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Neurosciences et rapport pensée-cerveau : à propos des traitements de la dépression

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R. C. Martin-Du Pan

Pour Descartes, père du dualisme, le cerveau et la pensée sont des entités distinctes. En effet, contrairement au cerveau, la pensée ne peut être ni localisée, ni mesurée, ni observée.

D’ailleurs, comment des éléments immatériels comme une pensée ou une intention pourraient-ils modifier l’activité cérébrale ? De nos jours, les scientifiques sont au contraire convaincus que la pensée repose sur l’activité neuronale. Sans cerveau, pas de pensée possible, c’est le monisme. Toutefois, comprendre comment la conscience et les émotions émergent à partir de processus neurochimiques reste encore une énigme. Le but de cet article est de montrer que, malgré les progrès des neurosciences, que nous illustrerons par de récentes découvertes, il existe toujours une rupture épistémologique entre le mon de des idées et celui des neurones. Un fossé semblable divise les psy chothérapeutes et les tenants de la psychiatrie biologique. Ces derniers privilégient les traitements pharmacologiques, qui agissent sur les neurotransmetteurs et peut-être même sur la plasticité synaptique. Les psychothérapeutes soignent par l’écoute et la pa- role. Les facteurs humains en jeu dans la relation thérapeutique (confiance, espoir, empathie) résistent encore au langage des synapses, bien que les travaux de Damasio aient déjà montré où sont «localisés» le sens moral, le sens de la com- passion et celui de l’admiration !1,2

cartographieetcircuitscérébraux

La cartographie du cerveau, illustrée par les travaux de Damasio mentionnés ci- dessus,1,2 met en relation une activité intellectuelle (par exemple : le langage) ou une émotion (la peur) avec un centre particulier du cerveau (aire de Broca ou amygdale). Ce centre est localisé par une augmentation de consommation du glu- cose, mesurée par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), au cours de cette activité. Cette cartographie peut paraître un peu sommaire (la carte n’est pas le territoire !) et une fonction cérébrale donnée est en général assumée par plusieurs centres connectés entre eux, réalisant des circuits (tel le circuit de Papez pour la Does dualistic conception of mind-brain

relationship resist to neurosciences ? Bio- psychological diagnosis and treatments of depression

Neuroscientists claim that thoughts and in- tentions result only from brain activity. It is il- lustrated by the ability to control a robotic arm only by thought. However although they have a biological support, emotions, ideas and intentions are perceived at another level of reality than synapses and neurotransmit- ters. The reduction of mind to brain (called monism) represents a categorical error. Psy- chiatric praxis relies on a dualistic (comple- mentary) position regarding e.g. depression treatment. Antidepressants and psychothe- rapy have distinct impacts on cerebral meta- bolism measured by fMRI and different ways to modify emotions. The combination of these two therapies is indicated in case of se- vere depression.

Rev Med Suisse 2012 ; 8 : 1629-33

Les neurosciences postulent que la pensée et les intentions résultent de l’activité neuronale, ce qui est illustré par la ca- pacité de contrôler des bras robotisés par la seule pensée.

Même si elles ont un support biologique indéniable, les émo- tions, les idées et les intentions se situent à un autre niveau de réalité que celui des synapses et des neurotransmetteurs. Ré- duire l’esprit au cerveau (le monisme), c’est faire une erreur de catégorie. De façon analogue au dualisme cerveau-pensée, il existe une dichotomie psychobiologique dans la pratique psychiatrique, par exemple : dans le traitement de la dépres- sion. Ce dernier repose sur les antidépresseurs d’une part et la psychothérapie d’autre part, qui ont des effets distincts sur le métabolisme cérébral, évalué par IRM fonctionnelle, et sur la perception des émotions. L’utilité d’une approche com plé- men taire à la fois chimique et relationnelle est soulignée en cas de dépression sévère.

Neurosciences et rapport pensée-cerveau : à propos des traitements de la dépression

réflexion

Rémy C. Martin-Du Pan 26 boulevard Helvétique 1207 Genève

martinduplan@bluewin.ch

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mémoire), se modifiant au cours du temps. De plus, l’ima- gerie cérébrale ignore les processus complexes qui sont à l’origine des changements métaboliques mesurés par l’IMRf ; mais elle permet de déceler des dysfonctions dans certains cir­

cuits faisant interagir plusieurs aires cérébrales, notamment dans la dépression, les syndromes obsessionnels et le syndrome post-traumatique.3 Visualiser les images céré- brales et ces circuits permet d’objectiver les symptômes des patients, qui n’étaient jusque-là pas localisables dans le cerveau, et à terme, de proposer une nouvelle approche des maladies mentales conçues comme maladies du cer- veau.4

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Le dualisme en question !

On comprend assez bien comment les manipulations de l’activité cérébrale par stimulation électrique du cerveau ou l’administration de substances hallucinogènes ou de psy- cho tropes peuvent modifier les états de conscience en in- terférant directement avec l’activité électrique des neuro nes et la libération des neurotransmetteurs. On explique plus difficilement (d’après les dualistes) comment des entités immatérielles telles qu’une pensée, une intention peuvent influencer l’activité cérébrale. Or, on a montré chez des pa- tients tétraplégiques qu’ils sont capables de contrôler l’ac- tivité d’un bras robotisé ou d’un fauteuil électrique, sans l’aide des muscles et uniquement par la pensée, grâce à des électrodes implantées dans le cortex cérébral moteur ou même grâce à un EEG sur le scalp, mesurant l’activité élec- trique du cerveau.5,6 Cette dernière est enregistrée (lors- que le sujet imagine simplement le mouvement à exercer), puis traitée mathématiquement par un ordinateur pour en décoder les signaux significatifs, qui vont permettre d’ac- tionner (à distance) le bras robotisé ou le fauteuil.7

Dans une autre étude, on a réussi grâce à un décodeur à déterminer avec un taux de réussite de près de 90% quelle image regardait un sujet parmi un choix de 110 images. On a préalablement défini par IRMf l’activité cérébrale générée au niveau occipital par la vision de 1750 images, analysées par 8000 filtres mathématiques. Puis, l’IRMf est réalisée (treize fois, pour éliminer le bruit de fond) pendant que le sujet observe l’une des 110 images.8 Dans une autre expé- rience (qu’on pourrait intituler «un neurone pour un visage»), des électrodes étaient implantées chez des épileptiques dans des neurones du lobe temporal médian (LTM) (qui comprend la (para)hippocampe, l’amygdale et le cortex enthorinal). On a montré qu’un seul neurone s’activait lors de la présentation d’un visage connu (Obama !) et même à l’énoncé du seul nom de cette personne.9 Toutefois, l’en- registrement de l’activité de 2300 neurones (!) situés dans le LTM, chez des patients à qui on présentait des photos, a montré une activité dans un plus grand nombre de neu- rones lorsqu’ils voyaient des photos de membres de leur famille que des photos de célébrités. Cela pourrait être lié aux souvenirs personnels évoqués par les photos de per- sonnes proches impliquant des connections neuronales multiples.10

La possibilité de décoder différents types d’activités conscientes (brain reading) ou inconscientes grâce à la neuro- imagerie a permis de mieux comprendre les blocages en jeu dans la paralysie hystérique ou celle induite par sug- gestion hypnotique ainsi que chez les sujets soumis au dé- tecteur de mensonges.11-14

la décisionprécède

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Pour certains neurophysiologistes, la conscience ne serait qu’un épiphénomène résultant de l’activité cérébrale, comme l’écume sur la vague. Des expériences concernant la prise de conscience montrent que, avant même que la volonté ordon- ne au corps de faire un mouvement, le cerveau a déjà initié celui-ci à notre insu ! Il en est ainsi quand on met la main sous de l’eau bouillante : on la retire avant d’avoir la per- ception consciente de la sensation thermique douloureuse.

On l’explique par un arc réflexe sensori-moteur au niveau médullaire devançant l’information transmise au cerveau.

Toutefois, quand on demande à des sujets d’appuyer sur un bouton, on a mesuré (grâce à des électrodes implan- tées dans 1019 neurones au niveau de l’aire motrice sup- plémentaire située dans le lobe frontal médian) une activité électrique de préparation motrice de 300 msec à 1,5 sec avant que les sujets aient la sensation de décider consciemment d’actionner le bouton. Le mouvement du doigt survient quant à lui 200 msec après cette décision consciente.15,16 Une grande partie de l’activité cérébrale motrice se prépare donc à notre insu. Reste à comprendre ce qui initie cette activi- té neuronale, ce qui lui permet d’accéder à la conscience et comment s’exerce la volonté (par exemple : de ne pas ac- tionner le bouton !).16 Lors de la stimulation électrique de neurones situés dans le cortex pariétal, des sujets rap- portent qu’ils ont eu l’intention de bouger un membre (sans que cela soit le cas), tandis que la stimulation de neurones situés dans le cortex préfrontal a induit le mou- vement du membre sans qu’ils en aient conscience.17 Il y a donc un décalage dans le temps et au niveau des aires cé- rébrales entre l’initiation motrice d’un mouvement et la prise de conscience qu’il a été réalisé, qui survient secon- dairement et qui permettrait de vérifier que le mouvement a bien été exécuté. Par ailleurs, lors de paralysie du bras gauche induite par suggestion hypnotique, on observe une activation du précunéus (une zone impliquée dans la plani- fication volontaire de l’action, située dans le lobe pariétal interne) dirigée vers le bras gauche. Le paradoxe d’une vo- lonté préservée sans que le sujet en ait conscience rend compte de la dissociation psychique de l’hypnose. De plus, le fait que le cerveau puisse s’influencer lui-même à l’insu du sujet parle en faveur de mécanismes inconscients d’autorégulation de l’activité cérébrale (figure 1).12 Cela pose la question de la volonté consciente et du libre ar- bitre !15 Pour expliquer ce dernier, on a fait appel à l’indéter- minisme quantique (ce dernier s’oppose au déterminisme biologi que qui implique des contraintes restreignant les facteurs de liberté). Pour matérialiser la pensée, on a tout d’abord postulé le rôle de la conscience de l’observateur dans la réduction d’une onde lumineuse en photon (quand on cher che à en mesurer la position). Cette idée a été criti-

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quée puisque l’observateur peut être remplacé par un ins- trument de mesure automatique. Toutefois, on a découvert d’autres phénomènes quantiques en biologie, dont l’acti- vité enzymatique, la photosynthèse et l’orientation des oi- seaux migrateurs.18 Chez l’homme, la perception lumi- neuse impli que l’absorption d’un photon au niveau de la rétine par la rhodopsine, qui est un objet quantique au même titre que la chlorophylle pour les plantes ou le cryp- tochrome chez les oiseaux migrateurs.18 Mais de là, en conclure que la pensée est un phénomène quantique, il y a encore bien du chemin à faire !

lemonisme

:

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Renoncer au dualisme sous-entend une identité entre la pensée et le cerveau. Or, cela implique des propriétés si- milaires. Cependant, le cerveau est fait de neurones avec des membranes, des canaux ioniques, des potentiels d’ac- tions, des dendrites, des synapses, qui sont objectivables, alors que la pensée est faite d’intentions, de raisonnements, de désirs et de craintes, qui sont subjectifs. Il ne s’agit donc pas de la même catégorie de phénomènes.19 De plus, il est possible que différents événements biologiques cérébraux, faisant suite à des traitements divers (antidépresseurs, psychothérapie, électrochocs), se traduisent par une amé- lioration comparable de la thymie. Il n’y a donc pas identité entre cerveau et thymie. On peut toutefois les rapprocher en disant que pensée et cerveau exercent les mêmes fonctions.

Par exemple, une montre ou un cadran solaire nous disent l’heure, alors qu’ils reposent sur des mécanismes totale- ment différents.20 En outre, une activité mentale donnée (par exemple : la perception) ne résulte pas seulement de l’activité neuronale mais aussi de l’organisation fonctionnelle du cerveau, divisée entre différents centres, circuits et ré- seaux de neurones synchronisant leurs activités.21 En fait, à cha que niveau supérieur de complexité apparaissent de nouvel les propriétés qu’on ne pouvait déduire de celles présentes au niveau inférieur. Le tout est plus que la somme des par- ties. Cela résulte de nouvelles interactions entre molécules, cellules, tissus, lors du passage à une structure plus com- plexe, ce qui implique une réorganisation de cette dernière

à un niveau supérieur. Le langage, comme processus de création de signification, joue un rôle probable dans le pas- sage du physiologique au psychique et dans l’émergence de la conscience.22 La relation patient-psychothérapeute ou cerveau-pensée peut être formulée en termes de trans- mission de l’information d’un émetteur à un récepteur selon des codes phonétiques et sémantiques d’un côté et neuro- chimiques de l’autre (figure 1).22,23 Toutefois, les pensées ne se réduisent pas au décodage de signaux linguistiques.

Il faut tenir compte de l’interlocuteur, de ses intentions, de la perception subjective des signaux et de l’émotion qu’elles provoquent.19 On ne peut réduire la pensée à l’activité neu- ronale, pas plus qu’on ne peut réduire une mélodie aux vi- brations des cordes d’un violon ou aux notes d’une parti- tion (pour paraphraser Claude Bernard). Il s’agit d’un autre niveau de réalité. Toutefois, pour un moniste spinoziste comme Henri Atlan, il y a une identité synthétique (et non une causalité) des propriétés sous-jacentes à l’activité neu- ronale, à l’action et à la conscience de cette action, même si on ne peut les décrire par un même langage.24 L’action volontaire serait déclenchée par un stimulus inconscient accompagné mais non causé par un état conscient.

En résumé

Le monisme des neurosciences, qui réduit la pensée ou les émotions à l’activité cérébrale, implique du point de vue épistémologique une erreur de catégorie. Même s’il y a une relation causale (ou parallèle) entre le cerveau et la pensée ou les émotions, ces dernières ont une dimension à la fois neurobiologique (objective) et phénoménologique (qui se manifeste à la conscience, au vécu subjectif).19 Le ressenti des émotions n’est pas réductible au rythme des dépolarisations neuronales, qu’on peut comparer au lan- gage morse, un code sans état d’âme ! Même si l’on arrivait à établir des correspondances entre une émotion et un ré- seau d’activation de groupes de neurones dans différents centres synchronisant leur activité au moment du ressenti de l’émotion, cela resterait à des niveaux de réalité totale- ment différents.19,21 On ne peut toutefois exclure que ces différents niveaux de réalité traduisent simultanément, mais avec des langages différents, les mêmes processus psycho- biologiques.

aspectspsychobiologiquesdudiagnostic etdestraitementsdela dépression

La dichotomie qui existe entre la pensée et le cerveau se retrouve au niveau du diagnostic des maladies mentales (origine exogène liée à l’environnement, ou endogène, gé- nétique), des traitements (psychothérapie ou pharmacothé- rapie) et des thérapeutes (psychologues ou tenants de la psychiatrie biologique) (figure 1).25 Cette dichotomie est arbitraire puisque les maladies mentales sont d’origine multifactorielle, que les rôles respectifs de l’hérédité et du milieu sont variables (épigénétique) et que les psychiatres sont à la fois psychothérapeutes et pharmacothérapeutes !

Face aux patients dépressifs, on peut néanmoins envi- sager deux niveaux complémentaires de réalité. Il y a le niveau biologique, objectif, qui concerne entre autres les facteurs génétiques (déterminant le transporteur de la sérotonine, Figure 1. Les antidépresseurs agissent sur le

cerveau par le biais des neurotransmetteurs alors que la psychothérapie agit sur le psychisme par l’intermédiaire de la parole

Une information bidirectionnelle lie cerveau et pensée sans qu’ils se ré- duisent l’un à l’autre (Unité neuropsychique). On définit par f la quantité d’informations qu’un système renferme en plus de celles contenues dans ses parties prises séparément. Plus un système est interdépendant et plus ses composantes sont spécialisées et intégrées, plus le f est élevé.45 Autocontrôle

Cerveau Pensée

Psychothérapie Antidépresseurs

Conscience Réflexions

Information Langage

chimique

Langage symbolique

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l’activité de la mono-amino-oxydase, les altérations du gène codant pour le BDNF (Brain derived neurotrophic factor), etc. Il y a aussi les dysfonctions dans les circuits cérébraux frontaux (se traduisant par une hyperactivité métabolique mesurée par IRMf au niveau du gyrus cingulaire rostral (aire de Brod- man 25).25,26 D’autre part, il y a le niveau psychoaffectif, sub­

jectif, véhiculé par la parole du déprimé que le psychiatre va recueillir et analyser. Cette parole va exprimer d’un côté le vécu des ruptures, des deuils, des conflits, des violen ces subies par le patient et l’angoisse, la culpabilité et la déva- lorisation de soi qui en résultent, et de l’autre, les capacités de résilience, les ressources personnelles pour faire face.26,27 Au plan thérapeutique, il y a la psychothérapie et les anti- dépresseurs (AD) ;28 il y a donc une complémentarité thérapeu­

tique (figure 1).26,28

Le déprimé exprime son vécu par sa parole mais aussi par les tonalités de sa voix, le langage de son corps et le contenu sémantique de ses mots. Ces derniers ont aussi une réalité physique puisque les mots prononcés induisent une vibration de l’air, les ondes sonores, qui vont frapper le tympan et déclencher un train d’ondes électriques au ni- veau du nerf acoustique. Le cerveau est capable de décoder ces images sonores et d’en analyser le sens.29 La mise en mémoire de ces informations dans l’hippocampe implique des modifications de la structure des synapses, l’établisse- ment de connections interneuronales et peut-être même la formation de nouveaux neurones (plasticité neuronale).30 Ces nouvelles traces biologiques, que toute expérience (visuelle, auditive) façonne dans le réseau neuronal, pour- raient établir un lien entre le psychique et le biologique.31 Il est intéressant de noter que les AD et la parole (thérapie cognitivo-comportementale, ou interpersonnelle) ont des effets objectivables sur le métabolisme cérébral (évalué par IRMf). L’effet con cerne surtout les cortex orbito-frontal et préfrontal mais les effets métaboliques résultant de la psychothérapie ou des AD sont parfois distincts, suggérant des impacts différents.32,33

En résumé

La pensée, véhiculée par la parole et les mots, a un im- pact biologique objectif, qui met en jeu de nouvelles con- nections neuronales (grâce à la plasticité synaptique) et modifie l’activité métabolique de différents centres et cir- cuits cérébraux, ce que l’on peut mesurer par l’IRMf. Il y a donc une interaction constante entre le psychique et le biologique, sans qu’on puisse les réduire l’un à l’autre. On constate une interaction semblable entre l’environnement et les gènes, ce qui a donné lieu à une nouvelle science, l’épigénétique. Cette dernière montre comment l’expérien- ce peut modifier l’expression des gènes (sans modifier leur structure) en agissant sur des facteurs de régulation géné- tique et des facteurs neurotrophiques permettant de faire un lien entre gènes, vulnérabilité aux stress, et le risque de survenue d’une maladie mentale.34,35

antidépresseursoupsychothérapie

?

Récemment, l’efficacité des AD a été remise en ques- tion du fait d’un biais de publications, seules les études montrant des résultats supérieurs au placebo étant pu-

bliées.36 Dans l’étude STAR*D, plus de 50% des déprimés ne répondaient pas à un traitement de 40 mg de citalo- pram.37 Des facteurs génétiques liés au gène codant pour le TREK1 (impliqué dans les canaux potassiques et inhibé par la fluoxétine) pourraient jouer un rôle dans cette résis- tance.38 Par ailleurs, au plan psychodynamique, les médi- caments, en restaurant un état relatif de bien-être, risquent de gommer une réflexion sur les raisons de la souffrance du déprimé. La dépression est un cri mais le remède est muet. L’usage exclusif des AD fait l’impasse sur le travail de deuil. Les symptômes ainsi atténués risquent d’être dé- placés, par exemple vers les organes, où ils pourraient re- surgir de façon plus dangereuse pour l’intégrité du moi (bouffée délirante, arythmie cardiaque). Comme l’écrit Marco Vannotti,39 il est important de chercher à compren dre la fonction de l’état dépressif dans l’histoire singulière du sujet.

Il importe de donner des mots à la souffrance silencieuse de l’expérience dépressive, de lui trouver un sens. La dé- pression n’est pas un accident qu’il faut à tout prix effacer par des médicaments. Un des buts de la thérapie est que le déprimé se réapproprie son existence, retrouve l’estime de soi, alors que sous l’effet de l’AD il y a comme une mise à distance de la réalité. Elle est plus facile à gérer car l’an- goisse, les émotions et la sexualité sont émoussées ;40,41 mais le patient reste spectateur de lui-même,42 et les émo- tions ne sont pas intégrées dans sa personnalité. Cela pour- rait contribuer à la supériorité de la psychothérapie sur les AD dans le long terme.28,43 Reste que l’association des deux thérapies est souvent la plus effi cace, notamment dans les cas de dépressions sévères.28 Il faut encore noter la possi- bilité de stimulation électrique de l’aire de Brodmann 25 (ce qui inhibe ce centre) en cas de dépression grave résis- tant aux AD.3,44

conclusion

Le monisme cerveau-pensée fonde les neurosciences mais il constitue, pour les épistémologues, une erreur de catégorie. Les neurosciences, malgré leurs progrès, auront toujours une approche réductrice dans la compréhension de l’âme humaine, de la singularité du patient et de la fa- çon dont la maladie mentale s’inscrit dans son histoire per- sonnelle et le contexte social. Quant aux psychiatres, ils disposent d’approches complémentaires psychobiologiques pour leurs thérapies. L’art du psychiatre est de combiner ces traitements. L’utilisation des AD permet, en soulageant les symptômes, de libérer la parole paralysée par l’an- goisse ou l’autodépréciation en vue d’une reconstruction narrative. Le décryptage des symptômes et des idées né- gatives détient en lui-même une fonction thérapeutique que la seule utilisation des AD ne peut accomplir dans le long terme.

Remerciements

Je remercie le Pr P. Vuilleumier (spécialiste en neurosciences), le Pr P. Conus (psychiatre), le Dr A. Saurer (psychosomaticien), le Dr P. Schultz (psychopharmacologue) et le Pr A. Andreoli (psychiatre), pour leurs commentaires critiques de cet article.

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