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La planification : un mode de rationalité dépassé pour la légistique?

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La planification : un mode de rationalité dépassé pour la légistique?

FLÜCKIGER, Alexandre

FLÜCKIGER, Alexandre. La planification : un mode de rationalité dépassé pour la légistique? In:

Légistique formelle et matérielle = Formal and material legistic. Aix-en-Provence : Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1999. p. 117-138

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:8306

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(2)

LA PLANIFICATION:

" ,

UN MODE DE RATIONALITE DEPASSE POUR LA LÉGISTIQUE ?

Par

Alexandre FLÜCKIGER

Chargé de cours au Centre d'Étude, de technique et d'évaluation législatives (CETEL), Université de Genève, Suisse

Risu",é:

Le législateur dispose d'un vaste espace d'autonomie créatrice dans le cadre des règles constitutionnelles et légales.

n

n'est cependant pas libre d'échapper à l'exigence de rationalité. La méthodologie de la planification est en mesure de répondre à cette condition. rel est le coeur de la légistique matérielle.

Deux instruments au service de celle dernière y font en outre appel: la planification législative et la planification des politiques publiques.

Outils de coordination plus que jamais indispensables pour soutenir la loi dans l'environnement complexe de l'État post-interventionniste, ils contribuent por leur perspective métalégale à renforcer l'action publique.

Dans toutes les configurations, il importe de se distancier de la planification directrice au profit d'une conception émergente.

S""''''lIry :

The legis/ator has a vast scope of creative autonomy wlthin the framework of the constitution and legislation. He is not however Iree to escape the imperatives of rationality. The methadology of planning fu/fils this condition. Such is the core of substantive legistic.

Moreover, Iwo instruments used by this procedure require planning:

legislative planning and planning of public policies. These tools are more than ever essential to support the law in the complex environment of the post-interventionist State. They contribute by their meta-Iegal perspective ta reinforce public action.

In aIl the configurations, il is indispensable ta avoid directive planning and ta favo"r an emergent approach.

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118 Ugistique fonnelle et matérielle - Fonnal and materiallegistic

l, LA LÉGISTIQUE MATÉRIELLE: UN PROCESSUS DE PLANIFICATION

A, La boîte noire du législateur

Lorsque le Constituant donne au Parlement le mandat de légiférer, il se borne généralement à édicter les grands principes directeurs :

<<La Confédération légifère sur la protection de l'homme et de son milieu naturel contre les atteintes nuisibles ou incommo- dantes qui leur sont portées. En particulier, elle combat la pollution de l'air et le bruit.» (article 24septies alinéa 1er de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 29 mai 1874 [Cst.])

A l'instar des principes constitutionnels, les mandats législa- tifs ne permettent pas de prédétenniner exactement et obligatoire- ment les solutions d'espèces qui en découleront. Outre la compé- tence de légiférer, il est seulement possible d'en déduire des critères généraux et des lignes directrices à l'aune desquels le législateur mesurera son projet.

Le Parlement procède à son tour de manière analogue chaque fois qu'il délègue au gouvernement le pouvoir de légiférer:

<<Le Conseil fédéral peut fixer des valeurs indicatives et des valeurs d'assainissement en vue d'évaluer les atteintes portées aux sols.

<<Les valeurs indicatives indiquent le niveau de gravité des atteintes au-delà duquel, selon l'état de la science ou l'expé- rience, la fertilité des sols n'est plus garantie à long terme.»

(article 35 alinéa 1er et 2 de la loi fédérale sur la protection de l'environnement du 7 octobre 1983 [LPE]).

La nonne de délégation prévue dans la loi formelle doit contenir les grandes lignes de la réglementation et préciser le but, l'objet ainsi que l'étendue de la réglementation déléguée (1). Le degré de précision de telles clauses est parfois très faible si bien qu'à nouveau la norme légale confère dans ce cas une liberté d'appré- ciation assez importante au pouvoir exécutif sans qu'elle soit en mesure de préconditionner strictement le contenu de l'ordonnance gouvernementale à édicter. Le citoyen reste dans le flou, car il ne peut pas précisément connaître ses droits et ses obligations avant l'adoption par le gouvernement des textes d'application. Cette indétermination n'est pas répréhensible chaque fois qu'il est diffi- cile de déterminer par avance quelle solution, parmi plusieurs, con- viendra le mieux à une situation concrète, lorsque l'évolution de la situation est si rapide qu'elle exige de fréquentes révisions ou

(1) Office fédéral de la justice, Guide pour l'éUùJoraûon "" la législationfoibal. (Gui"" d.

1égi.rlaJicn), Berne, 1995,1'1'. 174 ...

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A. Flückiger - Planification: un mode de rationalité dépassé ... 119

lorsqu'il serait excessif d'attendre du législateur qu'il puisse précisément régler la matière visée (2).

Le Parlement peut également être amené à définir les princi- pes généraux à suivre à l'attention de législateurs subordonnés :

<<.La Confédération édicte par la voie législative des principes

applicables aux plans d'aménagement que les cantons seront appelés à établir en vue d'assurer une utilisation judicieuse du sol et une occupation rationnelle du territoire.» (article 22quater Cst.)

Ces exemples ont tous pour point commun de rassembler des normes finalisées dont la lecture ne permet pas de prédire l'application qui en sera faite dans le cas concret. Ces règles laissent une très large part d'autonomie, de liberté et de créativité à leurs destinataires. Elles forment la «boîte noire» de la politique. La rationalité de l'application juridique traditionnelle leur échappe: la solution ne peut être découverte logiquement par une déduction syllogistique. Elle le sera au contraire par une pesée globale de tous les intérêts en jeu (3). La norme n'est pas appliquée; elle sera déclinée, pour reprendre une expression de Gérard Timsit :

<<Et l'acte pris en venu de ce pouvoir de déclinaison n'est pas la

simple répétition/imitation, à un échelon inférieur et individuel, d'un geste déjà accompli au niveau supérieur et "en grand". Il est un acte autonome du régulateur qui, pour répondre à l'objectif fixé par la norme d'orientation "invente" la solution, qui ne sera pas nécessairement la même d'une situation à l'autre, des cas concrets auxquels il est confronté.» (4).

B. A la recbercbe d'une rationalité pour la production législative

Cet espace d'indétermination n'est pourtant pas libre d'échapper à toute exigence de rationalité. La Constitution fédérale interdit en particulier qu'un acte de la puissance publique soit arbitraire. Cette exigence dérive du principe d'égalité et découle de l'article 4 Cst. Tout acte étatique - y compris la loi - ne saurait être irrationnel, capricieux. Le Tribunal fédéral a précisé qu'un acte législatif brave l'interdiction de l'arbitraire lorsqu'il ne peut se

(2) Conseil fédéral" Message relatif à une notM!lle constitution fédérale du 20 1I0vembre 1996 (tiré à port), Beme, 1996, pp. 3966.

(3) C.-A. Morand, «Vers une méthodologie de la pesée des valeurs constitutionnellcs», De la Constilution. MéJonge.s en l'honMfIT de Jemt-FraJ1ÇOÎS Artbert (A. Auer et P. Zen Ruffinen ëd.). Bâle et Francfort-sur-le-Main, 1996, pp. 57ss; P. Moor, f<Ou modèle de la séparation des pouvoirs», De la constitution: études en l 'honneur de Jean-François Aubert, (A. Auer et P.

Zen Ruflinon éd.), Bile et Francfon-sur-le-Main, 1996, p. 637; K.-P. Sommermann, Staatsziele und StaatrzieJbestimmWlgen, Tübingen. 1997, pp. 412ss.

(4) G. Timsit, Archipel de la norme. Paris, 1997. p. 206.

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120 Légistique fonnelle et matérielle - Fonnal and materiallegistic

fonder sur des motifs objectifs sérieux ou lorsqu'il est dépourvu de sens et de but (5).

Pour faire face à ce problème, la solution courante consiste à accroître la rationalité procédurale (voir le concept de légitimation procédurale de Luhmann (6) ou celui d'espace public de commu- nication chez Habermas (7)). La combinaison d'une composition démocratique de l'organe légiférant avec la logique discursive de ses débats doit mener à une pesée d'intérêts censée prendre en compte de manière globale la plupart des courants sociétaux représentatifs.

Mais cette seule logique est insuffisante. Les règles de procé- dure, d'organisation et de contrôle que le Constituant a mises en place en matière législative font principalement confiance à la rationalité dialectique de la discussion critique anticipée, c'est-à-dire celle qui précéde l'adoption proprement dite de la loi. Or les recherches en sociologie juridique ont montré par une analyse de la mise en œuvre des politiques publiques, les limites d'une telle con- ception: effets non prévus, effets non intentionnels, effets per- vers, inefficacité, ineffectivité, inefficience; tels sont les constats que l'on a pu dresser parfois en poursuivant la discussion critique après la mise en place de l'appareil normatif (8). Les écarts entre la situation teUe que discutée publiquement a priori et le résultat produit a posteriori sont d'autant plus accentués que J'environne- ment est imprévisible, non répétitif, mouvant.

Afin d'éviter dans de telles circonstances l'écueil de l'arbi- traire, des mécanismes complémentaires s'imposent. Le droit administratif fournit à cet égard des pistes dignes d'intérêt. Le problème de base est identique: face à une diminution de la densité normative, le piJotage de l'action de l'administration ne peut que difficilement s'opérer par l'application syllogistique tradition- nelle (9). Dans tous les domaines où dominent non-répétitivité et non-reproductibilité, imprèvisibilité et incertitude, les figures de la disposition finalisée et du concept juridique indéterminé restent les seules structures que la règle de droit peut raisonnablement envisa- ger de revêtir. Qui peut prédire le tracé d'une autoroute, l'empla-

(5) «Ein Ertass verstôsst gegen das Willkürverbot, wcnn cr sich nicht auf e:rnsdlafte sachliche Gnlnde 5tützen lisst oder

.u.n-

und zwccldo. i5b> (ATF 1161. 81 [83]).

(6) N. Luhmann, Ù8itimation durch Veif"hr.", Neuwicd L Rh. et Berlin, 1%9.

(7) J. Habennas, Faktizitiit wu! Geltung: Beitrdge zur DisJr:urstheorie ries Recltts und des demokratischen Reclttsstaau, 4e éd, Francfort·sur-le-Main, 1994; critiqué par Jacques Lenoble (Lenoblc, Droit el communication, Paris. 1994, p.595S). Sur ce débat, cf. C- A. Morand, op. ciL, (note 3), p. 67. Cf. également K.-P. Sommermann, op. cit., (note 3), pp.

306ss.

(8) L. Mader, L '~allAfJtion législative. Pour une analyse empirique de 10 légiJlotion, Payot, La.usanne, pp. 77ss et 92ss.

(9) P. Moor. ~ 1. règle de droit comme instrument de gestion démocratique», in: RelIlI.e efl7'opéenne des 3cience.r sociales. t. 31, nO 97, Genève ct Paris, 1993, pp. 171ss; P. Knœpfel, (en collaboration avec 1mbof Rita), «Les cycles écologiques et le principe de la causalité: de la nécessité d'assouplir les liens de causalité)), C.-A. Morand(éd.), Figures de la légalité, Paris, 1992, pp. 14155.

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A. Flückiger - Planification: un mode de rationalité dépassé ... 121

cement d'une décharge ou la délimitation concrète d'une zone à bâtir à partir de la simple lecture de la loi .sur les routes, de la loi sur la protection de l'environnement ou de la loi sur l'aménagement du territoire? Dans ces configurations, la solution juridique ne peut jamais être déduite logiquement; elle ne peut être que soupesée, estimée, supposée.

Différents instruments ont été développés en droit adminis- tratif pour rationaliser l'action de l'État dans un tel contexte. On se limitera ici à aborder une méthode: celle de la planification (10).

Présupposant l'existence de buts et d'objectifs qu'elle contribue à façonner et à concrétiser, la planification permet d'anticiper la discussion critique et de la prolonger au-delà de l'adoption de la loi.

Plus concrètement, la transposition de cet instrument à la produc- tion normative signifie qu'il faudrait développer une méthodologie de la planification pour la législation. Cette perspective implique- rait de ne plus considérer l'adoption d'une loi comme l'aboutisse- ment d'une procédure formalisée, mais comme un simple moment dans un processus plus vaste de prise de décision, commençant avant la procédure formelle d'adoption et s'étendant à la phase de mise en oeuvre. Un espace public pourrait renaître en amont et en aval, complétant le cirque parlementaire classique. La loi à mettre ou mise en oeuvre serait évaluée ex ante et ex post, puis modifiée le cas échéant dans les finalités qu'elle vise; elle deviendrait une expé- rience sans cesse renouvelée, en apprentissage permanent. Prise dans ce cadre, l'adoption d'une loi ne pourrait plus être considérée ({comme un acte isolé, dont la signification s'épuise en elle-même»

(1 1) La loi devrait être replacée dans son environnement politique en cohérence avec d'autres mesures juridiques ou non juridiques, le Parlement intervenant dans un contexte dont il est lui-même dépendant et au sein duquel il lui importerait de connaître les conditions et les conséquences de ses actions.

Tel est le coeur de la légistique matérielle (12). On retrouve dans cette science (I3) la méthode de la planification dont tous les éléments constitutifs sont présents (14): le probléme est analysé;

les objectifs sont précisés; les instruments doivent être choisis de manière optimale et coordonnés entre eux; la mise en oeuvre

(10) Nous n'évoquerons notamment pas l'application de la méthodologie de la pesée des intérêts développée en droit administratif en matière de: coordination matérielle des décisions (sm cette méthodologie appliquée à la pesée des valeurs constitutionnelles, cf pour le droit mÎ$se: c.-A. Morand, op. cir.. (note 3). pp. 6388. et pour le droit allemand: K.- P. Sommennann, op. cil., (note 3), p. 413 et réf. cit.).

(Il) P. Moor, Droil adminùtratifl, 2e M, Berne, 1994, ch. 3.12.3, p. 196.

(12) Sur la définition de ce concept, notamment en opposition avec celui de lêgistique formelle, cf. c.-A. Morand, "'PT'.

(13) Sur le caractère scientifique de la légistiquc, cf. L. Mader, op. cit., (note 8), pp. 2855.

(14) 1.·0. Delley, Les grand<s étopes de la légUrique matérielle, dans cet ouvrage; A. Flückiger, Le régime juridique des plans: l'exemple du plan de gestion d1!3 déchets, Berne,

1996, p. 54.

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122 Légistique formelle et matérielle - FormaI and materiallegistic

prévue, intégrée et analysée; la loi évaluée; enfin, la revendication d'une conception non linéaire du cheminement des étapes corres- pond aux principes modernes de la planification (planification itérative, coulissante, cyclique, évolutive, glissante, etc. (15».

La logique de pilotage et de contrôle d'un tel mécanisme n'est pas juridique: il ne s'agit pas de sanctionner l'illégalité par un tribunal, mais de veiller à assurer la rationalité de la production normative en apprenant à la loi l'efficacité, l'effectivité et l'effi- cience par un procédé d'évaluation et d'apprentissage en fonction de l'évolution des circonstances. La mise sur pied de mécanismes d'évaluation ne rend pas la tâche du juge superflue, mais la com- plète. Le juge constitutionnel conserve une place essentielle (16), mais son devoir est de reconnaître ses propres limites en suggérant de recourir à des mtionaIités plus adaptées que celles qui sont issues du traditionnel syllogisme juridique. Un devoir d'humilité en quelque sorte, que la Cour constitutionnelle allemande, par exemple, a su promouvoir en imposant une démarche évaluative lorsque règne une incertitude que seule l'évolution des circonstances sem apte à lever (17). Mais une telle conception peine à être reçue en Suisse.

Le censeur des lois reste directement le peuple dans une démocratie semi-directe. Cette circonstance explique également les méfiances socio-politiques à l'égard d'une méthode dont la mtionalité peut apparaître comme trop technocratique aux yeux d'un «citoyen- votant». En France, Jacques Chevallier voit dans cette évolution, au travers de l'expérimentation législative, l'<<effacement de la Rai- son juridique» au profit d'un type de mtionalité «technico-écono- mique» (18). Pourtant le postulat de Luzius Mader selon lequel

«seul le législateur connaissant bien à la fois [es conditions et les conséquences de ses actions peut agir rationnel/ementl> pamît indé- niable (19). Aussi observe-t-on ça et là que le législateur s'impose

(15) Pour des références plus précises sur ce type de conception, cf. A. F1ückiger, op. ci'.,

(note 14), pp. 390ss.

(16) La Suisse présente un cas particulier dans la mesure où le Tribunal fédéral n'a pas la compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois fédérales et des arrêtés fédéraux de portée générale (lIrticle 113 alinéa 3 ct 114bis alinéa 3 est). Mais le projet de nouvelle constitution fédérale propose de modifier cette règle et d'étendre l'examen de constitutionnalité 4 ces actes en prévoyant un contrôle concret des normes., centralisé auprès du Tribunal fédéra] (Conseil fédéral, Message relatif d une nouvelle constitution fédérale du 20

""""",bre /996 (tiré à port), Berne. 1996, pp. 513ss}.

(17) Sur l'obligation du législateur de procéder dans ces cu à une amélioration ultérieure de la loi si le fondement législatif est sérieusement remis en cause en raisoo d'évolutions nouvelles qui ne sont pas encore prévisibles au moment de l'adoption de la loi en question, cf A. Hôland,

«L'évaluation législative comme auto-observation du droit et de la société», C.-A. Morand (éd), Evaluation légiskJ/ive et loif expérimenJales, Aix-en-Provence. 1993. pp. 19" (26).

(18) J. Chevallier, cd..es lois expérimentales: le cas françaiS»), C.-A. Morand (éd.), E\'Q.lllDtion législative et lois expérimentJJles, Aix-co-Provence, 1993, pp. 119ss, (148s).

(19) L. Moder, op. cil., (note 8), p. 101.

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une démarche légistique: clauses d'évaluation; lois expérimen- tales (20).

Les craintes d'une dérive technocratique demeurent légitimes, c'est-à-dire le risque de recourir à une «fausse rationalité» au sens où Edgar Morin l'entend: une rationalité abstraite et unidimen- sionnelle. Il faut surtout se méfier de <<la pseudo-fonctionnalité planificatrice qui ne tient pas compte des besoins non quantifiables et non identifiables par questionnaires» et «restaurer la rationalité contre la rationalisation» (21). La légistique doit être rationnelle;

elle ne doit pas être rationalisatrice: elle ne doit pas obéir à un modèle exclusivement mécaniste ou déterministe; elle va naviguer entre la logique théorique et l'empirique. Fruit d'un débat argu- menté, elle doit être consciente des limites de la logique et du déter- minisme ; critique et autocritique, elle doit être à même de recon- naître ses insuffisances (22).

Dans ces conditions, il doit être possible d'échapper à l'objec- tion de pseudo-scientificité technocratique et de concilier la légisti- que avec les exigences de la démocratie. Les errements potentiels de la légistique peuvent être sanctionnés par la surveillance démocra- tique et, inversement, les égarements toujours possibles de la démo- cratie devraient idéalement pouvoir être prévenus, ou pour le moins révélés, par la légistique.

Il. LA PLANIFICATION DES POLITIQUES PUBLIQUES ET LA PLANIFICATION LÉGISLATIVE: DES INSTRUMENTS

AU SERVICE DE LA LÉGISTIQUE

La méthode de la planification ne se retrouve pas seulement au coeur de la légistique matérielle. Elle apparaît dans les program- mes de politique publique (ch. ILA), ainsi que dans les programmes législatifs proprement dits (ch. II.B).

A. La planification des politiques publiques

Le programme de politique publique est un instrument qui a pour vocation de susciter, d'intégrer et de coordonner une politique publique déterminée à un stade métalégal.

Le système politico-juridique helvétique regorge d'exemples de programmes de politique publique. Ceux-ci prennent la dénomi- nation de conceptions globales, de plans directeurs, de programmes, de lignes directrices, de stratégies, de rapports divers (énergie, trans- port, communication, droits de l'homme, culture, économie, santé,

(20) Sur l'état de la question, cf. Morand (éd.), Eva/wallon législative et lois expérimentales, Aix-en-Provence, 1993.

(21) E. Morin, Terre-Patrie, 2e M, Paris, 1996, pp. 19058.

(22) Exigences que Morin pose de rnanlèrt généntle en matière de rationalité (Morin, ibid.).

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124 Légistique formelle et matérielle -Formai and materiallegistic

sécurité, défense nationale, tourisme, médias, environnement, fonnation, recherche, agriculture, aménagement du territoire, etc.) (23). De tels actes de planification sont très abondants en droit communautaire également (programmes d'action, livres verts, livres blancs, plans d'action, etc.) (24).

Ces documents prévoient, parmi de nombreuses autres mesu- res juridiques et non juridiques, de créer, de modifier, d'abroger des lois dans un sens déterminé, ainsi que de gèrer et de coordonner celles-ci dans le cadre plus général des différentes mesures destinées à concrétiser la politique publique. Ces programmes s'impliquent sur le contenu des lois qu'ils contribuent à façonner afin de faire cons- truire, par le détour législatif, la politique prévue. Ils coordonnent, par anticipation, la combinaison des différents moyens d'action que la loi sera susceptible de prévoir. On peut distinguer à l'étude de tels documents deux types de mesures législatives dominants (25):

d'une part les mesures législatives générales telles que l'élaboration, la révision ou l'abrogation de lois fonnelles ou matérielles, de con- ventions internationales, de lois fédérales, cantonales ou commu- nales ; d'autre part, les mesures législatives particulières telles que le recours à du droit expérimental -le processus de planification fournissant alors le cadre rationnel qui entoure l'expérience depuis sa conception jusqu'à son ancrage définitif -, la conception de mesures de mise en œuvre législative, qu'elles soient répressives - telles que les mesures prévoyant d'effectuer voire de renforcer le contrôle et la surveillance de l'exécution de la réglementation visée -, qu'elles soient préventives, en particulier les efforts et les moyens portant sur la communication, la vulgarisation et la diffusion de nouvelles règles encore méconnues. Ces dispositions des plans ne sont pas toujours rédigées de manière directe: lorsqu'un programme de politique publique propose par exemple d'introduire des instruments économiques à la place d'ordres ou d'interdictions pour réguler un secteur déterminé, le principe de la légalité impose indirectement une adaptation de la base légale.

L'implication des programmes de politique publique sur le contenu des lois découle simplement du fait que toute politique publique dans un État de droit doit reposer en fin de compte d'une manière ou d'une autre sur une loi afin que le principe de la légalité soit respecté. On pourrait dès lors qualifier ces instruments d'actes de planification législative. Mais cela serait réducteur, car le programme de politique publique est plus vaste: s'il est vrai qu'il

(23) Pour me liste détaillée au niveau fédéral en Suisse, cf. A. Flückiser, op. cit., (note 14), pp. 477Sl!..

(24) q: par exemple les 1 programme. d'action lIUCCCSlIifs d é _ t la politique environnementale de l'Union Européenne (A. EpiDey, Umweltrecnt in der Europàischen Union, Cologne, de., 1991, p. 21).

(21) Poor des exemples tirés des plllDS de pilon des déchets, cf. A. F1iickiger, op. cil., (note 14), pp. 2490 •.

(10)

Po-Flückiger - Planification: un mode de rationalité dépassé ... 125

contient une planification législative, il n'en constitue pas qu'une.

11 permet de coordonner l'intégralité de.la politique publique, la loi formant une mesure parmi d'autres, importante certes. S'intéresser à ces programmes permet au légiste de contextualiser la loi en la replaçant dans le cadre dynamique de la politique publique dont elle relève, nécessité dont Jacques Chevallier se fait l'apôtre (26). La loi n'est pas un acte isolé, cohérente à elle seule: elle n'est qu'une étape et un moyen dans la réalisation des politiques publiques. Elle est insérée dans un espace de référence la surdéterminant; cadre défini et géré politiquement par les programmes de politique publi- que. Inversement, la loi demeure le fondement principal permettant d'asseoir la légitimité de la politique publique (27). La loi ne peut donc pas être lue indépendamment de la politique publique qui lui donne chair et sens. La politique publique ne peut quant à elle s'abstraire de la loi, source de sa légitimité.

L'analyse des programmes de politique publique montre que ceux-ci sont susceptibles de constituer la forge du légiste dans son activité «matérielle»: c'est ici que se conçoit, se pense, s'élabore initialement la loi dans son contexte politico-juridique. Le message explicatif d'un projet législatif reprend et réinterprète le travail légistique proprement dit façonné dans le cadre des programmes de politique publique, chaque fois que ces derniers existent. Si ces actes de planification ont été délaissés par le juriste au motif de leur absence d'effets juridiques contraignants et de leur caractère essentiellement politique, ils ne peuvent pourtant pas être oubliés du légiste, car il s'agit d'outils de base où s'exprime la démarche légistique dans son intégralité. On retrouve dans les programmes de politique publique toutes les phases de la légistique matérielle: la définition des buts, des stratégies et des tactiques ; l'analyse rétros- pective; l'analyse prospective; la coordination des différentes mesures (dont l'élaboration, la révision ou l'abrogation d'une légis- lation comme nous l'avons vu) ; les mesures de mise en oeuvre; les mécanismes d'évaluation permettant de corriger rétroactivement le cours de la politique par un système d'apprentissage. En établissant de tels programmes, le planificateur greffe sur le processus de for- mation et d'application des lois un vaste mécanisme d'évaluation permettant l'ajustement permanent de ces dernières (28). On voit que ces instruments ne sont en principe pas conçus pour se canton- ner au stade de la conception et de l'adoption de la loi; il est

(26) Sur la nécessité d'intégrer les lois aux politiques publiques dont eUes relèvent, cf.

Chevallier, op. cit., (note 18), pp. 138s.

(27) Ce qui n'exclut pas que la loi puisse aussi être considérée comme source de cohérence d'une politique publique (C.-A. Morand. «L'éva1uation législative ou l'irrésistible ascension d'un quatrième pouvoir», in : Revue de la recherchejurldiqwe .. droit p'ospectif. nO 59. Aix-en- Provence, 1994, p. 1149). EUe ne constitue cependant pas une source exclusi\'e de cohérence.

(28) C.-A. Morand, «L'obligation d'évaluer les effets des lois», C.-A. Morand (éd.), Eva/uaticn législative et lois expérimenwles, Aix-en-Provence, 1993, p. 92.

(11)

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" ".

126 Légistique fonnelle et matérielle - Fonnal and materiallegistic

important qu'ils se poursuivent au niveau de la mise en oeuvre. Cela se traduit concrètement par des plans successifs et des adaptations continues (29). Dans certains cas, la loi institutionnalise ce genre d'outil: la loi fédérale sur la protection de l'environnement prévoit par exemple un plan cantonal de gestion des déchets et un plan cantonal de mesures relatives à la pollution atmosphérique destinés à piloter le coun; de ces deux politiques environnementales, fournissant en particulier le cadre légistique pour les adaptations futures de la loi.

On pourrait dire que si le juriste utilise la loi pour fabriquer un jugement, une décision, un contrat ou un avis de droit, le légiste est susceptible de se servir d'un programme de politique publique pour façonner la législation dans sa substance. Mais les rédacteurs de lois ne sont en principe pas liés juridiquement par de tels documents, car ceux-ci ne déploient en régie générale pas d'effets juridiques obligatoire (30). Cela n'exclut pas pour autant des effets juridiques non contraignants (31) ou la naissance d'un lien de fait (32): le programme ne s'impose pas de maniére juridique, mais par l'ascen- dant de ses auteun;, par la constellation des rapports de force en présence, par les pressions de l'opinion publique, par le lustre de rationalité conféré par la méthode planificatrice ou, très logique- ment, par le pouvoir inhérent à celui qui dispose de l'information la plus large. L'importance de fait de ces effets matériels interroge le planificateur-légiste sur la légitimité de sa pratique. Qui sont les concepteurs des programmes de politique publique? Quel rôle joue le Parlement et l'Exécutif? Quelle est la place et l'importance des lobbies? Cette œuvre de l'ombre devient problématique lorsqu'elle met le Parlement devant le fait accompli d'une politique déjà cons- truite avant la loi qu'il s'agit d'adopter (phénomène d'inversion normative) (33).

L'exemple de la nouvelle politique helvétique de gestion des déchets est iIlustratif. Pour élaborer le projet de révision de 1993 de la loi fédérale sur la protection de l'environnement sur le point concernant la gestion des déchets, le Conseil fédéral s'est basé sur une planification élaborée par une commission extraparlementaire en 1986 (Lignes directrices pour la gestion des déchets en Suisse).

Ce document a eu une influence incontestable sur l'ordonnance du Conseil fédéral sur le traitement des déchets de 1991 ainsi que sur

(29) Cf. par exemple le Se programme d'action d~finissant la politique environnementale de l'Union Européenne (A. Epiney, op. cit., (note 24), p. 21).

(30) En droit suisse; A. Flückiger, op. cil., (note 14). pp. 13755 et 158ss. En droit COlrlmutulllÛlire: A. Epiney, op. cil_. (note 24). pp. 20u.

31 En droit IUifse: A. Flûclôger, op. cit., (note 14), pp. 107ss. En droit communautaire: A.

Epiney, op. ciL, (note 24), pp. 2088.

32 A. F1ückiger, op. cir., (note 14), pp. ll7$5.

(33) Sur ce concept, cf. C.-A. Morand. «Le droit de l'État providence», Revue de droir suisse J. Bâle. 1988. p. 538.

(12)

A. Flückiger - Planification: un mode de rationalité dépassé ... 127

les parlements et gouvernements cantonaux depuis 1986. L'étude des différents travaux préparatoires le prouve. La nouvelle stratégie de gestion des déchets conçue en 1986 n'a été ancrée explicitement dans la loi fédérale sur la protection de l'environnement qu'à la fin du processus. Les Lignes directrices pour la gestion des déchets en Suisse a créé en une décennie des faits accomplis finalement entérinés par le Parlement (34).

On conclut que de tels plans n'ont pas besoin d'être juridique- ment obligatoires pour être politiquement impératifs dans certains cas. L'absence formelle d'effets juridiques obligatoires ne doit alors pas laisser planer l'idée que ces actes de planification ne constituent qu'un moyen d'action symbolique. Les questions du contrôle, de la participation et de la légitimation démocratiques doivent être soule- vées afin que la démarche légistique, dont ces programmes forment l'assise, ne devienne pas par ce détour une science de Machiavel.

B. La planification législative

Un probléme particulier se pose en rapport avec les différents programmes de politique publique précités: s'ils coordonnent le cours d'une matière déterminée, ils ne sont pas systématiquement reliés entre eux de manière globale. Ce qui fait défaut, c'est un mécanisme qui permettrait de «coordonner la coordinatioD», plus spécifique que la simple compétence gouvernementale exécutive.

Dans les années soixante-dix, Peter Noll a proposé de consti- tuer un immense état-major qui aurait eu pour fonction de déceler de manière préventive les grands problémes sociétaux et de plani- fier dans le temps l'adoption des lois susceptibles de les traiter (35).

Ce projet a laissé des traces en Suisse: les grandes lignes de la poli- tique gouvernementale établies tous les quatre ans par le Conseil fédéral pour la législature à venir. Les grandes lignes établissent le programme des activités législatives indiquant les objectifs visés par les actes législatifs prévus. Elles ont pour fonction de coordonner l'agenda politique de l'État, mais sans entrer dans le contenu détail- lé des législations évoquées; elles se bornent à indiquer les objectifs visés par les lois planifiées (36) (planification législative formelle).

A l'instar des programmes de politique publique, les grandes lignes ne déploient pas d'effets juridiques obligatoires. La loi con- tient néanmoins des clauses d'impérativité (37) qui leur confèrent des effets juridiques non contraignants. L'effet principal est celui de l'exigence de motiver les dérogations au plan (38): le Conseil

(34) Réf. in A. Flückiger, op. cit., (note 14), pp. 2208S.

(35) P. Noll, Gesetzgebungs/ehre, Reinbek, 1973, p. 75.

(36) Article 45bis alinéa 2 de la loi fédérale sur les rapports entre les conseils du 23 mars 1962 (LRC).

(37) Sur la notion de clause d'impérativjté, cf. A. F1ückiger, op. cit., (note 14), p. 107ss.

(38) Sur cet effet, cf. A. Flückiger, op. cit., (note 14), p. 162.

(13)

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128 Légistique fonnelle et matérielle - Fonnal and materiallegistic

fédéral doit expliquer la relation existant avec les grandes lignes de la politique gouvernementale pour chaque projet qu'il soumet à l'Assemblée fédérale (article 43 alinéa 1er de la loi fédérale sur les rapports entre les conseils du 23 mars 1962 [LRC)); chaque année, le Conseil fédéral, dans le rapport de gestion qu'il présente à l'Assemblée fédérale, est tenu de donner non seulement un bref aperçu de l'état des travaux prévus par les grandes lignes de la politique gouvernementale, mais également des écarts fondés et des nouveaux projets (article 45 alinéa 5 LRC).

On trouve également au niveau de la Confédération une planification réglementaire formelle. Par exemple à l'article 64 de la loi fédérale sur la protection de l'environnement du 7 octobre 1983 (LPE):

«Adaptation d'ordonnances de la Confédération ...: Lorsqu'el/es ne sont pas conformes aux dispositions de la présente loi. les prescriptions régissant la protection de l'environnement, adoptées en vertu d'autres lois fédérales. seront adaptées selon un programme à déterminer par le Conseil fédéral»

De manière non officielle, on trouve parfois de tels plans édités par des particuliers. Le programme d'édiction des ordon- nances d'exécution de la LPE révisée vient, par exemple, d'être publié dans une revue privée spécialisée (39).

Ce type de plan se heurte au rythme politique dont le tempo dicté par l'urgence le rend rapidement obsolète. Le législateur a pensé à ce problème en concevant les grandes lignes de manière évolutive: chaque année le Conseil fédéral est tenu d'actualiser son programme par le biais de son rapport de gestion, comme nous l'avons vu (article 45 alinéa 5 LRC).

Autre trace dynamique, la loi impose une évaluation des grandes lignes au début de chaque législature: le Conseil fédéral est tenu de soumettre à l'Assemblée fédérale, pour qu'elle en prenne acte, un rapport mettant en évidence la manière dont les grandes lignes établies pour la législature précédente ont été exécutées (article 45bis LRC).

La rationalité que l'on peut attendre d'un tel système pré- sente ses limites dans le régime helvétique de la démocratie semi- directe où Parlement et gouvernement ne sont encore moins qu'ail- leurs maîtres de l'agenda politique. L'activité législative ne peut pas, dans ces conditions, être planifiée de manière rigide et direc- trice ; elle doit plutôt intégrer l'émergence des nouveaux problèmes au fur et à mesure de leur apparition en vue de les coordonner, consciente en cela du caractère hasardeux de toute entreprise humaine. Les grandes lignes ne doivent pas être dénigrées au motif de cette souplesse. Ce qu'elles perdent en prévisibilité, elles le

(39) Droit de l'environnement dans la priJlUiue, Berne, 1997, pp. 656ss.

-

(14)

A. F1ückiger - Planification: un mode de rationalité dépassé ... 129

gagnent en crédibilité. Elles suggèrent l'avènement d'un État actif, mais non directif.

m.

DES PROGRAMMES DIRECTEURS AUX PLANIFICATIONS ÉMERGENTES

A. Utopie et désenchantement

Préconiser une démarche planificatrice pour augmenter la rationalité de la production législative peut à première vue paraître anachronique dans un système d'économie de marché de plus en plus ouvert. Il faut reconnaître que la conception directrice de la planification est encore tenace dans les esprits. Ce tenne n'est-il pas associé à une connotation d'ordre, de prévision, de program- mation, de direction bornée, voire de dirigisme? Pourtant, depuis les années soixante-dix au moins, les théoriciens de la planification ont insisté sur la nécessité de concevoir une planification j/exible, participative et décentralisée, pennettant de répondre au défi de la souplesse indispensable lorsque l'on demande aux collectivités publiques d'agir et d'influer sur des phénomènes complexes, désor- donnés, imprévisibles. Au modèle linéaire traditionnel est préféré le modèle récursif insistant sur l'imbrication des différentes phases, leun; chevauchements; leurs incidences mutuelles peuvent conduire à une réévaluation des choix faits lors des étapes précédentes dans une logique d'apprentissage continu. On retrouve les prémisses d'une telle conception chez Peter Noll par exemple, conscient de l'incertitude des pronostics, convaincu du caractère essentiellement expérimental de la législation, adversaire d'une démarche linéaire:

(<Der Gesetzgeber wird sich stets damit abfinden müssen, dafj seine Entscheidungen immer experimen/e/len Charakter haben.

Selbsl wenn prognostische Techniken besser enlwickelt wâren, ais sie es sind, würden dauernd neue Kausaifaktoren einj/iej3en, deren künftiges Zusammenspiel nie auf Dauer absehbar ist.

Darum ist es wichlig, die Auswirkungen der beslehenden Gesetze stândig zu beobachten und gleichzeitig das Veifahren offenzu- hal/en for Korrekturen der Entscheide, die auf den verwer/eten

Erfahrungen beruhen.» (40).

<<Die einzelnen gedanklichen Schritte, die den Gese/zgebungsakt vorbereiten, dürfen keinesfalls ais ein lineares For/schreiten verstanden werden, bei welchem jeweils der spiilere Schritt den früheren voraussetzt.» (41).

Cette approche de la planification est le produit des désillu- sions d'un dirigisme centralisateur; un aveu de modestie face à un environnement complexe et incertain. Le plan ne peut plus être

(<W) P. NolI, op. cil., (note35), p. 96.

(41) P. Nol~ op. cit., (no«35),p. 82.

(15)

130 Légistique fonnelle et matérieUe - Formai and materiallegistic

<<l'anti-hasard •• au sens où l'entendait Pierre Massé (42) dans un environnement où l'incertitude et la complexité sont devenues caractéristiques de notre époque (43). Henry Mintzberg (44) précise très lucidement que la planification - comme la loi d'ailleurs- fonctionne le mieux lorsque le contexte est stable, prévisible et certain ... Cruel désenchantement!

Les chercheurs en sciences sociales ont démontré la difficulté de gouverner la société contemporaine. Prise entre deux infinis - la fin des économies-monde au sens braudelien (c'est-à-dire des pôles structurés autour de villes ou de régions fortes) au profit d'une économie globale et une autonomisation toujours croissante de la société (revendication d'une horizontalité des rapports, principe de subsidiarité, etc.) -, la figure de l'État peine à s'imposer (45). Son intervention directe, pour autant qu'elle soit efficace, ne peut s'empêcher de receler des effets pervers, non voulus. Paradoxale- ment les besoins de gestion collective augmentent, en particulier à cause de la prise de conscience de la limitation des ressources et de la finitude du territoire. Or l'État devient de moins en moins capa- ble d'y répondre. La manière forte trouve ses limites. Le pilotage du systéme économique illustre bien la problématique: la taille démesurée des entreprises multinationales et leur mobilité relativi- sent le pouvoir des États qui, incapables de se liguer efficacement pour être en mesure de résister à leurs pressions, deviennent vulné- rables. Le chantage de la délocalisation, appuyé par un lobbying persuasif, mine d'emblée toute politique publique interventionniste.

Les mécanismes du commandement et de l'interdiction ne peuvent être brandis comme outils de régulation sociale que si le rapport de force est favorable à l'autorité qui s'en prévaut, c'est-à-dire si celle- ci est en mesure de se faire respecter. Mais pris dans la tourmente globalisatrice, l'État est réduit à prôner la coopération avec les différents acteurs (46), à faire appel à leur sens «civique •• , à parier sur les mécanismes d'information, de persuasion, de négociation, à faire confiance au potentiel d'auto-organisation des acteurS écono- miques ou à leur promettre des avantages. Dans d'autres domaines -

là où l'État dispose toujours de l'autorité nécessaire l'autorisant à

(42) P. Mossi, Le plan ov /"anri-luuard. Paris, 1 %5.

(43)1. de Gaulle, L'avenir du Plan el ln place de la p/œti.fication dans ln société française: rapport au Premier ministre, Paris, 1994 (résumé).

(44) H. Mintzberg, Grandeur et décadeJIce de la planifiClJlion stratégique (trad.), Paris, 1994, pp. 2175; A. Flückiger, op. ci/., (note 14), p. 35.

(45) E. Morin, op. cil., (note 21), pp. 84ss; Y. Papadopoulos, Complexité sociale et politiques publiques, Paris, 1995, pp. 33s9.

(46) Willke montre que la politique n'a pas attendu l'époque contemporaine pour rechercher la coopération des acteurs sociaux et pour la modérer. n considère que l'exigence de coopération provenait d'un manque de puissance de l'État dW'BDt la phase de constitution des États nationaux, d'lm manque d'argent au coun; du XIXe et du XXe siècles, et qu'clle est due aujourd'hu.i â une carence en &avoir (H. Willke, Supervision des Staotes, Francfort-sur-Ie- Main, 1997, p. 285).

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(16)

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A. Flückiger - Planification : un mode de rationalité dépassé ... 131

manier le bâton - le respect des droits fondamentaux notamment le pousse à développer des mécanismes coopératifs, participatifs et incitatifs. Le constat qui s'impose est, somme toute, plutôt positif puisque dans les deux cas on constate l'impuissance et l'inanité

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dirigisme, en le rejetant.

B. L'apport de la planification

Déplorant le laisser-aller des législations libérales de l'État

<<veilleur de nuit» (47), déçu par les législations finalisées de l'État interventionniste, sceptique devant la capacité de direction du droit réflexif (48), que reste-t-il au législateur contemporain?

L'hypotbèse que je développe ici est que la capacité de l'État - et plus particulièrement celle du système juridique - d'influencer l'évolution de la société ne peut pas dépendre d'un type unique d'outils ou de normes, mais plutôt d'une combinaison adéquate de multiples instruments qui, pour se renforcer mutuellement, doivent être coordonnés entre eux. Le monde n'est pas gouvernable par les seules règles conditionnelles ou finalisées, pas plus qu'il ne l'est par les seuls instruments coercitifs (ordres, interdictions, sanctions) ou incitatifs (information, recommandations, subventions) ou auto- régulatifs (auto-contrôle, référence étatique à des normes privées, auto-organisation sectorielle). Le monde n'est en particulier pas une composition de différents systèmes désespérément clos qui ne pourraient dorénavant être guidés que par des normes réflexives organisant négociations ou concertations (49). Il est plus que jamais nécessaire d'assurer la coordination de tous les instruments d'action étatiques en mettant en cohérence les normes coercitives avec les normes incitatives et réflexives. TI serait hypotbétique de basculer dans le «tout incitatif}) ou le <<lout réflexif». Sans dénier à la loi son incontestable fonction de coordination, il faut se rendre compte, comme je l'ai montré, qu'elle s'inscrit dans le cours plus global d'une politique publique; processus qu'il s'agit de diriger, de gérer et de coordonner dans une perspective métalégale. TI importe donc de développer à cet effet des outils et des métbodes appropriés.

La planification conserve ici tout son sens: inscrite dans la métbodologie de la légistique matérielle, présente dans 1.5 program- mes de politique publique, sans parler, bien sûr, de la planification législative, elle doit plus que jamais être mise à profit pour ses capacités de direction, de gestion et de contrôle dans un contexte complexe et incertain, pour sa fonction de coordination et de combinaison des différents instruments d'action étatiques et privés,

(47) Quoiqu'il faille nuancer cette métaphore pour l'État du XIXe siècle (K.-P. Sommermann, op. ciL, (note 3), pp. 2155).

(48) Sur cc type de droi~ c( infra ch. ID.C.

(49) Cf infra ch. ID.C.

(17)

132 Légistique formelle et matérielle - FormaI and materiallegistic

pour son pouvoir d'incitation à l'action, pour sa capacité de dialo- gne et de communication de l'entrelacs des enjeux d'une politique publique. La planification me paraît former dans un tel contexte une méthode particulièrement appropriée de gestion des systèmes législatift (50) et, plus généralement, politiques.

Telle est également la conclusion à laquelle le débat hexago- nal sur l'avenir de la planification française a abouti :

<<Dans un univers bouleversé par la mondialisation et la montée de l'exclusion, l'existence de lieux de concertation et d'évalua- tion des choix publics est indispensable. Le Plan doit être l'un des ces lieux privilégiés [ .. .}

«Bien sûr, le Plan aujourd'hui ne peut ressembler tout à fait ni à celui de 1946, ni à celui de 1958. On ne ressuscitera pas les grandes lois de Plan de jadis. On ne verra plus l'État fixer pour cinq ans des objectifs chiffrés à l'économie nationale toute entière.

<<Mais nous avons plus que jamais besoin d'un outil de pros- pective pour anticiper les évolutions; d'un instrument d'évalua- tion, pour dépenser mieux, pour dépenser moins, d'un outil de comparaison internationale pour retenir de l'expérience de nos voisins ce qu'elle a de meilleur .. d'un lieu d'échange et de dia- logue pour susciter la compréhension des réformes et d' adhé- sion à leurs exiJ{ences.

<<1. 'action de l'Etat, mieux éclairée et mieux débattue, y gagne- ra en unité, en cohérence et en efficacité. Le dialogue social y trouvera matiére à s'enrichir. La démocratie en sortira renforcée.» (51).

C. La nécessité d'une planification émergente ?

Si, pour répondre à la question posée en titre de cet article, je conclus que la planification n'est pas un mode de rationalité dépassé pour la légistique, il reste encore à préciser à quel type de planifica- tion je me référe.

On peut structurer le développement de l'État moderne en trois phases schématiques: l'État libéral, l'État interventionniste puis l'État réflexif. A chacune correspond un droit spécifique et un type de programme particulier: droit libéral/programme condition- nel; droit interventionniste/programme fmalisé; droit réflexifJ programme relationnel. Dans une précédente étude, j'ai émis l'hypothèse que l'on pouvait tirer un parallèle entre cette évolution

(50) Sur la oécessilê de procéder à une gestion de la réglementation, cf. OCDE, L'amélioration de la qualité des Jois et des réglementations: lechnique.r économiques, jun'diques et de gestion, Paris, 1994, pp. 1955.

(51) J. Chirac, in: Globtllisation, mondiolisation. COPlcvrrence: ta pIonificalionfr~aise a-t- elle encore un avenir? Actes du colloque dll cinqua1lrtmaire du Commis3DrUJl Gé1léral du Plan, Paris, 1997 (réf. : http://WW.tA..plan.gouv.fr/publicarionsicinquantenaire.btm).

(18)

A. Flückiger - Planification: un mode de rationalité dépassé ... J 33

et celle de la planification: avec la structure finalisée du droit est apparue la planification directrice; avec la contexture relationnelle de la norme réflexive correspond une planification émergente (52).

Pour exposer cette réflexion, il importe de définir préalable- ment la notion de droit réflexif. Ce type de norme est le produit d'une synthèse entre les deux tendances opposées de l'interven- tionnisme et du libéralisme: la surréglementation et le laisser-aller.

Il renonce à la fois à imposer de manière centralisée des règles contraignantes el substantielles et fait confiance à la capacité d'autonormativité des différents systèmes sociaux; il constitue à la fois un droit actif, à l'instar du droit interventionniste, dans la mesure où il contribue, par un choix de structures et par l'organi- sation des interactions au sein des systèmes, à contrôler et à faire évoluer ces derniers de manière à ce que ceux-ci puissent s'autoré- guler et se contrôler réciproquement. Le droit rèflexif doit favoriser une capacité d'empathie à l'égard des autres systèmes, notion à l'origine de l'adjectif <<réflexif}) :

«le terme "réflexion" signifie une capacité d'empathie systémi- que ou, en d'autres termes, une capacité qu'un système a de

"comprendre" le mode d'opération d'un autre système et d'en tirer les conséquences pour ses opérations internes.» (53).

Concrètement, le droit réflexif regroupe l'ensemble des règles procédurales et organisationnelles qui favorisent l'interaction entre les sphères sociales, notamment en organisant négociations et con- certations, en réintroduisant les sujets de droit dans la préparation des finalités et dans la mise en oeuvre du droit. On pense à ces espaces publics - «lieux d'apprentissage de l'empathie» (54) - que sont les forums de concertation, les plates-formes de coordination, les groupes de négociation, les commissions de consultations, les tables rondes ou les lieux de médiation; on songe aux procédures de consultation pour les nouveaux projets de loi, à l'association des groupes-cibles pour la mise en oeuvre des réglementations, aux législations-cadre, à l'application conséquente du principe de subsi- diarité. Tous ces exemples montrent qu'à l'instar de Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, nous pratiquons largement en Suisse le droit réflexif (55). Qualifier un État de droit de «réflexif}), c'est apporter un éclairage particulier sur certains éléments procéduraux et organisationnels qu'il s'agit - dans la mesure où ceux -ci existent - de mettre en exergue, à l'instar de la

(52) A. F1ückiger, «Management territorial et droit "post-moderne": la planification

"émergente"», S. Decoutère et al., Le management tenitoriaJ. Lausanne, 1996, pp. 2S4ss; A. F1üclOger, op. ci1., (note 14), pp. 44155.

(53) H. Willke, «Droit réflexif: pour une approche du droit qui favorise la négociarioID>, J. R.uegg et al. (éd.), La négociation: .JOIt rôle. sa place dam l'amerwgemenl du territoire et la proJection de l'environnement. Uwsanne, ) 992, p. 273.

(54) Y. Papadopoulos,op. cil., (note 21), p. 41.

(55) C.-A. Morand, op. cil., (note 33), pp. 547,.

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