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A propos de la proposition de suppression de l exigence de représentation graphique d un signe déposé à titre de marque au sein de l Union européenne

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A propos de la proposition de suppression de l’exigence de représentation graphique d’un signe déposé à titre de marque

au sein de l’Union européenne

Dans le cadre de la réforme actuellement en cours d’élaboration à l’initiative de la Commission européenne concernant le droit des marques au sein de l’Union (« Paquet Marques »), il est notamment envisagé de modifier les articles 3 de la Directive (rapprochant la législation des Etats membres sur les marques) et 4 du Règlement (sur la marque communautaire) afin de supprimer l’obligation de représenter graphiquement le signe déposé à titre de marque.

Il s’agirait, dans un souci de « modernisation et amélioration des dispositions existantes » et de « renforcement de la sécurité juridique », de lui substituer une obligation de représentation (non définie) du signe d'une manière qui permette aux autorités compétentes et au public de déterminer l'object exact bénéficiant de la protection conférée au titulaire de la marque.

Selon l’exposé des motifs de la réforme, le but est de rendre admissible une représentation autre que graphique d’un signe lorsque celle-ci présente une meilleure aptitude à l’identifier.

Ce véritable bouleversement traduit la réalité d’un univers très concurrentiel dans lequel les entreprises utilisent de nouvelles stratégies de communication pour se distinguer les unes des autres.

Ainsi, elles exploitent et déposent à titre de marques des signes « classiques » (marques visibles, verbales ou graphiques), mais aussi une nouvelle génération de signes perceptibles par les autres sens des consommateurs : l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher.

Cependant l’exigence juridique actuelle de représentation graphique de la marque (légitime car permettant d'identifier clairement l’origine commerciale d’un produit ou service) rend quasiment impossible l'enregistrement de ces nouvelles marques

“atypiques”.

Le projet de réforme en préparation permettrait de sortir de cette « impasse juridique » en autorisant la représentation d’un signe dans le registre des marques sous n'importe quelle forme appropriée (pas nécessairement par des moyens graphiques).

1) La proposition de réforme des articles 3 de la Directive et 4 du Règlement.

La Commission et le Parlement Européen considèrent que l’« exigence de

«possibilité de représentation graphique» est obsolète. Elle est une source de grande insécurité juridique pour certaines marques atypiques consistant, par exemple, en un simple son. Dans ce dernier cas, une représentation non graphique (par exemple, au moyen d’un fichier son) pourrait même être préférable à une représentation graphique, si elle permet d’identifier plus précisément la marque et sert ainsi l’objectif d’une sécurité juridique renforcée. La nouvelle définition proposée ne restreint pas les modes de représentation admissibles aux représentations graphiques ou visuelles, mais laisse la porte ouverte à l’enregistrement d’objets pouvant être représentés par des moyens technologiques offrant des garanties satisfaisantes. L’idée n’est pas d’étendre sans limites les modes de représentation admissibles d’un signe, mais de permettre plus de souplesse en la matière, tout en renforçant la sécurité juridique ».

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Dans les textes, il serait ainsi précisé :

1-a) au Considérant 13 de la nouvelle Directive :

« À cette fin, il convient d’établir une liste indicative de signes susceptibles de constituer une marque s’ils sont propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises. Pour que le système d'enregistrement des marques remplisse ses objectifs, qui consistent à garantir la sécurité juridique et une bonne administration, il est également essentiel d'exiger que le signe puisse être représenté dans le registre d'une manière qui permette de déterminer précisément l'objet bénéficiant de la protection. Il devrait donc être permis, dès lors que la représentation d'un signe fasse appel à une technologie généralement disponible et offre des garanties satisfaisantes à cette fin, qu'elle revête toute forme appropriée, donc pas nécessairement une forme graphique. ».

1-b) à l’Article 3 de la nouvelle Directive :

« Peuvent constituer des marques tous les signes, notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, les couleurs en tant que telles, la forme d'un produit ou de son conditionnement ou les sons, à condition que ces signes soient propres

a) à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises;

b) à être représentés d'une manière qui permette aux autorités compétentes et au public de déterminer l'object exact bénéficiant de la protection conférée au titulaire ».

1-c) au Considérant 9 du nouveau Règlement :

« Afin de permettre une plus grande flexibilité, tout en renforçant la sécurité juridique, en ce qui concerne les modes de représentation des marques, il convient de supprimer le critère de la représentation graphique dans la définition de la marque de l'Union européenne. Un signe devrait pouvoir être représenté dans le registre des marques de l'Union européenne sous n'importe quelle forme appropriée, c'est-à-dire pas nécessairement par des moyens graphiques, du moment que cette représentation fait appel à une technologie généralement disponible et permet aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l'objet exact bénéficiant de la protection. ».

1-d) à l’Article 4 du nouveau Règlement :

« Peuvent constituer des marques européennes tous les signes, notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, les couleurs en tant que telles, la forme d'un produit ou de son conditionnement, ou les sons, à condition que ces signes soient propres

a) à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises;

b) à être représentés d'une manière qui permette aux autorités compétentes et au public de déterminer l'objet exact bénéficiant de la protection conférée au titulaire ».

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Mais, il faut d’emblée éviter une double confusion dans les esprits :

- la condition actuelle de représentation graphique ne se rapporte évidemment pas à l’exploitation de la marque, mais à ses modalités d’enregistrement auprès des autorités (son inscription au Registre des Marques devant permettre l'information des tiers sur le monopole grevant le signe).

- la suppression envisagée de la condition de représentation graphique n’implique évidemment pas une obligation d’absence de représentation graphique de la marque lors de son dépôt auprès des autorités compétentes.

La représentation graphique deviendrait simplement une faculté, l’un des modes possibles de représentation du signe parmi d’autres.

Il s’agit d’ouvrir, conformément aux objectifs de la Commission et du Parlement Européen, « la porte (…) à l’enregistrement d’objets pouvant être représentés par des moyens technologiques offrant des garanties satisfaisantes. L’idée n’est pas d’étendre sans limites les modes de représentation admissibles d’un signe, mais de permettre plus de souplesse en la matière, tout en renforçant la sécurité juridique ».

Cependant, la formule employée (« être représentés d'une manière qui permette aux autorités compétentes et au public de déterminer l'object exact bénéficiant de la protection conférée au titulaire ») n’est pas des plus précises…

2) Une ouverture du droit des marques à des signes dont la protection serait plus aisée.

Ni les textes, ni la jurisprudence actuelle n’interdisent en aucune manière le dépôt et la protection d’un son ou d’une odeur par le droit des marques. Néanmoins, ils encadrent de façon exigeante les modes de représentation envisageables de ces signes.

Actuellement, selon la CJUE, une marque serait protégée comme signe distinctif lorsque sa représentation graphique répond à trois critères cumulatifs : 1) les moyens de la représentation reposent sur des figures, des lignes, des courbes ; 2) la représentation doit être claire, précise et complète par elle-même ; 3) la représentation doit être accessible, intelligible, durable et objective).

En effet, la finalité de l'enregistrement étant de rendre la marque monopolisable et opposable aux tiers, il est fondamental que les tiers puissent identifier le signe précisément et facilement.

Il est donc indispensable que la méthode de représentation choisie (graphique ou pas) permette l'obtention d'un résultat univoque et reconnaissable permettant d’identifier toutes les marques qui deviendraient monopolisables, y compris les marques

« atypiques » ou « non traditionnelles », à savoir : les marques sonores, olfactives, gustatives et tactiles.

a) Les marques sonores.

Les marques sonores existaient déjà en France dans la jurisprudence, puis ont été formellement admises dans les textes depuis la loi du 4 janvier 1991 (il y est indiqué expressément que les sons et phrases musicales peuvent constituer des marques).

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De même, en ne fournissant qu'une liste non exhaustive/non limitative de signes susceptibles d'être déposés comme marque, la Directive actuelle (directive 89/104 codifiée 2008/95/CE) n'a pas exclu a priori les marques « atypiques ».

Ainsi, une marque sonore peut être protégée actuellement (sous réserve de représentation graphique) et être exploitée par exemple pour un indicatif de chaîne de radio ou de télévision, le « jingle » d'une émission, le thème musical d’une page de publicité, etc.

En pratique, s’agissant de la représentation actuelle (graphique) des marques sonores, l’INPI accepte les portées musicales (par exemple, une portée musicale a été enregistrée pour des «services d’émissions radiophoniques ») et acceptait les sonogrammes (par exemple, un sonogramme accompagné de la description suivante : « la marque est constituée par le son produit par le rugissement d'un lion », avait été enregistré en France pour divers produits et services au nom de la société Metro Goldwyn Meyer).

Mais, l’OHMI, a contrario de l’INPI, a refusé comme marque communautaire sonore le rugissement du lion de la Metro-Goldwing-Mayer représenté graphiquement par un spectogramme sonore (OHMI 4°ch. R. 25 Août 2003, aff. R 781/1999-4).

De plus, depuis un arrêt rendu le 27 novembre 2003 par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE, 27 novembre 2003, affaire C- 283/01, Shield Mark BV c. Joost Kist Hodn Memex), il est considéré que seule la transcription consistant dans une portée musicale répond aux exigences de « représentation graphique claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective » (refus de l’enregistrement d’une marque sonore par description verbale sous forme d’onomatopées suggérant en néerlandais le chant du coq).

Ainsi, si une phrase musicale se représente aisément sur une portée musicale, comment pourrait-on représenter (graphiquement ou non) d'autres sons (cri d'animal, bruit d'un moteur, etc.) ?

Le seul exemple mentionné dans la proposition de réforme supprimant l’obligation de représentation graphique est précisément celui « d’un fichier son ». Ce mode de représentation paraît acceptable à la fois en pratique et au regard des motifs indiqués dans les nouveaux textes (représentation faisant appel à une technologie généralement disponible et permettant aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l'objet exact bénéficiant de la protection).

En effet, on pourrait a priori admettre qu’un tel fichier (dont la nature exacte reste néanmoins à préciser…) permettrait, tant aux professionnels de la P.I. qu’aux consommateurs, d’identifier et distinguer le signe concerné sans trop de difficulté et de façon claire, précise, complète, facile, intelligible, durable et objective.

D’ailleurs, le Règlement d’exécution CE n° 2868/95 dispose déjà dans sa règle 3 relative à la représentation de la marque que « 6) lorsque l’enregistrement d’une marque sonore est demandé, la représentation de la marque se compose d’une représentation graphique du son, en particulier d’une notation musicale ; lorsque la demande est déposée par des moyens électroniques, elle peut être accompagnée d’un dossier électronique contenant le son… ».

La réforme envisagée confirmerait donc cette orientation avec davantage de souplesse.

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b) Les marques olfactives.

Une tendance marketing relativement récente consiste, notamment dans des grandes chaînes de distribution de vêtements (The Kooples, par exemple), à diffuser dans les magasins des parfums reconnaissables, constitutifs de signes distinctifs du lieu.

Dans un premier temps, la jurisprudence de la CJUE relative à ce type de signes olfactifs permettait de considérer que l'exigence de représentation (graphique) était remplie lorsque le déposant faisait référence à un produit odorant connu.

Ainsi, la représentation d’un signe sous la forme de la description «odeur de l'herbe fraîchement coupée» a été admise à titre de marque communautaire pour désigner des balles de tennis au motif qu'il s'agissait d'une « odeur distincte que tout le monde reconnaît immédiatement sur la base de ses propres souvenirs. Pour beaucoup de gens, l'odeur de l'herbe fraîchement coupée leur rappelle le printemps, ou l'été, les pelouses fraîchement coupées ou les terrains de jeux, ou d'autres expériences plaisantes » (Décision de la chambre des recours de l'OHMI, 10 février 1999).

Cette position était à l’évidence critiquable dans la mesure où une telle marque ne saurait être perçue de façon objective, mais revêtirait une perception différente pour chaque individu, ne permettant pas de déterminer la portée exacte de la protection de cette marque.

Dès lors, quel nouveau mode de représentation (non graphique) permettrait d’apprécier facilement et objectivement les caractéristiques et la perception d’une odeur ? Quelle serait cette « représentation faisant appel à une technologie généralement disponible et permettant aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l'objet exact bénéficiant de la protection » envisagée par la réforme ?

Dans son arrêt rendu le 12 décembre 2002 (CJCE, 12 décembre 2002, affaire C- 273/00, Siekmann (Ralf) c. Deutsches Patent- und Markenamt), la Cour de Justice des Communautés européennes a considéré, s'agissant d'un signe olfactif, que « les exigences de la représentation graphique ne sont pas remplies par une formule chimique, par une description à l’aide de mots écrits (« une senteur balsamique fruitée avec une légère note de cannelle »), par le dépôt d'un échantillon d'une odeur ou par la combinaison de ces éléments ».

En supprimant l’obligation de représentation graphique dans les nouveaux textes, ces modes de représentation antérieurement rejetés (formule chimique, description par des mots, échantillon…) deviendraient-ils a contrario acceptables aujourd’hui ?

Jusqu’à présent, à notre connaissance, aucune marque olfactive n’a été enregistrée en France.

c) Les marques gustatives.

Les raisonnements appliqués aux marques olfactives valent pour les marques gustatives. La perception d’un goût demeure subjective et variable.

Une demande de marque portant sur l’« arôme artificiel de fraise » avait été déposée en France pour distinguer des produits pharmaceutiques.

L’INPI avait rejeté cette demande, aux motifs qu’elle ne faisait pas l’objet d’une représentation graphique suffisante, car elle n’était pas précise (il n’existe pas un goût de fraise mais des goûts variables, a fortiori s’agissant d’arômes artificiels et non naturels),

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pas objective (la perception d’un goût étant éminemment différente selon les individus, les époques ou les cultures) et pas durable (les possibilités de synthétiser les arômes de fraise peuvent évoluer avec le temps, d’une part, et un arôme artificiel particulier se dénature nécessairement avec le temps, d’autre part).

Par un arrêt du 3 octobre 2003, la Cour d’appel de Paris avait confirmé la décision de l’INPI car une marque gustative «... doit de même manière avoir une représentation graphique qui évite toute subjectivité et ne soit pas susceptible de varier dans le temps, cela afin d’assurer au signe sa fonction qui est de déterminer avec exactitude (c'est-à- dire d’une manière immédiate, certaine, constante quel est le signe protégé) et faire connaître aux tiers l’objet et l’étendue du droit de marque ».

Or, la Cour d’appel considéra qu’en l’espèce, si l’indication « la marque est constituée par le goût suivant : arôme artificiel de fraise » constitue bien une représentation graphique accessible et intelligible au public, elle ne remplit pas, en revanche, les critères de précision et d’objectivité requis.

d) Les marques de texture ou marques tactiles.

L’INPI de Nantes avait accepté fin 2004 l’enregistrement d’une demande de marque française « en braille » (numéro 04 3 319422).

Depuis des années, les laboratoires pharmaceutiques utilisent des signes facilement reconnaissables au toucher sur les emballages (notamment destinés aux personnes non ou mal voyantes).

De même, des groupes alimentaires d’outre-Atlantique (par exemple Starbucks et Wimpy) utilisent aussi des marques tactiles (apposées directement sur les gobelets de café et sur les pains des hamburgers).

En ce cas, un dépôt de marque « en relief » ou en « braille » paraît une technique conforme aux exigences habituelles du droit des marques et aux objectifs de la réforme.

Mais, ces exemples de marques « tactiles », bien qu’apparemment spécifiques, respectent en réalité l’exigence actuelle de représentation graphique (s’agissant de signes « en reliefs » et donc visibles) et peuvent être déposées en tant que marques figuratives ou tridimensionnelles (c’était le cas de la marque n° 04 3 319422).

Néanmoins, dans l’absolu, la spécificité d’une « sensation » distinctive, procurée par le toucher d’un « objet », permettant de déterminer une origine commerciale de produits clairement identifiable par les consommateurs, pourrait grâce à la proposition de réforme en cours supprimant la nécessité de représentation graphique, constituer la dernière catégorie de signes appropriables par le biais d’un dépôt de marque (tactile).

*****

Ainsi, il apparaît que le projet de réforme en préparation permettrait bien de sortir de l’« impasse juridique » évoquée et d’introduire « plus de souplesse en la matière ».

Néanmoins, de nombreuses questions (juridiques et techniques) persistent ou seraient même multipliées du fait de la disparition de l’exigence de représentation graphique.

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3) Des difficultés pratiques liées à l’absence de représentation graphique des marques « atypiques ».

La nouvelle définition envisagée par la Commission et le Parlement Européen supprimant l’obligation de représentation graphique permettra en théorie, le dépôt plus facile de marques sonores, olfactives, gustatives et tactiles en levant cette exigence constituant actuellement un frein à la protection de tels signes ayant pourtant déjà (au moins pour certains d’entre eux) une existence commerciale et une fonction d’indication d’origine.

Néanmoins, en pratique, la question reste ouverte.

Si les nouveaux textes permettaient de déposer à titre de marque un son (le souffle d’une tempête, le vrombissement d’un moteur), une odeur (un parfum de fleur), un goût (l’arôme d’un vin) sans aucune représentation graphique, il conviendrait néanmoins de continuer à devoir définir avec précision et certitude le signe choisi.

Ces marques « non traditionnelles » demeurent toujours soumises aux autres conditions générales de protection d’une marque (distinctivité, disponibilité, absence de tromperie ou d’atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs, ...). S’agissant de signes possiblement invisibles (non représentés graphiquement), l’évaluation du respect de certaines de ces conditions semble plus délicate à mettre en œuvre.

De même, l’opposabilité des droits éventuellement obtenus sur ces signes pose des questions délicates à résoudre.

a) L'acquisition de droits de marque sur un son, une odeur, un goût ou un toucher non représentés graphiquement comporte de nombreuses incertitudes.

- Les incertitudes liées aux modalités de dépôt de tels signes :

En pratique, comment le demandeur va-t-il pouvoir concrétiser et réaliser le dépôt d’un signe « atypique » sans représentation graphique ? Quelle est cette « manière » prévue par le texte de la proposition de la Commission et du P.E., mais non définie ?

Sur quel support, par exemple, adresser à l’INPI, l’OMPI ou l’OHMI des demandes d’enregistrement de marques tactiles, olfactives, ou gustatives ?

Un dépôt en ligne paraît impossible ou à tout le moins délicat. Même s’agissant des marques sonores (a priori le cas le plus simple à l’ère du numérique), l’indication d’un « fichier son » est-elle suffisante en pratique ? La question fait débat. Par exemple, l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (qui les accepte actuellement) exige que la demande d’enregistrement d’une marque sonore contienne un dessin représentant graphiquement le son et une description du son en plus d’un enregistrement électronique du son. De même, une telle demande ne peut être adressée à l’Office canadien que sur papier (et non par système de dépôt en ligne) et seulement sur certains types de supports d’enregistrement.

Les « autres » formes de représentation des signes (par exemple les courbes mathématiques, onomatopées, et sonogrammes techniquement possibles pour les sons) seront-elles considérées comme étant des modes « appropriés » de représentation (claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et

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objective conformément à la jurisprudence européenne) faisant appel à une

« technologie généralement disponible et permettant aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l'objet exact bénéficiant de la protection » ? Il semble difficile techniquement de satisfaire à ces exigences…

Les difficultés rencontrées lors de l'examen d'un signe olfactif par les autorités compétentes tiendraient moins à la nature même de ce type de signes (intuitivement acceptables et d’ailleurs déjà utilisés sur le marché, notamment pour créer des ambiances distinctives dans des magasins) qu'à la nécessité de le définir et d'en donner une représentation qui permette aux tiers d'identifier le signe exact pour lequel la protection est recherchée et sa portée. S'il existe des techniques de représentation

« chromatiques » supposées permettre de retranscrire les molécules composant les odeurs sous forme graphique, ces méthodes ne semblent en l’état ni fiables, ni compatibles avec le projet de réforme (« technologie généralement disponible et permettant aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l'objet exact bénéficiant de la protection »).

En supprimant l’obligation de représentation graphique dans les nouveaux textes, une indication/description du type « la marque est constituée par le goût suivant :… » deviendrait-elle acceptable aujourd’hui ? Quid des critères de précision et d’objectivité requis par la jurisprudence et la sécurité juridique recherchée par la réforme ?

Par ailleurs, ces nouvelles représentations seront-elles appréhendables par les autorités compétentes (auront-elles les moyens humains et techniques de procéder à l’examen de telles demandes ?) ?

Au surplus, l’élaboration et la préparation de tels dépôts de signes « atypiques » à titre de marques seraient nécessairement plus complexes pour les mandataires professionnels et induiraient des surcoûts et des incertitudes pouvant être dissuasifs pour les demandeurs de droits.

- Les incertitudes liées à l’acceptation de tels signes dans le registre des marques :

Ces signes seront-ils acceptables tels quels dans le registre « traditionnel » des marques (avec toutes les conséquences juridiques et administratives que cela implique) ? Aux difficultés de nature juridique s’ajoutent des difficultés techniques liées à la question de la représentation du signe dans le registre.

Comment classer ces signes « atypiques » ? Avec quels moyens techniques ? Comment conserver les odeurs et les goûts sans dégradation dans le temps de leur

« distinctivité » et de la portée du monopole octroyé ? Conviendrait-il d’envisager la création de nouveaux registres regroupant les signes par catégories (sonores, olfactives, gustatives, tactiles) ?

- Les incertitudes liées à l’appréciation de la distinctivité de tels signes : Lorsque la marque déposée est constituée par un son, une odeur, un toucher ou un goût, cet objet ne doit pas être imposé par la nature du produit ou par sa fonction. Il ne doit pas non plus conférer au produit sa valeur substantielle. Une des objections que l'on peut élever à l'adoption d'une odeur (particulièrement) comme signe distinctif réside dans le fait que celle-ci est intimement liée au produit lui-même (les marques olfactives pour les parfums par exemple). Dès lors, quid de la distinctivité de tels signes ?

Classiquement, le signe doit être purement arbitraire au regard des nature, fonction et valeur du produit ou service qu’il désigne en tant que marque. Dès lors, par exemple, le « parfum d’un champignon » pourra-t-il être déposé à titre de marque

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olfactive pour des parfums cosmétiques en classe 3 ou des services de jardinage en classe 44 ?

Au surplus, il s’agit également et classiquement de laisser certains signes nécessaires à la production ou commercialisation disponibles/accessibles aux concurrents (par exemple, l’« odeur du chocolat » pour des produits contenant du chocolat, l’« odeur d’alcool » en général pour des boissons alcoolisées…).

Et quid de la pérennité de certains de ces signes dans le temps ? Une dégradation des goûts/odeurs modifiera nécessairement la perception qu’auront les autorités compétentes et/ou les consommateurs de ces signes.

- Les incertitudes liées à la disponibilité de tels signes :

Comment mener des recherches d’antériorité relatives à des marques sonores, olfactives, gustatives ou tactiles ? Avec quels outils et à quel coût ? Des signes remplissant toutes les conditions générales de protection d’une marque, mais impossibles à détecter et/ou interpréter sans matériel ou services spécialisés onéreux seraient une charge trop lourde pour les tiers.

S’agissant des marques olfactives et gustatives par exemple, doit-on et peut-on (au regard des avancées de la technique) envisager la création d’une classification reconnue internationalement qui permettrait d’organiser et reconnaître/distinguer les odeurs et/ou les goûts (à l’instar de ce qui existe déjà pour les produits/services, les couleurs ou les modèles) ?

Puis, en admettant que ces recherches soient possibles, comment évaluer, par exemple, la disponibilité d’une marque constituée d’un son reproduisant une

« ambiance champêtre » (chants d’oiseaux, vent dans les branches, vols d’insectes…) par rapport à une autre marque sonore du même type ?

Et qu’en serait-il des conflits possibles entre marques « traditionnelles » et « non traditionnelles » ? Par exemple, une marque nominale « FRAISE ET CHOCOLAT » enregistrée en classe 25 ou une marque figurative représentant la combinaison de graphismes de fraises et de morceaux de chocolat, constituera-t-elle une antériorité opposable à l’enregistrement d’une demande de marque olfactive « odeur de fraises au chocolat » pour des produits identiques ou similaires ?

- Les incertitudes liées à la légalité d’une telle acquisition de droit de marque pour de tels signes :

Comment éviter que certaines marques sonores ne viennent se substituer artificiellement à des créations relevant fondamentalement des droits d’auteur ou que des marques gustatives/olfactives ne viennent se substituer artificiellement à des résultats relevant fondamentalement des brevets d’invention, dans le seul but de contourner les exigences et limites (notamment temporelles) desdits droits ?

- Les incertitudes liées au respect de l’ordre public et des bonnes mœurs par un tel signe :

Par exemple, une marque olfactive « odeur d’excréments » déposée pour désigner des jouets en classe 28 sera-t-elle considérée comme attentatoire aux bonnes moeurs et à l’ordre public ? Qu’en serait-il d’une marque constituée d’un son reproduisant un gémissement « équivoque » déposé à titre de marque pour désigner des jouets pour adultes en classe 10 ?

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b) Le respect et l’opposabilité des droits de marque sur un son, une odeur, un goût ou un toucher non représentés graphiquement comporteraient de nombreuses incertitudes.

L’appréciation de la contrefaçon d’une marque olfactive, gustative ou tactile présenterait non seulement des difficultés, mais aussi des particularités.

Le titulaire d’une marque olfactive « odeur de sous-bois » pourrait-il agir en contrefaçon de marque si un tiers utilisait pour les mêmes produits ou services la marque nominale « FORET » ou une marque figurative représentant un sous-bois ou une marque sonore « ambiance de sous-bois » ?

Comment évaluer objectivement (sans représentation graphique) l’ « imitation » d’un son déposé à titre de marque ou le « plagiat » d’une phrase musicale déposée à titre de marque ?

- Les incertitudes liées au risque d’aboutir à la protection d’un genre.

La valeur « symbolique » d’une odeur, d’un goût, d’un toucher ne confèrerait-elle pas une extension excessive du monopole conféré au titre du droit des marques sur le signe déposé ?

Comment évaluer l’étendue de la protection obtenue par le biais d’un enregistrement de marque sur un signe non visible ?

- Les incertitudes liées à la détection des signes contrefacteurs et aux modes de preuves.

Comment détecter des signes contrefacteurs des marques sonores, olfactives, gustatives ou tactiles ? Avec quels outils ?

Les techniques de représentation « non traditionnelles » des signes par des courbes mathématiques, onomatopées, et spectrogrammes, représentations chromatiques, analyses physico-chimiques… ou autres, garantiraient-elles la capacité de détection et d’analyse des contrefaçons par les titulaires des droits ?

Comment évaluer l’opportunité d’une intervention ? Avec quels moyens ? A quel coût ?

Quid également des difficultés liées à la constitution des modes de preuves ? Comment opérer une saisie-contrefaçon sur une odeur, un son, un goût en conservant ses caractéristiques supposées contrefaisantes ?

- Les incertitudes liées à la formation des autorités compétentes.

Comment assurer la formation des examinateurs et des magistrats pour évaluer le caractère acceptable d’un signe « atypique » ou trancher des conflits entre des signes

« atypiques » non représentés graphiquement (notamment en termes de nuances d’odeurs ou de sons) ?

Rappelons que si la perception visuelle relativement objective d’une marque représentée graphiquement (« traditionnelle » ou « atypique ») donne déjà lieu actuellement à des interprétations pourtant variables de la part des autorités (parfois pour les mêmes signes, ainsi qu’en atteste fréquemment les décisions administratives ou la jurisprudence), à l’évidence, la perception et l’interprétation encore plus subjectives d’un signe non représenté graphiquement seraient davantage encore variables selon les Offices et Tribunaux.

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La réforme proposée ne semble pas envisager d’écarter l’exigence d’une représentation claire, précise, facilement accessible et intelligible du signe confirmée à maintes reprises par la jurisprudence (encore récemment T-293/10 du 14 juin 2012 Rubik’s cube).

En l’état actuel de la technique et en l’absence d’outils administratifs adaptés (type système de classification des goûts et des odeurs reconnu à l’échelle internationale), la représentation graphique d’un signe reste en pratique le meilleur (ou le moins mauvais) des systèmes permettant de déterminer l'objet bénéficiant de la protection à titre de marque et d’éviter toute ambiguïté dans sa perception et l’indication de l’origine du produit/service qu’elle couvre. Elle assure une certaine sécurité juridique.

Un parallèle (osé !) pourrait être tenté avec le recours aux « écrits », ceux-ci pouvant apparaître comme les représentations formalisant « graphiquement » les pensées, les paroles, les engagements… des rédacteurs et signataires. Les écrits constituent des « représentations graphiques » permettant de délimiter de la manière la moins contestable possible l’étendue et la portée d’un acte ou d’un droit.

Les limites actuelles des connaissances techniques et scientifiques, supposées permettre en théorie une représentation d’une « manière » autre que graphique des signes déposés à titre de marque, ne permettent pas d’assurer aujourd’hui la sécurité juridique qu’impose l’attribution d’un monopole.

Par ailleurs, il est à noter qu’aucune des autres dispositions prévues dans les textes de la réforme « Paquet Marques » ne prend en compte les bouleversements fondamentaux induits par une éventuelle suppression du caractère graphique de la représentation d’une marque. Ainsi, la critique relative au caractère « obsolète » de l’exigence de représentation graphique semble n’avoir été relayée par la proposition de réforme qu’aux articles 3 de la Directive et 4 du Règlement, sans prendre en compte toutes les conséquences induites par cette suppression.

Dès lors, si en théorie l’introduction d’une « plus grande flexibilité » paraît compréhensible et louable au regard de l’apparition sur le marché de nouveaux signes, la suppression inconditionnelle de toute représentation graphique d’une marque paraît (à court et moyen termes) très anticipée.

Yann Proponnet, Conseil en propriété industrielle, Cabinet Meyer et Partenaires

Membre de la Commission Marques de la CNCPI, présidée par

Philippe Rodhain

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