Troubles dépressifs chez les patients épileptiques suivis au sein d’une unité de consultation spécialisée
M. AGOUB
(1), M. EL KADIRI
(1), Kh. CHIHABEDDINE
(1), I. SLASSI
(2), D. MOUSSAOUI
(1)(1) Centre Psychiatrique Universitaire Ibn Rochd, rue Tarik Ibnou Ziad, 20 000 Casablanca, Maroc.
(2) Service de Neurologie, CH Ibn Rochd, Casablanca, Maroc.
Travail reçu le 8 août 2002 et accepté le 4 mars 2003.
Tirés à part : M. Agoub (à l’adresse ci-dessus).
Résumé. Les troubles dépressifs représentent la première cause de morbidité psychiatrique associée à l’épilepsie.
Selon les études épidémiologiques, la prévalence chez les épileptiques est d’environ 20 %. L’objectif de notre travail est de : 1) déterminer la prévalence des troubles dépressifs parmi les patients présentant une épilepsie idiopathique ou cryptogénique ; 2) évaluer les éventuels facteurs de risque de survenue d’un syndrome dépressif. Nous avons mené une étude prospective au sein de la Consultation d’Épileptologie du Centre Hospitalier Ibn Rochd à Casablanca, 92 patients ont été inclus. Le diagnostic de dépression a été posé selon la 10
eversion de la Classification Internationale des Maladies (CIM-10). La prévalence ponctuelle des troubles dépressifs était de 18,5 %. Les patients dépressifs ont été comparés avec les patients non dépressifs en ce qui concerne les varia- bles sociodémographiques et celles en rapport avec les cri- ses épileptiques. La survenue du trouble dépressif a été asso- ciée à un début tardif de l’épilepsie (p < 0,03), un âge plus avancé des patients (p < 0,03) et une fréquence élevée des crises (p < 0,007). Les auteurs n’ont pas retrouvé de relation statistiquement significative entre la dépression et le type des antiépileptiques, la durée de l’épilepsie ou la durée du traite- ment. La comorbidité épilepsie primaire et troubles dépressifs est importante. La détection de ces troubles et leur prise en charge thérapeutique reste un élément primordial dans la prise en charge globale du patient épileptique.
Mots clés : Comorbidité ; Dépression ; Épilepsie ; Prévalence.
Depressive disorders among epileptic patients attending a specialised outpatient clinic
Summary. The overall prevalence of psychiatric disorders in epileptic patients is estimated between 19 and 62 %. Depres- sive disorders may be the most common psychiatric disorders and the main reason for psychiatric hospitalisation and taking psychotropic drugs. The underdiagnosis and undertreatment
of depressive disorders among epileptic patients represent
a problem of considerable magnitude. The aim of the present
study was to evaluate the prevalence of depressive disorders
among patients with primary epilepsy and to determine the
risk factors of the occurrence of the depressive illness. The
survey was conducted in a outpatient epilepsy clinic in the
Ibn Rochd University Hospital Centre in Casablanca. All
patients with idiopathic or cryptogenic epilepsy aged 15 years
and above, were eligible, except for patients with severe
physical and mental disabilities. Neurologists diagnosed the
epilepsy based on clinical criteria with electroencephalo-
grams data. The depressive disorders met a psychiatrist’s
evaluation of an ICD-10 criterion. Ninety-two subjects parti-
cipated in the survey, 57.6 % were men and the mean age
was 30.3 ± 10.8 years. The epilepsy age of onset was 16.3 ±
11.4 years with an average duration of 14.1 ± 9.2 years. The
prevalence of depressive disorders among epileptic patients
in our survey was 18.5 %. According to sex, the prevalence
was 23.1 % in women and 15.1 % in men. The depressed
patients were compared with the remaining patients without
depression with regard to seizure variables and sociodemo-
graphic characteristics. The epilepsy-depression and
epilpsy-control groups did not differ significantly in the dura-
tion of epilepsy or in the type of anticonvulsivant therapy
(mono versus polytherapy). Three variables were signifi-
cantly different between the two groups. The mean age in the
epilepsy-depression group was signficantly higher (34.4 ±
9.6 years versus 29.4 ± 10.9, p < 0.03), the mean age of epi-
lepsy age of onset was also higher in the epilepsy-depression
group than in the epilepsy-control group (21.8 ± 11.9 years
versus 15.04 ± 11.0, p < 0.03) and the seizure frequency per
week was more important among depressed epileptic
patients (2.4 + 5.2 seizures versus 0.4 + 1.5, p < 0.007). The
present survey confirms the findings of previous studies that
the prevalence of the comorbidity between epilepsy and
depression is common in specialised outpatient units. The
detection and the treatment of depressive disorders among
the epileptic patients remains a very great challenge in the
L’Encéphale, 2004 ; XXX : 40-5 Troubles dépressifs chez les patients épileptiques
management of the epileptic illness. It will improve the quality of life of these patients. A closer involvement of psychiatric and psychological treatment in patient management is neces- sary.
Key words : Comorbidity ; Depression ; Epilepsy ; Prevalence.
INTRODUCTION
La prévalence globale des troubles psychiatriques chez les épileptiques est estimée entre 19 % et 62 % (5). Les troubles dépressifs représentent la première cause de morbidité psychiatrique associée à l’épilepsie avec une prévalence sur la vie variant, selon les études, de 8 % à 48 % avec une moyenne de 30 % (5). Cette difficulté d’estimation de la prévalence des troubles psychiques chez les épileptiques est due à un certain nombre de dif- ficultés méthodologiques concernant les critères de dia- gnostic et de classification des épilepsies, la sélection des populations étudiées, le choix du type d’enquête et des instruments diagnostiques et par la suite l’interprétation des données recueillies (5, 10, 19). En effet, les troubles psychiques sont le plus souvent épisodiques, les popula- tions de malades étudiées sont différentes (les épilepti- ques vus à l’hôpital ou en institution ne sont pas les mêmes que ceux qui sont vus par le généraliste) et les instruments d’évaluation eux-mêmes n’ont pas tous la même valeur (10).
Plusieurs facteurs interviennent dans la genèse des troubles psychiques intercritiques de l’épilepsie, en plus des crises elles-mêmes, les traitements antiépileptiques et des facteurs psychosociaux, en particulier le rejet, l’iso- lement ou une surprotection paralysante jouent un rôle essentiel dans la survenue et la pérennisation de ces trou- bles (2). La gravité des troubles psychiques dépend aussi de la forme de l’épilepsie. L’intérêt de l’étude de la comor- bidité épilepsie et troubles dépressifs réside dans trois niveaux essentiels :
– l’impact des conséquences psychosociales qui sont souvent importantes, voire invalidantes. Les études récentes dans le domaine de la qualité de vie ont insisté sur la nécessité de stabiliser la maladie épileptique étant donné que la fréquence des crises est associée à une aug- mentation de l’anxiété, de la dépression, de la stigmatisa- tion et des difficultés psychosociales (13) ;
– les troubles dépressifs qui sont souvent non diagnos- tiqués et non correctement traités ;
– la prévalence élevée des suicides et des tentatives de suicide chez les patients épileptiques.
Dans notre étude nous avons essayé d’évaluer la pré- valence ponctuelle de la dépression chez une population de patients épileptiques suivis en consultation spéciali- sée. Nous avons pris seuls les patients présentant une épi- lepsie idiopathique ou cryptogénique pour pouvoir cons- tituer un échantillon homogène de patients.
SUJETS ET MÉTHODES Objectifs
Les objectifs de cette enquête prospective sont : 1) déterminer la prévalence des troubles dépressifs parmi les patients présentant une épilepsie idiopathique ou cryptogénique ;
2) évaluer les éventuels facteurs de risque de la surve- nue d’un syndrome dépressif.
Méthodologie
L’échantillon de cette étude est constitué des patients épileptiques suivis en ambulatoire à la consultation d’épi- leptologie du centre de diagnostic du Centre Hospitalier Ibn Rochd de Casablanca.
Quatre-vingt-douze patients ont répondu à nos critères d’inclusion parmi ceux ayant consulté dans cette unité durant la période allant du mois de juin 1998 au mois de novembre 1998.
Le diagnostic d’épilepsie idiopathique ou cryptogéni- que était posé par un neurologue en se basant sur la cli- nique associée à l’électroencéphalogramme (EEG) et aux examens morphologiques (tomodensitométrie cérébrale) excluant l’existence d’une lésion cérébrale. Cependant, lors de la réalisation de l’étude, seulement 45 enregistre- ments EEG étaient disponibles.
Tout patient présentant une épilepsie symptomatique a été exclu.
Les critères d’inclusion étaient les suivants :
1) Patients épileptiques des deux sexes âgés de 15 ans et plus.
2) Suivis en ambulatoire au sein d’une unité spéciali- sée depuis plus d’une année.
3) Indemnes de toute maladie somatique chronique.
4) Indemnes de toute maladie neurologique ou psy- chiatrique en dehors de l’épilepsie, la dépression ou l’anxiété.
5) N’ayant pas de déficit moteur ni de débilité mentale évalués cliniquement.
Un questionnaire a été rempli pour tous les patients inclus, précisant les données sociodémographiques, les antécédents personnels et familiaux, ainsi que les rensei- gnements concernant la maladie épileptique et sa prise en charge thérapeutique.
Pour chaque patient, un interviewer expérimenté (ME),
psychiatre, a réalisé un entretien psychiatrique appro-
fondi. Les symptômes dépressifs ont été recherchés en
se référant aux critères diagnostiques de la dixième révi-
sion de la Classification Internationale des Maladies (CIM-
10) (14). La possible confusion entre les effets secondai-
res des antiépileptiques et les symptômes somatiques a
été prise en considération en insistant sur les symptômes
psychiques du syndrome dépressif et en réalisant l’entre-
tien suffisamment loin d’une crise épileptique (plus de trois
M. Agoub et al. L’Encéphale, 2004 ; XXX : 40-5
jours). Une fois les critères d’un épisode dépressif réunis, l’épisode a été classé selon la CIM-10 en épisode dépres- sif léger, moyen, sévère avec ou sans symptômes psy- chotiques.
Un suivi au Centre Psychiatrique Universitaire Ibn Rochd a été proposé à tous les patients épileptiques dépressifs.
Étude statistique
La saisie et l’analyse des données ont été réalisées à l’aide d’un logiciel statistique : Epi Info dans sa 6
eversion française. L’analyse de variance (ANOVA) et le test de Student ont été utilisés pour la comparaison des variables quantitatives. Le test χ
2et Fisher exact ont été utilisés pour la comparaison des variables qualitatives. Le taux de signification a été fixé à 0,05 pour toutes les analyses.
RÉSULTATS
Caractéristiques sociodémographiques
Quatre-vingt-douze patients répondant aux critères d’inclusion ont participé à notre enquête. L’échantillon est composé de 53 (57,6 %) sujets de sexe masculin. L’âge moyen est de 30,3 ± 10,8 ans ; 41,3 % ont un niveau d’ins- truction primaire et 36,9 % un niveau secondaire. 70,7 % des patients sont célibataires et 26,1 % sont mariés.
Concernant leur activité professionnelle, 40,2 % des patients ont un emploi stable, 17,6 % poursuivent leurs études, 21 patientes sont des femmes au foyer soit 22,8 % et 19,4 % sont sans profession. La majorité de nos patients (71,7 %) ont un niveau socio-économique bas.
Huit patients (soit 8,7 %) ont rapporté des antécédents familiaux psychiatriques et 18,5 % (n = 17) des patients ont des antécédents familiaux d’épilepsie. Une seule patiente a rapporté un épisode dépressif à l’âge de 14 ans.
Trois patients de sexe masculin sont tabagiques chroni- ques.
Caractéristiques de l’épilepsie
En ce qui concerne les variables en relation avec les crises épileptiques, l’âge moyen de début des crises est de 16,3 ± 11,4 ans. La durée moyenne de l’épilepsie est de 14,1 ± 9,21 ans, alors que la durée moyenne de la prise d’antiépileptiques est de 9,5 ± 7 ans.
Sur le plan thérapeutique, 83,7 % des patients sont sous un seul antiépileptique versus 16,3 % sous deux antiépileptiques. Pour les médicaments utilisés en mono- thérapie, 44,1 % des patients sont sous phénobarbital, 45,5 % sous carbamazépine, 6,5 % sous valproate de sodium et 3,9 % sous phénytoïne. Pour les cas de bithé- rapie, la carbamazépine est l’antiépileptique le plus utilisé en association (14 patients sur 15) et l’association la plus utilisée est phénobarbital-carbamazépine (11 patients).
Concernant le nombre de crises pendant la dernière semaine et le dernier mois, les résultats montrent que 28,3 % de nos patients ont présenté au moins une crise durant la dernière semaine et 43,5 % durant le dernier mois.
Plus de la moitié des patients (n = 52 ; 56,5%), n’ont rapporté aucune crise pendant les six derniers mois.
La posologie moyenne des antiépileptiques était de 117,1 ± 39,6 mg par jour pour le phénobarbital, 541,2 ± 120,7 mg pour la carbamazépine, 583,3 ± 359,6 mg pour le valproate de sodium et 280,0 ± 44,7 mg pour la phé- nytoïne.
Prévalence des troubles dépressifs
Dix-sept patients (9 hommes et 8 femmes) ont répondu aux critères diagnostiques d’un épisode dépressif selon la CIM-10, soit une prévalence ponctuelle de 18,5 % (23,1 % parmi les patients de sexe féminin et 15,1 % de sexe masculin).
La répartition des sujets dépressifs selon la sévérité de la dépression d’après les critères de la CIM-10 est pré- sentée dans le tableau I.
Un seul patient a présenté des idées délirantes de per- sécution. Aucun patient n’a rapporté d’idées suicidaires, cependant 3 patients ont exprimé un désir de mort.
Aucune différence n’a été retrouvée entre la sévérité de la dépression et le sexe, l’âge et le statut marital, ni avec le niveau socio-économique. Cependant les épiso- des dépressifs les plus sévères ont été notés chez les sujets ayant un niveau d’études bas et les analphabètes ainsi que chez les sujets n’ayant pas d’activité profession- nelle régulière.
Étude comparative des patients dépressifs et non dépressifs
L’échantillon de l’étude a été divisé en 2 sous-groupes : le premier est composé des patients présentant un épi- sode dépressif et le deuxième est composé des patients restants non dépressifs. Ensuite, nous avons comparé le groupe des patients dépressifs au groupe des patients non dépressifs (tableau II).
TABLEAU I. — Formes cliniques de la dépression
(critères CIM-10).N %
Dépression d’intensité légère 5 29,4
Dépression d’intensité moyenne 10 58,8 Dépression sévère
– sans symptômes psychotiques 1 5,9
– avec symptômes psychotiques 1 5,9
L’Encéphale, 2004 ; XXX : 40-5 Troubles dépressifs chez les patients épileptiques
L’analyse statistique bivariée permet de dégager trois variables pouvant être considérées comme des facteurs de risque dans notre étude. L’âge des patients dépressifs est plus élevé par rapport au groupe des non dépressifs (p < 0,03), de même pour l’âge de début de la maladie épi- leptique (p < 0,03). Une autre variable a été notée, le nom- bre de crises par semaine est plus important chez les patients épileptiques dépressifs (p < 0,007).
La différence concernant l’utilisation d’une monothéra- pie ou une bithérapie ainsi que le type d’antiépileptique utilisé en monothérapie n’est pas statistiquement signifi- cative.
Chez les patients recevant un seul antiépileptique en monothérapie (n = 77), 14 patients (18,2%) sont dépres- sifs. Parmi les 34 patients recevant le phénobarbital, 7 sont dépressifs (20,5 %) alors que 6 parmi les 35 patients sous carbamazépine présentent une dépression (17,5 %). La différence n’est pas significative (p > 0,7). La posologie quotidienne du phénobarbital est de 150,0 ± 28,8 mg chez les patients déprimés et de 119,6 ± 34,6 chez les non déprimés (p < 0,05). Cette dif- férence n’est pas significative pour la carbamazépine (p > 0,7). Il faut noter que les deux patients dépressifs avec une intensité sévère sont sous phénobarbital et que 4 patients parmi les 5 présentant une dépression légère sont sous carbamazépine.
DISCUSSION
Nous avons retrouvé une prévalence des troubles dépressifs de 18,5 % parmi les consultants au sein d’une unité spécialisée d’épileptologie. Cette prévalence est inférieure à celle retrouvée dans d’autres études (3, 4, 15, 18) ; ceci est dû probablement à la composition de l’échan- tillon de l’étude, sachant que ces patients sont considérés comme bien pris en charge dans une institution spéciali- sée. Cette différence pourrait être due aussi aux instru- ments diagnostiques utilisés ; les auteurs qui avaient retrouvé des prévalences plus élevées avaient utilisé seu- lement des échelles d’évaluation de la dépression et par- laient le plus souvent de scores ou de symptômes dépres- sifs ou de patients ayant des antécédents dépressifs.
D’autre part, Mendez et al. ont retrouvé des taux moins élevés dans 2 études publiées (11, 12) en utilisant les cri- tères diagnostiques DSM III-R, 7,5 % dans la première (101/1339) et 9 % dans la deuxième étude (25/272 ayant une épilepsie secondaire). Enfin on ne peut pas exclure la possibilité de la présence d’épisodes dépressifs brefs qui ne répondent pas aux critères de durée selon les cri- tères de la CIM-10.
Les études menées dans ce domaine avancent des fac- teurs de risque de la survenue de la dépression chez les patients épileptiques. Concernant la relation existante entre la dépression chez les épileptiques et les variables TABLEAU II. — Comparaison entre les groupes dépressifs et non dépressifs.
Dépressifs (n = 17)
Non dépressifs
(n = 75) p
Âge moyen (ans) 34,4 ± 9,6 29,4 ± 10,9 < 0,03*
Sex ratio (F/M) 1,12 0,66 > 0,4
Statut marital (%) > 0,06
– célibataire 47,1 76
– marié 47,1 21,3
– divorcé 5,9 2,7
Niveau d’études (%) > 0,4
– analphabète 29,4 16
– primaire 47,1 40
– secondaire 23,5 40
– supérieur 0 4
Activité professionnelle > 0,06
– sans 41,2 26,7
– employé/ouvrier 23,5 44
– étudiant 0 9,3
– autres 35,3 20
Âge moyen de début 21,8 ± 11,9 15,04 ± 11,0 < 0,03*
Durée moyenne d’épilepsie 12,6 ± 7,3 14,4 ± 10,0 > 0,7
Durée moyenne de prise de traitement 9,5 ± 5,7 9,5 ± 7,3 > 0,5
Monothérapie 82,4 84 > 0,5
Crises par semaine (moyenne) 2,4 ± 5,2 0,4 ± 1,5 < 0,007*
p : degré de précision ; * : différence statistiquement significative.
en rapport avec les crises, quelques auteurs ont rapporté une association entre le début tardif de la maladie épilep- tique et la dépression (5) ; cependant la plupart des études n’ont montré de corrélation ni avec l’âge de début, ni avec la durée d’évolution de l’épilepsie (3, 9, 11). Mignone et al.
avaient rapporté que les scores de la dépression étaient plus élevés pour les patients avec un début tardif des crises (in 15). Dans notre étude, l’âge moyen de début des crises chez les épileptiques dépressifs est significativement plus élevé que celui du groupe des épileptiques non dépressifs (21,8 ± 11,9 ans versus 15 ± 11 ans respectivement) (p < 0,03). Nous pouvons supposer une mauvaise adap- tation à la maladie si celle-ci se déclare à un âge tardif.
Quant à la durée de l’épilepsie et sa relation avec la dépres- sion, les deux groupes de la présente étude ne diffèrent pas significativement concernant cette variable, ce qui confirme les résultats des études antérieures (3, 4, 11).
Ettinger et al. (3) et Robertson (15) n’ont pas noté de relation significative entre la dépression et la fréquence des crises, Ettinger et al. (4) ont trouvé que les patients avec une fréquence élevée des crises pendant le dernier mois précédant l’évaluation étaient plus fréquemment dépressifs.
Dans notre étude, la différence entre les groupes dépressifs et non dépressifs concernant la fréquence des crises durant la dernière semaine est évidente ; 47,1 % des sujets dépressifs ont présenté au moins une crise pen- dant la dernière semaine versus 24 % pour le groupe des non dépressifs.
Parmi les caractéristiques démographiques, le sexe masculin a été associé à un risque plus élevé de troubles dépressifs parmi les patients épileptiques (10). Seulement quelques travaux ont rapporté une prédominance fémi- nine (6, 16). Dans notre série, nous avons noté une pré- dominance féminine avec une prévalence ponctuelle de la dépression de 23,1 % parmi les sujets de sexe féminin (9/39) et de 15,1 % parmi les sujets de sexe masculin, mais la différence n’était pas statistiquement significative (p > 0,4).
Un autre aspect de la comorbidité épilepsie-dépression a été largement exploré : les médicaments antiépilepti- ques joueraient un rôle dans la dépression chez les épi- leptiques, par exemple le phénobarbital peut précipiter la survenue de la dépression et la présence de plusieurs médicaments peut altérer la conscience et prédisposer aux symptômes thymiques, tandis que l’utilisation de la carbamazépine peut les alléger (11, 15).
Mendez et al. (11), dans leur étude réalisée sur 101 épi- leptiques dépressifs comparés aux 202 épileptiques non dépressifs, avaient trouvé que les sujets dépressifs avaient plus d’antiépileptiques que les sujets non dépres- sifs et que le valproate était le médicament le plus souvent prescrit comme deuxième ou troisième antiépileptique.
Les mêmes auteurs, dans une autre étude, n’avaient pas constaté de différence significative entre les groupes dépressifs et non dépressifs en ce qui concerne la pré- sence d’une thérapie par le phénobarbital (12). Alors que Ettinger et al., dans 2 études (la première a concerné une population de 7 à 18 ans et la deuxième étude a porté sur
une population de 18 à 73 ans), n’ont pas noté de corré- lation entre les scores de la dépression et l’utilisation d’une monothérapie (3, 4).
Dans notre étude, 83,7 % des sujets sont sous un seul antiépileptique, chiffre important comparé à celui des autres études (3, 4), et il n’y avait pas de différence entre le groupe des dépressifs et celui des non-dépressifs con- cernant la présence d’une monothérapie ou une bithérapie ainsi que les types des médicaments utilisés en monothé- rapie. La posologie du phénobarbital était plus élevée chez les patients épileptiques dépressifs en monothéra- pie. D’autre part, les deux patients dépressifs avec une intensité sévère sont sous phénobarbital et 4 parmi les 5 patients ayant une dépression légère sont sous carba- mazépine.
Au cours de la réalisation de cette étude, nous étions limités par des contraintes essentiellement matérielles.
Ainsi, comme la base de la catégorisation des syndromes épileptiques selon la classification internationale est cli- nico-électrique et que les enregistrements élec- troencéphalographiques n’étaient pas disponibles pour tous les patients, nous n’avons pas pu faire une classifi- cation correcte et précise des patients. D’autre part, le dosage des médicaments antiépileptiques n’a pas été réa- lisé. Enfin, l’échantillon de la présente étude est composé des patients épileptiques suivis au niveau d’une unité de consultation spécialisée universitaire et ne reflète pas la réalité de la prévalence des troubles dépressifs chez les patients épileptiques dans la population générale.
CONCLUSION
La prévalence des troubles dépressifs est importante chez les patients épileptiques. Pratiquement 1 patient sur 5 présente un syndrome dépressif. Le diagnostic d’un tel syndrome est exceptionnellement fait par le praticien somaticien. Cette prévalence élevée rend compte de la nécessité de la détection et du traitement de tout trouble dépressif. La prise en charge globale de l’épilepsie doit systématiquement faire intervenir la composante psychi- que et la notion de qualité de vie et de bien-être du patient épileptique.
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