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DOSSIER : DEVELOPPEMENT DE LA TUNISIE EN QUESTION? Les racines bourgeoises de la révolution tunisienne

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DOSSIER : DEVELOPPEMENT DE LA TUNISIE EN QUESTION ?

Les racines bourgeoises de la révolution tunisienne

LE CERCLE. Il est largement possible aussi que la Tunisie soit en train de connaître la première révolution bourgeoise jamais intervenue dans le monde arabe. Un événement considérable

ECRIT PAR

Michel Rocard

Ancien Premier ministre de la France

PARIS – La Tunisie vit une crise grave, profonde, mais peut-être porteuse. Elle est le plus petit des états d'Afrique du Nord, 163 000 KM², à peu près le double du Benelux et 10,5 millions d'habitants.

Elle est l'un des 22 états membres de la Ligue des Etats Arabes.. Elle est aussi pleine de charme et de modération par le climat, par l'histoire et la culture. Elle fut un pilier majeur de dynamisme culturel et de rayonnement, de la République et de l'Empire Romain. Première terre christianisée d'Afrique, elle fut le pays de Saint Augustin et la principale source d'évangélisation catholique en Afrique.

Surtout berbère à l'origine elle fut conquise par les arabes et islamisée, et fut quelques siècles une dépendance lointaine de la Sublime Porte, donc turque.

Elle passa au XIXè siècle sous protectorat français. Protectorat et non colonie comme le fut l'Algérie, cette différence explique une relativement meilleure préservation des structures sociales et des traditions locales.

Indépendante depuis1956, elle s'est donnée une constitution Républicaine et Présidentielle. Son Président Habib Bourguiba avait été le principal combattant de sa libération, qui s'est faite après quelques émeutes et de multiples incidents, mais plus vite et avec au total beaucoup moins de violence qu'en Algérie. Très occidentalisé, Bourguiba avait maintenu le caractère laïc de l'Etat et des relations notamment économiques, avec l'Occident et la France, plus intense que ne l'a fait l'Algérie.

De rares tentatives marxisantes ont échoué. La Tunisie est restée principalement un pays de libre entreprise. Cela lui a permis un développement industriel relatif que n'a pratiquement connu aucun autre pays d'Afrique ni du Moyen Orient. Elle fut ces dernières années le premier exportateur industriel d'Afrique, avant même l'Afrique du Sud et l'Egypte.

En 1987 le Président Bourguiba était devenu médicalement incapable d'assurer ses fonctions. Son Ministre de l'intérieur, Zine el Abidine Ben Ali, à peine nommé Premier Ministre obtient une déclaration médicale d'inaptitude, et dépose Habib Bourguiba puis devient Président. Ce dirigeant s'était déjà

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distingué par la répression qu'il conduisait contre le mouvement islamiste, et qu'il a intensifiée comme Président.

Beaucoup de citoyens tunisiens non islamistes et une large partie de l'opinion mondiale, notamment en France lui ont su gré de cette politique. Ils l'ont couverte sinon approuvée sans observer ni discuter les moyens mis en oeuvre. Or ceux-ci ont abouti à la suppression à peu près totale de toute liberté d'expression. Presse censurée, journalistes massivement emprisonnés, procès politiques nombreux, arrestations arbitraires dans tous les milieux et frappant bien au delà des islamistes, toute forme d'opposition démocratique. Le régime est devenu une pure dictature. Le Président et sa famille se sont taillés des empires dans l'économie locale, dirigeant à peu près tous les secteurs d'activité, et firent fortune.

Une véritable classe moyenne bourgeoise s'est ainsi constituée, à l'image de l'Egypte, et comme enaucun autre pays arabe sauf peut-être le Maroc

Or la politique d'industrialisation a continué. Une véritable classe moyenne bourgeoise s'est ainsi constituée, à l'image de l'Egypte, et comme en aucun autre pays arabe sauf peut-être le Maroc. La crise économique a comme ailleurs ralenti la croissance en Tunisie. Des tensions sociales se sont multipliées. La presse et le Parlement étant muselés, elles n'ont eu d'exutoire que la rue.

La police a tiré à de nombreuses reprises mais elle était faible. Le point nouveau et décisif est que l'armée a refusé de tirer sur le peuple. Ben Ali a fui en Arabie Saoudite, la France lui ayant refusé son accueil.

On a là bas rêvé quelques jours d'un gouvernement d'union nationale rassemblant le personnel de Ben Ali et toutes les formes d'opposition. Mais la rue manifestement excédée n'en a pas voulu. La décantation ne laissant subsister au pouvoir qu'une coalition des anciennes oppositions sera lente, difficile et dangereuse, car il n'y a plus de cadre institutionnel respecté.

La Tunisie est en danger. L'islamisme peut ressortir vainqueur, mais il est largement possible aussi que la Tunisie soit en train de connaître la première révolution bourgeoise jamais intervenue dans le monde arabe. C'est un événement considérable.

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La Tunisie a-t-elle choisi un mode de développement efficient ?

LE CERCLE. La Tunisie semble vouloir s'inspirer des modèles de développement qui ont fait le succès de la Chine et de l'Inde. Une stratégie qui n'a pas donné de résultats suffisants sur le plan social, du fait des opportunités inexploitées vis à vis d'autres destinations des échanges, ou de la situation économique de l'Europe.

La Tunisie semble vouloir s'inspirer des modèles de développement qui ont fait le succès de la Chine et de l'Inde, sachant que les petits pays ont généralement plus intérêt à l'insertion dans le commerce mondial du fait de la taille réduite de leur marché intérieur. Toutefois cette stratégie soulève des interrogations du fait qu'elle n'a pas donné de résultats suffisants sur le plan social, en particulier vis à vis de l'emploi des diplômés, du fait des opportunités inexploitées vis à vis d'autres destinations des échanges, de la situation économique de l'Europe etc. Cet article ne dresse pas un tableau complet de la situation, mais contribue à un débat à un moment critique de l'Histoire tunisienne.

Formation et marché du travail en Tunisie

"En Tunisie, le nombre d'étudiants est passé de 28 618 en1978-79, 137 024 en 1997-1998 à 350 828 étudiants en 2007-2008 et celui des diplômés de 4162 à 15 600 puis 60 841 respectivement. Le taux de chômage des diplômés de l’enseignement supérieur n’a pas cessé d’augmenter, passant de 3,8 % en 1994 à 17,5 % en 2006"[1].

"Le nombre de diplômés de l’enseignement supérieur est de 65 630 par an dont 4 109 ingénieurs. Aux 357 472 étudiants en formation dans les universités tunisiennes s’ajoutent près de 13 000 étudiants actuellement dans les grandes écoles et universités à l’étranger, notamment aux États-Unis, au Canada, en France et en Allemagne. L’enseignement supérieur est de plus en plus orienté vers les technologies de l’information. 15,5 % du total de la population estudiantine ont suivi un enseignement supérieur et technique dans les filières des TIC au cours de l'année universitaire 2009/2010" - soit plus de 55 000. [2]

"Le pays compte plus de 20 000 ingénieurs et scientifiques, dont plus de 9 500 diplômés dans le secteur de l'IT pour une population de 10 millions d'habitants. Avec une part estudiantine de sa population de 4 %, la Tunisie se trouve dans la moyenne de l'OCDE" [3].

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Le tableau joint extrait du rapport sur la compétitivité globale 2010-2011 du Forum économique mondial (Davos) reflète un paradoxe saisissant. La Tunisie se place au 7ème rang mondial pour l'indice de disponibilité sur le marché du travail des scientifiques et des ingénieurs (5,6 sur une échelle de 1 à 7). Dès lors, à quoi sert de former autant de personnels qui ne peuvent trouver d'occupation ? Pourtant, un ministre tunisien déclarait encore dans "L'Express" du 11.05.11 que le gouvernement allait lancer un programme-pilote pour les jeunes diplômés afin de les former aux TIC.

Est-il de surcroît bien raisonnable d'orienter sa stratégie d'exportation (offshoring) vers la France dès lors que ce pays a aussi un indice des plus élevés (5,3) au 12ème rang mondial, ce qui confirme au passage un classement tout aussi déplorable en matière de chômage des diplômés de niveau bac+3 (de 25-64 ANS) dans l'OCDE ?

Exemple de coût du travail dans les NTI

Salaire annuel chargé d'un ingénieur informatique débutant: Tunisie: 8000 €, France: 34 000 € [4].

Emigration de travailleurs et étudiants qualifiés de Tunisie

"L’Europe, qui est la destination principale de la majorité des migrants qualifiés originaires du monde arabe, du Maghreb en général et de la Tunisie dans ce cas, a enregistré un doublement des migrants qualifiés qui lui sont destinés. Leur nombre est ainsi passé de 2,5 millions à 4,9 millions durant les années 90. Dans les pays membres de l’OCDE (ou OCED : Organisation de la Coopération et du Développement Economique), un million de diplômés arabes des universités ont été dénombrés, sans compter les qualifiés issus des migrations des pays arabes dans les pays de l’OCDE (ou appartenant aux nouvelles générations)...

On peut considérer l’émigration des étudiants comme, au moins en partie, la pépinière de l’émigration des qualifiés dans la mesure où une bonne part des ces étudiants formés à l’étranger ne retournent

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pas dans leur pays une fois leurs diplômes obtenus. 135 000 étudiants arabes étaient recensés dans les pays de l’OCDE, ce qui représente 7 % des étudiants étrangers en cours de formation dans ces pays développés. Le poids du Maroc est prépondérant : 40 % des étudiants arabes formés dans les pays de l’OCDE.

Le poids de la France est aussi prépondérant : 50 % des étudiants arabes inscrits dans les pays de l’OCDE. La prépondérance française est liée à la prépondérance des étudiants ressortissants des pays francophones du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie), dont les personnels qualifiés représentent la moitié des qualifiés arabes immigrés dans l’OCDE." [5].

Stratégie d'exportation de services délocalisés de la Tunisie et modèle de développement

"...Le gouvernement tunisien doit "parler" avec son "homologue" français pour aider les SSII dans l'adoption d'une alternative équitable au "dépouillement organisé des talents" : co-investir dans une logique de Global Delivery et de centres de compétences à distance...le gouvernement tunisien pourrait mettre en place des dispositifs spécifiques, en recrutant des "maîtrisards" débutants à la sortie de l'université, avec un plan de carrière clair aboutissant, rapidement, au retour en Tunisie après une première expérience, ce qui alimenterait le stock stratégique de ressources expérimentées." [6].

Autrement dit, faire former en France les chefs de projets qui géreront ensuite les prestations offshore.

La stratégie est d'ailleurs clairement énoncée de devenir le "back office" de la France.

Cette tribune dans "01 net" est maligne. Oui mais voilà, dans les pays européens et anglo-saxons, le taux de diplômés est élevé par rapport à la population – la France se distinguant d'ailleurs par le taux élevé de ceux qui sont au chômage – car ont été créés des marchés intérieurs importants pour les occuper. On peut reprendre le vieux raisonnement de Ford ayant consisté à augmenter les salaires de ses ouvriers pour qu'ils achètent ses voitures.

Le marché (au sens de contrat) ainsi proposé par les Tunisiens [7] est un marché de dupes, qui consiste à accaparer une partie de la valeur ajoutée et des emplois issus du développement de ces marchés intérieurs. S'ils considèrent que les entreprises européennes sont aussi prédatrices vis à vis de l'économie tunisienne – ce qui est toutefois faux pour les emplois, les bénéfices réinvestis et les activités induites – la Tunisie peut très bien les nationaliser [8].

Qui plus est, la "révolution" tunisienne a montré que la stratégie de développement essentiellement fondé sur les exportations (délocalisation de services, fabrication textile et d'électronique...) était un échec puisqu'elle a conduit à une situation sociale qui a fini par exploser, conséquence possible de la mondialisation puisqu'elle accroît les inégalités et fragmente les sociétés dans de nombreux pays [9].

De telles stratégies du "tout à l'export" marchent justement en Chine et en Inde en raison des régimes politiques en place ou du comportement des populations. En Chine, le contrôle politique a permis de contenir les frustrations, sans toutefois empêcher quelques "jacqueries", grèves... et le recentrage a déjà été engagé.

En Inde, la pauvreté des masses est une fatalité, aussi perçue comme telle par les pauvres, bien que de nouvelles demandes apparaissent. Comme l'écrivait le sociologue Louis Dumont dans "Homo hierarchicus" à propos du système "jajmänï" indien, "L'idée essentielle, du présent point de vue, est

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l'orientation à l'ensemble qui, même si elle n'est pas consciente, détermine les attitudes les plus menues parce qu'elle préside à la spécialisation et à l'interdépendance. Cette orientation, qui légitime aux yeux des participants leur position respective, apparaît comme le contraire d'un phénomène économique stricto sensu."

La Tunisie, qui veut ainsi donner des leçons à travers l'article précité, se trompe donc de modèle en refusant de réfléchir à un développement centré sur ses propres besoins, ceux de ses voisins immédiats (Maghreb...), de l'environnement plus large des pays arabes et ceux plus au Sud, où elle pourrait conquérir des positions avantageuses malgré la concurrence avec la Chine et bientôt l'Inde.

Où sont les "usines du désert" aux coûts d'énergie solaire dérisoires, produisant du verre filtrant à partir d'une matière première infinie (le sable) pour rénover entièrement l'habitat local ? Où sont les plans de développement de l'agriculture dans le désert sur le mode israélien [10] ? Un des principaux moteurs du développement européen fut en effet le désir de changement. Ni l'Europe, ni le Maghreb ne sortiront de leurs difficultés respectives s'ils cherchent à se disputer les restes du gâteau européen.

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[1] source: "Migration pour le travail décent, la croissance économique et le développement: le cas de la Tunisie", Bureau International du Travail, 2010,

http://www.ilo.org/public/english/protection/migrant/download/imp/imp102f.pdf

[2] source: "Agence de promotion de l'investissement extérieur – FIPA Tunisie",http://www.investintunisia.tn/site/fr/article.php?id_article=178

[3] http://pro.01net.com/editorial/532469/les-ssii-francaises-puisent-dans-les-ressources-strategiques- de-la-tunisie/, 9.05.11

[4] http://www.investintunisia.tn/site/fr/article.php?id_article=179

[5] "Migration pour le travail décent, la croissance économique et le développement: le cas de la Tunisie", Bureau International du Travail, 2010,

http://www.ilo.org/public/english/protection/migrant/download/imp/imp102f.pdf

[6] http://pro.01net.com/editorial/532469/les-ssii-francaises-puisent-dans-les-ressources-strategiques- de-la-tunisie/, 9.05.11

[7] Le néologisme anglo-saxon n'y change rien. Il y a longtemps que nous sommes habitués à la réalité que cherche à masquer un tel procédé. "Global delivery", "Rightshoring", "Nearshoring"...c'est tout bêtement de l'offshoring. La France est aussi le pays de Molière et du "bourgeois gentilhomme" :).

[8] Ce que la Tunisie a toujours très bien su faire, le Secrétaire d'Etat rappelant d'ailleurs dans l'article de "CBP" que l'Etat tunisien détient 51 % d'Orange Tunisie (qui en l'occurrence porte bien son nom):http://channelbp.com/content/la-tunisie-favorise-l%E2%80%99implantation-

d%E2%80%99investisseurs-dans-it-notamment

[9] Il y a toutefois évidemment bien d'autres facteurs, notamment d'ordres politique et démographique, qui ont été abondamment commentés, et même la relation entre développement et revendications politiques. Mais le bouleversement politique en Tunisie n'aurait pas pris cette forme sans la désespérance sociale de la jeunesse.

[10] (Erreur ! Référence de lien hypertexte non

valide.http://www.courrierinternational.com/article/2007/01/25/des-oasis-a-poissons-en-terre-promise

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La reprise économique risque de pâtir du "malgoverno" tunisien

LE CERCLE. L’environnement macroéconomique des affaires en Tunisie a été fortement marqué récemment par l’éclatement au grand jour du "malgoverno" tunisien, l’autre visage de la crise économique, la face politique d’un processus de régression qui marque le pays depuis quelques mois.

ECRIT PAR

Hachemi Alaya

Docteur - Ingénieur Conseil

Malgoverno. C’est aussi par ce mot italien qu’est perçue par le Tunisien, la façon dont sont gérées les affaires économiques, financières (et même de toutes les autres) du pays. Paradoxalement, c’est à l’heure où la Tunisie postrévolutionnaire est supposée s’atteler à tourner la page d'une économie gangrenée et d’un mode de gouvernance politique sacripant, à l’heure où elle a inscrit la bonne gouvernance dans son bréviaire politique et s’est dotée d’un ministère qui lui est entièrement dédié que le malgoverno est en train de connaître le summum de son art occasionnant des dégâts qui, dans l’immédiat, compromettent sérieusement les chances d’une reprise de l’activité économique.

En effet, et pour nous en tenir uniquement aux "initiatives" lancées en cours de semaine, quel bénéfice pour la relance de l’économie, escompter du limogeage du gouvernement de la Banque centrale ? À l’évidence, aucun. Bien au contraire. En effet, la BCT a opéré depuis quelques semaines un aggiornamento de sa politique monétaire qui le moins qu’on puisse dire abonde dans le sens de la politique de relance du gouvernement. Outre l’arrêt de la hausse du coût de l’argent (voir plus bas le TMM du mois de juin) et la fourniture en abondance de liquidités tant au système bancaire qu’au Trésor (via l’Open Market), la BCT a enfin réalisé l’importance d’une restructuration et d’un assainissement en profondeur du système bancaire tunisien et annoncé les grandes lignes de son programme de réformes. À l’heure où le pays a un besoin vital des contributions des bailleurs de fonds étrangers, quel bénéfice escompter d’une instabilité d’un des organes de gouvernance les plus importants du système financier ?

De même, la semaine a été marquée par l’inauguration des travaux de révision du code de l’investissement. De quelque manière qu’on l’appréhende, cette initiative ne peut être perçue par les investisseurs étrangers qu’une "autre" manifestation de l’instabilité qui frappe le pays, un changement en perspective de la règle du jeu régissant l’investissement. Conséquence ? wait and see pour se décider à investir. La Tunisie dispose, comme l’attestent les nombreuses études dédiées à la question d’un solide capital en matière d’attractivité, mais souffre par contre d’un sérieux handicap en matière des stabilités politiques, qualité de la gouvernance, efficacité de l’appareil de maintien de l’ordre

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public, régulation des luttes sociales et politiques, etc. (voir "La Tunisie, pays en danger" en page 3 selon le Foreign Policy)

Et que dire du report de la signature des lois relatives à la participation de la Tunisie au capital du Fonds Monétaire International ? Une mesure destinée sinon à augmenter le "poids" de la Tunisie dans les instances de décision du Fonds, du moins à préserver l’acquis. Que penser de l’ouverture du chantier relatif à la mise en place d‘un système législatif régissant la finance islamique préalablement à la restructuration et l’assainissement du secteur des banques publiques ?

Autant d’initiatives de la politique économique qui le moins qu’on puisse dire témoignent d’une perception indigente des véritables défis qui assaillent l’économie tunisienne et d’une absence de vision réaliste quant à son avenir. À l’heure où la Tunisie a besoin de rebâtir un État qui ose la transparence avec ses concitoyens et assure des prestations de qualité, de recréer un vrai contrat social, de restaurer une crédibilité écornée par les dysfonctionnements manifestes de la gouvernance politique, le débat politique se complait dans les querelles d’un autre âge tandis que le malgoverno se traduit en termes économiques par un déficit budgétaire croissant, un système de financement de l’économie sous perfusion malsaine, un déficit des échanges extérieurs qui ronge ses maigres avoirs en devises, un endettement qui menace de tuméfaction, des investisseurs qui jouent la pause, etc.

À l’évidence, le malgoverno ne satisfait ni les milieux financiers internationaux ni les citoyens qui avaient précipité la chute de l’ancien régime, ni les entreprises tunisiennes qui ont besoin d’un environnement des affaires expurgé des tares qui ont longtemps contrarié leurs projets d’investissements.

Révolution tunisienne et impact économique

LE CERCLE. Alors que les événements de janvier 2011, connus sous le nom de Printemps Arabe, fêtent leur premier anniversaire, la société Masmoudi, spécialisé dans la pâtisserie orientale haut de gamme et présente en France apporte son éclairage sur la situation d’alors et fait son bilan…

ECRIT PAR

Ahmed Masmoudi

Le printemps Arabe, débute le 17 décembre 2010 dans la ville de Sidi Bouzid par la révolution en Tunisie, notre pays, qui a conduit Zine el-Abidine Ben Ali à quitter le pouvoir. Ainsi, le 12 janvier 2011, à quelques mètres de nos locaux, le siège du RCD, premier symbole de la dictature de l’ancien régime brûlait sous nos yeux. Fort heureusement, nos locaux n'ont pas été touchés.

Dans la foulée 11 000 prisonniers se sont échappés de prison, des actions de pillages ont eu lieu un peu partout dans le pays, il y avait une absence complète de sécurité dans les villes. Comme dans de

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nombreuses entreprises, nous avons, avec nos employés passés les premiers jours et nuits dans les locaux pour protéger les biens. Nous avons arrêté la production pendant 3 jours, ce qui est très peu finalement lorsque je repense à la situation. Quelques semaines plus tard, un grand mouvement social a traversé le pays et plusieurs établissements publics et privés ont connu la grève. Des revendications souvent légitimes, mais pas toujours, "l'ambiance" générale était à la contestation...

Quelques semaines après la révolution ce mouvement social a fait beaucoup de mal à l'économie du pays. Les entreprises aussi devaient faire des efforts pour « remettre la machine en marche ». 150 de nos employés saisonniers ont manifesté devant notre siège pour réclamer une titularisation. Après une demi-journée de grève et une rapide négociation, nous avons pris la décision de tous les titulariser, le nombre de salariés chez Masmoudi est donc, en quelques heures, passé de 300 à plus de 450 salariés, un geste de solidarité apprécié par tous les employés et nous avions confiance en notre capacité à rebondir face à la situation. La période post-révolution a été difficile pour notre pays, un bilan très lourd pour l'économie. 120 sociétés étrangères sur 3200 ont quitté la Tunisie faisant passer le taux de chômage de 14 à 19%.

Dans le même temps, le tourisme a connu une chute vertigineuse de 40 %. Durant cette période aucune pénurie sur les produits de première nécessité n'a été enregistrée, malgré l’arrivée de plus d’un million cinq cent mille libyens qui fuyaient les massacres. De nombreuses familles libyennes ont été hébergées chez les familles tunisiennes. Toute la population s'est mise en marche pour venir en aide au peuple libyen. Pendant la révolution libyenne, sur le marché des pâtisseries tunisiennes, contre toute attente, la consommation a augmenté de manière remarquable. Les hôtels tunisiens désertés par les touristes européens ont étés occupés par les libyens. L’indicateur de consommation a enregistré une hausse et le chiffre d’affaire en exportation des produits alimentaires en direction de la Lybie a été multiplié par trois, c’est ce qui, entre autres, a sauvé l’économie tunisienne.

Pendant le premier trimestre de la révolution tunisienne, nous avons perdu 50 % de notre chiffre d’affaires à cause du couvre-feu et "l'humeur" de chacun n'était pas à la consommation de pâtisserie.

Mais nous avons terminé l’année en enregistrant plus de 15% de croissance, résultat inattendu et obtenu grâce à l'effort déployé par tous les employés. Nous avons pris beaucoup de risques alors que nous n'avions aucune visibilité sur les perspectives de notre marché et sur le contexte politique et économique et nous avons même continué à ouvrir de nouveaux magasins. D'une certaine façon, je peux dire aujourd'hui que la révolution a été bénéfique pour notre activité parce que nous ne nous sommes pas laissés emmenés par la crise.

Quant à la question de l'impact de la corruption de l'ancien régime sur nos affaires, je dirais que le commerce extérieur et l’importation clandestine de marchandises ont participé à la destruction de l’industrie en Tunisie et causé le chômage en structurant un marché parallèle. Mais selon moi, la corruption de l’ancien régime ne s'est en revanche pas beaucoup intéressé au secteur de l’exportation, considéré comme difficile et peu juteux. Aujourd’hui, je suis plein d’espoir sur le développement économique de notre pays. Notre entreprise représente un vrai succès en Tunisie et son business model amènent l’économie tunisienne à se poser la question de son potentiel de développement au niveau international via le système de franchises et je crois très fort en ce potentiel.

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En attendant la relance, les perspectives s’assombrissent sur l'économie tunisienne

LE CERCLE. Les quelques indicateurs économiques publiés cette semaine indiquent que l’économie tunisienne est restée à la peine au cours de la première moitié de l’année 2012.

C’est le contraire qui aurait étonné au regard d’une part, du contexte actuel difficile de l’économie mondiale et, d’autre part, de l’agitation et du brouillamini qui marquent l’environnement interne des affaires.

ECRIT PAR

Hachemi Alaya

Docteur - Ingénieur Conseil

En effet, les signes s’accumulent qui annoncent que l’économie tunisienne, loin de prendre le chemin de la reprise et de la croissance, est au contraire en train de sombrer dans la stagflation. L’inflation reste plus menaçante que jamais. Le taux d’inflation qui ressort des statistiques que vient de publier l’INS pour le mois de juin, reste le plus élevé enregistré par notre pays au cours des dix dernières années. Le tourisme est toujours déprimé comme en témoigne le flux de recettes touristiques engrangées au cours de la première moitié de l’année et qui n’arrive même pas à retrouver son niveau de l’année 2007.

La dégradation du compte extérieur de la Tunisie est en train de prendre une ampleur inquiétante comme le révèle l’érosion du matelas devises du pays qui a atteint au cours de cette semaine son plus bas niveau depuis au moins une dizaine d’années : 95 jours d’importation. L’enflure du crédit bancaire a contribué à fragiliser encore davantage un secteur bancaire déjà bien mal en point comme en témoignent la confirmation à un niveau très désavantageux du BICRA de la Tunisie par Standard &

Poor’s, la hausse subite en ce début de mois de juillet, du taux du marché monétaire et l’affaissement du volume des transactions interbancaires. Et, comme pour confirmer ce diagnostic, l’abaissement, encore un, de l’évaluation de la "résilience économique" de la Tunisie par l’agence Standard & Poor’s.

Ce diagnostic est, à l’évidence, à l’opposé du triomphalisme ambiant. Il procède du constat (et de la conviction) que la croissance économique ne se décrète pas, ne se maquille pas avec des artifices statistiques ; elle se construit. La politique de relance proposée actuellement pour la Tunisie (Go and Stop) est trop conjoncturelle et ne peut aboutir qu’à aggraver la dégradation de la situation extérieure du pays, l’alourdissement du fardeau de la dette de l’État et son impécuniosité, le maintien à un niveau élevé du chômage des jeunes qui attendent autre chose que des emplois mal rémunérés dans les chantiers à inaugurer par les "investissements publics", etc.

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Les maux de la Tunisie s’enracinent dans les faiblesses structurelles de notre compétitivité qui ne se cesse de se dégrader (voir graphique ci-contre) et ce n’est pas la relance de la consommation par une politique salariale généreuse dans une économie qui souffre une productivité par tête fort médiocre qui va booster les exportations. De même, ce n’est pas n’importe quel investissement public qui va relancer l’économie. Il en va des dépenses d’investissements publics comme des dépenses courantes : certaines contribuent à la productivité et la croissance, d’autres au contraire, la freinent ou l’étouffent.

Quelle résilience pour l'économie mondiale?

LE CERCLE. Les systèmes économiques basés sur la concurrence sont stables lorsqu’ils atteignent un certain optimum. Cet équilibre dispose d’une certaine élasticité par rapport à différents facteurs. La crise actuelle teste actuellement ces facteurs et l’élasticité de l’équilibre.

Il est nécessaire de déterminer les seuils de rupture et de mettre en œuvre des solutions en conséquence.

ECRIT PAR

Driss Lamrani

L’optimum de Pareto définit l’équilibre d’un système économique concurrentiel. Il réparti les richesses d’une façon où chaque transfert, d’un agent vers un autre, aurait pour conséquence de réduire le bien être d’au moins un individu. Ce système se base sur la limitation du bien être de chacun. Le prix des biens atteint l’optimum, lorsque les différents agents économiques trouvent dans les conditions de marché, un niveau suffisant pour assurer leur bien être individuel (ce seuil diffère d’un individu à l’autre).

Il existe de nombreux optimaux et équilibres. Ceci dépend des spécificités de l’économie. Un modèle économique, dans lequel le coefficient de GINI (1) se situe à 100, peut être un optimum de Pareto.

Cette économie, où un agent économique unique accapare toutes les richesses, est aussi un optimum de Pareto puisque le transfert d’une proportion incongrue de richesse de l’agent dominant réduirait son propre bien être.

Cependant, certains optimaux sont déséquilibrés sans transfert de richesse.

Les richesses de l’économie Tunisienne ont été accaparées par une petite frange de la société. Le modèle a pu résister plusieurs années et constitué une forme d’optimum. Cependant, à cause de facteurs exogènes à l’économie Tunisienne – tels que le prix des matières premières – l’équilibre s’est rompu et « le printemps arabe » a appelé à rompre l’équilibre avec la classe favorisé demandant un transfert des richesses vers les plus démunis.

Cet exemple montre que la stabilité d’un optimal dépend de l’élasticité de l’optimum. Cette élasticité correspond à la quantité marginale de transfert de richesses absorbable sans déséquilibrer le bien-

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être individuel des différents agents. Cette quantité marginale est équivalente à un seuil de tolérance pour la réduction de la fonction d’utilité du bien-être de chaque individu. Les agents seraient capables d’absorber une proposition de baisse de leur bien-être propre. Cependant au-delà d’une certaine limite (i.e. le seuil de tolérance), la baisse de leur bien être crée un déséquilibre important et pousse à la mise en œuvre d’un nouvel optimum.

Ce mécanisme peut expliquer le développement des investissements dans les énergies renouvelables. Lorsque le prix du baril de pétrole à dépasser le seuil psychologique de 100USD, en 2008, la majorité des industriels ont décidé d’étudier l’exploitation de gisement de pétrole difficilement exploitables (i.e. les sables bitumeux). Les capitaux financiers destinés aux projets « Green Technologies » se sont accrues.

La quantité marginale de déséquilibre, pour le secteur énergétique, fut la hausse des prix de pétrole au-delà de 100USD.

La crise financière et économique actuelle a mis en exergue plusieurs fragilités du système. Parmi ces fragilités, nous pouvons citer :

1- Un taux de chômage de 10% en Europe et de 17% aux US (ce taux atteint 20% pour les jeunes de moins de 25ans) ;

2- Les taux d’inégalités, évalués par le coefficient GINI, s’accroissent dans toutes les économies occidentales. Il est actuellement de 50% dans l’Etat de New York au même niveau que la République Dominicaine (2) ;

3- Le niveau de rémunération variable du secteur de la finance est un niveau historiquement élevé (3) et (4) ;

4- L’endettement privé et public atteignent des niveaux stratosphériques ;

5- Les politiques monétaires non conventionnelles n’arrivent pas à faire reculer le chômage et retrouver la croissance et prouvent leur inefficacité compte tenu notamment des effets de détournement de leurs bénéfices

6- La crainte des investisseurs d’une crise bancaire (craintes des investisseurs américains vis-à-vis des banques etc.) ;

7- Le niveau extrêmement bas des taux d’intérêts qui met en péril les épargnants et augmentent les difficultés de financement des fonds de pension des entreprises ;

8- Le début de dévaluations compétitives par certaines banques centrales telles que la SNB (7).

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Cette liste n’est bien entendu pas exhaustive. Elle montre néanmoins que plusieurs facteurs évoluent en même temps en direction d’une très grande instabilité économique. Force est de reconnaitre que les seuils marginaux de déséquilibres ne sont pas clairement évalué, nous ne pouvons déterminer l’éloignement actuel d’un choc démocratique qui risquerait de refuser le modèle présent.

A titre d’exemple, le plan d’austérité grecque connait une coalition politique nationale. Mais rien ne garanti que cette coalition politique continue si la situation économique venait à se dégrader. Rien ne garanti, non plus, que la Grèce ne se déclarera pas en défaut pur et simple, en répudiant une partie de sa dette. Rien ne garanti que la réduction du bien-être des citoyens grecs ne soit pas suffisamment importante pour exiger une modification de système politique et économique.

Les économies occidentales se sont accordées sur le sauvetage du système bancaire, post faillite de Lehman Brothers, en apportant une solidarité collective. Rien ne garanti que si les conditions des marchés financiers venaient à se dégrader encore, les Etats pourront (et souhaiteront) sauver le système de la faillite.

Les déclarations récentes de la SNB ravivent le spectre de dévaluations monétaires compétitives entre les pays occidentaux. Nul ne connait le seuil de déséquilibres d’offre et de demande de liquidité au-delà de laquelle, une guerre des monnaies entre Banques Centrales pourrait se mettre en œuvre.

Pour éviter ce type de scénario apocalyptique, il est nécessaire de s’interroger sur les seuils de tolérance de d’équilibre économique actuel. La compréhension de ces seuils permettrait de prendre des décisions sur la politique économique et monétaire en fonction des conséquences de ces actions sur ces seuils. La régulation financière devra elle aussi tenir compte de ces seuils de tolérance pour éviter l’augmentation de la fragilité du système bancaire.

Note :

(1) Ce ratio évalue le niveau des inégalités dans un groupe de personne. Il atteint 100 lorsque le groupe est totalement inégalitaire, il se situe à 0 lorsque le groupe connait une égalité paraitre.

(2) http://hdr.undp.org/en/media/HDR_2010_EN_Complete_reprint.pdf

(3) http://www.ft.com/cms/s/0/aa8833f4-27eb-11e0-8abc-00144feab49a.html#axzz...

(4) The Great Bank Robbery, Nicolas Nassim Taleb & Mark Spitznagel http://www.project- syndicate.org/commentary/taleb1/English

(5) Quantitative Easing http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/politique-eco-conjoncture/m...

(6) Banque Centrale Suisse, dont le mandat inclut un objectif de support du Franc Suisse pour aider les exportateurs.

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La redevabilité au cœur de la démocratie tunisienne naissante

LE CERCLE. Le remaniement du gouvernement opéré par Mohamed Ghannouchi va très probablement rassurer la communauté des affaires à l’intérieur et à l’extérieur de la Tunisie.

ECRIT PAR

Mohamed Ali Marouani

En effet, il comprend des jeunes technocrates reconnus issus ou proches du monde de l’entreprise.

Le grand défi auquel va faire face cette nouvelle équipe ne sera pas technique mais politique. Il s’agira de ne pas oublier qu’elle est là grâce aux manifestants de la Kasbah, grâce à la Révolution.

Cette redevabilité[1] vis-à-vis du peuple tunisien, si elle devenait un élément moteur de la nouvelle démocratie tunisienne, constituerait une rupture majeure avec le régime précédent, et au-delà. En effet, nous sommes héritiers d’une culture politique où les gouvernants considèrent souvent qu’ils ne doivent rien ou pas grand chose aux gouvernés. Ils doivent leur pouvoir à leur seul talent, à leur génie.

Rappelons-nous qu’un grand leader visionnaire comme Habib Bourguiba a fini par céder au pouvoir personnel car il ne se sentait aucunement redevable vis-à-vis du peuple.

Les responsables des partis politiques, des syndicats, des associations, devront de même rendre des comptes à leurs bases. Les leaders de l’opposition qui ont payé un lourd tribut en années de prison ou d’exil devront profiter de leur autorité morale pour donner l’exemple en matière de redevabilité dans cette nouvelle étape. C’est le seul moyen de créer une démocratie authentique.

Rendre des comptes aux citoyens signifie aussi assurer la transparence des statistiques et développer l’évaluation des politiques publiques. Non pas les évaluations par des experts surveillés comme les aiment les dictateurs, l’évaluation n’étant utile que si elle est transparente et mène à des débats entre les différentes composantes de la société. Si la situation s’est autant détériorée en termes de chômage des jeunes diplômés sans qu’on n’en prenne la pleine mesure, notamment dans les régions défavorisées, c’est en raison du black-out imposé par le régime sur les statistiques d’emploi ou de revenus des ménages. Les chercheurs qui s’intéressaient à la Tunisie étaient obligés de travailler à partir de statistiques très agrégées et, quand ils aboutissaient à des résultats alarmistes, tous les moyens étaient bons pour étouffer leurs travaux.

J’appelle le gouvernement transitoire à libérer les statistiques sociales en Tunisie afin de permettre un débat sérieux entre les différentes composantes de la société sur les politiques de lutte contre le chômage et d’aménagement du territoire, pour réduire les inégalités régionales trop criantes. Il faudra aussi couper le cordon ombilical entre la recherche publique et le pouvoir pour assurer l’indépendance de la recherche et une meilleure contribution des chercheurs au débat public.

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Tunisie : une situation économique morose et des promesses peu crédibles

LE CERCLE. (par Lahcen Achy) - Dix huit mois après la révolution de Jasmin et six mois après que les islamistes d'Ennahda ont été portés au pouvoir à la suite des élections législatives, l'économie tunisienne peine à se redresser et à retrouver le chemin de la croissance. L’année 2011 s’est soldée sur une contraction du produit intérieur brut de 1.8%.

ECRIT PAR

Lahcen Achy

Chercheur en économie

Centre Carnegie pour le Moyen-Orient

Il est peut être facile d’attribuer la responsabilité de cette performance médiocre au gouvernement actuel pour son manque d’expérience dans la gestion des affaires publiques. Toutefois, objectivement, les défis posés au gouvernement conduit par le parti Ennahda sont complexes.

A l’échelle nationale, la révolution a fait naître chez les Tunisiens d’immenses anticipations économiques et sociales. La montée vertigineuse de la grogne sociale et des grèves des travailleurs dans tout le pays illustre l’intensité des frustrations et l’ampleur des attentes.

Sur le plan régional, la situation d’instabilité en Libye génère un impact négatif sur l'économie tunisienne qui, des décennies durant, s’est appuyée sur son voisin plus riche et moins peuplé pour les emplois et en tant que marché lucratif pour ses exportations. Enfin, le ralentissement économique dans la zone euro, principal partenaire commercial de la Tunisie, a également exacerbé la crise économique tunisienne. Les dernières prévisions du FMI indiquent que l’année 2012 serait une année de contraction des économies de la zone euro.

Afin de faire face à ce contexte économique difficile, le gouvernement tunisien a adopté un projet de budget rectificatif pour l’année 2012. Il a également présenté son programme pour 2012 dans le but de répondre aux aspirations de la population.

Dans son programme, le gouvernement tunisien annonce un plan de réforme en deux phases : une première phase de reprise en 2012 suivie d’une phase de relance de la croissance à partir de 2013.

En 2012, le gouvernement a opté pour une politique de budgétaire expansionniste qui met l’accent sur le développement régional et la création d'emplois supplémentaires dans le secteur public.

Le gouvernement s’est fixé un objectif de croissance économique de 3,5 pour cent en 2012. Ce chiffre reste assez modeste, compte tenu à la fois de la contraction de l'économie tunisienne de 1,8 pour cent en 2011 et au vu de l’augmentation des dépenses publiques de 22 dans le budget rectificatif de 2012 comparé à celui de 2011.

Le budget rectificatif de 2012 fait appel à des sources de financement exceptionnelles. Il s’agit de 800 millions de dollars d’actifs confisqués aux proches du régime déchu et de 600 millions de dollars prélevés sur les recettes de la cession par le gouvernement de sa part dans Tunisie Télécom en

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2006. Le gouvernement a également lancé un appel de solidarité en direction de tous les Tunisiens dans le pays et à l'étranger avec l’objectif de recueillir la somme de 300 millions de dollars. Enfin, le gouvernement prévoit la mobilisation de 400 millions de dollars de dons provenant de l’étranger.

Le déficit budgétaire devrait passer à 6,6 pour cent du PIB en 2012 contre 3,7 pour cent en 2011 du principalement à une hausse de 20 pour cent des dépenses courantes. En effet, le gouvernement s’engage de créer 25.000 nouveaux postes dans la fonction publique, ce qui aura comme conséquence de gonfler la facture salariale estimée à 12,5 pour cent du PIB et de créer davantage d’espérance d’emploi public chez les jeunes en quête d’emploi.

En mettant de côté les sources de financement exceptionnelles, le déficit budgétaire atteindrait 12 pour cent du PIB en 2012 et non 6,6 pour cent. Il est clair que le gouvernement sera contraint de réduire le rythme de dépenses au cours des années à venir au risque de voir grimper la dette publique.

Il est très improbable dans ce contexte que le gouvernement puise ramener le déficit budgétaire à 3 pour cent du PIB et de limiter l’endettement public à 40 pour cent du PIB à l’horizon 2016. Les objectifs affichés en matière de croissance et qui visent un taux de 7 pour cent en 2015 et 8 pour cent à l’horizon 2017 semblent également être des vœux pieux.

Même si le gouvernement actuel tire sa légitimité des urnes, son mandat limité d’un an en fait un gouvernement de transition. Cette situation particulière le contraint à opter pour des politiques expansionnistes afin de satisfaire de larges segments de l’électorat. Les réformes structurelles indispensables mais dont les résultats ne peuvent se matérialiser dans l’immédiat sont pour le moment reportées. Or, ce sont exactement les réformes structurelles dont la Tunisie a besoin pour se mettre la voie de la croissance soutenue et de la création d'emplois viables.

Ce que la Tunisie doit faire pour promouvoir le secteur privé

LE CERCLE. Si l’expérience de l’économie tunisienne ne peut être qualifiée de miracle économique, elle n’est pas non plus un fiasco total. Le pays a réalisé un taux de croissance moyen qui avoisine les 5 pourcent sur la dernière décennie, devançant ainsi la plupart des pays de la zone du Moyen Orient et Afrique du Nord (MENA).

ECRIT PAR

Lahcen Achy

Chercheur en économie

Centre Carnegie pour le Moyen-Orient

Le pays a également réduit ses taux de pauvreté et a sensiblement amélioré les niveaux d’accès de sa population à l’éducation. Politiquement, la Tunisie a été fondée sur un contrat social subtil entre le régime et la société à travers lequel de larges segments de la population ont accès à différents

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avantages économiques et sociaux en contrepartie de leur soutien au régime. En même temps, aucune forme d’opposition ou de rejet du régime n’était tolérée.

La légitimité du régime s’est toutefois érodée devant son incapacité à offrir des opportunités de travail aux jeunes diplômés, la prolifération des emplois mal rémunérés dans les activités informelles et creusement des inégalités de revenu et les disparités spatiales et régionales. Au moment où la Tunisie tente de tourner la page et construire un nouveau contrat social fondé sur la liberté, la justice sociale et la démocratie ; le gouvernement doit saisir cette opportunité historique pour réviser les bases de la stratégie économique du pays et se donner les moyens pour surmonter les défis auquel il fait face.

Des équilibres délicats doivent être tenus entre la recherche de l'efficacité économique et la justice sociale ou encore entre la création d’un climat propice à l'investissement et l’application transparente et ferme du droit. A cet égard, le gouvernement doit élaborer des politiques économiques cohérentes fondées sur un discours crédible, des objectifs concrets et un calendrier d'action précis.

Un processus soutenu de création d’emploi exige l’émergence d'un secteur privé fort et compétitif.

Dans les pays où les taux de croissance sont élevés, l'investissement privé dépasse les 25 pourcent du PIB alors qu'il peine en Tunisie à atteindre les 15 pourcent. L'Etat continue à contrôler une grande partie de l'économie et pénètre le monde des affaires à travers un réseau complexe de participations croisées. L'Etat est non seulement présent dans les industries de réseaux comme les télécommunications, l'énergie, le transport et le secteur bancaire – mais aussi dans d'autres secteurs tels que les engrais, l'exploitation minière, le matériel de construction etc.

Aujourd’hui, le gouvernement doit identifier les facteurs qui entravent l'investissement privé local et étranger et de mettre en œuvre les réformes dans quatre domaines clés.

En premier lieu, la Tunisie doit revoir les barrières à l'entrée dans les activités de services, ce, dans l'objectif de promouvoir la participation des investissements privés locaux et étrangers. L'accès à plusieurs services y compris les activités de distribution (le commerce en gros et en détail) sont l'apanage des entreprises où le capital tunisien détient la majorité des intérêts et requièrent l'approbation à priori de la Commission Tunisienne pour l'Investissement. Le cercle privé du régime de Ben Ali s'est servi de ces dispositions pour s'imposer en partenaire inévitable aux étrangers. Un comportement qui a beaucoup dissuadé l'investissement privé.

Les insuffisances du système financier constituent un autre handicap à l’investissement privé en Tunisie. Des réformes s’imposent pour permettre une meilleure mobilisation de l’épargne, une réduire du coût du capital et une allocation optimale des ressources financières disponibles. Aujourd’hui l’Etat maintient un contrôle ferme sur les trois banques publiques les plus importantes avec des effets pervers sur la concurrence et des niveaux excessifs des créances en souffrance.

Troisièmement, les autorités ont besoin de revoir les avantages accordés dans le cadre du code d'investissement et mettre en place des mesures incitatives plus efficaces, cohérentes et transparentes pour appuyer l'investissement et l'exportation. Chaque année, le gouvernement renonce à l’équivalent de 50 à 60 pourcent des impôts sur sociétés sous forme d’avantages fiscaux.

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Toutefois, l’essentiel des incitations, allouées sur la base de considérations politiques, n’avaient servi qu’accroitre le contrôle administratif sur le secteur privé sans aucun effet tangible sur l’emploi ou la productivité.

Enfin, il est indispensable de s’attaquer aux racines profondes de la corruption. Ce phénomène a été tellement ancré qu'il ne quitterait pas la Tunisie avec le départ de Ben Ali. Bien que les medias et l'opinion publique se soient concentrés exclusivement sur la corruption des grosses pointures, la corruption et le népotisme en Tunisie transcendent en effet les cercles proches du régime pour atteindre la masse. Lutter contre la corruption revient à mettre fin aux pots-de-vin, éradiquer la fraude et l’évasion fiscales et à démanteler les systèmes clientélistes qui offraient des services sociaux à des fins politiques. A ce propos, les décideurs politiques et les autres parties prenantes se doivent de concevoir une stratégie globale de lutte contre la corruption. Les campagnes de sensibilisation qui expliquent les méfaits de la corruption et son impact néfaste sur la croissance économique, l'investissement et la concurrence sont nécessaires mais demeurent insuffisantes. Pour réussir, la sensibilisation doit être accompagnée par une application ferme mais juste de la loi.

Le gouvernement tunisien n'aura pas beaucoup de marge de manœuvre pour accroitre l'investissement public dans les années à venir. D’une part, une grande partie du budget de l’Etat est absorbée par des dépenses de fonctionnement incompressible. De l’autre, le gouvernement doit maintenir sous contrôle les niveaux du déficit budgétaire et de la dette publique. Le secteur privé aura un rôle déterminant pour revitaliser l'économie tunisienne. Pour ce faire, le gouvernement doit démanteler les barrières explicites et implicites qui handicapent l’environnement des affaires. De la logique des faveurs accordées en contrepartie du soutien politique, le gouvernement doit faire la place à des mécanismes d’incitation sur fonds d'efficacité économique et de justice sociale.

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Tunisie : le FMI sceptique quant à la politique de relance budgétaire et stigmatise l’absence de réformes structurelles

LE CERCLE. Le dernier rapport du FMI est globalement "négatif" pour la Tunisie. La croissance attendue ne sera pas au rendez-vous, la politique de relance budgétaire est porteuse de gros risques et la politique monétaire mise en œuvre est inappropriée. Seulement une thérapie classique conjuguée avec des réformes structurelles est de nature à permettre au pays de retrouver le chemin de la croissance.

ECRIT PAR

Hachemi Alaya

Docteur - Ingénieur Conseil

Dans son dernier rapport de mission au style platement technocratique, mais hautement diplomatique, le Fonds Monétaire International vient de livrer sa vérité sur l’économie et la politique économique de la Tunisie postrévolution. Pour l’essentiel, le diagnostic du FMI peut être circonscrit aux points suivants :

La croissance attendue ne sera pas au rendez-vous ne serait-ce qu’en raison de la récession économique qui frappe notre principal partenaire commercial européen et qui s’avère plus grave que prévu. Mais le FMI doute fort aussi de l’aptitude du gouvernement transitoire à mobiliser les financements requis par sa politique de relance budgétaire tout comme il n’exclut guère une augmentation des tensions sociales dans le pays qui décourageraient les investissements domestiques et étrangers. À la différence des prévisions officielles, le Fonds s’attend à une croissance de 2,7 % en 2012 et de 3,5 % en 2013.

La politique de relance budgétaire (Go and Stop) est porteuse de gros risques. Avec un moteur carrément en panne, celui de l’exportation, un deuxième moteur, celui de l’investissement privé, toujours en stand-by et le troisième et dernier, celui de la consommation qui s’essouffle pour cause d’inflation, la relance budgétaire de la consommation et de l’investissement public ne peut aboutir qu’à aggraver le déficit extérieur, à plomber les finances de l’État et à exacerber des tensions inflationnistes toujours menaçantes.

Cette politique expansionniste destinée à répondre aux revendications sociales et soutenir l’économie se traduit dans l’immédiat par une aggravation de l’endettement tant public qu’extérieur (voir graphique ci-contre) et risque à terme de conduire le pays à la déconfiture financière.

La lutte contre l’inflation et la préservation des réserves de change requièrent la hausse du coût de l’argent, la maîtrise de la dépense publique et la "dévaluation" du dinar. Pour contenir l’inflation, le Fonds "suggère" à sa manière une hausse des taux d’intérêt pour contenir la croissance du crédit bancaire, "une souplesse accrue du taux de change" autrement dit, la poursuite de la politique de dépréciation à doses homéopathiques du dinar afin de préserver les réserves de change du pays et enfin, une véritable "maîtrise" de la dépense publique qui suppose inévitablement le renchérissement des prix des produits subventionnés et le gel des salaires publics.

La politique monétaire mise en œuvre est inappropriée et a eu pour effet collatéral de contribuer à aggraver les déséquilibres macroéconomiques. En abaissant le taux d’intérêt directeur et en injectant

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d’importantes liquidités, les autorités monétaires ont contribué à soutenir le crédit bancaire et, par conséquent, à laisser filer l’inflation. Dans son effort pour soutenir un système bancaire ébranlé par la chute de l’ancien régime, la banque centrale qui n’a pas hésité à venir en aide aux banques tunisiennes pour éviter un véritable cataclysme bancaire a de facto, abouti à les rendre très dépendantes des injections massives de liquidités de l’Institut d’émission sans pour autant s’attaquer à l’épineux problème de leurs créances accrochées et de leur sous-capitalisation.

En l’absence de réformes structurelles sérieuses, la Tunisie ne peut espérer retrouver le chemin de la croissance et venir à bout du problème du chômage. L’analyse du Fonds procède du constat global que la croissance économique tunisienne des années 2000 fut certes estimable, mais elle ne fut ni inclusive, ni créatrice d’emplois. Elle suggère une révision en profondeur du modèle de développement tunisien qui tiendrait compte du potentiel de croissance et des centres de vitalité de l’économie du pays. Mais, "pour libérer ce potentiel [et] jeter les bases de la transformation de l'économie et de la promotion d'une croissance plus solide et plus solidaire" il est nécessaire d’adopter un programme de réformes structurelles drastiques qui concerneraient le marché du travail, le système financier, la gouvernance de l’entreprise, l’école, etc.

Conclusion

Un rapport à faible pertinence où prévalent discours panégyriste, préconisations classiques et une faible confiance dans les capacités des autorités de transition à conduire les réformes requises. En effet, ce rapport de mission ne fait que reprendre une analyse de la situation économique & financière du pays largement développé à longueur de semaine dans les colonnes de cette lettre. Sa faible pertinence réside dans le fait qu’il continue à l’instar des précédents rapports, à se complaire – formellement – dans les discours panégyristes et dans les préconisations classiques.

Dans le contexte "extraordinaire" et proprement inédit que vit le pays, le Fonds ne fait guère preuve d’innovation et d’audace pour esquisser une véritable voie pour la transition démocratique. En effet, au-delà de l’esprit partisan et des calculs politiques qui sont inévitables en période de "développement politique", il reste que l’économie tunisienne a besoin d’un solide soutien expert et financier qui s’inspirerait en plus "global" de celui que le FMI vient d’apporter au Maroc (*), pour négocier le virage stratégique de la transformation structurelle de son économie sans encourir le risque de dérapage financier et de déstabilisation de son environnement macroéconomique.

(*) Le FMI a approuvé une ligne de crédit de précaution de 6,2 milliards de dollars en faveur du Maroc pour l’aider à se prémunir contre les fluctuations des cours du pétrole et les éventuelles retombées de la baisse de conjoncture en Europe.

Références

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