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Avis adoptés par le Groupe de travail sur la détention arbitraire à sa quatre-vingt-neuvième session (23-27 novembre 2020)

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Texte intégral

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Conseil des droits de l’homme

Groupe de travail sur la détention arbitraire

Avis adoptés par le Groupe de travail sur la détention arbitraire à sa quatre-vingt-neuvième session

(23-27 novembre 2020)

Avis n

o

84/2020, concernant Osman Karaca (Cambodge et Turquie)

1. Le Groupe de travail sur la détention arbitraire a été créé par la Commission des droits de l’homme dans sa résolution 1991/42. Son mandat a été précisé et renouvelé dans la résolution 1997/50 de la Commission. Conformément à la résolution 60/251 de l’Assemblée générale et à sa décision 1/102, le Conseil des droits de l’homme a repris le mandat de la Commission. Le Conseil a reconduit le mandat du Groupe de travail pour une nouvelle période de trois ans dans sa résolution 42/22.

2. Le 9 avril 2020, conformément à ses méthodes de travail (A/HRC/36/38), le Groupe de travail a transmis au Gouvernement turc une communication concernant Osman Karaca ; le 24 septembre 2020, il a également transmis au Gouvernement cambodgien une communication concernant M. Karaca. Le Gouvernement turc a répondu à la communication le 28 mai 2020 ; le Gouvernement cambodgien, en revanche, n’y a pas répondu. Les deux États sont parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

3. Le Groupe de travail estime que la privation de liberté est arbitraire dans les cas suivants :

a) Lorsqu’il est manifestement impossible d’invoquer un quelconque fondement juridique pour justifier la privation de liberté (comme dans le cas où une personne est maintenue en détention après avoir exécuté sa peine ou malgré l’adoption d’une loi d’amnistie qui lui est applicable) (catégorie I) ;

b) Lorsque la privation de liberté résulte de l’exercice de droits ou de libertés garantis par les articles 7, 13, 14, 18, 19, 20 et 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et, en ce qui concerne les États parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, par les articles 12, 18, 19, 21, 22, 25, 26 et 27 de cet instrument (catégorie II) ; c) Lorsque l’inobservation, totale ou partielle, des normes internationales relatives au droit à un procès équitable, établies dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans les instruments internationaux pertinents acceptés par les États concernés, est d’une gravité telle qu’elle rend la privation de liberté arbitraire (catégorie III) ;

d) Lorsqu’un demandeur d’asile, un immigrant ou un réfugié est soumis à une détention administrative prolongée sans possibilité de contrôle ou de recours administratif ou juridictionnel (catégorie IV) ;

e) Lorsque la privation de liberté constitue une violation du droit international en ce qu’elle découle d’une discrimination fondée sur la naissance, l’origine nationale, ethnique ou sociale, la langue, la religion, la situation économique, l’opinion politique ou autre,

Nations Unies A

/HRC/WGAD/2020/84

Assemblée générale

Distr. générale 3 mars 2021 Français

Original : anglais

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le sexe, l’orientation sexuelle, le handicap ou toute autre situation, qui tend ou peut conduire au non-respect du principe de l’égalité entre les êtres humains (catégorie V).

Informations reçues

Communication émanant de la source

4. Osman Karaca est né en 1972 et a la double nationalité mexicaine et turque. Il réside habituellement à Tlalnepantla, au Mexique. Avant de devenir directeur général de l’Advanced Management and Trading Group à Phnom Penh en 2018, il avait assuré la direction de la Zaman International School de Phnom Penh jusqu’en 2011. La même année, il était parti s’installer au Mexique, où il avait occupé le poste de directeur du Raindrop College of Excellence, à Tlalnepantla, jusqu’en novembre 2018.

a. Contexte général

5. Selon la source, au moins 30 ressortissants de différents pays auraient été victimes d’enlèvement et de disparition forcée à la demande de la Turquie. Beaucoup ont été enlevés dans la rue, comme c’est le cas de M. Karaca, ou à leur domicile, parfois avec des membres de leur famille, y compris des enfants. Ils ont ensuite été transférés illégalement en Turquie à bord d’avions privés, de vols affrétés ou de vols commerciaux. La source ajoute qu’il s’agit pour la plupart de réfugiés ou de demandeurs d’asile enregistrés.

b. Exposé des faits

6. La source explique que M. Karaca encourageait le dialogue entre différents segments de la société et était engagé dans l’action philanthropique au Mexique. Il promouvait également les activités universitaires au sein d’établissements mexicains tels que l’Université nationale autonome du Mexique, où il a participé à l’organisation de conférences et de congrès sur le Moyen-Orient et, à une occasion, a organisé pour les étudiants un voyage d’études en Turquie.

7. À la suite de la tentative de coup d’État survenue en Turquie le 15 juillet 2016, les autorités turques auraient surnommé M. Karaca l’« imam mexicain » et l’auraient accusé d’appartenir à l’organisation terroriste fethullahiste/structure étatique parallèle, également connue des partisans de Fethullah Gülen sous le nom de mouvement Hizmet.

c. Arrestation et détention au Cambodge

8. La source explique que M. Karaca a été arrêté le 14 octobre 2019 vers 14 heures, alors qu’il se trouvait au Cambodge dans le cadre d’un voyage d’affaires au cours duquel il avait utilisé son passeport mexicain. Sa présence au Cambodge aurait été « détectée » par l’ambassade de Turquie à Phnom Penh, qui coopère étroitement avec les autorités cambodgiennes.

9. La source indique que M. Karaca a été arrêté à la banque Aba de Phnom Penh à la demande et sur ordre des autorités turques, par huit agents présumés appartenir à la police antiterroriste cambodgienne et agissant au nom du Gouvernement cambodgien. Selon la source, bien que les autorités turques aient affirmé que M. Karaca avait été arrêté par l’Organisation nationale du renseignement turc à l’étranger, les éléments de preuve disponibles indiquent que seuls des agents agissant au nom du Gouvernement cambodgien étaient présents au moment de l’arrestation.

10. Au cours de l’arrestation, les agents impliqués auraient usé de la contrainte à l’encontre de M. Karaca, qui se trouvait avec un ami. Tous deux ont tenté de résister.

M. Karaca a été emmené de force par les agents, dont l’un a déclaré qu’il serait conduit au Ministère de l’intérieur. M. Karaca n’aurait été informé ni de ses droits ni des motifs de son arrestation au moment où il a été arrêté.

11. La source indique que M. Karaca a été placé dans un centre de détention secret administré par le Gouvernement cambodgien, où il est resté jusqu’au 18 octobre 2019. La source ajoute qu’en dissimulant le sort réservé à M. Karaca et le lieu où il se trouvait,

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les autorités cambodgiennes l’ont soustrait à la protection de la loi et lui ont refusé la possibilité de soumettre sa situation à l’appréciation des tribunaux nationaux.

12. Suite à l’arrestation de M. Karaca, l’un des membres de sa famille et l’un de ses collègues ont demandé l’intervention du Ministère mexicain des affaires étrangères et des missions diplomatiques mexicaines de la région. La source explique que, dans le but d’obtenir sa libération et de prévenir toute tentative de transfert illégal vers la Turquie, l’ambassade du Mexique à Hanoï, accréditée au Cambodge, a envoyé une note verbale visant à prouver la citoyenneté mexicaine de M. Karaca et à demander qu’il bénéficie d’une protection et d’une assistance consulaires. L’ambassade a également demandé aux autorités cambodgiennes de l’informer de la situation de M. Karaca sur le plan juridique. On ignore si les autorités cambodgiennes ont satisfait à cette demande.

13. Selon la source, M. Karaca aurait été mis au secret dès son arrestation et n’aurait pu avoir aucun contact avec ses collègues, les organisations de défense des droits de l’homme ou les autorités mexicaines, qui n’auraient reçu aucune information à son sujet.

d. Transfert vers la Turquie

14. La source indique que le 18 octobre 2019, M. Karaca a été remis aux autorités turques, ce qui a permis son transfert illégal vers la Turquie sur un vol spécial qui s’est posé sur le sol turc le 19 octobre 2019.

15. La source explique que le 25 octobre 2019, M. Karaca a appelé son épouse au Mexique. Au cours de leur brève conversation, M. Karaca l’a informée qu’il se trouvait à la prison turque de Silivri et qu’il allait comparaître devant un tribunal, probablement pour être informé des accusations portées contre lui. Une audience préliminaire aurait en effet eu lieu le 25 octobre 2019. Après sa déposition, qui aurait été prise par le procureur, M. Karaca a été déféré devant un magistrat avec une demande d’arrestation, ce qui a conclu l’interrogatoire.

Le juge qui a prononcé la sentence a ordonné l’arrestation de M. Karaca, accusé d’être à la tête d’une organisation terroriste armée. La source fait valoir que M. Karaca ne peut faire l’objet de telles accusations, notamment parce qu’il ne vit plus en Turquie depuis 2002 et qu’il n’avait aucun lien avec la tentative de coup d’État ou avec ses auteurs.

16. Le 21 octobre 2019, un porte-parole du Ministère cambodgien de l’intérieur aurait déclaré que l’arrestation et l’expulsion de M. Karaca résultaient d’un accord de coopération en matière de sécurité signé avec la Turquie le 30 juillet 2019. Selon la source, la teneur de cet accord est particulièrement inquiétante. En effet, depuis 2013, les accords en matière de sécurité signés par la Turquie engageraient les parties, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, à empêcher l’emploi contre l’une ou l’autre partie de supports audiovisuels et de publications d’organisations terroristes et de leurs instances représentatives opérant sur leur territoire. En outre, les parties à ces accords devraient considérer ces groupes comme des organisations illégales, à l’égard desquelles elles seraient tenues de prendre les mesures appropriées conformément à leur législation interne. Ces accords de sécurité visent également les individus et institutions affiliés à l’organisation terroriste fethullahiste/

structure étatique parallèle (mouvement Hizmet), et exigent des parties qu’elles prennent des mesures efficaces à l’égard des individus et institutions qui fournissent un soutien financier ou autre − accueil, hébergement, formation, soins et soutien logistique, notamment − aux organisations terroristes sur leur territoire.

e. Analyse des violations

17. La source indique qu’en vertu du droit international des droits de l’homme, le Cambodge était tenu de garantir les droits de M. Karaca à la liberté, à la sécurité et à un procès équitable dans toute procédure civile ou pénale engagée contre lui. Les autorités cambodgiennes avaient le devoir d’assurer à M. Karaca un accès sans entrave à l’avocat de son choix et aux agents consulaires mexicains, lesquels auraient dû être informés sans délai de toute accusation portée contre lui, y compris des motifs de son arrestation. De plus, M. Karaca ne comprenait pas la langue utilisée par les autorités ; en outre, aucun conseiller juridique ni aucun représentant des autorités mexicaines n’ont eu la possibilité de prendre connaissance des pièces du dossier.

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18. La source fait par ailleurs valoir que les autorités cambodgiennes étaient tenues de remettre M. Karaca en liberté et de lui permettre, ainsi qu’à son conseil, de contester la légalité de sa détention devant un tribunal. Au lieu de cela, les autorités cambodgiennes ont intentionnellement et illégalement privé M. Karaca de son droit à un procès équitable.

19. La source affirme que la situation de M. Karaca au Cambodge a encore été aggravée par le fait qu’aucun des avocats contactés n’a accepté de se charger de l’affaire par crainte de représailles, voire d’entrave à leur carrière. Ils auraient estimé qu’il s’agissait d’une affaire politique et qu’ils risquaient d’être un jour pris pour cibles par le Gouvernement cambodgien, le Gouvernement turc, ou les deux.

20. La source fait valoir que la privation de liberté de M. Karaca est arbitraire et relève des catégories I, II, III et V du Groupe de travail.

i. Catégorie I

21. Selon la source, la privation de liberté de M. Karaca est arbitraire et relève de la catégorie I en ce qu’il est manifestement impossible d’invoquer un quelconque fondement juridique pouvant la justifier.

ii. Catégorie II

22. La source affirme que la privation de liberté de M. Karaca est arbitraire et relève de la catégorie II en ce que M. Karaca a été privé de l’exercice des droits garantis par les articles 12 et 26 du Pacte. M. Karaca s’est vu refuser l’accès aux agents consulaires mexicains et le droit de rentrer dans son pays, le Mexique. En outre, en raison de son affiliation présumée à une organisation terroriste, M. Karaca a été privé de son droit à une égale protection de la loi.

iii. Catégorie III

23. La source fait valoir que la détention de M. Karaca est arbitraire et relève de la catégorie III en ce que les autorités n’ont pas respecté les garanties minimales d’une procédure régulière prévues par le droit international. Des agents de l’État cambodgien ont soumis M. Karaca à une disparition forcée sur ordre du Gouvernement turc. Il s’est vu refuser l’accès à un avocat et à des agents consulaires et n’a pu bénéficier d’aucune assistance judiciaire. Il n’a pas été autorisé à contester la légalité de sa détention devant un tribunal.

iv. Catégorie V

24. Selon la source, la privation de liberté de M. Karaca est arbitraire et relève de la catégorie V en ce qu’elle constitue une violation du droit international pour des raisons de discrimination fondée sur l’opinion politique ou autre et a pour objectif et pour résultat de méconnaître l’application égale des droits de l’homme.

Réponse des Gouvernements

25. Le 9 avril 2020, suivant sa procédure ordinaire, le Groupe de travail a transmis les allégations de la source au Gouvernement turc. Il a demandé au Gouvernement de lui communiquer, pour le 8 juin 2020, des renseignements détaillés sur la situation de M. Karaca, ainsi que toute observation relative aux allégations de la source. Il a par ailleurs exhorté le Gouvernement à garantir l’intégrité physique et mentale de M. Karaca. Le Gouvernement turc a répondu à la communication le 28 mai 2020.

26. Le 24 septembre 2020, suivant sa procédure ordinaire, le Groupe de travail a transmis les allégations de la source au Gouvernement cambodgien. Il a demandé au Gouvernement de lui communiquer, pour le 23 novembre 2020, des renseignements détaillés sur la situation de M. Karaca, ainsi que toute observation relative aux allégations de la source. Le Groupe de travail regrette de ne pas avoir reçu de réponse du Gouvernement, d’autant que celui-ci n’a

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pas demandé de prolongation du délai fixé pour fournir les informations demandées, ce que le paragraphe 16 des méthodes de travail du Groupe de travail l’autorise pourtant à faire1. 27. Dans sa réponse du 28 mai 2020, le Gouvernement turc indique que le 15 juillet 2016, l’organisation terroriste fethullahiste/structure étatique parallèle, organisation clandestine infiltrée à des postes clefs de l’administration publique, a tenté de renverser le Gouvernement élu démocratiquement à l’occasion d’un coup d’État de grande envergure, brutal et sans précédent, visant plusieurs institutions représentatives de la volonté du peuple turc, notamment le Parlement. Cette tentative de coup d’État a coûté la vie à 251 citoyens turcs et en a blessé plus de 2 000 autres.

28. Le Gouvernement fait observer que, pour restaurer la démocratie et protéger les droits et les libertés du peuple turc, il a fallu débarrasser tous les services de l’administration publique, des forces armées et du pouvoir judiciaire des milliers d’agents de l’organisation terroriste fethullahiste/structure étatique parallèle qui y étaient infiltrés. En instaurant, à la suite du coup d’État, un régime d’état d’urgence approuvé par le Parlement le 21 juillet 2016 puis levé le 19 juillet 2018, la Turquie a agi conformément à ses obligations internationales en matière de droits de l’homme tout en maintenant une coopération et un dialogue étroits avec les organisations internationales, notamment l’Organisation des Nations Unies et le Conseil de l’Europe.

29. Selon le Gouvernement, il existe des recours judiciaires effectifs en Turquie, notamment le droit de recours individuel devant la Cour constitutionnelle, reconnu comme étant un recours interne effectif par la Cour européenne des droits de l’homme. Cette dernière reconnaît en outre la Commission d’enquête sur les mesures prises au titre de l’état d’urgence, créée pour recevoir les demandes relatives aux actes administratifs pris en application des décrets-lois adoptés pendant l’état d’urgence, comme étant un recours interne effectif. Du reste, la Cour européenne des droits de l’homme peut elle-même être saisie après épuisement des voies de recours internes.

30. Le Gouvernement ajoute que même avant la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016, l’organisation terroriste fethullahiste/structure étatique parallèle pratiquait le chantage à l’encontre d’hommes politiques et de bureaucrates, la fraude à grande échelle aux concours de recrutement dans le but de placer ses membres à des postes clefs de l’administration publique, l’ingénierie sociale, la manipulation et l’endoctrinement, ainsi que l’engagement de poursuites judiciaires contre ses opposants à partir de récits forgés de toutes pièces diffusés via son vaste réseau de médias, d’entreprises, d’écoles et d’organisations non gouvernementales.

31. Selon le Gouvernement, la stratégie actuelle de l’organisation terroriste fethullahiste/

structure étatique parallèle consiste à se prétendre victime de violations des droits de l’homme pour dissimuler ses infractions en trompant et en manipulant l’opinion publique internationale par la diffusion d’informations mensongères au sujet de la Turquie ; l’organisation prétendrait notamment que certains de ses membres auraient été victimes d’arrestation et de détention arbitraires, de torture, voire de disparition forcée, alors qu’en réalité, ils seraient entrés dans la clandestinité sur ordre de leur chef.

32. Le Gouvernement soutient qu’en réalité, c’est l’organisation terroriste fethullahiste/

structure étatique parallèle qui a commis de graves violations des droits de l’homme, notamment en tuant de sang-froid des centaines de citoyens turcs innocents, violant ainsi leur droit fondamental à la vie.

33. En conséquence, le Gouvernement demande au Groupe de travail de ne pas permettre à l’organisation terroriste fethullahiste/structure étatique parallèle et à ses membres d’abuser du mécanisme de traitement des plaintes et de ne pas prêter foi à leurs allégations. Il assure le Groupe de travail que la Turquie va continuer à promouvoir les droits de l’homme et les libertés, et qu’elle poursuivra avec les organisations internationales une coopération de longue date.

1 Le Groupe de travail fait observer qu’il a reçu une réponse du Gouvernement cambodgien le 16 décembre 2020, soit après l’adoption du présent avis. Il ne saurait accepter cette réponse comme si elle avait été présentée dans les délais.

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Examen

34. Pour déterminer si la privation de liberté de M. Karaca est arbitraire, le Groupe de travail tient compte des principes posés dans sa jurisprudence concernant l’administration de la preuve. Lorsque la source établit une présomption de violation des règles internationales constitutive de détention arbitraire, la charge de la preuve incombe au Gouvernement dès lors que celui-ci décide de contester les allégations. Le simple fait de déclarer que les procédures légales ont été suivies ne suffit pas pour réfuter les allégations de la source2.

35. Avant d’examiner les allégations de la source quant au fond, le Groupe de travail note que, selon les informations dont il dispose, M. Karaca a été détenu au Cambodge préalablement à son transfert forcé vers la Turquie3. Étant donné que les allégations visent le Gouvernement cambodgien et le Gouvernement turc, le Groupe de travail procède à un examen séparé.

Allégations concernant le Cambodge

36. Le Groupe de travail regrette de ne pas avoir reçu de réponse du Gouvernement cambodgien. En l’absence de réponse, le Groupe de travail a décidé de rendre le présent avis, conformément au paragraphe 15 de ses méthodes de travail.

i. Catégorie I

37. D’après la source, M. Karaca a été arrêté à la banque Aba de Phnom Penh le 14 octobre 2019 à la demande et sur ordre des autorités turques par huit agents présumés appartenir à la police antiterroriste cambodgienne et agissant au nom du Gouvernement cambodgien. La source soutient qu’aucun mandat d’arrêt n’a été présenté à M. Karaca et que celui-ci n’a pas été informé des motifs de son arrestation au moment où il a été arrêté ; le Gouvernement cambodgien ne conteste pas ces allégations.

38. L’existence d’une loi autorisant l’arrestation ne suffit pas à conférer un fondement juridique à la privation de liberté. Les autorités doivent invoquer ce fondement juridique et l’appliquer aux circonstances de l’affaire au moyen d’un mandat d’arrêt, ce qui n’a pas été fait en l’espèce4.

39. Le Groupe de travail constate également que pour conférer un fondement juridique à la privation de liberté, les autorités cambodgiennes auraient dû, au moment de son arrestation, informer M. Karaca des motifs de cette arrestation, puis lui notifier sans délai toute accusation portée contre lui5. Le manquement à cette obligation constitue une violation de l’article 9 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de l’article 9 (par. 2) du Pacte et du principe 10 de l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement, et prive l’arrestation de tout fondement juridique.

40. En outre, le Gouvernement n’a pas réfuté les allégations selon lesquelles M. Karaca a été détenu au secret entre le 14 octobre 2019, date de son arrestation, et le 18 octobre 2019, date à laquelle il a été remis aux autorités turques et forcé à embarquer sur un vol spécial à destination de la Turquie. En passant sous silence le lieu où il se trouvait et le sort qui lui

2 A/HRC/19/57, par. 68.

3 Le Groupe de travail a déjà examiné des affaires similaires concernant des personnes affiliées à l’organisation terroriste fethullahiste/structure étatique parallèle (mouvement Hizmet) ou considérées comme telles par le Gouvernement turc. Voir, par exemple, les avis nos 11/2018 (Pakistan et Turquie) et 51/2020 (Malaisie et Turquie). Voir aussi AL TUR 6/2018 du 18 mai 2018 (disponible à l’adresse https://spcommreports.ohchr.org/TMResultsBase/DownLoadPublicCommunicationFile?gId=23755) et AL TUR 5/2020 du 5 mai 2020 (disponible à l’adresse https://spcommreports.ohchr.org/

TMResultsBase/DownLoadPublicCommunicationFile?gId=25209), ainsi qu’Özçelik, Karaman et I. A. c. Turquie (CCPR/C/125/D/2980/2017).

4 Voir, par exemple, les avis nos 93/2017, par. 44 ; 10/2018, par. 45 et 46 ; 36/2018, par. 40 ; 46/2018, par. 48 ; 9/2019, par. 29 ; 32/2019, par. 29 ; 33/2019, par. 48 ; 44/2019, par. 52 ; 45/2019, par. 51 ; et 46/2019, par. 51.

5 Voir, par exemple, l’avis no 10/2015, par. 34. Voir aussi les avis nos 32/2019, par. 29 ; 33/2019, par. 48 ; 44/2019, par. 52 ; 45/2019, par. 51 ; et 46/2019, par. 51.

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était réservé, les autorités cambodgiennes ont soustrait M. Karaca à la protection de la loi en violation de l’article 6 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de l’article 16 du Pacte.

41. Le Groupe de travail a toujours fait valoir que la mise au secret portait également atteinte au droit d’être traduit en justice et de contester la légalité de la détention devant un tribunal6. Le contrôle juridictionnel de la détention est une garantie fondamentale de la liberté individuelle et est essentiel pour garantir que la détention est juridiquement fondée. Étant donné que M. Karaca n’a pas été en mesure de contester la légalité de sa détention, ni personnellement ni par l’intermédiaire de l’avocat de son choix, son droit à un recours effectif en vertu de l’article 8 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte a également été violé.

42. Le Groupe de travail note par ailleurs que M. Karaca s’est vu refuser, au Cambodge ou par le Cambodge, le droit d’introduire un recours devant un tribunal afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de sa détention, conformément aux articles 3, 8 et 9 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, aux articles 2 (par. 3) et 9 (par. 1 et 4) du Pacte et aux principes 11, 32 et 37 de l’Ensemble de principes. Conformément aux Principes de base et lignes directrices des Nations Unies sur les voies et procédures permettant aux personnes privées de liberté d’introduire un recours devant un tribunal, le droit de contester la légalité de sa détention devant un tribunal est un droit de l’homme autonome dont l’absence constitue en soi une violation des droits de l’homme, et que cette voie de recours est essentielle pour préserver la légalité dans une société démocratique. Ce droit, qui constitue de fait une norme impérative du droit international, s’applique à toutes les formes et situations de privation de liberté7. Le contrôle juridictionnel de la privation de liberté est une garantie fondamentale de la liberté individuelle et est essentiel pour garantir que la détention est juridiquement fondée8.

43. Par ailleurs, le Groupe de travail ne peut que constater que M. Karaca a été effectivement privé, par le Cambodge et au Cambodge, de son droit à l’assistance d’un avocat et de son droit de se faire représenter en justice (lesquels sont inhérents, d’un point de vue procédural, au droit à la liberté et à la sécurité de la personne, ainsi qu’à l’interdiction de la détention arbitraire) en violation des articles 3 et 9 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de l’article 9 (par. 1) du Pacte, des principes 15, 17 et 18 de l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement, et des principes 1, 5, 7, 8, 21 et 22 des Principes de base relatifs au rôle du barreau. En outre, conformément au principe 9 et à la ligne directrice 8 des Principes de base et lignes directrices des Nations Unies sur les voies et procédures permettant aux personnes privées de liberté d’introduire un recours devant un tribunal, les personnes privées de liberté ont le droit d’être assistées par le conseil de leur choix, à tout moment pendant la détention, y compris immédiatement après l’arrestation, et elles doivent être informées sans délai de ce droit ; l’accès à un conseil ne devrait pas faire l’objet de restrictions illégales ou déraisonnables9. Le Groupe de travail rappelle que l’accès à un avocat dès le début de la détention est une garantie essentielle pour que le détenu puisse contester le fondement juridique de sa détention10.

44. Le Groupe de travail estime donc que l’arrestation et la détention de M. Karaca sont arbitraires et relèvent de la catégorie I, en ce qu’il a été arrêté sans mandat d’arrêt, qu’il n’a pas été informé des motifs de son arrestation ou des accusations portées contre lui, qu’il a été détenu au secret, et qu’il a été empêché de contester la légalité de sa détention, en violation de l’article 9 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de l’article 9 du Pacte.

6 Avis nos 11/2018, par. 47 ; 79/2017, par. 47 ; 46/2017, par. 22 ; et 45/2017, par. 29.

7 Avis no 39/2018, par. 35.

8 Avis nos 35/2018, par. 27 ; 83/2018, par. 47 ; 32/2019, par. 30 ; 33/2019, par. 50 ; 44/2019, par. 54 ; 45/2019, par. 53 ; 59/2019, par. 51 ; et 65/2019, par. 64.

9 Voir aussi l’observation générale no 32 (2007) du Comité des droits de l’homme, par. 34.

10 Avis no 40/2020, par. 29.

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ii. Catégorie III

45. Comme indiqué au paragraphe 19 ci-dessus, la source affirme que la situation de M. Karaca au Cambodge a encore été aggravée par le fait qu’aucun des avocats contactés n’a accepté de se charger de l’affaire par crainte de représailles, voire d’entrave à leur carrière.

Le Groupe de travail exprime une nouvelle fois sa préoccupation quant aux diverses mesures de représailles qui auraient été prises contre des avocats pour le seul fait d’avoir fourni des services juridiques professionnels à leurs clients. L’État a l’obligation juridique et positive de protéger toute personne vivant sur son territoire ou relevant de sa juridiction contre toute violation des droits de l’homme et d’offrir des voies de recours en cas de violation. Le Groupe de travail rappelle que, selon le principe 9 des Principes de base et lignes directrices des Nations Unies sur les voies et procédures permettant aux personnes privées de liberté d’introduire un recours devant un tribunal, le conseil doit être en mesure de s’acquitter de ses fonctions de manière efficace et indépendante, sans crainte de représailles, d’ingérence, d’intimidation, de restrictions, ni de harcèlement11. Comme prévu au paragraphe 33 (al. a)) de ses méthodes de travail, le Groupe de travail renvoie l’affaire au Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats.

46. Le Groupe de travail relève également que le Gouvernement n’a pas respecté les droits de M. Karaca, en particulier le droit d’être informé sans délai de son droit d’avoir accès à l’assistance consulaire de son pays d’origine en vertu de l’article 36 (par. 1 b)) de la Convention de Vienne sur les relations consulaires. Cette violation et d’autres violations des droits garantis par l’article 36 (par. 1) de la Convention de Vienne sur les relations consulaires constituent de graves violations du droit à une procédure régulière et à un procès équitable au regard des articles 10 et 11 (par. 1) de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de l’article 14 du Pacte, et du principe 16 (par. 2) de l’Ensemble de principes.

47. Le Groupe de travail relève que l’Assemblée générale a réaffirmé avec force que les États parties à la Convention de Vienne sur les relations consulaires ont le devoir d’en faire respecter et observer pleinement les dispositions, en particulier celles selon lesquelles tous les ressortissants étrangers, quel que soit leur statut migratoire, ont le droit de communiquer avec un agent consulaire de l’État d’envoi s’ils sont arrêtés, incarcérés, placés en garde à vue ou en détention provisoire, et l’État d’accueil est tenu d’informer sans délai le ressortissant étranger des droits que lui confère la Convention12.

48. De plus, le principe 16 (par. 2) de l’Ensemble de principes reconnaît l’importance de l’assistance consulaire pour un ressortissant étranger placé en détention ou emprisonné en mentionnant expressément son droit de communiquer par des moyens appropriés avec un poste consulaire ou la mission diplomatique de l’État dont il a la nationalité13. L’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) dispose également que « [l]es détenus de nationalité étrangère doivent pouvoir bénéficier de facilités raisonnables pour communiquer avec les représentants diplomatiques et consulaires de l’État dont ils sont ressortissants » (règle 62, par. 1)14.

11 Voir aussi les paragraphes 50 à 55 du document publié sous la cote A/HRC/45/16.

12 Voir aussi les résolutions de l’Assemblée générale 72/179, par. 4 k), et 72/149, par. 32. Tel qu’il est énoncé au paragraphe 7 b) de la résolution 73/175 de l’Assemblée et au paragraphe 5 de la

résolution 42/24 du Conseil des droits de l’homme, les États sont invités à s’acquitter des obligations qui leur incombent en vertu de l’article 36 de la Convention de Vienne sur les relations consulaires, notamment l’obligation de respecter le droit d’obtenir des informations sur l’assistance consulaire s’agissant de la peine de mort. Voir aussi les résolutions 74/166, par. 17 g), 74/167, par. 13, et 74/168, par. 6 j) de l’Assemblée, et la résolution 40/20 du Conseil, par. 2 j).

13 Voir aussi l’article 10 de la Déclaration sur les droits de l’homme des personnes qui ne possèdent pas la nationalité du pays dans lequel elles vivent.

14 Voir aussi la ligne directrice 21 des Principes de base et lignes directrices des Nations Unies sur les voies et procédures permettant aux personnes privées de liberté d’introduire un recours devant un tribunal sur la surveillance de tous les lieux où des personnes sont détenues et la publication de rapports par les agents consulaires (si les personnes détenues en font la demande), qui doivent être autorisées afin que les personnes concernées puissent exercer effectivement leur droit d’introduire un recours devant un tribunal pour dénoncer le caractère arbitraire de leur détention ou en contester la légalité, et obtenir une réparation appropriée.

(9)

49. Les voies de recours ouvertes aux personnes physiques étant peu nombreuses au niveau international, la protection consulaire est d’une importance majeure pour les ressortissants étrangers, d’autant plus que ceux-ci sont défavorisés par leur méconnaissance du droit, des coutumes et même de la langue du pays où ils se trouvent. Il convient en outre de signaler que l’institution de la protection consulaire non seulement sert les intérêts du ressortissant étranger détenu et ceux de l’État qui les épouse, mais contribue aussi à assurer les intérêts de la communauté internationale dans son ensemble en ce qu’elle facilite les échanges internationaux et réduit le risque de voir des tensions naître entre États à propos du traitement réservé à leurs ressortissants.

50. Le Groupe de travail tient à rappeler l’obligation internationale du Cambodge concernant le principe de non-refoulement. La privation de liberté, y compris la liberté de circulation, en violation du principe de non-refoulement est arbitraire car elle est dénuée de fondement juridique au regard du droit international.

51. En outre, l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, à laquelle le Cambodge est partie, dispose qu’aucun État partie ne peut expulser, refouler ni extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture, et que les autorités compétentes doivent tenir compte, pour déterminer s’il y a de tels motifs, de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. L’article 8 de la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et l’article 16 (par. 1) de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, auxquelles le Cambodge est partie, disposent d’obligations et d’interdictions presque identiques dès lors que le droit de ne pas être soumis à une disparition forcée est en jeu.

52. Il incombe également aux gouvernements et aux autorités de respecter, de protéger et d’assurer le droit à la liberté individuelle en faisant preuve de la diligence voulue pour empêcher l’expulsion, le renvoi ou l’extradition d’une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à une privation arbitraire de liberté, et en tenant compte de toutes les considérations pertinentes15.

53. Si, à l’origine, l’extradition visait à faciliter le transfert, par un État donné, d’une personne accusée ou reconnue coupable d’avoir commis un crime dans un autre État, aux fins de la coopération judiciaire internationale en matière pénale, elle sert désormais également les droits de l’homme et la justice, notamment en ce qu’elle ne vise pas les infractions à caractère politique et est subordonnée à l’obtention, auprès de l’État requérant, d’assurances quant à la non-application de la peine de mort, aux garanties d’une procédure régulière et d’un procès équitable, ou aux conditions de détention. Le tribunal chargé d’examiner la demande d’extradition peut également la rejeter au titre du respect du principe de non-refoulement. Par conséquent, l’exil forcé, comme c’est le cas en l’espèce, d’un étranger se trouvant légalement sur le territoire d’un État, sans qu’il ait pu exercer son droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, chargé d’en déterminer la légalité, viole clairement son droit à une procédure régulière ou à un procès équitable devant un tribunal.

54. Ainsi que le Groupe de travail a déjà eu l’occasion de le faire observer, les règles de droit international relatives à l’extradition prévoient des procédures que les États doivent respecter lors de l’arrestation, de la détention et de l’expulsion de personnes exposées à des poursuites au pénal dans un autre pays pour garantir le droit de ces personnes à un procès équitable16. La procédure régulière d’extradition est également indispensable au contrôle judiciaire et au respect du principe de non-refoulement dans le cadre du transfert international de détenus. Le Groupe de travail tient à souligner que la responsabilité de veiller à ce que l’interdiction de non-refoulement ne soit pas violée incombe à l’État qui envisage l’expulsion de la personne concernée.

15 Avis nos 53/2016, par. 59 à 63 ; 56/2016, par. 55 à 60 ; et 68/2018, par. 59. Voir aussi les paragraphes 44 et 45 du document publié sous la cote A/HRC/4/40.

16 Avis nos 57/2013, par. 54 ; 2/2015, par. 20 ; 11/2018, par. 53 ; 68/2018, par. 58 ; et 10/2019, par. 71.

(10)

55. En l’espèce, le transfert illégal de M. Karaca à la Turquie par le Cambodge, qui a contourné la procédure régulière d’extradition, constitue par conséquent une violation ipso facto du principe de non-refoulement. Le Gouvernement cambodgien a violé les obligations qui lui incombent en vertu des articles 5 et 9 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, des articles 9 et 13 du Pacte et de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en renvoyant M. Karaca dans un autre État où il existait des motifs sérieux de croire qu’il risquait d’être soumis à la torture ou à d’autres mauvais traitements et à la détention arbitraire. Si, en l’espèce, les autorités cambodgiennes avaient suivi les procédures appropriées, elles auraient dûment cherché à établir si l’expulsion de M. Karaca risquait de violer l’interdiction de non-refoulement.

56. De l’avis du Groupe de travail, le Cambodge ne saurait se soustraire à sa responsabilité pour le rôle qu’il a joué dans la violation, par la Turquie, du droit de M. Karaca à un procès équitable ; il s’agit d’un fait internationalement illicite. Le Cambodge connaissait ou aurait dû connaître les causes et les conséquences du transfert illégal de M. Karaca vers la Turquie ; par ailleurs, il ne fait aucun doute que la même violation, commise par le Cambodge, constituerait de même un fait internationalement illicite. En outre, le Groupe de travail note que le Cambodge n’a pas invoqué la possibilité de recourir à la procédure régulière d’extradition ou d’obtenir de la Turquie des assurances crédibles quant aux garanties d’une procédure régulière et d’un procès équitable ou à la prévention de la torture et des disparitions forcées.

57. À la lumière de ce qui précède, le Groupe de travail conclut que les atteintes au droit à un procès équitable et à une procédure régulière sont d’une gravité telle qu’elles rendent la privation de liberté de M. Karaca arbitraire et relèvent de la catégorie III.

iii. Catégorie V

58. L’espèce est la dernière d’une série d’affaires concernant des personnes ayant des liens présumés avec l’organisation terroriste fethullahiste/structure étatique parallèle (mouvement Hizmet) dont le Groupe de travail a été saisi ces trois dernières années17. Dans ces affaires, le Groupe de travail a conclu que la détention des personnes concernées était arbitraire. Il semble par ailleurs que les personnes soupçonnées d’avoir des liens avec l’organisation susmentionnée soient systématiquement ciblées selon des critères discriminatoires ayant trait à leurs convictions politiques ou autres. En conséquence, le Groupe de travail estime que le Gouvernement cambodgien a, à la demande du Gouvernement turc, procédé à l’arrestation, au placement en détention et au transfert de M. Karaca en se fondant sur un motif de discrimination interdit et que l’affaire relève de la catégorie V.

59. En outre, le Groupe de travail considère que le Gouvernement cambodgien est responsable de ses propres actes dans le cadre de l’arrestation, de la détention et de l’expulsion de M. Karaca, ainsi que des violations ultérieures de ses droits en Turquie. Le Groupe de travail invite le Gouvernement cambodgien à prendre toutes les mesures nécessaires pour obtenir la libération immédiate et inconditionnelle de M. Karaca. Comme prévu au paragraphe 33 (al. a)) de ses méthodes de travail, le Groupe de travail renvoie l’affaire au Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste.

Allégations concernant la Turquie

60. Le Groupe de travail remercie la source et le Gouvernement turc pour leurs communications, soumises dans les délais impartis.

61. À titre préliminaire, le Groupe de travail tient à préciser que les règles de procédure régissant l’examen des communications sur les affaires présumées de détention arbitraire sont énoncées dans ses méthodes de travail. Aucune de leurs dispositions ne l’empêche d’examiner une communication au motif que les recours internes n’auraient pas été épuisés

17 Avis nos 1/2017, 38/2017, 41/2017, 11/2018, 42/2018, 43/2018, 78/2018, 10/2019, 53/2019, 79/2019, 2/2020, 29/2020, 30/2020 et 51/2020.

(11)

dans le pays concerné. Le Groupe de travail a également confirmé dans sa jurisprudence que les requérants n’étaient pas tenus d’épuiser les recours internes pour qu’une communication soit jugée recevable18.

62. À titre préliminaire également, le Groupe de travail note que l’état d’urgence − décrété après la tentative de coup d’État, approuvé par le Parlement le 21 juillet 2016 et levé le 19 juillet 2018 − était en place avant l’arrestation et le placement en détention de M. Karaca.

Le Groupe de travail souhaite répondre à la demande du Gouvernement, qui appelle les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales à ne pas laisser l’organisation terroriste fethullahiste/structure étatique parallèle et ses membres abuser de ces mécanismes, et à ne pas prêter foi à leurs allégations. Le Groupe de travail rappelle que le Conseil des droits de l’homme l’a chargé de recevoir et d’examiner les allégations de détention arbitraire, quels qu’en soient l’auteur et le pays d’origine. Il ne fait donc aucune distinction entre les instances habilitées ou non à porter des allégations à son attention. Il est également tenu d’agir de manière impartiale et indépendante. Il traite donc toutes les communications qui lui sont soumises de la même manière et les reçoit comme des allégations auxquelles il invite le Gouvernement intéressé à répondre. Il incombe donc à ce dernier de collaborer avec le Groupe de travail de manière constructive en traitant les allégations spécifiques qui lui ont été soumises afin de l’aider à parvenir à une conclusion pour chaque communication portée à son attention.

63. En ce qui concerne les allégations spécifiques émises contre le Gouvernement turc, le Groupe de travail observe que la source allègue le caractère arbitraire de la détention de M. Karaca, tandis que, dans sa réponse, le Gouvernement turc s’attache à expliquer les effets dévastateurs de l’organisation terroriste Fethullah/structure étatique parallèle (mouvement Hizmet) en Turquie au lieu de fournir des informations sur la situation spécifique de M. Karaca. Le Groupe de travail regrette que le Gouvernement n’ait pas saisi l’occasion qui lui était donnée de répondre aux allégations concernant spécifiquement M. Karaca, et l’invite à coopérer de façon constructive comme il l’a déjà fait par le passé.

i. Catégorie I

64. En ce qui concerne la privation de liberté de M. Karaca en Turquie et par la Turquie après qu’il a été remis aux autorités turques et transféré de force depuis le Cambodge entre le 18 et le 19 octobre 2019, la source fait valoir, et le Gouvernement ne conteste pas, que lesdites autorités n’ont pas présenté de mandat d’arrêt à M. Karaca, ni ne l’ont informé des motifs de son arrestation, au moment où il a été arrêté. Ainsi que cela a déjà été précisé plus haut s’agissant du Cambodge (voir par. 39 supra), le Groupe de travail fait observer que pour que la privation de liberté soit juridiquement fondée, les autorités auraient dû informer M. Karaca des motifs de son arrestation, et lui notifier sans délai toutes les accusations portées contre lui, au moment de l’arrestation19. Le manquement à cette obligation constitue une violation de l’article 9 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de l’article 9 (par. 2) du Pacte et du principe 10 de l’Ensemble de principes, et prive l’arrestation de tout fondement juridique20.

65. La source fait valoir que M. Karaca a été détenu au secret depuis le moment où il a été remis aux autorités turques, le 18 octobre 2019, jusqu’à son audience préliminaire devant un juge, le 25 octobre 2019, date à laquelle il s’est brièvement entretenu au téléphone avec son épouse au Mexique depuis la prison turque de Silivri. Là encore, le Gouvernement turc a choisi de ne pas réfuter cette allégation bien qu’il ait eu l’occasion de le faire. Le Groupe de travail réaffirme que la mise au secret porte également atteinte au droit d’être traduit en justice et de contester la légalité de la détention devant un tribunal21. Le contrôle

18 Avis nos 19/2013 et 11/2000. Voir aussi les avis nos 41/2017, par. 73 ; 38/2017, par. 67 ; 11/2018, par. 66 ; 20/2019, par. 81 ; et 53/2019, par. 59.

19 Voir, par exemple, l’avis no 10/2015, par. 34. Voir aussi les avis nos 32/2019, par. 29 ; 33/2019, par. 48 ; 44/2019, par. 52 ; 45/2019, par. 51 ; et 46/2019, par. 51.

20 Voir aussi l’article 5 (par. 1 et 2) de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme).

21 Avis nos 11/2018, par. 47 ; 79/2017, par. 47 ; 46/2017, par. 22 ; et 45/2017, par. 29.

(12)

juridictionnel de la détention est une garantie fondamentale de la liberté individuelle et est essentiel pour garantir que la détention est juridiquement fondée22.

66. Le Groupe de travail constate que M. Karaca n’a donc pas été traduit devant un juge dans le plus court délai, soit, selon la norme internationale, sauf circonstances absolument exceptionnelles, dans les quarante-huit heures suivant son arrestation23. En conséquence, le Gouvernement turc a violé l’article 9 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 9 (par. 1 et 3) du Pacte, et les principes 11, 37 et 38 de l’Ensemble de principes.

67. En ce qui concerne les normes internationales visées aux paragraphes 42 et 43 ci-dessus, le Groupe de travail observe en outre que M. Karaca n’a pas eu le droit de saisir un tribunal turc pour qu’il statue sans délai sur la légalité de sa détention. De même, le Groupe de travail note avec préoccupation que M. Karaca s’est également vu catégoriquement refuser l’exercice de son droit à l’assistance de l’avocat de son choix et à la représentation en justice en Turquie pendant sa période de détention au secret. Le Groupe de travail rappelle que la possibilité de communiquer avec un avocat dès le placement en détention est une garantie essentielle pour que le détenu puisse contester le fondement juridique de sa détention24. 68. Pour ces raisons, le Groupe de travail estime que la privation de liberté de M. Karaca est arbitraire en ce qu’elle est dénuée de fondement juridique, et qu’elle relève de la catégorie I.

ii. Catégorie III

69. De l’avis du Groupe de travail, lors de son expulsion illégale du Cambodge vers la Turquie, le Gouvernement turc n’a pas respecté le droit de M. Karaca à l’assistance d’un avocat à tout moment, inhérent au droit à la liberté et à la sécurité de sa personne, ni son droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial établi par la loi, conformément aux articles 3, 9, 10 et 11 (par. 1) de la Déclaration universelle des droits de l’homme et aux articles 9 (par. 1), 14 (par. 1 et 3 b) et d)) du Pacte, ainsi qu’aux principes 15, 17 et 18 de l’Ensemble de principes et aux principes 1, 5, 7, 8, 21 et 22 des Principes de base relatifs au rôle du barreau25. Le Groupe de travail estime que cette violation a considérablement entravé et compromis la capacité de M. Karaca à se défendre dans toute procédure judiciaire ultérieure26.

70. Le Groupe de travail constate que M. Karaca s’est vu refuser le droit de recevoir des visites de sa famille et de correspondre avec elle, ainsi que de disposer de possibilités adéquates de communiquer avec le monde extérieur, sous réserve des conditions et restrictions raisonnables spécifiées par la loi ou les règlements, conformément aux principes 15 et 19 de l’Ensemble de principes et aux règles 43 (3) et 58 des Règles Nelson Mandela27. Comme le Comité des droits de l’homme l’a fait observer au paragraphe 58 de son observation générale no 35 (2014), l’accès rapide et régulier aux membres de la famille, ainsi qu’à du personnel médical et à des avocats indépendants, est une garantie essentielle et nécessaire pour la prévention de la torture et pour la protection contre la détention arbitraire et l’atteinte à la sécurité de la personne28.

71. Le Groupe de travail considère que l’arrestation, la détention et le transfert forcé de M. Karaca du Cambodge vers la Turquie ont eu lieu à la demande de cette dernière et

22 Avis nos 35/2018, par. 27 ; 83/2018, par. 47 ; 32/2019, par. 30 ; 33/2019, par. 50 ; 44/2019, par. 54 ; 45/2019, par. 53 ; 59/2019, par. 51 ; et 65/2019, par. 64.

23 Voir Comité des droits de l’homme, observation générale no 35 (2014), par. 33, faisant référence à Kovsh c. Bélarus (CCPR/C/107/D/1787/2008), par. 7.3 à 7.5. Voir aussi CCPR/C/79/Add.89, par. 17 ; CCPR/C/SLV/CO/6, par. 14 ; et CCPR/CO/70/GAB, par. 13. Pour la jurisprudence du Groupe de travail, voir les avis nos 57/2016, par. 110 et 111 ; 2/2018, par. 49 ; 83/2018, par. 47 ; 11/2019, par. 63 ; 20/2019, par. 66 ; 26/2019, par. 89 ; 30/2019, par. 30 ; 36/2019, par. 36 ; 42/2019, par. 49 ; 51/2019, par. 59 ; 56/2019, par. 80 ; 76/2019, par. 38 ; et 82/2019, par. 76.

24 Avis no 40/2020, par. 29.

25 Voir aussi OL TUR 15/2018 du 22 octobre 2018 (disponible à l’adresse

https://spcommreports.ohchr.org/TMResultsBase/DownLoadPublicCommunicationFile?gId=24130).

26 Voir aussi l’observation générale no 32 (2007) du Comité des droits de l’homme, par. 34.

27 Voir les avis nos 35/2018, par. 39 ; 44/2019, par. 74 et 75 ; et 45/2019, par. 76.

28 Voir aussi les articles 14 (par. 3) et 16 (par. 2) de la Charte arabe des droits de l’homme.

(13)

résultent d’une collaboration étroite entre les deux États. Le 21 octobre 2019, le Ministère cambodgien de l’intérieur a ouvertement admis cet état de fait en invoquant l’accord de coopération en matière de sécurité conclu entre les deux pays le 30 juillet 2019 à titre de foncement juridique29. À l’évidence, les deux Gouvernements ont délibérément contourné la procédure régulière d’extradition.

72. Le Groupe de travail a déjà établi la responsabilité du Gouvernement turc s’agissant de l’extradition de M. Karaca depuis le Cambodge. Par conséquent, notant le mépris des procédures acceptées en matière d’extradition, lesquelles auraient permis à M. Karaca de bénéficier des garanties d’une procédure régulière, ainsi que la violation de l’article 14 du Pacte, le Groupe de travail estime que sa détention est arbitraire et relève de la catégorie III, également en ce qui concerne la Turquie.

iii. Catégorie V

73. Le Groupe de travail va à présent déterminer si la privation de liberté de M. Karaca constitue une discrimination au regard du droit international et relève de la catégorie V.

74. La source a fait valoir que la détention de M. Karaca, constitutive d’une discrimination fondée sur les opinions politiques ou autres, relève de la catégorie V, et le Gouvernement a choisi de ne pas réfuter cette allégation. Le Groupe de travail note que M. Karaca aurait des liens présumés avec l’organisation terroriste fethullahiste/structure étatique parallèle (mouvement Hizmet), dont les autorités turques arrêtent les membres dans le pays et à l’étranger depuis le coup d’État manqué de juillet 2016, comme indiqué précédemment.

75. Le Groupe de travail fait observer que l’espèce est la dernière d’une série d’affaires concernant des personnes ayant des liens présumés avec l’organisation terroriste fethullahiste/structure étatique parallèle (mouvement Hizmet) dont il a été saisi ces trois dernières années30. Dans toutes ces affaires, le Groupe de travail a estimé que la détention des personnes concernées était arbitraire. Il constate une tendance à prendre pour cible des personnes ayant des liens présumés avec le mouvement terroriste fethullahiste/structure étatique parallèle sur la base discriminatoire de leurs opinions, notamment politiques. En conséquence, le Groupe de travail estime que le Gouvernement turc a placé M. Karaca en détention en se fondant sur des motifs de discrimination interdits, et que l’affaire relève de la catégorie V. Comme prévu au paragraphe 33 (al. a)) de ses méthodes de travail, le Groupe de travail renvoie l’affaire au Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste.

76. Ces trois dernières années, le Groupe de travail a noté une nette augmentation du nombre d’affaires de détention arbitraire en Turquie portées à son attention31. Il se dit préoccupé par le caractère récurrent de ces affaires et rappelle que dans certaines circonstances, l’emprisonnement généralisé ou systématique et d’autres formes graves de privation de liberté portant atteinte aux règles du droit international peuvent constituer des crimes contre l’humanité32.

77. Le Groupe de travail serait heureux de pouvoir effectuer une visite en Turquie. Étant donné qu’une longue période s’est écoulée depuis sa dernière visite, en octobre 2006, et compte tenu de l’invitation permanente adressée par le Gouvernement turc à tous les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales, le Groupe de travail estime que le moment est venu de s’y rendre à nouveau, conformément à ses méthodes de travail.

29 Le Groupe de travail note que la Turquie a signé des accords de coopération en matière de sécurité avec de nombreux États.

30 Avis nos 1/2017, 38/2017, 41/2017, 11/2018, 42/2018, 43/2018, 78/2018, 10/2019, 53/2019, 79/2019, 2/2020, 29/2020, 30/2020 et 51/2020.

31 Ibid.

32 Voir, par exemple, l’avis no 47/2012, par. 22.

(14)

Dispositif

78. Compte tenu de ce qui précède, le Groupe de travail rend l’avis suivant : Concernant le Cambodge

La privation de liberté d’Osman Karaca est arbitraire en ce qu’elle est contraire aux articles 2, 3, 6, 7, 8, 9, 10, 11 (par. 1) et 13 (par. 1 et 2) de la Déclaration universelle des droits de l’homme et aux articles 2 (par. 1 et 3), 9 (par. 1, 2 et 4), 12 (par. 1 et 2), 13, 14 (par. 1 et 3 b) et d)), 16 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et relève des catégories I, III et V.

Concernant la Turquie

La privation de liberté d’Osman Karaca est arbitraire en ce qu’elle est contraire aux articles 2, 3, 6, 7, 8, 9, 10, 11 (par. 1) et 13 (par. 1 et 2) de la Déclaration universelle des droits de l’homme et aux articles 2 (par. 1 et 3), 9 (par. 1, 2, 3 et 4), 12 (par. 1 et 2), 14 (par. 1 et 3 b) et d)), 16 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et relève des catégories I, III et V.

79. Le Groupe de travail demande aux Gouvernements turc et cambodgien de prendre les mesures qui s’imposent pour remédier sans tarder à la situation de M. Karaca et la rendre compatible avec les normes internationales applicables, notamment celles énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte.

80. Le Groupe de travail estime que, compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, la mesure appropriée consisterait, pour le Gouvernement turc, à libérer immédiatement M. Karaca et, pour les Gouvernements turc et cambodgien, à lui accorder le droit d’obtenir réparation, notamment sous la forme d’une indemnisation, conformément au droit international. Dans le contexte actuel de la pandémie mondiale de maladie à coronavirus (COVID-19) et de la menace qu’elle représente dans les lieux de détention, le Groupe de travail appelle le Gouvernement turc à prendre des mesures urgentes pour garantir la libération immédiate de M. Karaca.

81. Le Groupe de travail demande instamment aux deux Gouvernements de veiller à ce qu’une enquête approfondie et indépendante soit menée sur les circonstances de la privation arbitraire de liberté de M. Karaca, et de prendre les mesures qui s’imposent contre les responsables de la violation des droits de celui-ci.

82. Conformément au paragraphe 33 (al. a)) de ses méthodes de travail, le Groupe de travail renvoie l’affaire au Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Cambodge, au Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats et au Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste pour qu’ils prennent les mesures qui s’imposent.

83. Le Groupe de travail demande aux deux Gouvernements d’user de tous les moyens à leur disposition pour diffuser le présent avis aussi largement que possible.

Procédure de suivi

84. Conformément au paragraphe 20 de ses méthodes de travail, le Groupe de travail prie la source et les Gouvernements de l’informer de la suite donnée aux recommandations formulées dans le présent avis, et notamment de lui faire savoir :

a) Si M. Karaca a été mis en liberté et, dans l’affirmative, à quelle date ;

b) Si M. Karaca a obtenu réparation, notamment sous la forme d’une indemnisation ;

c) Si la violation des droits de M. Karaca a fait l’objet d’une enquête et, dans l’affirmative, quelle a été l’issue de celle-ci ;

d) Si le Cambodge et la Turquie ont modifié leur législation ou leur pratique afin de les rendre conformes aux obligations mises à leur charge par le droit international, dans le droit fil du présent avis ;

(15)

e) Si d’autres mesures ont été prises en vue de donner suite au présent avis.

85. Les Gouvernements sont invités à informer le Groupe de travail de toute difficulté rencontrée dans l’application des recommandations formulées dans le présent avis et à lui faire savoir s’ils ont besoin qu’une assistance technique supplémentaire leur soit fournie, par exemple dans le cadre d’une visite du Groupe de travail.

86. Le Groupe de travail prie la source et les Gouvernements de lui fournir les informations demandées dans les six mois suivant la communication du présent avis. Il se réserve néanmoins le droit de prendre des mesures de suivi si de nouvelles informations préoccupantes concernant l’affaire sont portées à son attention. Cela lui permettra de faire savoir au Conseil des droits de l’homme si des progrès ont été accomplis dans l’application de ses recommandations ou si, au contraire, rien n’a été fait en ce sens.

87. Le Groupe de travail rappelle que le Conseil des droits de l’homme a engagé tous les États à coopérer avec lui et les a priés de tenir compte de ses avis, de faire le nécessaire pour remédier à la situation de toutes personnes arbitrairement privées de liberté et de l’informer des mesures prises à cette fin33.

[Adopté le 26 novembre 2020]

33 Résolution 42/22 du Conseil des droits de l’homme, par. 3 et 7.

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