1834 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 21 septembre 2011
actualité, info
Le triste état dentaire des paysans français
Précisons d’emblée que les données qui sui
vent correspondent moins à une avancée thé
rapeutique qu’à ce qui aurait pu (et dû) l’être mais qui, pour diverses raisons, ne l’a pas été.
L’affaire est exemplaire de la possible distor
sion entre soins proposés et soins réalisés ; elle est résumée dans une toute récente livrai
son 1 du Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de l’Institut national français de veille sanitaire. La publication est signée de Jean
Marie Blanchoz, Barbara Zamparo et Véroni
que Danguy (Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole). La Mutualité sociale agri
cole (MSA) est, en France, l’organisme de protection sociale obligatoire des salariés et exploitants du secteur agricole, soit environ quatre millions de personnes, salariées ou non.
Après plusieurs études témoignant de l’am
pleur potentielle du problème, cet organisme a mis en place en 2004 un programme de prévention buccodentaire concernant des populations à risque ou ayant atteint un cer
tain âge. L’action concernant les personnes de 65 ans a ainsi permis de mener une pre
mière étude sur la santé buccodentaire des ressortissants du régime MSA de cet âge.
L’étude publiée aujourd’hui résulte des obser
vations conduites sur 7744 personnes ayant, en 2008, accepté de consulter un chirurgien
dentiste pour un bilan buccodentaire. Les premières données (sur les caractéristiques sociodémographiques, l’état buccodentaire, les habitudes de suivi et les besoins en soins) ont ensuite été standardisées pour respecter la structure par sexe et par département de la population globale adhérente à la MSA.
«Les participants avaient en moyenne plus de la moitié de la denture cariée, absente ou obturée, résument les auteurs. Ils avaient en moyenne 8,5 dents absentes, dont 2,7 n’étaient pas remplacées par une prothèse. Les besoins en soins étaient également très importants.
Cette première étude sur des volontaires à un examen de prévention fait état d’un très fort besoin en soins buccodentaires priori
taires, voire urgents. Elle a aussi permis de mettre en évidence le fait que les femmes, malgré un état buccodentaire naturellement plus dégradé que les hommes et grâce à une meilleure prise en charge, ont un meilleur état fonctionnel.»
Il est aujourd’hui bien établi qu’un médio
cre état buccodentaire (situation fréquen te avancée thérapeutique
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chez les personnes âgées, qu’elles vivent à leur domicile ou qu’elles soient placées dans des établissements d’accueil) induit un préjudi ce en termes de confort de vie avec, notamment, une altération de la fonction masticatoire. Il peut aussi avoir des conséquences graves sur l’état de santé général (endocardites, ac
cidents vasculaires cérébraux, abcès pulmo
naires, etc.). Des liens entre diabète et maladie parodontale existent également, l’un pouvant aggraver l’autre et vice versa.
C’est pour tenter de corriger cet état de fait que la MSA propose à ses ressortissants atteignant leur 65e anniversaire de se ren
dre, dans les six mois, chez leur chirurgien
dentiste pour que ce dernier réalise un bilan buccodentaire et fournis se des conseils per
sonnalisés ainsi qu’un bilan des soins néces
saires. En 2008, 32 433 personnes ont ainsi été incitées à bénéficier de cette initiative mais seules 8887 ont effectivement participé au programme ; soit un taux de participa
tion de 24,7%, une bien faible adhésion qui ne va pas sans soulever certaines questions.
Les données analysées ont concerné les caractéristiques sociodémographiques (année de naissance, profession, sexe), l’état bucco
dentaire (schémas dentaire et prothétique) et les habitudes d’hygiène et de prévention (brossage quotidien, tabagisme). Deux indi
cateurs ont ensuite été calculés. Tout d’abord, le CAO qui additionne le nombre de dents cariées (C), absentes (A) ou obturées (O) et
mesure qualitativement et quantitativement l’état dentaire d’une population ou d’un in
dividu ; plus il est élevé, plus l’état dentaire est dégradé. Ensuite, le XBI qui fait la som me du nombre de prothèses amovibles (X), d’in
termédiaires de bridge (B) et d’implants (I) ; en établissant le nombre de dents absentes remplacées par une prothèse, cet indicateur permet d’apprécier l’état buccodentaire fonc
tionnel. Précision : ces deux indicateurs sont calculés sur 28 dents, les quatre dents de sa
gesse étant très souvent absentes et non rem
placées sans que cela soit pour autant un signe de mauvaise santé buccodentaire.
Il est apparu au total que l’indicateur CAO était de 15,9. Ce sont les dents absentes qui participaient le plus à cet indicateur puisque les participants avaient en moyenne 8,5 dents absentes. Venaient ensuite les dents obturées (6,4) et les dents cariées.1 Un participant sur cinq avait au moins cinq prémolaires ou molaires absentes, ce qui constitue à l’évi
dence une réelle gêne pour la mastication.
Rien n’est jamais simple dans le domaine buccodentaire : alors que 58,6% des partici
pants déclaraient être suivis régulièrement par un chirurgiendentiste, 86,9% d’entre eux nécessitaient un ou plusieurs soins au moment de ce bilan. Il est apparu que 75,4%
des participants avaient besoin d’un détar
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trage, 38% de soins conservateurs et 18%
d’extraction ou de chirurgie. Enfin 39% des participants avaient besoin de prothèses.
Difficile de comprendre aussi que la pro
portion de personnes ayant besoin de soins conservateurs, d’extraction ou de chirurgie soit si importante alors même que ces soins prioritaires (voire urgents) sont, en France, remboursés à 70% par l’assurancemaladie obligatoire et que les praticiens ne peuvent pas, ici, effectuer de dépassements d’hono
raires. «Ces résultats pourront servir de base de comparaison à une étude ultérieure, me
née sur le même type de population, pour avoir une première idée de l’évolution de l’état buccodentaire des personnes ayant participé à l’examen de prévention» con cluent les auteurs. On pourrait aussi, compte tenu de la standardisation des indices, imaginer des comparaisons internationales qui four
niraient sans aucun doute un fidèle reflet de la qualité des systèmes des soins dispensés à l’échelon national ainsi qu’en fonction des catégories socioprofessionnelles.
Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com
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