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Le dispositif d accueil des réfugiés sud-américains et sud-est asiatiques en Aquitaine de 1975 à 1985.

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Le dispositif d’accueil des réfugiés sud-américains et sud-est asiatiques en Aquitaine de 1975 à 1985.

Jérémy Jourda

To cite this version:

Jérémy Jourda. Le dispositif d’accueil des réfugiés sud-américains et sud-est asiatiques en Aquitaine de 1975 à 1985. . Bulletin de l’Institut Aquitain d’Etudes Sociales (I.A.E.S), Institut Aquitain d’Etudes Sociales (I.A.E.S), 2015. �hal-01569650�

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Le dispositif d’accueil des réfugiés sud-américains et sud-est asiatiques en Aquitaine de 1975 à 1985.

Jérémy Jourda

Université Michel de Montaigne

Le 11 septembre 1973, le coup d’État du général Pinochet marque la généralisation des mouvements contre-révolutionnaires et répressifs dans la région du cône sud de l’Amérique Latine. Un vaste mouvement d’exil s’enclenche immédiatement et n’entame son fléchissement qu’au début des années 1980. On peut estimer que plus de 10 000 Sud- Américains trouvent refuge en France entre 1973 et 19851. Au cours de l’été 1975, l’hospitalité française franchit une nouvelle étape en accueillant les exilés d’Asie du Sud-Est victimes de la prise de pouvoir des régimes communistes dans les trois pays de la péninsule Indochinoise. Sous-couvert du lien historique et encouragé par un élan de solidarité national2, le gouvernement de Valery Giscard d’Estaing fait preuve d’un véritable volontarisme politique pour l’accueil des réfugiés vietnamiens, cambodgiens et laotiens. Au total, c’est plus de 100 000 réfugiés de « l’ancienne Indochine »3 qui sont accueillis en France entre 1975 et 19854, sous la forme de quotas qui fixent mensuellement le nombre d’arrivants (de 700 à 1500 par mois selon les périodes5).

L’accueil des Sud-Américains et des Sud-Est Asiatiques constitue une véritable recrudescence de l’accueil des réfugiés politiques en France. En effet le nombre de réfugiés

1 Selon les calculs du démographe Luc Legoux, qui s’appuie sur les données statistiques de l’OFPRA, 12 221 Américains obtiennent le statut de réfugié entre 1973 et 1985. Derrière cette appellation d’« Américains », le chercheur distingue trois zones géographiques : l’Amérique du Sud, les Caraïbes et l’Amérique centrale. La très grande majorité des réfugiés pour cette période vient d’Amérique du Sud et plus particulièrement du Chili. Luc Legoux repère quelques réfugiés en provenance d’Haïti et plus rarement de Cuba (pas plus de 1000 caraïbéens pour notre période). Les demandes d’asile centre-américaines restent marginales. Luc Legoux, La crise de l’asile politique en France, CEPED, Paris, 1995

2 À ce propos, le rôle de la campagne de promotion télévisée menée en amont de l’opération humanitaire « Un bateau pour le Vietnam », est un véritable catalyseur du sentiment de solidarité français. Le rôle du petit écran dans l’histoire de l’accueil des Sud-est asiatiques fait écho aux idées de Gérard Noiriel quant à « la société écran » et à la construction de « la visibilité sociale des demandeurs d’asile ». Gérard Noiriel, Réfugiés et sans papiers : la République face au droit d’asile XIXe-XXe siècle. Paris, Hachette, « Pluriel », 1998.

3 Les termes « Indochine » et « Indochinois » apparaissent constamment dans les documents d’époque. On peut probablement y lire le témoignage d’une forme de persévérance du lien colonial au sein de la société française des années 1970.

4 103 210 sud-est asiatiques obtiennent le statut de réfugiés en France, entre 1973 et 1985. Luc Legoux, op. cit.

5 Jean Pierre Massé, L’exception indochinoise, le dispositif d’accueil des réfugiés politiques en France, 1973/1991, thèse, EHESS, 1996.

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enregistré par l’Office Français de Protection des Réfugiés est Apatride (OFPRA)6, est en baisse continue depuis 1957, et connaît une augmentation exponentielle à partir de 19747. L’arrivée de ces populations s’inscrit pourtant au cœur d’une mutation du contexte migratoire, dont le fait marquant est l’arrêt de l’immigration décidé le 3 juillet 1974 par le conseil des ministres. Les réfugiés jouissent donc d’un traitement exceptionnel, qui s’explique notamment par la récente élaboration d’un cadre juridique international en matière de droit d’asile8. En effet, la Convention de Genève de 1951, puis le protocole de Bellagio de 1967, intègre le droit d’asile dans une dimension juridique nationale et internationale, qui impose la question de l’accueil et de la prise en charge des réfugiés aux États. Dans cette optique, l’arrivée des Sud- Américains et des Sud-Est Asiatiques constitue pour la France, l’acte de naissance d’une prise en charge institutionnalisée des réfugiés. À partir de 1973, un véritable dispositif national émerge, muni progressivement de procédures systématisées, et d’institutions étatiques, paraétatiques et associatives qui fonctionnent en coordination.

Cette note de recherche propose de revenir sur cet instant de réorganisation de l’action sociale, en expliquant sommairement, les enjeux et les mécanismes de la structuration du dispositif d’accueil français au milieu des années 19709. Plus singulièrement, il s’agit de proposer une présentation du dispositif aquitain, en s’interrogeant sur les spécificités et les logiques qui ont animé l’accueil des réfugiés sud-américains et sud-est asiatiques dans cette région. En effet, dans le cadre de l’effort de décentralisation du dispositif national, l’Aquitaine fut une région dynamique, tant du point de vue des effectifs accueillis que du point de vue des formes d’accueil expérimentées. Or le dispositif aquitain n’a fait l’objet d’aucun travail historique10. Le fond d’archives du Comité d’accueil des apatrides réfugiés et déplacés

6 L’OFPRA est l’organisme public chargé de l’application de la Convention de Genève en France et de la protection administrative et juridique des réfugiés. Créé par la loi du 25 juillet 1952, sa mission principale consiste à octroyer le statut de réfugié à toute personne qui répond à la définition de la Convention.

7 En 1957 l’OFPRA enregistrait 28 813 reconnaissances du statut de réfugiés. Le nombre de reconnaissances tombait à 10 686 dès 1959. En 1973 l’OFPRA enregistre 1237 reconnaissances de statut, 1891 en 1974, puis 6238 en 1975 et 14797 en 1976. Luc Legoux, op cit.

8 D’autres éléments d’explication sont proposés par Jean Pierre Massé dans sa thèse d’Etat, L’exception indochinoise, le dispositif d’accueil des réfugiés politiques en France, 1973/1991 . Il défend notamment l’idée que la fermeture des frontières en 1974, puis l’accueil massif des réfugiés sud-est asiatiques à partir de 1975, témoigneraient d’une volonté de l’Etat, de substituer un flux migratoire par un autre. Jean Pierre Massé, L’exception indochinoise, le dispositif d’accueil des réfugiés politiques en France, 1973/1991, thèse, EHESS, 1996.

9 La thèse du socio-historien Jean Pierre Massé, constitue la tentative de reconstitution de l’histoire du dispositif d’accueil des réfugiés la plus complète à ce jour. Massé centre son travail sur l’accueil des réfugiés du Sud-Est asiatique, sur le volontarisme politique dont il a fait l’objet et sur la transformation des identités associatives qu’il a pour conséquence. Jean Pierre Massé, op. cit.

10 Dans le cadre de son mémoire de Maitrise, Emilie Deysieux a étudié le dispositif d’accueil bordelais, dans une perspective sociologique et non historique. Elle fait sommairement référence à la période que nous étudions.

Emilie Deysieux, Gérer l’arrivée des demandeurs d’asile politique : du national au local. Etude du dispositif

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(CARARD), association gestionnaire des centres d’accueil aquitains de 1976 à 1998, permet d’envisager un tel projet.

Les archives du CARARD ont été conservées au foyer Claude Quancard de Villenave- d’Ornon après la dissolution de l’association en 199811. Le fond n’a pas été inventorié, il n’y a aucun classement et l’état des documents est très variable. Nous avons extrait systématiquement les boîtes à archives qui s’inscrivent dans la période d’accueil des réfugiés sud-américains et sud-est asiatiques, puis nous avons décomposé cet ensemble en trois sous- fonds : les archives du siège social de l’association ; les archives des centres provisoires d’hébergement gérés par le CARARD ; et les archives du centre provisoire d’hébergement de Mont-de-Marsan, qui se distinguent de part la quantité et la diversité des documents12. Ces trois ensembles sont composés principalement de comptes rendus de réunions effectuées à différents étages du dispositif d’accueil. On trouve également des duplicatas des conventions passées entre les différentes structures et de nombreuses correspondances quotidiennes des travailleurs sociaux, concernant la gestion des centres et le suivi des réfugiés. Enfin, quelques dossiers ont trait à la comptabilité des structures et à la gestion du personnel.

Après avoir brièvement rappelé les trajectoires nationales de l’accueil des réfugiés sud-américains et sud-est asiatiques en France, nous présenterons la structuration du dispositif aquitain de sa genèse en 1975 à son affirmation dans les années 1980. Enfin, nous tenterons de caractériser ce dispositif en le comparant aux autres dispositifs régionaux.

Structures et structuration du dispositif d’accueil des réfugiés en France, de l’improvisation à l’institutionnalisation, 1973-1985.

Dès la fin du mois de septembre 1973, face à la brutalité du coup d’État chilien, la France prit la responsabilité de recueillir des réfugiés dans son ambassade à Santiago13. Mais quand il fut question d’un accueil des réfugiés chiliens sur le sol français, ce fut le secteur associatif le vecteur initial de la mobilisation, bien plus que l’Etat. En pleine émergence au début des années 1970, tout un tissu associatif appelle à la mobilisation des pouvoirs publics

d’accueil Bordelais, Maitrise Sociologie, Université Bordeaux 2, dir. Bucaille, 2003, 86p.

11 Le foyer Claude Quancard est actuellement un Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA) géré par le Centre d’Orientation Sociale. Le directeur de cet établissement, Philippe Elias, nous a autorisé l’accès aux archives du CARARD.

12 Dans cette note de recherche, ces trois fonds sont respectivement intitulés : CARARD – Siège social ; CARARD – CPH ; CARARD – CPH Mont-de-Marsan.

13 Pierre de Menthon, Je témoigne, Québec 1967, Chili 1973, Les Editions du Cerf, Paris, 1979.

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et à la coordination des associations pour l’accueil et la prise en charge des réfugiés en provenance du Chili14. Créée en 1971, l’association France Terre d’Asile (FTDA), s’impose comme la tête de file du mouvement. À ses côtés se joignent des organismes plus expérimentés comme le Service Social d’Aide aux Emigrants (SSAE), la Croix Rouge, ainsi que des associations confessionnelles comme le Comité Inter-Mouvement Auprès Des Evacués (CIMADE)15, le Centre d’Orientation Sociale (COS) ou le Secours Catholique. Le 28 septembre l’Etat français accepte le principe d’un accueil des réfugiés en provenance du Chili sur le sol français.16. Trois mois plus tard, le Ministère de la santé leur accorde le bénéfice de l’aide sociale au titre de l’article 185 du code de la santé publique, de la famille et de l’aide sociale17. Précisons que cette mesure reste dérogatoire, les réfugiés ne figurant pas dans la liste des bénéficiaires de l’article 185. Néanmoins l’Etat s’engage financièrement à prendre en charge les réfugiés chiliens, en allouant un prix de journée d’un montant initial de 45,50 francs par individu accueilli18. Il est convenu que ce financement est valable 3 mois renouvelables une fois, et est versé aux associations responsables de la gestion des centres provisoires d’hébergement (CPH). Le CPH dont la mission est d’héberger, nourrir et préparer l’insertion professionnelle et sociale des réfugiés, devient l’unité principale de l’accueil19.

En février 1974, on compte déjà 22 CPH, (dont 15 dans la région parisienne). Leur gestion est assumée principalement par FTDA, la CIMADE et le Secours Catholique20. En effet, du point de vue de la prise en charge proprement dit, les pouvoirs publics délèguent l’intégralité des responsabilités au secteur associatif. Cela implique la gestion des centres, mais plus globalement le fonctionnement du dispositif dans son ensemble. Les associations s’organisent en Comité de coordination, afin de répartir les différentes tâches de l’accueil.

Cette première répartition des responsabilités constitue l’acte de naissance du dispositif d’accueil national et ne subit par ailleurs que peu de modifications dans les années qui

14 Saenz Carrete, Les cadres socio-politiques de l’adaptation des réfugiés latino-américains en France : 1964- 1979, Paris, Université Paris 3, 1980.

15 Les archives de la CIMADE ont été déposées à la Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine (BDIC) située à Nanterre, ce qui a ouvert la voie à des recherches sur l’histoire de cette association et sur son implication centrale au sein du dispositif d’accueil des réfugiés. Un colloque organisé en 2010 a débouché sur la publication d’un ouvrage collectif qui enrichit considérablement nos connaissances de l’accueil en France. Dzovinar Kevonian, Geneviève Dreyfus Armand, Marie-Claude Blanc-Chaleard, Marianne Amar (dir.), La Cimade et l’accueil des réfugiés, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2013

16 BDIC - Lettre d’information FTDA n°5 – juin 1974. FTDA publie tous les deux ou trois mois, des comptes rendus d’activité appelés « lettre d’informations ». Ces documents permettent de suivre les grandes étapes de l’accueil des réfugiés et les réflexions émises par les membres de l’association. Il est possible de consulter ces lettres d’informations à la BDIC.

17 Jean Pierre Massé, op. cit.

18 BDIC - Lettre d’information FTDA n°5 – juin 1974

19 Les CPH sont créés majoritairement au sein d’établissement à visée sociale ayant initialement une autre vocation que l’accueil des réfugiés.

20 BDIC - Lettre d’information FTDA n°5 – juin 1974

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suivent. L’association FTDA s’impose immédiatement comme la clé de voûte du système.

Son rôle est prioritairement celui de structure coordinatrice du dispositif. Elle est en charge du secrétariat du Comité, s’occupe de répartir les réfugiés entre les différents CPH et prospecte pour l’ouverture de nouveaux établissements. La CIMADE, conjointement à FTDA, s’occupe de l’accueil des réfugiés à l’aéroport. Le SSAE et le Secours catholique sont chargés du suivi des réfugiés ne souhaitant pas être pris en charge au sein des CPH.

Dans les mois qui suivent la prise en charge des premiers réfugiés en provenance du Chili, on entrevoit déjà une propension à l’institutionnalisation du dispositif. En effet, à la fin de l’année 1974, FTDA obtint du ministre de la Santé que la prise en charge au sein des CPH soit étendue aux réfugiés de « toutes origines »21. Mais l’étape qui scelle durablement le dispositif d’accueil se produit au cours de l’été 1975, avec l’arrivée des réfugiés de l’Asie du Sud-Est. René Lenoir, secrétaire d’Etat à l’Action sociale, est chargé par le Président de la République d’organiser leur accueil. Il décide de la formation d’un comité de liaison propre à l’action en faveur des Sud-Est Asiatiques afin d’établir un protocole d’accueil fixant une répartition des tâches entre les associations. La volonté d’accueillir cette population est telle, que cette fois c’est l’État qui sollicite le secteur associatif, tout en validant les principes du dispositif initié pour l’accueil des Sud-Américains. La répartition des responsabilités est globalement maintenue. FTDA prend officiellement la charge de responsable de l’organisation du dispositif d’accueil des réfugiés sud-est asiatiques, en passant une convention avec le Ministère des Affaires Sociales. La CIMADE prend spécifiquement en charge l’enseignement du français et son organisation dans les CPH. D’autre part, un Comité national d’entraide franco-vietnamien, franco-cambodgien, franco-laotien (CNE), est créé par les pouvoirs publics afin d’organiser la venue des réfugiés22. L’organisme est également chargé de répondre aux questions d’insertion sociale une fois l’accueil réalisé. Enfin, en juin 1976 un décret normalise la situation jusque-ici dérogatoire concernant le financement de l’accueil, en faisant entrer les réfugiés dans la liste des bénéficiaires de l’aide sociale23. En moins de trois ans, l’accueil des réfugiés sud-américains et sud-est asiatiques s’est muni d’un cadre légal et s’est édifié en dispositif, en insufflant les termes d’une action coordonnée des associations et de l’Etat. Le dispositif d’accueil demeure inchangé jusqu’en 1985, date à laquelle une

21 Le terme « toute origine » apparait systématiquement dans les sources pour désigner les réfugiés en provenance d’autres régions que l’Amérique du Sud et l’Asie du Sud-Est.

22 Jean Piere Massé a bien montré le caractère ambigu de cet organisme, qui sous couvert du statut associatif, fonctionne comme un organisme public, et dont le conseil d’administration est en partie désigné directement par le Président de la République.

23 Decret 75-526 du 15 juin 1976. Précision des modalités d’application des articles 185 et 185-3 du cde de la famille et de l’aide sociale.

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nouvelle convention est signée entre FTDA et l’Etat, afin de prévoir l’accueil des réfugiés

« toutes origines ». On remarque alors une évolution des problématiques liées à l’accueil : le flux de demandeurs d’asile sud-américains est quasiment épuisé, la politique de quotas mise en place pour l’accueil des Sud-Est Asiatiques est stoppée en juillet 1984, et l’on observe une diversification importante des nationalités qui s’accompagne d’une augmentation du rejet des demandes d’asile24.

Pour terminer cette présentation concise de la structuration du dispositif d’accueil de 1973 à 1985, il faut nécessairement aborder la question de son implantation géographique. En effet, les associations se rendent rapidement compte que l’efficacité du système d’accueil repose sur sa décentralisation et la répartition cohérente des structures sur le territoire français. Comme le relevait Jean Pierre Massé, l’un des enjeux est notamment d’éviter une trop grande concentration des réfugiés dans la région parisienne, afin de ne pas saturer les réseaux d’insertion professionnelle25. Plusieurs documents évoquent également la décentralisation, comme un moyen de se prémunir de l’hostilité d’une frange de la population française, vis à vis de l’augmentation du pourcentage d’étrangers dans une localité26. Grâce aux bilans chiffrés réalisés chaque mois par FTDA, on sait qu’en mars 1976, 39 départements accueillent les 67 CPH français. En 1985, le nombre total de départements sollicités pour l’accueil des réfugiés sud-est asiatiques depuis 1975 est de 8327. Malgré tous les efforts, la répartition des centres entre les départements n’est évidemment pas homogène. On constate notamment la prééminence des régions Île-de-France et Rhône-Alpes. À première vue l’Aquitaine affiche un bilan plus modeste. Il s’agit maintenant de focaliser notre étude sur cette région, en cherchant à comprendre le rôle qu’elle a joué pour l’accueil des réfugiés sud- américains et sud-est asiatiques.

Le dispositif d’accueil aquitain, de l’expérimentation bordelaise au réseau régional, 1975-1985 : un « pré carré » pour FTDA.

24 Cette augmentation des rejets des demandes d’asile s’explique en partie par la volonté de l’Etat de mettre un terme au détournement de procédure, ou à ce qu’il considère comme tel. Selon ce point de vue, l’augmentation des demandes et la diversification des nationalités résultent d’un transfert de l’immigration économique vers des demandes d’asiles abusives, ce qui justifie les rejets. Luc Legoux, op. cit.

25 Jean Pierre Massé, op. cit.

26 CARARD – Siège social – « CPH pour réfugiés d’Amérique latine à Bordeaux » ; CARARD – Siege social – AG du 16 janvier 1978.

27 Précisons que le rythme des arrivées étant relativement imprévisible, les départements augmentent et diminuent constamment leur capacité d’accueil en ouvrant ou fermant certains CPH.

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Dans cette partie nous souhaitons proposer une présentation diachronique du dispositif aquitain, qui s’attache à repérer les acteurs et les grandes étapes qui ont animé sa structuration.

Le prélude se joue en février 1975. Dans la lettre d’information n°13, FTDA annonce la création du Comité Régional Aquitaine (CRA) de l’association à Bordeaux28. Cette

« délégation aquitaine »29, est présidée par Paul Hoibian, pasteur directeur de la Maison de santé protestante de Bagatelle (Talence) et ancien directeur de FTDA à sa création30. Trois mois après la création du comité, le premier CPH de la région est ouvert dans les locaux du château Moulerens de Gradignan. Il accueille spécifiquement des réfugiés en provenance du Chili. La gestion du centre est partagée entre FTDA et les Coqs Rouges31, association propriétaire du château Moulerens. Les locaux se prêtent bien à l’hébergement des réfugiés, puisqu’ils sont habituellement utilisés comme maison familiale de vacances. Une convention fixe la répartition des responsabilités entre les deux associations32. Les Coqs Rouges assurent les prestations du service d’hébergement et des repas. Ils se chargent également d’une partie de l’accompagnement administratif des réfugiés, ce qui comprend les démarches auprès de la préfecture pour l’obtention des titres provisoires de séjour, mais aussi auprès de l’OFPRA et de l’ANPE pour le certificat de réfugié et la carte de travail. De son coté la CRA de FTDA s’occupe de tout ce qui concerne l’insertion sociale et professionnelle : l’apprentissage de la langue française, la recherche d’un emploi et d’un logement. À l’exception de cette convention, peu de documents nous renseignent sur l’histoire de l’accueil à Moulerens. Les archives du CARARD n’évoquent quasiment jamais ce centre33. De son côté l’association des Coqs Rouges nous a affirmé ne pas avoir conservé les archives du CPH. Finalement, c’est le témoignage de Mr Salbert, directeur des Coqs Rouges au moment de l’accueil des Sud- Américains, qui a contribué à désobscurcir cette période. Le fonctionnement édicté dans la convention concernant le partage des responsabilités entre les Coqs Rouges et FTDA nous a

28 BDIC – Lettre d’information FTDA n°8 – janvier/février 1975.

29 C’est ainsi qu’est également nommé le Comité régional aquitaine de FTDA.

30 Paul Hoibian est également le co-fondateur de la communauté de travail Somodel. Jean Linossier, Paul Hoibian, Jacques Chatet, Travailler autrement, Somodel 1954-1971 - Une expérience de démocratie industrielle à l'époque des "trente glorieuses", Paris, L’Harmattan, 2006. Parmi les membres les plus fidèles et les plus impliqués on peut citer Geneviève Bonnefant et René Lung (auxquels se joint Jean-Claude Hierle à partir de 1977).

31 Association sportive créée en 1891, dont le siège social est basé 14 place Sainte Eulalie à Bordeaux, et une partie des installations sportives à Gradignan sur le domaine du château Moulerens.

32 CARARD – Siege social.

33 Quelques rares documents du CRA, antérieurs à la création du CARARD (24 novembre 1976), ont été conservés dans les archives. Sur l’accueil au château Moulerens nous avons retrouvé la convention signée entre FTDA et les Coqs Rouges. Signalons également un compte rendu de réunion du CRA daté du 13 mars 1978, faisant état des derniers mois d’activité du centre.

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été confirmé. Mr Salbert soulignait néanmoins la prédominance de l’association de défense du droit d’asile. Les Coqs Rouges interviennent comme une sorte de prestataire de service et ne sont pas invités par FTDA à participer aux réflexions plus générales sur l’accueil des réfugiés et le développement futur du dispositif. On peut également supposer que les Coqs Rouges n’ont pas réellement souhaité s’impliquer davantage. Finalement le témoignage de Mr Salbert vient appuyer une impression qui demeure depuis le début de nos recherches : l’accueil des réfugiés sud-américains à Moulerens est un galop d’essai pour FTDA. Il semble que le CRA ne soit pas encore en mesure d’assurer seul les responsabilités de l’accueil, par manque de personnel, d’argent, mais aussi d’expérience. Sur ce point, l’épisode de la cohabitation des réfugiés sud-américains et des sud-est asiatiques à Moulerens est particulièrement probant. Mr Salbert nous a confirmé la brève tentative de FTDA, d’optimiser la capacité d’accueil du centre, en hébergeant conjointement aux Sud-Américains des réfugiés sud-est asiatiques34. Les responsables associatifs du CRA comme ceux des Coqs Rouges, ont perçu immédiatement qu’une cohabitation entre ces deux populations était très délicate, notamment en raison de leurs convictions politiques antagonistes35. Néanmoins c’est une expérience des tensions communautaires entre réfugiés, qui marque la structuration de l’accueil, puisque une dichotomie du dispositif est prévue par la suite36. Une fois suffisamment d’expérience accumulée, la délégation aquitaine de FTDA s’émancipe des Coqs Rouges. La fermeture du CPH de Moulerens témoigne bien de cette volonté d’autonomie. Le 1er avril 1978, la convention passée entre FTDA et l’association bordelaise n’est pas renouvelée. Il est vrai qu’il y a un affaiblissement du flux des réfugiés en provenance d’Amérique du Sud. Mais il explique mal la fermeture du centre de Gradignan, dans la mesure où le CRA crée un nouveau

34 Cette cohabitation est notamment évoquée lors dans un entretien avec un ancien réfugié chilien, dans le mémoire de maitrise de Mathieu Wagner. Mathieu Wagner, Parcours de militants : étude sur le militantisme d’exilés politiques chiliens, de l’Unité Populaire (1970/1973) à la « Transition vers la démocratie » (1990/...), mémoire de Maitrise, Université Bordeaux III, 1999.

35 Il faut également prendre en compte les dissemblances socioculturelles entre ces deux populations. Les travaux de George Condominas, Richard Pottier ou encore Yves Ajchenbaum pour les réfugiés sud-asiatiques, ceux de Anne Marie Gaillard, pour les Sud-Américains, permettent de mieux saisir la teneur de ces différences. On perçoit notamment un écart élevé entre le mode de vie originel des exilés d’Asie du Sud-Est et celui auquel ils doivent s’adapter en France, ce qui est moins marqué pour les Sud-Américains. Georges Condominas et Richard Pottier, Les réfugiés originaires de l’Asie du Sud-Est, Rapport au Président de la République, La Documentation française, 1984. Yves Ajechenbaum, Les populations originaires d’Asie du sud-est accueillie en France au sein des centres provisoires d’hébergement (1975-1979), Paris, France Terre d’Asile, 1981. Anne Marie Gaillard, Exils et retours : itinéraires chiliens, Paris, l’Harmattan, 1997.

36 En effet, le dispositif d’accueil se structure en prévoyant la séparation rigoureuse entre les deux communautés.

Les groupes de coordination Chili, se distingue des groupes de coordination Indochine, tant à l’échelle nationale que régionale. Cette division de l’accueil peut suggérer que le dispositif a cherché à s’adapter aux dissemblances idéologiques, mais aussi sociales et culturelles des populations accueillies. À une époque où l’action sociale n’en est qu’au balbutiement d’une professionnalisation du secteur, on peut également supposer une forme de clivage politique du personnel accueillant. L’expérience bordelaise de l’accueil des réfugiés sud-américains et sud-est asiatiques dans un même CPH n’est probablement pas la seule qui ait eu lieu en France à cette époque.

Néanmoins elle s’inscrit dans la somme des expériences ayant contribué à l’élaboration de cette séparation.

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CPH pour accueillir les derniers Sud-Américains, quelques mois seulement après la fermeture de Moulerens. On entre dans une seconde phase de l’accueil en Aquitaine, qui se caractérise par l’élaboration et l’affirmation d’un réseau régional de CPH piloté par FTDA.

En 1976, le CRA intensifie significativement son action. En mars, un CPH est ouvert pour l’accueil des réfugiés sud-est asiatiques rue Montmejan, dans le quartier de la Bastide37. Il possède une capacité d’accueil de 40 personnes et est géré entièrement par le comité. Puis, à la fin de l’année 1976, FTDA crée un organisme chargé de la gestion directe des CPH de la région : le Comité d’Accueil Régional des Apatrides, Réfugiés et Déplacés (CARARD) 38 . Pour FTDA, l’objectif est de déléguer la gestion des CPH, afin de rester efficace dans les tâches organisationnelles qui lui incombent39. Une fois doté de son CARARD, le Comité régional cherche à étendre son action ailleurs qu’en Gironde, en concentrant ses efforts sur la création de centres destinés à l’accueil des Sud-Est Asiatiques. Ainsi, le 1er avril 1977, le CARARD passe une convention avec le préfet des Landes, pour l’ouverture d’un CPH de 25 places à Mont-de-Marsan40. Ce centre ouvre ses portes au nord de la ville, dans la cité du Peyrouat, et prend la forme expérimentale d’un accueil des réfugiés en appartement. C’est l’un des premiers centres « éclatés » de France41. En avril 1978, c’est le département des Pyrénées-Atlantiques qui se dote d’une structure d’accueil42. À l’image de la formule expérimentée dans les Landes, le CARARD obtient six appartements (soit 30 lits environ) dans le quartier de l’Ousse-des-bois à Pau. Trois mois plus tard Périgueux inaugure également son centre éclaté43. Enfin, le CRA travaille pour l’ouverture d’un CPH éclaté pouvant accueillir les derniers contingents de réfugiés en provenance d’Amérique Latine. Un document daté du 12 août 1978, témoigne des réflexions de Paul Hoibian concernant la nécessité de « reprendre cet accueil ». Il évoque notamment les « besoins d’accueil à l’échelon national » et la volonté « d’éviter toute déviation dans l’action du Comité Régional Aquitaine de FTDA, soucieux d’accueillir toutes catégories de réfugiés sous peine de se voir

37 BDIC – Lettre d’information n°13 – janvier/février 1976.

38 Ce CARARD est le petit frère régional du Comité d’Accueil National des Apatride, Réfugiés et Déplacés, (CANARD) créé le 24 novembre 1974. La création de ces deux organismes est une manière pour FTDA de répondre aux critiques formulées à son encontre par une partie du tissu associatif. On reproche à FTDA, d’avoir travesti ses engagements initiaux en cumulant ses responsabilités de coordinatrice du dispositif, celles de gestionnaire de CPH.

39 CARARD – Siège social – AG du CARARD, 16/01/1978

40 CARARD – CPH de Mont de Marsan - Convention pour l’hébergement de réfugiés du sud-est asiatique 31/03/1977.

41 Cette forme d’accueil est également appelé « foyer soleil ». Nous abordons plus en profondeur son fonctionnement et ses caractéristiques dans la troisième partie.

42 CARARD – CPH – Convention pour l’hébergement des réfugiés du sud-est asiatique. Pau. 20/02/1978.

43 CARARD – CPH – Convention pour l’hébergement des réfugiés du sud-est asiatique. Périgueux. 22/07/1978.

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taxer de ségrégation politique »44. Un temps envisagé dans la zone de Bordeaux Lac, la commune de Cenon est finalement choisie comme lieu d’implantation45. Le centre ouvre ses portes le 19 décembre 1978, dans le quartier de la Saraillère46. À l’exception d’Agen, un centre d’accueil a donc été ouvert dans chaque chef-lieu du territoire régional47. En s’aidant des bilans chiffrés de FTDA48, et des conventions passées entre les préfectures et les CPH, on peut évaluer que la capacité d’accueil du dispositif aquitain est passée de 50 places fin 1976 à 150 fin 1978.

Comme nous l’avons vu, FTDA est la protagoniste principale de cet essor du dispositif.

L’association ne partage pas les responsabilités de l’accueil avec d’autres structures associatives, locales ou nationales. On peut même considérer que le système aquitain déroge au protocole d’accueil national fixant la répartition des tâches entre les associations. En effet, la CIMADE n’est pas associée à l’organisation des cours de français49, et la CNE n’intervient pas dans le processus d’insertion professionnelle50. Par l’intermédiaire du CRA et du CARARD, l’intégralité du dispositif aquitain est sous la tutelle de FTDA. Il semble intéressant d’en analyser plus en profondeur la structuration institutionnelle et administrative.

Précisons pour commencer la teneur du lien de subordination unissant le Comité régional à FTDA. Les membres décisionnaires du CRA doivent obligatoirement être adhérents à FTDA et la nomination du président est subordonnée à l’agrément du conseil d’administration de l’association de défense du droit d’asile51. En contrepartie les membres adhérents du CRA, participent aux Assemblées Générales de FTDA et à l’élection du conseil d’administration. En outre le président du Comité siège automatiquement au conseil d’administration52. La même logique prévaut en ce qui concerne le CARARD. Pour être membre du CARARD, il faut

44 CARARD – Siège social – « CPH pour réfugiés d’Amérique latine à Bordeaux »

45 CARARD – CPH – Lettre au préfet de région, 4/09/1978.

46 CARARD – CPH – agrément du Foyer Soleil de la Saraillère. 8/02/1979.

47 Signalons qu’au cœur du Lot-et-Garonne, le camp de Sainte-Livrade héberge encore de nombreux indochinois rapatriés en 1956. L’absence de CPH dans le Lot-et-Garonne, s’explique peut-être par la volonté de ne pas adjoindre dans un même espace, deux formes d’accueil strictement incomparables sur le plan de la prise en charge sociale.

48 CARARD – Siège social – Bilans de l’accueil des réfugiés sud-est asiatiques.

49 À l’époque de la prise en charge des réfugiés sud-américains au château Moulerens, ce sont les membres de FTDA qui dispensent la formation des cours. Progressivement on observe une forme de professionnalisation de l’enseignement du français au sein des CPH avec le recrutement de formateurs qualifiés (étudiants, professeurs de français langue étrangère).

50 Les comptes rendus de réunion du CPH de Pau témoignent des efforts du directeur Jean Pierre Bayoumeu pour se constituer un réseau d’entreprises susceptibles d’accueillir les réfugiés. On suit également les démarches régulières des CPH qui sollicitent la Direction Départementale de la Main d’Œuvre et du travail, pour le financement de stages socioprofessionnels (CARARD – CPH – Ouverture/fermeture de stages.)

51 CARARD – Siège social – Règlement du CRA, 06/1977 ; CARARD – Siege social – Les modes de décentralisation, 14/06/1983.

52 CARARD – Siège social – Statut FTDA, 28/07/1977.

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adhérer préalablement à FTDA et à ses principes généraux53, et les membres du CRA sont encouragés à adhérer au CARARD. Enfin chaque président de CPH est membre du CARARD et se réfère à l’autorité de l’association gestionnaire. Le réseau unissant FTDA, le CRA, le CARARD, et les CPH, apparait clairement sous la forme d’une cascade de délégations, dont FTDA est le point de départ. Chaque étage du dispositif possède son lot de réunions et d’assemblées générales dont il communique systématiquement les comptes-rendus afin de coordonner son action avec le reste du dispositif.

Le dispositif aquitain tel qu’il est structuré en 1979 subsiste globalement jusqu’en 1985, date à laquelle il est logiquement frappé par les mêmes bouleversements que le dispositif national. Depuis quelques années déjà, le flux de réfugiés sud-américains s’est tari, ce qui a donné lieu à la fermeture du CPH de Cenon en 1980. En ce qui concerne les réfugiés en provenance d’Asie du Sud-Est, avant même l’arrêt des quotas en 1984, on observe déjà un véritable essoufflement des arrivées. Cela pose de véritables difficultés de fonctionnement aux CPH, dont les financements se calquent sur la quantité de réfugiés accueillis. Le CARARD tente de maintenir l’activité de ses CPH en proposant aux préfectures d’accueillir les réfugiés

« toutes origines » et éventuellement d’autres catégories de personnes en difficulté. Dés 1982, Mont-de-Marsan et Pau obtiennent l’autorisation de basculer vers ce type d’accueil, tout en continuant à accueillir des Sud-Est Asiatiques54. Mais les préfectures de Gironde et de Dordogne refusent cette option55. Dés le 13 juillet, le CARARD reçoit une lettre de la DDASS prévenant du non renouvellement de l’agrément du CPH de Bordeaux. Le centre de la Bastide ferme ses portes le 31 janvier 198556. En septembre le CPH de Périgueux connait le même sort57. Cet amenuisement du réseau régional, et le renouvellement profond du public accueilli, marque une rupture franche dans l’histoire du dispositif aquitain. Grâce à la mobilisation décisive, continue mais aussi très exclusive de FTDA en Aquitaine, la période 1975-1985 apparait comme un temps fort de l’hospitalité régionale en faveur des réfugiés. Pour autant, on peut s’interroger sur la place qu’occupe l’Aquitaine au sein du dispositif national. En effet, pour avoir une perception plus fiable du dispositif aquitain, il semble nécessaire de l’analyser en tant que parcelle du dispositif français.

53 Ainsi les salariés de l’association gestionnaire ne sont pas nécessairement membres.

54 CARARD – Siège social – Bilans de l’accueil des réfugiés sud-est asiatiques ; CARARD – Siège social – AF du CARARD 27/03/1981.

55 CARARD – Siège social – AG du CARARD 19/10/1984.

56 CARARD – Siège social – DDASS arrêté fixant la dotation relative à la fermeture du centre de Bordeaux Bastide. 18/11/1895.

57 CARARD – Siège social – Rapport moral 1985.

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L’Aquitaine, une figure de proue de la décentralisation du dispositif d’accueil des réfugiés ?

À partir de 1975, les lettres d’informations de FTDA rendent compte de la mobilisation aquitaine en faveur des réfugiés, avec une régularité singulière. On connait maintenant l’importance que l’association accorde à cette région, qui devient petit à petit sa chasse gardée. En février 1976, suite à la création du CRA, FTDA rappelle que « la Délégation Aquitaine représente le premier effort systématique d’implantation en province d’une action permanente en liaison avec le siège de France Terre d’Asile »58. Les documents glanés dans les archives du CARARD n’évoquent pas d’autre comité régional, à l’exception d’un compte rendu d’activité de décembre 1984, faisant état du projet de création d’un Comité régional Rhône-Alpes59. Or, la création de cette délégation semble intervenir dans un contexte bien particulier, puisque l’accueil des réfugiés dans la région est géré par le Comité rhodanien d’accueil des réfugiés et de défense du droit d'asile (CRARDDA), association indépendante de toute structure nationale, particulièrement critique à l’égard de FTDA et désireuse de plus d’autonomie60. Dans cette optique, la création du Comité rhodanien de FTDA témoigne d’une volonté de matérialiser une force d’opposition, qui reste tout à fait minoritaire dans la région.

Le Comité rhodanien et le Comité aquitain sont donc dans deux situations incomparables.

Cela confirme la singularité du dispositif aquitain, qui en plus d’être le « premier effort » de décentralisation de FTDA, et probablement le seul dispositif régional contrôlé entièrement par l’association, à s’être aussi solidement enraciné.

Pourtant on peut douter de l’importance de la région au sein du dispositif national.

L’image élogieuse professée par FTDA dans les lettres d’informations ne fait pas office d’indice de la proportion de réfugiés accueillis par la région. Les bilans de l’accueil des réfugiés sud-est asiatiques, réalisés chaque quinzaine par FTDA, sont autrement plus significatifs et permettent notamment d’établir un classement de la capacité d’accueil moyenne de chaque région61. Pour la période allant de mai 1977 à mars 1985, l’Aquitaine

58 BDIC – Lettre d’information n°13 – janvier/février 1976.

59 CARARD – Siège social – note résumant les activités de FTDA du 8/09/1984 au 5/12/1984.

60 Jean Pierre Massé, op. cit.

61 CARARD – Siège social – Bilans de l’accueil des réfugiés sud-est asiatiques. Ces bilans recensent le nombre de places agréées et occupées par les réfugiés sud-est asiatiques pour chaque CPH. Les CPH sont classés par département. A partir de septembre 1981, les bilans précisent le nombre de places agréées pour les réfugiés

« toutes origines ». Nous avons pris en compte ces places dans nos calculs, dans la mesure où les places agréées pour les « toutes origines » basculent régulièrement pour les Sud-Est Asiatiques et inversement. Nous n’avons pas retrouvé de bilans antérieurs à 1976 et à notre connaissance il n’y a pas eu pour les réfugiés sud-américains, de bilans chiffrés réalisés avec une régularité équivalente.

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occupe le 10e rang avec une moyenne de 161 places agréées par les préfectures pour l’accueil des réfugiés sud-est asiatiques. L’Île-de-France et la région Rhône-Alpes dominent le classement avec respectivement une moyenne de 482 et 485 places agréées, tandis que des régions comme le Limousin et la Lorraine avoisinent les 330 places62. En observant le nombre moyen de CPH dans chaque région, on met en perspective ces résultats et on voit s’esquisser les logiques propres à chaque région. Ainsi le Limousin qui pointe au quatrième rang en terme de capacité d’accueil, ne dispose jusqu’en 1981, que d’un seul centre d’hébergement. Basé à Limoges, ce CPH a pu gonfler sa capacité d’accueil à plus de 300 places. Dans cette optique il semble difficile de parler de « dispositif régional ». Cela témoigne également d’une conception de l’accueil diamétralement opposée à celle que nous avons pu observer en Aquitaine, où la capacité d’accueil n’excède jamais les 250 places et se répartit entre quatre ou cinq CPH gérés par la même association. En moyenne la capacité d’accueil des CPH aquitains de 1977 à 1985 est de 44 places, contre 208 pour le Limousin, 92 pour la Lorraine, 65 pour l’Île-de-France ou encore 98 pour le Nord.

Les bilans chiffrés de FTDA, peuvent également être utilisés dans une perspective diachronique, comme en témoigne le graphique n°1. On voit apparaitre clairement la décentralisation du dispositif national, en observant l’évolution de la capacité d’accueil de l’Île-de-France, qui passe de 742 à 256 places agréées entre mai 1977 et mars 1981. Le Rhône-Alpes et la Lorraine absorbent une part importante de cette décentralisation, puis leur capacité d’accueil s’amenuise de 1979 à 198163, avant de réaugmenter pour accueillir les derniers contingents de réfugiés du Sud-Est asiatique et les flux de plus en plus significatifs de réfugiés « toutes origines ». C’est particulièrement les régions à forte capacité d’accueil qui sont mobilisées pour répondre aux accélérations des flux, tandis que l’Aquitaine dont la capacité d’accueil est moindre, fait quant à elle preuve d’une vraie stabilité. Elle semble moins perméable aux conjonctures nationales et se maintient globalement entre 120 et 200 places agréées64.

62 Classement des régions en fonction de la capacité d’accueil moyenne (places agréées) pour la période 1977 à 1985 : Rhône-Alpes : 484, Île-de-France : 482, Lorraine : 331, Limousin 330, PACA : 316, Alsace : 280, Languedoc : 269, Midi-Pyrénées : 238, Nord : 185, Aquitaine : 161, Pays-de-la-Loire : 149, Bretagne : 129, Poitou-Charentes : 71, etc. CARARD – Siege social – Bilans de l’accueil des réfugiés sud-est asiatiques.

63 Cette période est marquée par une diminution générale des flux de réfugiés en provenance du Sud-Est asiatique. Mais au printemps 1981 les organisations présentent dans les camps de réfugiés thaïlandais rapportent que les autorités thaïes envisagent de refouler les réfugiés si leur départ dans les pays occidentaux ne s’accélère pas. Le 17 juin 1981, le Conseil des Ministres décide une accélération significative de l’accueil. CARARD – Siège social – Note sur l’accueil des réfugiés des camps de Thaïlande.

64 Plusieurs épisodes d’accueil « extraordinaire » sont néanmoins décelables et méritent d’être signalés. Un rapport de l’assemblée générale du CARARD évoque très brièvement l’ouverture d’un CPH de 70 places, par le bureau d’Aide Social de Bordeaux. Cette association semble avoir ponctuellement épaulé FTDA aquitaine, quand le rythme des arrivées s’est brutalement accéléré. CARARD – Siège social – AG CARARD 29/02/1979.

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Finalement, cette brève analyse quantitative des dispositifs régionaux, tend à relativiser l’importance de l’Aquitaine, tout en renvoyant l’image d’un réseau régional stable et cohérent. N’oublions pas que c’est le marché du travail qui détermine en grande partie la capacité d’accueil d’une région. Sur ce point l’Aquitaine, malgré le développement industriel de la région dans les années 1970, n’a évidemment pas les arguments pour concurrencer l’Île- de-France, la Lorraine ou le Rhône-Alpes65. Mais d’autre part, il y a indéniablement une volonté des responsables de la délégation aquitaine de FTDA, d’accueillir les réfugiés au sein de centres ne dépassant pas les 40/50 places, afin de privilégier la dimension qualitative de l’accueil et la pérennité des structures. C’est aussi dans cette optique que le dispositif aquitain expérimente dès 1977 une nouvelle forme de CPH : le « centre éclaté ». Cette nouvelle forme d’accueil s’impose rapidement, au point de devenir une véritable singularité régionale. En effet, l’accueil des réfugiés en « centre éclaté »66, avait déjà été expérimenté en 1974 à Alfortville pour l’accueil des Sud-Américains. On peut également évoquer les centres de Grenoble et de Gaillon dans l’Eure67. Mais c’est en Aquitaine que cette forme d’accueil trouve son terrain d’élection, avec l’ouverture du centre de Mont-de-Marsan en 1977, puis celui de

65 Une étude plus approfondie des réseaux d’insertion professionnelle devrait permettre d’observer un lien avec le développement de l’espace industriel Aquitain. Nous savons que l’usine Ford de Blanquefort a employé des réfugiés chiliens puis sud-est asiatiques, mais dans quelle proportion ? On pourrait chercher à connaitre les liens que les CPH de Pau et Mont-de-Marsan ont pu éventuellement tisser avec les exploitations de gaz à Lacq et de pétrole à Parentis.

66 Egalement appelé « CPH éclaté » ou « foyer soleil »

67 BDIC – Lettres d’information n°21 – avril 1978

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Pau, Périgueux et Cenon. Signalons qu’en février 1978, le CPH de Bordeaux la Benauge quitte la rue Montmejean pour proposer également un accueil dans les appartements de la cité voisine68. Ainsi l’intégralité du dispositif régional repose sur le fonctionnement des centres éclatés. Le principe de cet accueil repose sur l’hébergement de familles dans un ensemble d’appartements HLM, qui constitue juridiquement un CPH. Les réfugiés sont logés, nourris, chauffés et éclairés aux frais du centre, qui continue de gérer les prix de journées alloués par l’État en fonction du nombre d’individus pris en charge. L’administration du centre, les cours de français, les démarches en vue de l’insertion socioprofessionnelle sont regroupés dans un local à proximité. Dans la lettre d’information n°23, Sarah Kerschner, la directrice du CPH de Mont-de-Marsan, explique que le principal avantage est d’épargner aux réfugiés les incommodités d’un hébergement collectif69. Elle évoque notamment les éventuelles « frictions provoquées par les antagonismes entre les différentes ethnies »70. Au contraire, l’accueil en appartement permet de reconstituer une intimité, et prépare plus directement à l’apprentissage d’un mode de vie occidental. Le choix délibéré d’un dispositif exclusivement basé sur cette forme d’accueil témoigne ainsi d’une autre singularité régionale : l’esprit d’innovation, résolument tourné vers la qualité de la prise en charge des réfugiés.

*

De 1973 à 1985, l’hospitalité française en faveur des réfugiés sud-américains et sud-est asiatiques a pris la forme d’un dispositif national d’accueil, auquel pour la première fois l’Etat français s’est associé, dans les termes d’une prise en charge institutionnalisée, et d’un financement pérenne. Le secteur associatif, s’est vu confier la responsabilité de piloter ce dispositif, de la prise en charge quotidienne des réfugiés à la coordination des différents acteurs mobilisés. C’est dans ce cadre qu’émerge dés 1973, l’association France Terre d’Asile, véritable clé de voûte du système d’accueil. Face à la densité et la longévité de l’exil sud- américain et sud-est asiatique, la décentralisation de l’accueil s’est rapidement imposée comme un enjeu central, une condition nécessaire à la réussite du dispositif.

68 CARARD – Siège social – Compte-rendu de la réunion du bureau du 13 mars 1978.

69 BDICI – Lettre d’information n°23 – septembre/octobre 1978.

70 Sarah Kerschner fait ici référence aux ethnies de la péninsule indochinoise (Viet, Lao, Muong, Khmer, Thaï, Hoa, etc). Les travaux du sociologue Le Huu Khoa permettent de mesurer les disparités de ces peuples qui ont parfois suivi des trajectoires historiques conflictuelles et se différencient du point de vue des modes de vie. Lee Huu Khoa, Les réfugiés du sud-est asiatiques en France, Paris, Agence pour le développement des relations interculturelles, 1989. En outre, on voit que la problématique du « vivre ensemble », soulevée lors de la brève cohabitation des réfugiés sud-américains et sud-est asiatiques à Moulerens, subsiste à la dichotomie du dispositif d’accueil.

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En Aquitaine, la trajectoire de l’action en faveur des réfugiés se singularise avant tout par la volonté dont fait preuve FTDA, pour faire germer une délégation régionale de l’association. Après une phase d’expérimentation difficile à cerner à cause du manque de source, on assiste dans les années 1977/1978 à l’éclosion d’un véritable réseau de CPH piloté par le CARARD, association gestionnaire créée par la délégation aquitaine de FTDA.

Pourtant la capacité d’accueil régionale reste volontairement modeste. Le CARARD se distingue en fonctionnant avec de petites structures d’accueil et en expérimentant l’hébergement des réfugiés en appartements. Le dispositif aquitain ne se structure pas pour répondre à une immigration éphémère, mais dans l’optique de maintenir et d’améliorer les conditions propices à une prise en charge de qualité, qui fait fi de la provenance des réfugiés.

Après la fermeture des centres de la Benauge et Périgueux en 1985, le CARARD conserve cette philosophie, et milite pour l’ouverture d’un nouveau centre d’accueil pour les réfugiés

« toutes origines » à Bordeaux. Les CPH de Pau et Mont-de-Marsan sont les seuls en activité jusqu’en août 1990, date d’ouverture du CPH « Claude Quancard » à Villenave d’Ornon. Un an plus tard les réformes du gouvernement d’Edith Cresson, marquent un véritable changement de cap idéologique dans la conception du dispositif d’accueil français71.

Un travail sur les archives du CARARD pourrait permettre de reconstituer cette histoire du dispositif d’accueil aquitain de 1985-1991 et même au-delà. Soulignons également que toute étude du dispositif d’accueil aquitain, peut contribuer à enrichir l’histoire de l’immigration dans la région. Dans le remarquable programme de recherche « Aquitaine Terre d’Immigration », dirigé par Pierre Guillaume à la fin des années 1980, les migrations en provenance d’Asie ne sont pas abordées72. Les Chiliens installés dans la région bordelaise font l’objet d’une analyse sociodémographique qui vise à mesurer leur intégration, mais n’aborde pas les conditions de leur arrivée en Aquitaine73. Plus récemment, la bibliographie non

71 Les circulaires du 26 septembre (CDE n°91-48) et du 19 septembre 1991 (DPM n°91-22), séparent distinctement les demandeurs d’asile des réfugiés statutaires. La première circulaire supprime l’autorisation de travail aux demandeurs d’asile. La seconde prévoit la scission du dispositif d’accueil en deux structures : Les CPH sont maintenus pour l’accueil des réfugiés statutaires et conservent leur mission d’insertion socioprofessionnelle. Les centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) sont créés pour héberger les demandeurs d’asile durant la période d’examen de leur demande.

72 Ce programme de recherche interdisciplinaire a mobilisé à partir de 1986, chercheurs et étudiants des différentes universités de Bordeaux. Affilié à la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine (MSHA), ce programme a mené à la publication de neuf volumes, traitant de différents aspects de l’immigration en Aquitaine.

73 Hugo Munoz-Guzman, « Les Chiliens de Bordeaux (1988) », in Pierre Guillaume, Les Etrangers en Aquitaine, Talence, Presse Universitaire de Bordeaux 1990. Cette étude et quelques mémoires de Master, sont à notre connaissance les seuls travaux sur l’immigration chilienne en Aquitaine. Nous pouvons notamment évoquer : Laurence Tarin, Une communauté en exil : les réfugiés chiliens à Bordeaux, mémoire de Maitrise, Université Bordeaux III, 1983 ; Pascal Baccarani, Des chiliens à Bordeaux en 1992 : une colonie bipartide, mémoire de Maitrise, Université Bordeaux III, 1992 ; Mathieu Wagner, op. cit.

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exhaustive proposée par le Réseau Aquitain pour l’Histoire et la Mémoire de l’Immigration (RAHMI), témoigne également des carences concernant l’étude de ces populations.

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