REVUE MÉDICALE SUISSE
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La prothèse totale d’épaule inversée
Les douleurs de l’épaule comptent parmi les pathologies les plus fréquemment rencontrées au cabinet. Les objectifs d’une chirurgie prothétique de l’épaule sont d’améliorer la mobilité articulaire et de soulager les douleurs. Les prothèses anatomiques ne sont pas adaptées lorsqu’une lésion de la coiffe est associée. Une répara- tion de la coiffe est envisageable si la qualité des muscles et des tendons est suffisante pour assurer un bon pronostic. En pré- sence d’une coiffe des rotateurs irréparable ou d’atteinte signifi- cative de l’articulation gléno-humérale, la prothèse totale d’épaule inversée (PTEI) représente le traitement de choix. Il n’y a pas d’âge limite pour l’implantation d’une PTEI. La récupération fonc- tionnelle peut être obtenue après quelques jours ou semaines déjà. Des nouvelles voies d’abord permettent une mobilisation active immédiate.
Reverse shoulder arthroplasty
Shoulder pain is a common problem for general practitioners. The objectives of a shoulder arthroplasty are to improve the articular function and to provide pain relief. Anatomic shoulder arthroplasty is not the treatment of choice if a rotator cuff deficiency is associated with arthritis. In some circumstances (muscle or tendon deficiency) rotator cuff repair is technically impossible. Reverse shoulder arthroplasty (RSA) has opened new opportunities for patients suf- fering with shoulder conditions such as shoulder pseudoparalysis and revision surgery. RSA is rarely proposed to patients below the age of 60 but thereafter there is no age limit. With this procedure, the functional improvement can be achieved after days or weeks. A new surgical approach allows for early active mobilization without a specific rehabilitation period.
IntroductIon
L’épaule a subi des changements fonctionnels à travers l’évo
lution de l’être humain. Lors de l’acquisition de la bipédie, elle est passée d’une articulation portante à une articulation portée facilitant la préhension.1 L’insuffisance relative de la coiffe des rotateurs résultante et l’importante mobilité sou
mettent l’épaule à de fortes contraintes et à des conflits entre les structures osseuses ou les parties molles,2 expliquant la prévalence élevée des lésions rencontrées.3
Les mouvements de l’épaule reposent sur une musculature extrinsèque (principalement le muscle deltoïde) et intrinsè que (la coiffe des rotateurs) servant à stabiliser la tête humérale en face de la cavité glénoïde et à contrer l’effet luxant du
muscle deltoïde. Lors d’une lésion de la coiffe des rotateurs, la contraction du deltoïde n’a plus d’opposition. Le vecteur de force qui en résulte fait monter la tête humérale et affaiblit le pivot de l’articulation. L’élévation antérieure active est affai
blie, voire impossible alors que l’élévation passive reste pos
sible (par opposition à l’épaule gelée, appelée aussi capsulite rétractile, où les amplitudes aussi bien actives que passives sont limitées) ; on parle alors d’épaule pseudoparalytique. Il existe alors deux modalités de traitement : soit la réparation de la coiffe des rotateurs, soit l’implantation d’une prothèse totale d’épaule inversée (PTEI) (figure 1).4 Les prothèses ana
tomiques ne sont pas adaptées lorsqu’une lésion de la coiffe est associée à une omarthrose. Une réparation de la coiffe est envisageable si la qualité des muscles et des tendons est suffi
sante pour assurer un bon pronostic. En présence d’une coiffe des rotateurs irréparable ou d’atteinte significative de l’arti
culation glénohumérale, la PTEI représente le traitement de choix. Cette prothèse est de préférence implantée après l’âge de 60 ans. Les excellents résultats obtenus et la multiplication des indications expliquent son utilisation prédominante de nos jours.
Le but de cet article est de rappeler les principes bioméca
niques de la PTEI et de passer en revue ses indications et les résultats obtenus.
concept de la pteI
En présence d’une lésion de la coiffe des rotateurs, le seul muscle demeurant capable d’élever le membre supérieur est le muscle deltoïde. Afin de permettre une élévation antérieure Drs ADRIEN J.-P. SCHWITZGUÉBELa, CÉLINE HAASb et ALEXANDRE LÄDERMANNa,c,d
Rev Med Suisse 2016 ; 12 : 266-9
a Service de chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil moteur,
b Service de médecine interne, Hôpital de La Tour, Avenue J.-D. Maillard 3, 1217 Meyrin, c Faculté de médecine, Université de Genève, Rue Michel-Servet 1, 1211 Genève 4, d Service de chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil moteur, HUG, 1211 Genève 14
adrien.schwitzguebel@latour.ch | celine.haas@latour.ch alexandre.laedermann@latour.ch
fig 1 Prothèse totale
A. Prothèse totale anatomique ; B. Prothèse inversée (partie sphérique sur la glène et partie concave sur l’humérus).
A B
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active satisfaisante, sa fonction doit être potentialisée. En médialisant et abaissant le centre de rotation de l’articulation glénohumérale, les prothèses inversées augmentent le moment de force du deltoïde et le remettent en tension, facilitant le recrutement des fibres musculaires. La fonction est donc ré
tablie en modifiant la morphologie de l’articulation. Le type d’articulation change ; il s’agit désormais d’une charnière (hinge joint) qui nécessite davantage de place pour bouger, dans la mesure où elle ne tourne plus sur ellemême (spinning joint) comme la prothèse anatomique, mais autour de la glé
nosphère, ce qui engendre des conflits osseux pouvant limiter les amplitudes articulaires.5,6
IndIcatIons à une pteI
Cette prothèse a été développée par Paul Grammont initiale
ment pour le traitement de l’omarthrose, associée à une in
suffisance de la coiffe des rotateurs chez la personne de plus de 70 ans.7 La PTEI a permis de prendre en charge bon nombre de situations qui restaient auparavant sans traitement. En con
séquence, nous avons assisté ces dernières années à une véri
table « inversomania ». Son utilisation doit néanmoins être pondérée. Il est par exemple souvent préférable de réparer la coiffe des rotateurs, même en cas d’épaule pseudoparalyti
que,8 plutôt que d’opter d’emblée pour un design inversé. En réalité, il existe une indication à la mise en place d’une PTEI uniquement lorsqu’il n’y a pas de meilleure option. Le ta- bleau 1 présente les différentes indications retenues à ce jour.
A noter que l’insuffisance seule du deltoïde n’est plus consi
dérée comme une contreindication absolue.9 Il n’y a, par contre, pas de limite d’âge supérieure, l’âge en soi n’étant pas une contreindication à une qualité de vie acceptable.
résultats de la pteI
Les résultats sont dans l’ensemble très satisfaisants (98 % des cas),9-12 partant du principe que la qualité de vie d’un patient, qui a une fonction scapulohumérale déplorable et d’impor
tantes douleurs, sera améliorée par la chirurgie. La récupéra
tion fonctionnelle peut déjà être obtenue après quelques jours ou quelques semaines (figure 2), notamment grâce au déve
loppement de nouvelles voies d’abord peu invasives.13 Un des auteurs de cet article (A. Lädermann) s’est intéressé à mieux comprendre les différents revers de cette chirurgie, afin d’amé
liorer les résultats cliniques et radiologiques à long terme.
expérience
Nous avons démontré que l’expérience du chirurgien joue un rôleclé pour le résultat et la maîtrise des complications.14 Cette chirurgie devrait être réservée à des spécialistes de l’épaule.
conflits
En raison de la médialisation du centre de rotation ou d’une latéralisation de l’humérus trop importante, des conflits osseux peuvent se développer entre respectivement le bord médial du composant huméral et le col scapulaire ou de l’humérus avec l’acromion, et limiter ainsi la mobilité postopératoire. A long terme, le conflit scapulohuméral est la complication la
plus fréquente.15 Il peut désormais être limité par un design prothé tique optimal.6 Habituellement, le temps et les mouve
ments répétitifs permettent d’estomper ces conflits (la PTEI avec son nouveau design inversé de type charnière doit faire sa place), ce qui explique que le résultat définitif est générale
ment obtenu après un an. L’arrivée sur le marché de logiciels de planification préopératoire permet désormais de planifier, avant l’opération, le type d’implant et son positionnement idéal, ce qui devrait permettre l’obtention de meilleurs ré
sultats cliniques.
raccourcissement / allongement du bras
Un manque de remise en tension du deltoïde peut être la cause d’instabilité12 ou de mauvaise fonction,11,16 alors que l’abaisse
ment du centre de rotation lié au design peut engendrer un allongement du bras avec étirement neurologique (ne condui
sant qu’exceptionnellement à des atteintes cliniques).17 Des techniques de planification pré et peropératoire ont été déve
loppées afin de parer à ces diverses complications.12
Infection
L’incidence d’infections est de l’ordre de 5 %, un taux supérieur à celui rapporté lors d’arthroplastie anatomique. Cela peut
• Omarthrose excentrée
• Omarthrose avec usure postérieure de la glène
• Epaule pseudoparalytique sur rupture chronique de la coiffe
• Echec de réparation de la coiffe des rotateurs
• Séquelles de fracture
• Chirurgie de reprise
• Fracture de l’humérus proximal en 3 ou 4 parts chez patients de plus de 70 ans
• Pseudoarthrose de l’humérus proximal
• Tumeur avec sacrifice des insertions de la coiffe des rotateurs
TABleAu 1 Indications à l’implantation d’une prothèse totale d’épaule inversée (PTEI)
fig 2 Elévation de l’épaule
Chez une patiente à J+5 d’une PTEI (prothèse totale d’épaule inversée) par voie d’abord épargnant à la fois les muscles deltoïde et sous-scapulaire.
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THÈME
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médecine interne générale
Les prothèses anatomiques ne sont pas adaptées lorsqu’une lésion de la coiffe est associée à une omarthrose
Une réparation de la coiffe est envisageable seulement si la qualité des muscles et des tendons est suffisante pour assurer un bon pronostic
Il n’y a pas d’âge limite pour proposer une PTEI (prothèse totale d’épaule inversée) si cela conduit à une amélioration de la qualité de vie
Lorsque le muscle sous-scapulaire et le muscle deltoïde sont épargnés lors de l’implantation d’une PTEI (voie deltopectorale sans ténotomie du sous-scapulaire), une immobilisation post- opératoire n’est pas nécessaire
implicATions prATiques
1 Baulot e, cavaillé a, Grammont pM.
translation-rotation osteotomy of the spine of the scapula for treatment of impingement syndrome and incomplete cuff tears. eur J orthop surg trauma 1993;3:221-6.
2 lädermann a, chagué s, Kolo Fc, charbonnier c. Kinematics of the shoulder joint in tennis players. J sci Med sport 2016;19:56-63.
3 ** Mitchell c, adebajo a, Hay e, carr a.
shoulder pain : diagnosis and management in primary care. BMJ 2005;331:1124-8.
4 * lädermann a, denard pJ, collin p.
Massive rotator cuff tears : definition and treatment. Int orthop 2015;39:2403-14.
5 lädermann a, denard pJ, Boileau p, et al. effect of humeral stem design on humeral position and range of motion in reverse shoulder arthroplasty. Int orthop 2015;
39:2205-13.
6 lädermann a, Gueorguiev B, charbon- nier c, et al. scapular notching on kine- matic simulated range of motion after reverse shoulder arthroplasty is not the result of impingement in adduction.
Medicine (Baltimore) 2015;94:e1615.
7 Grammont pM, trouilloud p, latfay J, deries X. etude et réalisation d’une nou- velle prothèse d’épaule. rhumatologie 1987;39:407-18.
8 denard pJ, lädermann a, Brady pc, et al. pseudoparalysis from a massive rotator cuff tear is reliably reversed with an arthro scopic rotator cuff repair in patients without preoperative glenohumeral arthritis. am J sports Med 2015;43:2373-8.
9 * lädermann a, Walch G, denard pJ, et al. reverse shoulder arthroplasty in patients with pre-operative impairment of the deltoid muscle. Bone Joint J 2013;
95-B:1106-13.
10 lädermann a, lubbeke a, collin p, et al. Influence of surgical approach on functional outcome in reverse shoulder arthroplasty. orthop traumatol surg res 2011;97:579-82.
11 lädermann a, Walch G, lubbeke a, et al. Influence of arm lengthening in reverse shoulder arthroplasty. J shoulder elbow surg 2012;21:336-41.
12 lädermann a, Williams Md, Mélis B, Hoffmeyer p, Walch G. objective evaluation of lengthening in reverse shoulder arthro- plasty. J shoulder elbow surg 2009;18:
588-95.
13 subscapularis and deltoid preserving anterior approach for reverse shoulder arthroplasty. 2014. at www.vumedi.
com / video / subscapularis-and-deltoid- preserving-anterior-approach-for-reverse- shoulder-arthroplasty-2 /
14 Walch G, Bacle G, lädermann a, nove-
Josserand l, smithers cJ. do the indications, results, and complications of reverse shoul- der arthroplasty change with surgeon’s experience ? J shoulder elbow surg 2012;21:
1470-7.
15 Mélis B, deFranco M, lädermann a, et al. an evaluation of the radiological changes around the Grammont reverse geometry shoulder arthroplasty after eight to 12 years.
J Bone Joint surg Br 2011;93:1240-6.
16 ** lädermann a, edwards tB, Walch G.
arm lengthening after reverse shoulder arthroplasty : a review. Int orthop 2014;38:
991-1000.
17 lädermann a, lubbeke a, Melis B, et al. prevalence of neurologic lesions after total shoulder arthroplasty. J Bone Joint surg am 2011;93:1288-93.
* à lire
** à lire absolument s’expliquer en raison de l’état général diminué des patients,
de chirurgie de révisions avec dissection chirurgicale impor
tante et d’un large espace mort sousacromial, lié à l’allonge
ment du bras, permettant la formation d’hématomes post
opératoires.
Des stratégies ont été mises en place ces dernières années afin de limiter ce risque au maximum. Les patients prennent des douches avec savon antiseptique la veille et le matin de la chirurgie, reçoivent une antibiothérapie à l’induction qui est poursuivie durant 24 heures. De surcroît, une antibiothé
rapie locale est administrée en fin d’intervention. Finalement, de nouveaux designs ont permis de diminuer l’espace mort sousacromial.
rééducatIon après une pteI
Le protocole de rééducation dépend de la technique chirurgi
cale, des tendons qui ont été éventuellement détachés et de la tenue de la prothèse. Elle doit être douce, progressive et non douloureuse. Pour les PTEI avec ténotomie du sousscapu
laire ou abord transdeltoïdien, le port d’une simple écharpe est recommandé durant quatre semaines. La rééducation est initialement passive durant le temps de cicatrisation du sous
scapulaire, puis active. Des exercices de renforcement ne sont jamais préconisés, la force revenant progressivement d’elle
même. Par contre, lorsqu’aucun muscle n’est sectionné (PTEI par voie deltopectorale sans ténotomie du sousscapulaire), une immobilisation postopératoire n’est pas nécessaire. La rééducation active est entreprise dès le lendemain du geste et toutes les activités peuvent être reprises immédiatement.
Ceci a permis de limiter d’une manière drastique les durées
d’hospitalisation et de permettre aux patients de rentrer à domicile sans passer par des centres de rééducation.
conclusIon
La PTEI permet actuellement de diminuer les douleurs et de restaurer la fonction articulaire, au prix d’une brève phase de convalescence. Il s’agit d’une excellente option si l’indication est bien posée et le geste bien réalisé. Grâce aux logiciels de planification préopératoire, aux instruments spécifiques pour chaque patient et aux nouveaux designs prothétiques arrivant sur le marché, les résultats vont continuer à s’améliorer.
Conflit d’intérêts : Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
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