d'or (à savoir: son masque d'or) était sur lui >, J. CAIART et A. H. GARDnTER, Le papyrus LéopoldII
aux Musées Royaux d'Art et d'Histoire de Bruxelles et le papyrus Amherst à la Pierpont Morgan Library de New YorlçBruxelles t939, pl. II.14.66 Une formule magique évoque
la
fabrication d'un masque(lrr)
destinéà
combattrela
migraine,c/ J. F. Boncuours, The Magical Texts of Papyrus Leiden
I
348, OMRO5l
(1970) recto I.7. Les résilles appliquées en guise de masque sur le visage du défunt prennent d'ailleurs parfois I'apparence du sigae hiéro- glyphique hr, cf. K. BossE-GRrFFrrHs, < Some Egyptian Bead-work Faces in.the Wellcome Collection at University College-Swansea>>, JEA 64 (1978), p. 99-106.ut G. Roroen, Die Àgtptische Religion
in
Texten und Bildern, BdIII
(1960), p. 409 Taf.I
(Berlinn'2489).
68 Nombreux exemples, tant dans la statuaire monumentale que dans les petits objets; voir par exemple le célèbre lion de Nectanébo au Vatican,
c/
G. Born - P. RoMANELLI, Le scuhure del Museo gregoriano egizio, Vatican I 95 I, pl. 26-27 et p. 14- I 8.u' Voir N. M. DAvEs, Tutankhamun's Painted Bo:r, Oxford 1962, pl. IV. On voit aussi des chiens dans cette attitude (pl. I et III). Comparer avec le félidé d'un relief de Kamak prenant dans sa gueule un ennemi, L. RorEnr, < Notes sur un curieux relief du II" pylône du temple d'Amon-Rê à Kamak >, Bull. du Cercle lyonnais d'Égptologie Victor Loret 6 (1992), p. 6l-78, fig. 2 p. 74, et avec la tête de lion dévorant un Nubien de la collection Schimmel, Aménophis