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Quand Autrui a toujours raison : la formation des interdits en vue d’une vie de dominé en Société.

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Quand Autrui a toujours raison :

la formation des interdits en vue d’une vie de dominé en Société.

Erwan Dieu1 & Olivier Sorel2

Résumé :

Notre réflexion porte sur la question des interdits sociaux, contextualités au sein de la société postmoderne. Entre des sujets libres (sens libéral) organisant un contrat social et des sujets maitrisés (sens féodal) subissant les Lois du groupe, l’interrogation reste ouverte : qui contrôle qui ? Et si réponse il y a, le percevons-nous? Nul doute que la postmodernité « crée » un homme « libéré », libéré par la Société de consommation dans l’utilisation des volontés et libertés dites personnelles. La Société postmoderne invite chaque sujet à la table de la libération commerçante des pulsions. Les contraintes sous-jacentes se montrent subtiles, voire même d’une normalité apparente, contrôlant l’homo oeconomicus par son unique moyen de libération, la consommation. Ces libertés et contraintes ont alors pour objectif de conditionner les sujets à jouir, insatiablement, « dans » les règles. En reprenant les expériences menées en psychologie sociale et en sociologie, nous proposons une analyse des différentes strates de soumission- domination de l’individu au groupe : la normalisation des comportements sociaux face à l’Autrui dominant (I), le conformisme face au rôle social de l’Autorité dominante (II), l’unidirectionnalité du lien social dans la Société postmoderne (III), l’assujettissement de l’Homme à la liberté instrumentalisée (IV). Dans la salvation de toutes les contraintes, la liberté absolue semble délaissée pour des libertés relatives conformes (au groupe). Une conformité qui chaque jour se réévalue par le jeu d’une résistance aux pulsions et désirs inconscients.

Mots-clefs : Conformisme, Domination, Normalisation, Post-modernisme.

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When Other is always right:

the training of prohibitions with the aim of a life of dominated in Society.

Abstract:

Our reflection deals with the question of the social prohibitions in the Postmodern Society. From free subjects (liberal definition) organizing a social contract to subdued subjects (feudal definition) undergoing the Laws of the group, the interrogation remains opened: who controls whom? And if an answer exists, do we perceive it? No doubt that the postmodernity

"creates" a "free man", released from the Consumer Society in the use of the wills and the liberties, which are said personal. The Postmodern Society invites everyone at the table of the trading liberation of the drives. The underlying constraints show themselves subtle, even of a visible normality, controlling the homo oeconomicus by his only means of liberation, the consumption. These liberties and constraints have then for objective to condition the subjects to enjoy, insatiably, "in" rules. According to many experiments led in social psychology and in sociology, we purpose an analysis of various strata of submission-dominion of the individual to the group: the normalization of the social behavior in front of the Others dominating I), the conformity in front of social role of the Authority (II), the unidirectional link of the Postmodern Society III), the subjection of the Human in the instrumented freedom (IV). In the salvation of all the constraints, we underline the way in which the absolute freedom seems gradually eclipsed by corresponding relative liberties (to the group). This conformity every day reassessed by the light of a resistance in the drives and the unconscious desires’ game.

Key words: Conformity, Dominion, Normalization, Postmodernism.

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I. L’homme dominé et l’Autrui dominant, normalisation des comportements sociaux

Nous parlons de normalisation lorsque plusieurs personnes élaborent une norme en commun. Selon Sheriff (1936), « tout groupe faisant preuve d’une certaine continuité possède un système de normes régissant les relations entre les individus ». Sheriff fit une expérience où des sujets dans une salle sombre observent un point lumineux. Ceux-ci devaient évaluer la distance parcourue par le point lumineux depuis son point d’origine. Sheriff conclut qu’en l’absence de point de référence, une attention est davantage portée à l’opinion du groupe (afin de s’y rallier). En l’absence de référent objectif, le groupe devient un référent social. De son côté, Montmollin (1965) étudia l’effet d’attraction de la tendance centrale d’une distribution. Dans cette étude, une image colorée fut présentée aux sujets qui devaient reproduire individuellement l’image avec des pastilles de couleurs. Chacun leur tour, les sujets montrèrent leurs travaux. Puis, il leur fut demandé de répéter la tâche après examination des autres travaux. Se dessina alors une convergence vers la moyenne d’estimation du groupe (vers les réponses les plus vraisemblables, compatibles avec sa propre pensée). Nous connaissons aussi les études d’Allport (1924) concernant l’effet modérateur d’autrui sur le jugement. Par une estimation individuelle, puis collective, de poids et d’odeurs, il dénota une centralisation des réponses. Il nomma ce comportement « les concessions réciproques ». Moscovici (1972) préféra le concept de « mécanisme d’évitement des conflits ». Schachter (1951), quant à lui, mit en avant une étude sur les relations des membres d’un ensemble de cohabitations. Il remarqua que les personnes mises à l’écart des normes du groupe sont déclarées déviantes. Les opinions divergentes voulant être changées par les membres du groupe pour maintenir une cohésion collective, et si cela est impossible, le déviant est rejeté du groupe.

Ces divers travaux eurent en commun la problématique de la normalisation, ils permirent de comprendre le besoin du jugement d’autrui pour l’individu dans l’établissement des normes qui le régissent. Pourtant, c’est Newcomb et al. (1967) qui poussèrent l’hypothèse de la normalisation à son paroxysme, jusqu’à démontrer l’adhésion à la norme sociale. Leurs tests furent réalisés dans une université féminine aisée, où l’origine politique des étudiantes était majoritairement conservatrice. Pour leur intégration, ces étudiantes s’orientèrent vers une opinion

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A la différence de la normalisation, le conformisme constitue la modification du comportement ou du jugement d’un individu pour le mettre en harmonie avec les autres. Asch (1956) fit une expérience où il convoqua des sujets naïfs et des compères. Les compères dirent de mauvaises réponses, on remarqua alors que les deux tiers des sujets suivirent les fausses réponses, alors qu’aucune ambiguïté sur l’objet ne fut possible (contrairement à l’observation du point lumineux) et qu’aucun des sujets ne fit de faute lors d’un entretien individuel. Crutchfield (1955) poursuivit l’expérience d’Asch (1956) en plaçant les sujets dans des cabines. Les sujets donnèrent leur réponse en dernier, après avoir vu les réponses des compères sur un écran. Quand le sujet présenta des difficultés, il observa une augmentation du conformisme, même envers des réponses improbables. Est-il possible qu'il existe des personnalités conformes ? Cohen (1964) divisa alors les personnalités « indépendants » des personnalités « conformistes », estimant qu’il puisse s’agir de deux styles cognitifs différents. A la différence de l’influence « informative » de la normalisation, le conformisme est une influence « normative » (vu plus haut). Le conformisme entraine une faible correspondance entre la réponse du sujet et sa conviction sur l’exactitude de celle-ci.

L’acceptation de la réponse ne serait que comportementale-publique, et non intériorisée-privée.

II. L’homme dominé et l’Autorité dominante, le conformisme face aux rôles sociaux

Dans ses expériences, Milgram (1964) fut décidé à aller plus loin dans l'étude de l'élaboration des comportements, poussant les décisions et attitudes jusqu'à l'obéissance des individus face aux autorités supérieures. Il s’agit de sujets ayant préalablement accepté de participer à l’expérience. Une première soumission tacite à l’autorité scientifique eut donc été à l’œuvre. Milgram (1964) estima que le critère d’obéissance peut s’observer dans la hiérarchie de la vie sociale, qui prend son fondement dans l’organisation de la vie professionnelle. Durant toute la vie depuis la naissance, l’homme obéit aux ordres d’une autorité qualifiée de supérieure. Dans le développement, une première étape est qualifiée d’« obéissance », celle des interdits constants (« ne fais pas ceci ! »). Puis, une seconde étape est davantage tournée vers l’obligation d’effectuer un comportement non spontané (« fais ceci ! »). Milgram (1964) modélisa cela sous le concept du

« script d’obéissance ». Quand un individu fait face à une autorité qu’il perçoit comme légitime, il a une tendance à recevoir des ordres (i) et à leurs obéir comportementalement (ii). Cette obéissance naturelle, l’état agentique, s’opposerait alors à l’état autonome.

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Dans cette hypothèse, l’individu ne serait plus qu’un agent exécutif, placé dans un état agentique, défini par Milgram (1964) comme « une orientation cognitive induite par une situation dans laquelle l’individu occupe une position définie de subordination qui l’amène à ne plus se sentir responsable de ses actes et à attribuer cette responsabilité à l’autorité »3. Cette expérience reçut un certain nombre de critiques, tant idéologiques que méthodologiques. Nous en retenons que l’homme se forge une identité dans la conception d’un groupe, et que ce système de groupe s’élabore sur un mécanisme en trois phases : une phase de normalisation, une phase de conformation et une phase d’obéissance. Les phases interviennent dans des rapports divergents et des successions différentes, tout en restant actives chez l’individu qui vit en groupe4.

III. Le lien social unidirectionnel de la Société postmoderne paternaliste

Évoquer le lien social, c’est forcément se remémorer la pensée d’Hirschi (1969). Sa théorie pragmatique vit en l’individu au lien social dégradé une plus grande propension à la délinquance qu’un sujet attaché à la société. Selon Thys (1988), il ne s'agit pas d'une théorie « au bien être social mais une théorie du devenir délinquant, de production de délinquance ». Cette théorisation de production de la criminalité se démontre encore comme un énoncé épistémologique intéressant.

En effet pour Hirschi, le lien social serait constitué d’un attachement individuel (la filiation psychologique) et d’un attachement à la société (la filiation sociologique). Derrière cette conception, Hirschi sous-tendit la nécessité d’éducation de l’homme (non de disciplinarisation), puisque l’homme serait foncièrement un animal devant apprendre à contenir ses pulsions (« çà » freudien) et son esprit présentiste, impulsif et frustré en quête de satisfactions immédiates. La socialisation des pulsions par l’organisation groupale en place s’avérerait, de ce fait, un enjeu primordial (Durkheim, 1897).

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Des critiques furent énoncées face à cette conception sociologique de la délinquance.

L’idée d’une commission des actes délictueux, lorsque le lien qui unit l’individu à la société s’affaiblit, laisse de côté, d’une part ce qu’est le lien social, et d’autre part des approximations dans sa fonction : le postulat de la conformité au détriment de l’intégration ; l’éthique dans la manière de se conformer est éludée ; le lien affectif est instrumentalisé, dans une théorie linéaire et une société paternaliste. L’asocialité « naturelle » fut ici une évidence, conduisant l’ordre social à ne jamais être remis en question. Les règles seraient (supposées être) toujours justes, mais surtout, l’attachement ne serait qu’unidirectionnel. Nous préférons davantage postuler le lien social comme un mécanisme d’interaction qui s’inscrit dans la durée, devant être alimenté par les différents partenaires.

IV. L’homme assujetti à une liberté instrumentalisée

« [Les hommes se croient libres] parce qu'ils ignorent les causes qui les disposent à désirer et à vouloir. » (Spinoza, in Juignet, 2006).

La question des interdits sociaux au sein de notre société postmoderne mérite une réflexion au sein de cette partie. Nous constatons aujourd’hui la présence d’un contrechoc entre un homme « libéré » par la société dans l’utilisation de ses volontés et libertés personnelles, et les contraintes mises en place par cette même société. Ces libertés et contraintes ont pour but de le conditionner à jouir le plus possible, tout en jouissant dans les règles (Macquet & Vrancken, 2003).

A une époque très proche, le jouir n'était pas recommandé par l'église catholique. La culpabilité retombait sur le Moi, un Moi envahi par les interdits tout puissants du Surmoi. Selon le psychanalyste Jacques (2003), « le mode civilisationnel antérieur, celui de la modernité était marqué par l’épargne, la sobriété, l’ordre et le refoulement. » Dans un premier temps, la société postmoderne parvient à affranchir ses sujets des limites névrotiques de la société de type moderne, qui reposait plus sur les systèmes industriels que tertiaires. Pourtant, c’est ici le paradoxe, la société postmoderne

« invente [...] un mode inouï d’assujettissement, où toutes les relations, tous les objets de désir deviennent des avoirs comptables, des produits marchands, soumis aux impératifs du profit et de la vénalité ». Ajoutons que la Société postmoderne crée une volonté de liberté individuelle et de consommation d’indépendance, mais qu’elle redoute plus que tout la séparation du groupe social, soit le fait de s’écarter des normes. Il faut être intégré, s’intégrer et être intégrant.

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Dans « L’art de réduire les têtes », Dufour (2003) argumenta que « la postmodernité, ce n’est pas la simple chute des idéaux du moi [...] Nous sommes en fait à l’époque de la fabrication d’un nouvel homme, d’un sujet a-critique et psychotisant, par une idéologie aussi conquérante, mais probablement plus efficace que ne le furent les grandes idéologies [...] du siècle dernier. Ce que le néo-libéralisme veut, c’est un sujet désymbolisé, qui ne soit plus ni sujet à la culpabilité, ni susceptible de constamment jouer d’un libre arbitre critique ». Lyotard (1979) définit la postmodernité comme l’époque de l’épuisement et la disparition des grands récits de légitimation. L’addiction comme la déviance (entres autres) seraient des formes postmodernes de comblement du vide laissé par l’absence de l’Autre. « Lorsque l’Autre manque, on peut réinscrire l’Autre dans l’ordre non plus du désir, mais celui du besoin. L’addiction est à juste titre souvent présentée comme une forme de réaction contre la dépression et de fuite vers un comportement compulsif de consommation de produits qui paraîtront vite indispensables. [...] il ne faut pas oublier que la drogue n’est jamais qu’une marchandise un peu spéciale. [...] il existe chez le sujet postmoderne, une addiction usuelle à la marchandise- addiction recherchée et provoquée par le marché qui voit là un moyen d’élargir le cercle de la marchandise » (Dufour, 2003).

Dans cette société contemporaine, salvatrice de toutes les contraintes, une autonomie est pourtant imposée à la personne. L’individu doit au final se conformer, seul et de manière indépendante. Mais il doit se conformer tel que le souhaite le groupe (ou ce que l’individu en interprète). Le sujet se normalise, voire même se conforme, et obéit simplement dans une normalité apparente. Cette conformité doit se faire chaque jour par une résistance aux pulsions et désirs inconscients, alors même que la postmodernité invite à la libération commerçante de ces pulsions : voici la place « du travail des émotions » (Kemper, 1984), autrement dit la potentialisation du « self-control », sans percevoir au quotidien qui contrôle qui ?

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Appuis bibliographiques

Allport, F.G. (1924). Social Psychology. New York: Houghton Mifflin.

Asch, S.E. (1956). Studies of independance and conformity: A minority of one against an unanimous majority, Psychological Monographs, 70.

Cohen, A.R. (1964). Attitude change and social influence. New York: Basic Books.

Crutchfield, R.S. (1955). Conformity and character, American Psychologist, 10.

Duetzkow, H. (1951). Groups, leadership and men. Pittsburg: Pa, Carnegie Press.

Dufour, D-R. (2003). L'Art de réduire les têtes : sur la nouvelle servitude de l'homme libéré à l'ère du capitalisme total. Denoël.

Durkheim, E. (1897). Le suicide : Etude de sociologie. PUF, 2007.

Gross, R. D. (1992). Psychology: The science of mind and behaviour. Londres: Hodder & Stoughton.

Hirschi, T. (1969). Causes of Delinquency. Berkeley: University of California Press.

Jacques, J.P., Conclusion du colloque « Dépendance et Liberté : du plaisir à l’aliénation », Bruxelles. 28-29 novembre 2003.

Kemper, T. “Power, Status and Emotions : A Sociological Contribution to a Psychophysiological Domain”, in Sherer, K., & Ekman, P. (1984). Approaches to Emotion. Hillsdale: Erlsbaum.

Lyotard, J-F. (1979). La Condition postmoderne : rapport sur le savoir. Minuit.

Macquet, C., & Vrancken, D. (2003). Les formes de l’échange. Contrôle social et modèles de subjectivation.

Les Editions de l’Université de Liège.

Milgram, S. (1964). Group pressure and action against a person, Journal of Abnormal Social Psychology, 25.

(de) Montmollin, G. (1965). Influence des réponses d’autrui sur les jugements perceptifs, L’Année psychologique, 65.

Moscovici, S. (1972). Introduction à psychologie sociale. Paris : Larousse.

Newcomb, T.M., Koenig, K.E., Flacks, R., & Warnick, D.P. (1967). Persistence and change:

Bennington College and its students after twenty-five years. New York: John Wiley & Sons.

Schachter, S. (1951). Deviation, rejection and communication, Journal of Abnormal and Social Psychology, 46.

Sheriff, M. (1936). The psychology of social norms. New York: Harper & Row.

Spinoza, B., in Juignet, P. (2006). La psychanalyse. Histoire des idées et bilan des pratiques. Presses universitaires de Grenoble.

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