P.-O. Bridevaux T. Rochat
introduction
La prévalence de la bronchopneumopathie chronique obstruc
tive (BPCO) en Suisse n’avait pas été étudiée jusqu’à récem
ment. Les statistiques disponibles reposaient sur des données incomplètes, telles que la mortalité hospitalière spécifique
ment attribuée à la BPCO. Divers travaux auprès des médecins démontrent que le diagnostic de BPCO se base très souvent sur une approche probabiliste intégrant les symptômes respiratoires et le taba
gisme sans recours à la spirométrie, pourtant indispensable. La consommation de tabac étant régulièrement en baisse dans les pays occidentaux (figure 1), seule une étude de population utilisant des spirométries peut apporter des statisti
ques fiables concernant la prévalence de la BPCO, particulièrement chez les non
fumeurs chez qui la maladie est moins souvent suspectée.
prévalence del
’
obstructionbronchiquechezles fumeursetles non
-
fumeursL’étude SAPALDIA (Swiss Study on Air Pollution and Lung Diseases in Adults) a fourni des spirométries et des mesures de l’hyperréactivité bronchique dans un échantillon représentatif de la population suisse. La prévalence de l’obstruction bronchique a donc pu être établie parmi 6126 adultes participant à la deuxième phase de l’étude en 2002.1
L’obstruction bronchique a été définie par la limite inférieure de la norme (5e percentile) du rapport Capacité vitale forcée/volume expiré maximal en 1 se
conde (VEMS/CVF). De plus, le VEMS devait être en dessous de 80% de la valeur prédite pour répondre aux critères d’obstruction bronchique cliniquement signi
ficative, ce qui correspond aux stades II à IV selon GOLD.2
Le tableau 1 donne la prévalence en Suisse de l’obstruction bronchique ainsi définie. Comme la spirométrie a été pratiquée sans bronchodilatateur, cette pré
valence est légèrement supérieure à celle de la BPCO, puisque celleci est défi
nie comme une obstruction non réversible. Environ 20 à 25% des obstructifs se normalisent après bronchodilatateur. Le tableau 1 montre que cette prévalence augmente nettement avec l’âge et le sexe masculin.
COPD 2011 : are there other risk factors than tobacco ?
Prevalence of COPD is underestimated, and more so among nonsmokers. Population stu
dies relying on spirometry show a trend to
ward higher proportion of persons with COPD who never smoked. In Switzerland, a third of subjects with airflow obstruction have never smoked. Subjects with asthma, bronchial hy
perreactivity are more at risk. Exposure to passive smoking, indoor air pollution or bio
logical dusts may cause COPD. This review discusses COPD prevalence in never smo
kers and details associated risk factors.
Rev Med Suisse 2011 ; 7 : 2232-5
La prévalence de la BPCO est globalement sous-estimée, en particulier chez les non-fumeurs. Les études de population, utilisant la spirométrie mettent en évidence une proportion grandissante de personnes souffrant de BPCO n’ayant pas été exposées au tabac.
En Suisse, la proportion de personnes obstructives n’ayant ja- mais fumé est de 30% environ. Les personnes rapportant un asthme, ayant une hyperréactivité bronchique, sont plus à ris- que. L’exposition à des facteurs environnementaux, tels que le tabagisme passif, la pollution atmosphérique intérieure ou des poussières biologiques, peut causer une BPCO. Cette revue discute la prévalence de la BPCO dans la population des non- fumeurs et en détaille les facteurs de risque.
BPCO en 2011 : y a-t-il d’autres facteurs de risque que le tabac ?
le point sur…
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16 novembre 2011 Dr Pierre-Olivier BridevauxPr Thierry Rochat Service de pneumologie
Département des spécialités médicales HUG, 1211 Genève 14
Pierre-Olivier.Bridevaux@hcuge.ch Thierry.Rochat@hcuge.ch
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La figure 2 montre la part plus importante de nonfu
meurs chez les sujets jeunes avec obstruction bronchique : 50% de nonfumeurs chez les moins de 50 ans.
La figure 3 qui prend en compte les études de prévalen
ce sur la BPCO publiées depuis 2000, illustre la proportion grandissante de nonfumeurs parmi les sujets souffrant de BPCO. Dans les études les plus récentes, près de 30% des sujets atteints de BPCO sont des personnes n’ayant jamais fumé. Ceci s’explique en partie par la diminution du taba
gisme dans les pays occidentaux.
quels sontles facteursderisque dela bpcochezlesnon
-
fumeurs?
Une revue systématique publiée en 2010 par l’American Thoracic Society (ATS) détaille les nouveaux facteurs de ris
que de la BPCO.3 Les auteurs ont calculé pour la BPCO des fractions attribuables à d’autres facteurs que le tabac variant de 16% à 78%. Le tableau 2 résume les fractions attribuables à ces nouveaux facteurs en fonction de la population étu
diée. On observe des contrastes importants entre les femmes des pays développés, chez lesquelles le tabac explique 62%
des cas de BPCO, et les femmes des pays en voie de dé
veloppement, où la prévalence du tabagisme est faible. Chez
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16 novembre 2011 Age des sujets VEMS/CVF l LIN, SAPALDIA (2002) Stade GOLD II-IVHommes Femmes
n = 180 n = 127
% (IC 95%) % (IC 95%) Tous les sujets, n = 6126 6,1 (5,3-7,1) 4,0 (3,3-4,7) 30-39 ans, n = 1109 3,2 (2,0-5,0) 1,9 (0,9-3,4) 40-49 ans, n = 1525 3,2 (3,0-6,0) 4,0 (2,9-5,6) 50-59 ans, n = 1811 6,1 (4,7-7,9) 4,7 (3,5-6,2) 60-69 ans, n = 1378 8,9 (7,0-11,4) 5,0 (3,6-6,9) 70+, n = 303 15,0 (9,9-22,1) 2,4 (0,8-6,1) Tableau 1. Prévalence de l’obstruction bronchique en Suisse par catégorie d’âge et sexe1
LIN : limite inférieure de la norme du rapport VEMS/CVF.
Figure 1. Tabagisme (1960-2007) en Suisse, aux Etats-Unis et dans seize pays de l’OCDE
Données provenant de diverses sources : CDC. Trends in current ciga- rette smoking among high school students and adults, United-States, 1965-2009. Marques-Vidal P, Cerveira J, Paccaud F, Cornuz J. Smoking trends in Switzerland, 1992-2007 : A time for optimism ? J Epidemiol Community Health 2010;65:281-6. OECD. Tobacco consumption, men and women in OECD countries, 2005.
1960 1970 1980 1990 2000 2007
Hommes suisses Femmes suisses Etats-Unis Hommes de 16 pays de l’OCDE Femmes de 16 pays de l’OCDE 50
45 40 35 30 25 20 15
Fumeurs (% de la population adulte) %
Figure 2. Prévalence de l’obstruction bronchique (stades II-IV selon GOLD) dans la population rési- dente en Suisse
La proportion de non-fumeurs est rapportée par catégorie d’âge.1
39- 40-49 50-59 60-69 70+
10
8
6
4
2
0
Fumeurs Jamais fumé
54%
41%
19%
27%
21%
Figure 3. Proportion de sujets avec BPCO et non- fumeurs dans dix études de prévalence de la BPCO (2000-2011) basée sur la spirométrie
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 Année
40 38 36 34 32 30 28 26 24 22 20 18
Pena 2000 Birring 2002 Trupin 2003 Behrendt 2005 Celli 2005 Menezes 2005 Kim 2005 Lamprecht 2008 Zhou 2009 Bridevaux 2010
Fractions attribuables aux autres facteurs
que le tabac Pays développés
Hommes 16%
Femmes 38%
Pays en voie de développement
Hommes 80%
Femmes 88%
Tableau 2. Proportion des cas de BPCO attribuables à d’autres facteurs que le tabac 3
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cellesci, 88% des cas de BPCO sont attribuables à d’autres facteurs que le tabac. En 1984, le rapport du département américain de la Santé (US General Surgeon) estimait que seulement 10 à 20% au maximum des cas de BPCO pouvaient être attribués à d’autres facteurs que le tabac.
Les facteurs environnementaux ou génétiques les plus importants, impliqués dans le déclin des fonctions pulmo
naires et la survenue d’une BPCO, sont discutés cidessous.
Tabagisme passif
Une relation est documentée entre l’exposition au taba
gisme passif, particulièrement durant l’enfance, et la fonc
tion pulmonaire à l’âge adulte. L’association avec la BPCO est moins claire. Deux études chinoises ont montré un risque augmenté de BPCO (odds ratio 1,30 et 1,55) pour les nonfu
meurs exposés au tabagisme passif.4,5 Toutefois, cette asso
ciation n’est pas systématiquement retrouvée dans les pays occidentaux, même si, dans nos pays, le tabagisme passif augmente le risque de BPCO pour les fumeurs qui rappor
tent une exposition supplémentaire au tabagisme passif.1 Après revue de la littérature, on peut conclure que, sur le plan mondial, l’association entre tabagisme passif et BPCO chez les nonfumeurs est présente et possiblement causale.
Asthme
L’«asthme fixé» se caractérise par des symptômes respi
ratoires chroniques et des fonctions pulmonaires anorma
les sans réversibilité après bronchodilatateur ou test aux stéroïdes. Ces caractéristiques sont aussi celles des patients souffrant de BPCO. On retrouve souvent chez ces patients une destruction emphysémateuse du poumon au scanner thoracique suggérant une pathogenèse commune entre asthme et BPCO.6 Sur le plan épidémiologique, la cohorte de Tucson apporte la preuve d’une association entre asthme et développement de BPCO sur le long terme, le risque étant dix fois plus élevé pour ceux qui rapportaient un asthme.7 Si l’association entre asthme et BPCO est forte, la relation causale reste à investiguer. En effet, le phénotype des sujets asthmatiques évoluant vers une BPCO pourrait être particulier et reste à éclaircir.
Hyperréactivité bronchique
L’hyperréactivité bronchique est définie comme une bronchoconstriction excessive en réponse à l’inhalation d’un irritant. Elle est diagnostiquée par le test à la métacholine, lors duquel le sujet inhale des concentrations croissantes de cette substance. L’hyperréactivité bronchique est consi
dérée comme un marqueur de l’inflammation bronchique.
Les asthmatiques ont très fréquemment une hyperréactivité bronchique à la métacholine, ce qui confère à ce test une excellente sensibilité. Mais on la retrouve chez 10 à 20% de la population générale. L’hyperréactivité bronchique est plus particulièrement présente chez les fumeurs, les femmes et les sujets avec une fonction pulmonaire diminuée, ce qui réduit beaucoup la spécificité du test par rapport au diagnostic d’asthme. On parle d’«hyperréactivité bronchique silencieuse» pour les sujets asymptomatiques en dépit d’un test positif. Les sujets de SAPALDIA avec une hyperréacti
vité bronchique silencieuse ont été suivis pendant onze ans et comparés à ceux sans hyperréactivité.8 Alors que
parmi ces derniers, 14,3% développaient une BPCO (GOLD I ou plus), ils étaient 37,9% dans le groupe avec hyperréacti
vité silencieuse. Après ajustement, le risque de BPCO restait quatre fois et demie plus élevé pour les sujets hyperréac
tifs. En examinant les facteurs de risque associés à l’obs
truction bronchique de degré moyen ou sévère (GOLD II à IV) chez les nonfumeurs, nous avons trouvé que l’hyper
réactivité bronchique est huit fois plus fréquente que chez les sujets sains.1 Pris ensemble, ces résultats confirment un rôle important de l’hyperréactivité bronchique comme facteur prédisposant au développement de la BPCO y com
pris chez les nonfumeurs.
Pollution atmosphérique extérieure
La pollution atmosphérique extérieure est un mélange complexe de particules en suspension dans l’air (particu
les fines : PM10 ou PM2,5 selon leur diamètre maximal en microns), de vapeurs et de gaz (NO2, SO2, O3) provenant du trafic motorisé, de l’industrie, du chauffage, voire des feux à l’extérieur dans certains pays. En Suisse, le trafic motorisé est la première source de pollution de l’air.
Des études bien conduites ont prouvé la relation entre la pollution atmosphérique et la croissance des poumons d’une part, et le déclin accéléré des fonctions pulmonaires à l’âge adulte d’autre part.9 Ces travaux ont permis la mise en place de législations efficaces sur la protection de l’air, qui ont conduit à un effet positif sur la santé respiratoire de la population.10
Toutefois, la relation causale entre BPCO et pollution de l’air reste débattue. Jusqu’à récemment, seules deux étu
des, à Athènes et dans la Ruhr, régions qui connaissent des niveaux élevés de pollution, avaient montré une associa
tion positive, alors que d’autres études ne retrouvaient pas l’association.11,12
En 2011, une étude longitudinale avec un suivi de 35 ans au Danemark, pays avec un faible niveau de pollution, a montré un risque augmenté d’hospitalisation pour BPCO (8% pour chaque augmentation d’un quartile, dans l’expo
sition au dioxyde d’azote).13 Par ailleurs, de multiples étu
des ont montré que, lors des pics de pollution, le nombre d’admissions dans les services d’urgence pour exacerba
tions d’asthme ou de BPCO augmente.
En résumé, l’association entre pollution atmosphérique et BPCO est probable et les travaux montrant une relation causale s’accumulent. Cependant, trop peu d’études longi
tudinales sont disponibles et les études transversales ont donné des résultats contradictoires.
Pollution atmosphérique intérieure
Les fumées issues du chauffage ou de la cuisine au bois ou à d’autres combustibles (globalement désignés sous le terme de biomasse), dans des lieux mal aérés ont des effets proinflammatoires sur le poumon, similaires au tabac.
Deux métaanalyses ont trouvé un risque augmenté de BPCO pour les personnes exposées à la pollution atmosphé
rique intérieure. Hu et coll. ont métaanalysé quinze études et rapportent un risque augmenté de deux fois et demie pour les personnes exposées à la fumée provenant de la biomasse.14 Kurmi rapporte un risque équivalent mais causé en premier lieu par les fumées provenant du bois.15
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Sachant que plus de la moitié de la population mondiale cuisine et se chauffe au bois, le nombre de personnes af
fectées par une BPCO causée par la pollution intérieure est considérable.
Déficit en alpha1-antitrypsine et polymor- phismes génétiques
Le déficit en alpha1antitrypsine (Pi ZZ) est le seul facteur de risque génétique associé avec la BPCO chez les nonfu
meurs.16 Une revue systématique a identifié huit polymor
phismes génétiques associés avec le rapport VEMS/CVF.17 Mais aucun polymorphisme ne prédit la BPCO spécifique
ment chez les nonfumeurs à ce jour.
Expositions professionnelles
La BPCO devenant le plus souvent symptomatique après l’âge de la retraite, une relation avec une exposition pro
fessionnelle est rarement évoquée en clinique. Toutefois, l’ATS estime que 15 à 20% des cas de BPCO chez les non
fumeurs pourraient être causés par une exposition profes
sionnelle.3 L’association pourrait être confondue par le sta
tut socioéconomique qui est lui aussi un facteur de risque important. Les métiers exposant les personnes aux pous
sières biologiques (provenant des microbes, plantes, humus, animaux) comme dans l’agriculture ou l’industrie du textile doublent le risque de BPCO.18
lesmanifestations cliniquesdela bpco chezles fumeursetles non
-
fumeurs sont-
ellesidentiques?
L’intérêt de la recherche sur la BPCO chez les nonfumeurs est récent. Les études sur la BPCO sponsorisées par l’indus
trie ont souvent exclu les patients non fumeurs ou ceux ayant une histoire d’asthme, facteurs de risque souvent ren
contrés chez les patients non fumeurs présentant une obs
truction fixée. Néanmoins, on retrouve des études radiologi
ques chez des patients non fumeurs et obstructifs qui dé
montrent des signes d’emphysème ou des altérations des bronches comparables à ceux de patients BPCO fumeurs.6 D’autres études épidémiologiques montrent un risque aug
menté de cancer pulmonaire pour les personnes BPCO mais non fumeuses comparées aux personnes en bonne santé.
Dans SAPALDIA, les sujets BPCO non fumeurs rapportaient approximativement autant de symptômes respiratoires que les sujets BPCO fumeurs.1 De même, leur qualité de vie était diminuée de manière comparable et leur consomma tion de soins légèrement supérieure. Toutes ces considérations suggèrent que des éléments de l’environnement autres que le tabac ont un effet sur le poumon (symptômes, risque d’emphysème ou de cancer) qui est comparable au tabac.
conclusion
Même si le tabagisme reste la première cause évitable de BPCO, ce paradigme historique ne doit pas occulter la recherche récente qui met en exergue de multiples facteurs environnementaux autres que le tabac. Sur un plan clinique, des symptômes respiratoires chroniques chez des nonfu
meurs justifient la réalisation de spirométrie, à la recherche d’un syndrome obstructif. En termes de santé publique, la réduction de la pollution atmosphérique intérieure et ex
térieure, ainsi que la protection contre le tabagisme passif et les expositions professionnelles doivent rester un objec
tif politique.
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16 novembre 2011Implications pratiques
Il convient de penser à une BPCO même chez des patients non fumeurs avec des symptômes respiratoires chroniques Une spirométrie est indispensable pour le diagnostic de la BPCO et pour grader sa sévérité
Le tabagisme passif augmente le risque de BPCO même chez les fumeurs
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* à lire
** à lire absolument
Bibliographie
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