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LE PROGRAMME LEADER EN HONGRIE, UN PILOTAGE DE L'ACTION PUBLIQUE SOUS CONTRÔLE

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LE PROGRAMME LEADER EN HONGRIE,

UN PILOTAGE DE L’ACTION PUBLIQUE SOUS CONTRÔLE

Pascal CHEVALIER, Marie-Claude MAUREL et Peter POLA

Résumé

L’un des objectifs du programme LEADER est d’améliorer la gouvernance des territoires ruraux, au moyen d’une approche ascendante du développement local. Les conditions de sa mise en œuvre dans le contexte institutionnel hongrois sont-elles de nature à promouvoir la participation des citoyens à l’action collective et à consolider le fonctionnement de la démocratie locale ? Définie  et formulée au niveau européen, la démarche LEADER est incorporée dans le Programme de développement rural national et la Stratégie « Nouvelle Hongrie », et mise en œuvre par l’agence pour l’agriculture et le développement rural qui dépend du ministère du même nom. A partir de recherches empiriques dans le GAL Zengő-Duna, en Transdanubie méridionale, la structuration  des groupes d’action locaux est abordée à travers la composition des partenariats et l’analyse des réseaux d’acteurs. Les élus locaux occupent une place centrale tant par leur implication au sein des partenariats que par la notoriété dont ils jouissent. Le positionnement de quelques maires sur la scène de concertation locale révèle l’exercice d’un véritable leadership politique. Le mode de fonctionnement de l’axe LEADER indique que le leadership politique local s’est emparé d’un modèle de développement dans lequel il voit essentiellementun instrument de mise à niveau des équipements et services publics et une source de légitimation de son action.

Mots clés

développement rural, LEADER, Hongrie, action publique Abstract

One of the LEADER program objectives is to improve the governance of rural areas, through a bottom-up approach to local development. The conditions for its implementation in the Hunga-rian institutional context are they likely to promote citizen participation in collective action and strengthen the functioning of local democracy? Defined and formulated at European level, the LEADER approach is incorporated into the National Rural Development Program and Strategy «New Hungary» and implemented by the agency for agriculture and rural development under the Ministry of the same name. From empirical research in the GAL Zengő-Duna, Southern Trans-danubia, structuring of local action groups is addressed through the composition of partnerships and analysis of networks of actors. Local elected officials are central to both their involvement in partnerships by the reputation they enjoy. The positioning of several mayors on local consul-tation stage reveals the exercise of genuine political leadership. The mode of operation of the LEADER axis indicates that the local political leadership has seized a development model in which it essentially sees a leveling instrument of public facilities and services and a source of legitimacy of his action.

Keywords

Rural development, local development, LEADER, Hungary, public policy

I. INTRODUCTION

Fondé sur une démarche ascendante et partena-riale, le modèle de développement local endogène est la source d’inspiration de l’approche LEA-DER1 qui a été expérimentée, dès les années 1990,

par les anciens États membres et qui est, à présent, généralisée à l’ensemble des États de l’Union

eu-ropéenne. La mise en œuvre de l’approche LEA-DER implique l’apprentissage d’un nouveau mode d’action publique fondé sur la valorisation des atouts propres à chaque territoire et la mobi-lisation des initiatives portées par des partenariats publics /privés (élus, animateurs de projets, entre-preneurs, associations). En Hongrie, le transfert de l’approche LEADER prend place dans le contexte

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spécifique d’une société rurale qui a renoué avec  la démocratie et l’autonomie locale au lende-main du changement de régime. Mais il s’inscrit également, à l’instar des autres pays d’Europe centrale ayant jadis appartenu au système commu-niste, dans un contexte général de désengagement des habitants de la sphère publique et associative (Furmankiewicz et al., 2010 ; Kovács, 2002). Ce transfert implique un apprentissage qui se présente comme une forme de mise à l’épreuve des sociétés locales et invite à s’interroger sur plusieurs points. De quelle manière les acteurs locaux se sont-ils approprié les nouveaux dispositifs d’action pu-blique proposés par l’axe LEADER ? Quels peuvent être les effets du transfert de modèle de développement local sur des sociétés locales dont l’ancrage démocratique est récent et fragile ? Ces questions invitent à examiner les conditions de réception de l’approche LEADER aux échelles nationale et locale. L’analyse s’appuie sur l’étude monographique d’un GAL situé en Transdanubie  méridionale qui a fait l’objet d’enquêtes répétées au cours des années 2000-2014 (Maurel & Pola, 2007). La première partie présente les modali-tés de transposition guidant la mise en œuvre de l’axe LEADER en soulignant le rôle de l’acteur étatique en tant qu’opérateur de transfert. La deu-xième partie aborde les conditions de réception du modèle LEADER par les acteurs locaux, leur degré d’implication et leur capacité à s’approprier les dispositifs normatifs de la politique de déve-loppement local. À partir de l’examen des projets sélectionnés par le groupe d’action locale (GAL), la troisième partie propose une interprétation du nouveau mode d’action à l’échelle de la commu-nauté rurale observée. Elle permet de souligner les limites du transfert d’un modèle de dévelop-pement local dans le contexte de centralisation du système hongrois, aujourd’hui comme hier. II. UNE EXPÉRIMENTATION SOUS TUTELLE

A. Un opérateur de transfert tout puissant Le Programme de développement rural national (UMPV) - qui intègre l’axe LEADER - s’inscrit dans la Stratégie de développement rural natio-nal Nouvelle Hongrie. Conformément à la directive européenne, le programme est organisé autour des quatre axes du second pilier de la PAC, avec

toute-fois une particularité propre à la Hongrie, puisque le troisième axe qui concerne l’amélioration de la qualité de vie et la diversification de l’économie  rurale fonctionne selon la procédure LEADER. Ce troisième axe est structuré autour de quatre mesures dont deux s’adressent aux entreprises (aide à l’in-vestissement, à la diversification de l’activité et au  soutien au développement de l’activité touristique) et deux autres intéressent plus particulièrement les associations et les collectivités locales (rénovation des villages et conservation de l’héritage culturel)2.

Le quatrième axe, l’axe transversal LEADER, a pour objectif le soutien à l’élaboration de projets innovants, le suivi de leur réalisation, et la recherche d’une bonne communication entre les collectivités locales et les microrégions3. Ce quatrième axe

présente quelques points de recouvrement avec des mesures proposées au titre du troisième axe. Or, l’interdiction du double financement des projets  imposé par la Commission européenne implique de distinguer les actions relevant de chacun des deux axes, ce qui ne manque pas d’induire des difficultés pour la réalisation des stratégies et le choix des projets.

Le ministère de l’Agriculture et du Développe-ment rural a confié le pilotage de l’axe LEADER  à l’agence pour l’Agriculture et le Développement rural (Mezőgazdasági és Vidékfejlesztési Hivatal  (MVH) qui est une agence de paiement4,

respon-sable pour la gestion du financement des mesures  de la politique agricole et de développement rural (au titre des divers fonds européens). Au niveau central, l’agence est organisée selon des lignes horizontales et des directions au nombre de quatre. L’une d’elles, l’unité LEADER, est responsable des appels d’offre dans le cadre de l’axe 3 et de l’axe LEADER du deuxième pilier. À cet effet, la direction de l’agence supervise la mise en œuvre de l’ensemble du dispositif, en prenant appui sur les 19 offices déconcentrés situés dans les départe-ments (megye). Cette agence qui détient de fait un important pouvoir décisionnel (sous le contrôle du ministère) est l’unique opérateur responsable de la formulation des règles fixant les conditions d’éligi-bilité des groupes d’action locale, et des procédures d’évaluation et de sélection de leurs projets. B. Une démarche prescriptive

Pour mettre en œuvre l’axe LEADER, l’agence (MVH) a élaboré un dispositif prescriptif qui

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s’applique à la constitution et à la délimitation du périmètre des GAL comme à la méthodologie d’élaboration des stratégies.

La première phase de mobilisation des initiatives a été confiée aux bureaux de développement local  (HVI), mis en place à l’échelle des microrégions statistiques (niveau NUTS  4/LAU  1  de la no-menclature européenne). Ces bureaux avaient pour mission d’organiser les communautés rurales (helyi közösség – HK) préfigurant les GAL, qui  devaient, au préalable, être enregistrées. Après leur reconnaissance officielle, ces communautés  se sont dotées d’un groupe de coordination et de planification, élu parmi les membres et assurant  la représentation des secteurs public, associatif et privé. Composé de cinq membres au minimum, dont au moins une personne ayant une formation de niveau universitaire, ce groupe devait apporter la preuve de son expérience en matière de program-mation et de gestion. Une fois formé, ce groupe a préparé l’élaboration de la stratégie de développe-ment local en respectant la procédure définie par la  réglementation n°93/2007 du programme national.

Après validation de la démarche stratégique par l’agence (MVH), les communautés rurales (HK) sont devenues des GAL dotés d’un statut légal5.De manière à encadrer plus strictement le processus d’élaboration des stratégies, après la soumission et validation d’une première ébauche du document, les GAL ont dû effectuer la programmation de leur stratégie à l’aide d’un logiciel, fourni par l’autori-té centrale de gestion (MVH), leur imposant des règles de saisie des informations très strictes. Ces dispositions témoignent du caractère centralisé et directif d’un processus de transfert de bout en bout contrôlé par l’opérateur national (MVH). L’État hongrois a privé l’approche LEADER de son ca-ractère de démarche ascendante (bottom-up) et l’a transformée en un instrument de planification du  développement rural répondant aux vues du pouvoir central. C’est ainsi qu’une forte incitation à carac-tère politique s’est exercée pour que le territoire des communautés rurales, puis celui des GAL, coïncide avec le périmètre d’au moins deux microrégions.

De ce fait, la couverture du territoire national par les GAL présente une étroite correspondance avec le découpage micro-régional.

Sous la forme d’un maillage homogène et quasi exhaustif  de  l’espace  rural  (figure  1),  les  GAL  sont devenus le cadre d’application de la politique

de développement rural, dans une logique de dis-tribution égalitaire des aides au développement (Chevalier, 2012)6. La Hongrie a choisi de transcrire

le dispositif du deuxième pilier de la PAC de ma-nière à doter le pouvoir central d’outils de contrôle sur l’échelon micro-régional devenu un niveau de gestion des services et des équipements publics. Dès la deuxième moitié de la décennie 1990, les microrégions ont servi de support territorial à l’in-tervention de l’État en matière de développement rural (Kukorelli-Szörenyine, 2005). Au fur et à me-sure de leur institutionnalisation, les microrégions ont reçu de nouvelles fonctions. Elles ont servi de cadre de coopération pour le développement local, à l’origine sur une base spontanée (bottom-up), puis sous la forme d’associations de développement, bénéficiaires des programmes de développement  rural7. L’institutionnalisation de l’échelon

mi-crorégional a franchi une étape décisive en 2004 (Palné-Kovacs, 2011). Un amendement à la Loi sur le développement régional et l’aménagement du territoire de 1996, adopté le 21 juin 2004, a intro-duit la création de Conseils de développement dans les microrégions. Parallèlement à cette réforme, le ministère de l’Intérieur, en charge des collectivités locales, a cherché à renforcer l’intercommunalité en créant des associations micro-régionales à vo-cation multiple, destinées à assurer les tâches de service public incombant aux collectivités locales sur le territoire de la microrégion. L’État hongrois a institutionnalisé l’échelon micro-régional en tant que cadre de développement territorial mais aussi en tant que niveau de gestion des services publics. Dans la continuité de son dessein politique, il était logique qu’il inscrive l’application de la politique de développement rural dans un maillage compatible avec ses objectifs.

À l’opposé de la démarche bottom-up postulant la capacité d’initiative des acteurs locaux pour constituer un partenariat et délimiter un périmètre d’action, l’État hongrois a fortement encadré la mise en place de l’instrument LEADER en cherchant à le plier à ses propres objectifs. Les procédures édictées définissent des règles dures  de formation des partenariats et de détermina-tion des périmètres, sur la base de maillages institutionnalisés. L’intention du pouvoir central est d’imposer la maille territoriale convenant le mieux à son objectif d’instrumentation de la démarche LEADER dans une logique de quasi planification des territoires ruraux. 

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C. Les effets de la règlementation sur la forma-tion du GAL de Zengő-Duna

En Transdanubie méridionale, comme de manière  générale dans l’ensemble du pays, la formation des périmètres LEADER a obéi à une logique partisane, fonction de l’appartenance politique des élus locaux, les affinités clientélistes l’em-portant sur le souci de promouvoir la cohésion territoriale. Au cours de l’année 2007, le lan-cement du programme LEADER a déclenché un processus de recomposition des périmètres des petits GAL formés lors de la période initiale (2004-2006). Les nouveaux périmètres se sont construits à l’initiative des leaders politiques, les députés maires de petites villes ou de gros bourgs. La taille préconisée par l’autorité centrale pour la formation des communautés rurales, une popu-lation d’au moins 50.000 habitants, correspond approximativement à celle d’une circonscription

Figure 1. La couverture des GAL en Hongrie en 2013

électorale, ou encore au regroupement de deux microrégions (figure 2). 

C’est sur la base d’un compromis politique entre les élus locaux les plus influents qu’ont été regroupées  les deux microrégions de Mohács et de Pécsvárad pour former le GAL de Zengő-Duna. En 2007, le député maire de la commune de Mecseknádasd, gros bourg de la microrégion de Pécsvárad sou-haitait un regroupement avec celle de Komló8

mais le projet n’a pas abouti. Dans ces conditions, le rapprochement avec la microrégion voisine de Mohács s’imposait. La ville de Mohács n’étant pas éligible en raison de son statut et de sa taille, les autres communes de la microrégion du même nom étaient disponibles pour s’engager dans la forma-tion d’une communauté rurale. Lors de la créaforma-tion des bureaux de développement local (HVI), en juin 2007, l’association de la route des vins blancs dont le siège se situe dans la petite ville de Bóly se

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porte candidate pour être responsable du nouveau bureau de développement rural9. Une première

réunion en vue de la formation de la communauté rurale (HK), organisée le 22 août 2007, réunit 45 maires sur 60. Le maire de Bóly prend les choses en mains et propose de mettre en place un groupe de vingt à vingt-cinq personnes dont une dizaine prendra en charge, sous sa propre responsabilité, la démarche de programmation stratégique. Pour conclure l’accord, il est entendu que la composi-tion de l’assemblée des membres du GAL tiendra compte de la répartition du nombre d’habitants entre les deux microrégions (soit dans un rapport 2/3-1/3). Dès ce moment initial, un rapport de forces s’instaure entre les deux microrégions dont les dynamiques démographiques et socioéconomiques et les besoins en matière d’équipement diffèrent.

Pour sceller l’entente entre elles, les porteurs du projet choisissent l’appellation « Zengő-Duna » qui associe deux toponymes : Zengő, le point haut de la microrégion de Pécsvárad et Duna (le Danube) évoquant la topographie de plaine alluviale de la microrégion de Mohács. Les contacts établis entre les bureaux de développement local des deux micro-régions (HVI) permettent d’assurer la préparation du document de stratégie et la constitution d’une

seule communauté rurale qui se voit reconnaitre, en avril 2008, le statut de GAL10.Perçue comme

un instrument du développement rural, la constitu-tion du GAL est devenue un enjeu pour les acteurs politiques locaux.

III. UN PARTENARIAT ORGANISÉ PAR LE

LEADERSHIP POLITIQUE LOCAL

A. Une composition à l’initiative de l’élite poli-tique locale

Les régions du programme LEADER sont pilotées par des groupes d’action locale qui constituent la structure de gestion et de coordination des actions de développement socio-économique mises en œuvre sur le territoire local. La constitution d’un GAL est contrainte par des règles de composition11

et d’organisation que les acteurs sont tenus de res-pecter pour pouvoir répondre aux appels d’offres de l’axe LEADER. Composé des représentants des trois secteurs, l’assemblée générale (ou le conseil d’administration) est l’expression formalisée du dispositif de coordination des partenaires, en même temps que le cadre de leur interaction12. Le Figure 2. Le périmètre du GAL Zengő-Duna

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partenariat se forme sur la base du lien d’adhé-sion volontaire des membres, en vue de se doter d’une capacité d’action. Il importe de comprendre comment se constitue le système d’acteurs, sur la base de quels types de liens il se forme et si de cette structure relationnelle peut émerger un inté-rêt collectif d’une autre nature que la somme des intérêts individuels. Les conditions de création du partenariat sont des éléments clé pour comprendre la portée réelle de l’expérimentation de l’approche LEADER sur le terrain. Le processus de formation du groupe d’action locale Zengő-Duna a été analysé à partir des entretiens réalisés avec les principaux responsables (présidents de microrégions, manager, maires) ainsi qu’avec un échantillon de membres. Les partenariats hongrois se caractérisent par un nombre élevé de membres siégeant dans l’assem-blée générale qui remplit aussi le rôle de conseil d’administration13. Le règlement national imposant

la représentation de toutes les collectivités partici-pantes, le nombre des membres de l’assemblée est directement fonction du nombre de collectivités locales participant au GAL. Cet effet de taille a son importance en termes de capacité d’action des groupes associatifs pour réaliser des buts communs. Ainsi, le partenariat de l’association Zengő-Duna est-il formé de 60 représentants des collectivités locales (en général les maires), de 87 partenaires du secteur associatif et de 68 personnes issues du secteur économique, soit au total de 215 membres. Un bon nombre de représentants du secteur privé (38) et du secteur associatif (13) sont également des élus locaux (souvent des conseillers municipaux). La composition respectant le principe de repré-sentation des trois secteurs devient une façade qui masque la prépondérance de fait des acteurs publics du pouvoir local (111 élus locaux). Les communes des deux microrégions sont représentées dans la proportion 2/3-1/3 qui tient compte de l’importance de leur population respective (tableau 1). Cette répartition territoriale des membres exprime l’asy-métrie de poids démographique et économique des deux microrégions regroupées au sein du montage institutionnel. C’est ainsi que l’on note la faible représentation du secteur privé et la surreprésenta-tion du secteur associatif (la moitié des membres) dans la petite microrégion de Pécsvárad, tandis que l’équilibre entre ces deux secteurs est respecté dans la microrégion de Mohács. Cette composition reflète un niveau plus développé des activités éco-nomiques dans cette dernière. Le respect des règles

n’exclut pas de recourir à de petits arrangements permettant de concilier celles-ci avec la réalité des rapports sociaux tels qu’ils se tissent à cette échelle de la vie locale. De fait, la représentation de chaque commune au sein de l’instance de décision insti-tutionnalise une forme de « municipalisation » du programme LEADER, les membres fondateurs du partenariat sont les collectivités locales.

B. Un réseau d’acteurs doté d’une faible inté-gration

La capacité du système d’action local à impulser le développement local dépend des formes de coo-pération entre acteurs publics, associatifs et privés. Cette capacité d’action ne se décrète pas mais se construit à travers la qualité et l’intensité des liens qu’entretiennent les acteurs. Sur quelles bases se créent-ils ? Les données recueillies auprès des acteurs enquêtés permettent de cerner l’intensité et la nature des interactions entre les membres (re-lations d’interconnaissance, liens d’affinité ou de  rejet, prestige et notoriété)14. Les graphes réalisés à

partir des matrices de relations, visualise la position de chacun des acteurs par rapport à tous les autres et les scores individuels de centralité donnent un indicateur relativement simple à interpréter. La cen-tralité de degré qui se mesure au nombre de contacts d’un individu sert à identifier les acteurs dits « cen-traux », c’est-à-dire les plus importants du système, ceux qui disposent d’une notoriété15. Un individu a

d’autant plus de prestige qu’il est cité par d’autres individus (pourvus eux-mêmes d’une notoriété). Dans une situation d’échange ou de négociation, il occupe une position dominante. La représentation des liens interindividuels sous la forme d’un graphe, a été complétée par une cartographie positionnant les individus, dotés de leurs scores individuels de centralité, dans la ville ou le village où ils résident. Cette projection géographique des acteurs centraux revêt de l’importance pour comprendre le rapport de force entre les lieux.

Dans le GAL de Zengő-Duna, la structure des re-lations entre les membres de l’assemblée générale témoigne d’un faible niveau d’interconnaissance entre les acteurs des deux microrégions (figure 3).  En position d’acteurs périphériques, plus des deux tiers des individus ne sont jamais cités par les autres membres. La cohésion du groupe d’action ne repose que sur quelques individus liés par l’interconnais-sance. Le sociogramme fait état d’une forte

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segmen-tation des relations interindividuelles en fonction de leur appartenance à l’une ou à l’autre des deux microrégions. Le graphe est composé de deux sous-réseaux distincts : celui de Bóly, bien centré autour de son maire (individu n°22 076) et celui de la microrégion de Pécsvarad, de configuration plus  éclatée et dont les acteurs centraux résident aussi à Mecseknádasd. Parmi ceux-ci, figure la manager

Tableau 1. Composition du conseil d’administration du GAL Zengő-Duna (en nombre de membres) Secteur public Secteur associatif Secteur privé Total

Nombre total de membres 60 87 68 215

Répartition selon les compo-santes territoriales

Microrégion de Mohács

(Bóly) 40 58 58 156

Microrégion de Pécsvárad 20 29 10 59

Source : ANR ALDETEC, enquêtes 2010-2012 

du GAL (individu n°22 029) qui siège au titre d’une association de danse folklorique allemande mais qui travaille dans le bureau du GAL, à Bóly. Connue de tous, cette personne est la seule à établir le lien d’interconnaissance entre les deux sous-réseaux. D’ampleur limitée, l’intégration des membres du GAL Zengő-Duna repose sur une proximité ter-ritoriale qui relève de l’échelle strictement locale.

Figure 3. Le système d’interconnaissance entre les membres du GAL de Zengő-Duna 

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Comme le montre l’indice de centralité (figure 4), le  réseau d’acteurs est fortement dominé par la figure  du maire de Bóly (individu n°22 076), président du GAL, qui est la personnalité politique la plus connue, jouissant de l’estime et du respect de la majorité des membres. Cet édile, régulièrement réélu depuis 1991, a acquis une stature de notable. L’autre leader politique connu est le député maire de Mecseknádasd (individu n° 22 049). À la différence du président du GAL, cet acteur n’est pas choisi par les autres membres lorsqu’on leur demande s’ils souhaiteraient collaborer avec lui. S’il a joué un rôle déterminant dans le regroupement des deux microrégions, son engagement au sein du réseau et dans le fonctionnement du GAL semble à présent

plus limité. La prise en compte de l’ensemble des relations affinitaires et leur projection sur la carte  (somme des indices de centralité) confirme la configuration d’un réseau largement dominé par  une élite locale, comprenant quelques élus locaux et la manager (individu n°22 029). Cette dernière concentre plus de la moitié des intentions de coo-pération. Celles-ci émanent des élus locaux avec lesquels elle travaille en étroite collaboration. Par sa connaissance des procédures administratives complexes du programme LEADER, elle s’est taillée une place privilégiée au sein du réseau en se rendant indispensable. Tous ceux qui souhaitent  monter un projet doivent passer par elle pour avoir quelque chance d’aboutir.

Figure 4. L’indice de centralité dans le GAL de de Zengő-Duna

(Ce graphe a été élaboré à partir de la somme des réponses aux questions suivantes : «avec quelles personnes souhaiteriez-vous travailler ?» ; «quelle est la personne que vous connaissez le mieux ?» ; «quelles personnes estimez-vous le plus ?»)

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La cohésion du réseau repose presque exclusive-ment sur le prestige et la notoriété du président du GAL, l’engagement actif de la manager et l’influence de quelques personnalités locales, bien  ancrées dans le tissu relationnel de proximité. Ces acteurs centraux exercent leur capacité à rassembler et à mobiliser les partenaires en vue de la réalisation de projets. La structure du conseil d’administra-tion, construite selon des règles formelles, rend la présence de nombreux autres acteurs, fortuite. Ces acteurs périphériques ne s’impliquent d’ailleurs pas fortement.

C. La consolidation du leadership politique local Le principe du partenariat tripartite qui fonde l’ap-proche LEADER semblerait exclure la possibilité de voir s’instaurer un leadership politique au sein des groupes d’action16. Pourtant, le rôle d’initiative

joué par les élus locaux, leur participation aux organes de décision conduisent à s’interroger sur la nature des relations d’influence qu’ils exercent  sur le groupe d’action local. Plus de la moitié des représentants des associations ou des entreprises exercent des fonctions d’élus locaux. L’ordre local se définit en termes de relations de pouvoir,  à savoir l’omniprésence au sein des instances de gouvernance des représentants des collectivités locales. L’examen de la nature des relations des élus locaux avec les autres membres, qui font figure  de « suiveurs » (followers), montre qu’ils disposent d’une réelle capacité à formuler les orientations stratégiques, à rallier les autres partenaires et à orienter leur action au nom d’un intérêt commun. Leur rôle clé dans la diffusion du nouveau mode d’action publique est consolidé par leur plus grande capacité que les autres acteurs locaux (associations, entrepreneurs) à mobiliser des fonds provenant de sources nationales ou locales, exigées par l’UE dans  le  cadre  des  procédures  de  cofinancement  des projets LEADER. À l’origine de la démarche de constitution des GAL, ils sont au cœur de la mise en relation des partenaires qu’ils ont, bien souvent, contribué à désigner. C’est souvent le cas des partenaires du secteur associatif (associations culturelles et sportives) qui appartiennent à la sphère d’influence des municipalités, en particulier  les représentants des associations culturelles des Al-lemands et des Croates. Les entrepreneurs peuvent avoir été sollicités par l’élu local ou par le manager pour participer au montage institutionnel, la plupart sont en situation d’acteurs périphériques au sein

du réseau. À la différence des autres membres du GAL, les maires sont dotés d’une légitimité qui leur a été conférée par l’élection directe par les citoyens à la tête d’un conseil municipal17. Leur autorité est

d’autant plus grande qu’elle a pu être confirmée  par leur réélection. Leur leadership s’exerce à di-vers stades de l’action collective. Les élus locaux prennent l’initiative de la formulation des pro-blèmes de développement local, contribuent à les transcrire en priorité dans les documents de stratégie et supervisent l’opérationnalisation des stratégies à travers le suivi du montage et de la sélection des projets. Les nouveaux espaces de l’action publique s’organisent à l’initiative des élus les plus actifs qui imposent ainsi leur vision du développement local.

IV. LES LOGIQUES DE TERRITORIALISA-TION DE L’ACTERRITORIALISA-TION PUBLIQUE

A. Les logiques de sélection des projets

L’étape d’élaboration des documents de stratégie apporte peu d’éléments pour apprécier la capacité d’action des membres du partenariat. Dans la plu-part des GAL hongrois, les stratégies sont d’une part, très encadrées par la règlementation et d’autre part, du fait du recours à des prestataires de service (bureaux d’étude), très peu originales18. C’est à

partir de l’examen du processus de sélection des projets que l’on peut le mieux appréhender les ca-ractéristiques du nouveau mode d’action publique19.

L’affichage des appels à projets dépend des choix  opérés par chaque GAL. Il convient de caractéri-ser les intentions des acteurs décisionnaires qui siègent au sein des organes du GAL, orientent la programmation des appels à projets et participent à leur sélection. L’attribution des financements est-elle fidèle aux objectifs de la stratégie adoptée pour  répondre à la programmation LEADER ?

À l’échelle locale, la nature des projets et leur répartition en fonction des communes et des mi-crorégions éclairent la logique qui a prévalu. Dans le GAL de Zengő-Duna, la répartition des finance-ments est très inégale selon les deux microrégions qui le composent. Pourtant, l’accord informel sur lequel reposait l’association des deux microrégions prévoyait un partage des financements en fonction  du nombre d’habitants. Entre 2009 et 2013, 73 projets sur les 99 sélectionnés se situent dans la microrégion de Bóly et seulement 26 dans celle de

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Pécsvárad (figure 5). Cette répartition atteste d’une  dissymétrie entre les deux microrégions qui reflète  le déséquilibre démographique et une différence de dynamisme20. Mais l’inégale répartition des projets

reflète aussi le rapport de force qui s’est instauré  entre les acteurs locaux au sein du partenariat.

La commune de Bóly concentre près du tiers des projets de tout le GAL. Au centre du réseau d’ac-teurs, le maire, principal artisan de la création du partenariat, tire pleinement les bénéfices de son en-gagement au service de la politique de coopération intercommunale qu’il a impulsée.

La répartition des projets est l’expression du mode de fonctionnement clientéliste pratiqué par le lea-dership politique local. Dans une logique égalita-riste, probablement héritée de l’histoire locale, les petites localités reçoivent chacune quelques miettes de financement (en moyenne 1.500 euros par pro-jet), tandis que les communes les plus peuplées, mais surtout celles dont le maire s’est forgé une position privilégiée au sein du dispositif

institution-nel, concentrent le plus grand nombre de projets et ceux dont le montant est le plus élevé. Autour de la petite ville de Bóly, les communes les mieux dotées ont développé depuis plus d’une décennie des projets intercommunaux en participant à la plu-part des associations lancées par le maire21. Grâce

à l’instrument LEADER, le maire de Bóly est par-venu à affirmer son leadership sur la constitution d’un territoire de projet élargi au-delà des liens de l’intercommunalité de proximité. L’apprentissage du nouveau modèle d’action publique s’est opéré dans le contexte institutionnel d’un mode de ges-tion des collectivités locales marqué du sceau du clientélisme fondé sur l’appartenance partisane22.

L’orientation des projets financés selon les priorités  définies par la stratégie du GAL éclaire la logique  politique qui sous-tend leur montage. Le profil des  projets sélectionnés est fortement éloigné de ce qui était initialement programmé dans les stratégies locales (tableau 2).

L’instrument LEADER supplée l’action des col-lectivités locales et de l’État  pour  financer  les  indispensables travaux d’équipement rural. Les stratégies locales prévoyaient d’attribuer une part du budget de 14 % aux actions de rénovation et d’équipement des villages. Les 26 projets sélection-nés représentent au final 42 % du budget consommé  (2009-2013). Ils concernent essentiellement des travaux d’infrastructures, portés par des municipali-tés qui souhaitent remédier à leur situation de sous-équipement. Le document de stratégie prévoyait d’attribuer 7 % des financements au renforcement  de l’identité et de la solidarité communautaire, les 53 projets sélectionnés au titre de cette priorité ont finalement absorbé 36 % du montant des appels  d’offre (2009-2013). Le thème de l’identité terri-toriale est perçu comme très important dans une ré-gion où se côtoient les représentants de diverses mi-norités nationales, souabe, croate, tsigane. Dans ce contexte, les responsables du GAL de Zengő-Duna  souhaitent promouvoir les actions susceptibles de renforcer la cohésion sociale. Dans les villages où ces groupes sont numériquement importants, fonctionnent des institutions représentant les « au-tonomies locales » qui ont pour rôle de préserver les traditions culturelles. L’acceptation de l’altérité au sein d’une société multiculturelle est mise en avant pour justifier la demande de financement de  ce type de projets. L’initiative de célébrer une fête réunissant l’ensemble des habitants des communes

Figure 5. Répartition des projets dans le GAL

Zen-gő-Duna 

(11)

Tableau 2. Répartition des projets par priorité stratégique dans le GAL de Zengő-Duna (appels d’offre 2009/2013)

Priorités de la stratégie Nombre de projets Montant en euros En % du mon-tant total des financements

En % du bud-get initialement

prévu par la stratégie

Rénover et aménager les villages et amé-liorer les conditions pour le maintien de la

population locale 26 91 356 42 14

Développement touristique : renforcer le tourisme compétitif et conforme aux tra-ditions ainsi que développer de nouvelles branches économiques

7 11 933 5.5 29

Développement économique : Améliorer la compétitivité de la région à l’aide des poli-tiques visant le renforcement des entreprises et du rôle de l’innovation

4 17 360 8 19.3

Renforcement de l’identité et de la solidarité

communautaires 53 78 496 36 7.2

Développement des services : Enrichir l’offre et améliorer la qualité des services

dans la région 9 16 732 8,5 24

Marketing territorial stratégique : exploiter

les potentialités de la planification straté-gique, du réseautage et de la communication 0 0 0 6.5

Total 99 215 877 100 100

Source : ANR ALDETEC - Enquêtes de terrain P. Chevalier/M-C. Maurel/P. Polà, 2009-2013

de la microrégion de Pécsvarad est emblématique de cette volonté politique. La fête annuelle « Arc en ciel » (village d’Erszébet) met en scène les va-leurs locales, les traditions culinaires, les danses folkloriques et fait une large place aux cultures minoritaires. Dans la même veine, d’autres projets, portés par les associations culturelles souabes, apportent un soutien aux activités festives (achat de costumes et instruments musicaux destinés aux groupes folkloriques, organisation de fêtes ou d’expositions)23. En un sens, ces projets accordent

une compensation à la minorité souabe contrainte, en 2007, de renoncer à constituer un GAL sur une base ethnique. Intégrés au réseau des membres du GAL, les représentants de la minorité souabe en sont aujourd’hui les éléments moteurs.

À l’inverse, le nombre de projets concernant les autres priorités est largement inférieur à la part de budget initialement prévue. Peu de réalisations concernent le développement économique propre-ment dit. Un seul entrepreneur pluriactif est parvenu

à remporter deux projets : l’un au titre de son appar-tenance à une association des apiculteurs de Bóly (pour l’achat de matériel de traitement du miel), l’autre pour rénover un moulin et l’équiper en gîte rural. Seules sept petites entreprises ont décroché un financement pour des projets de développement  touristique sous forme d’achat de matériel et les retombées sur l’emploi restent faibles.

L’examen des projets sélectionnés et réalisés par le GAL indique que les porteurs sont majoritairement des municipalités (tableau 3) tandis que la nature des projets atteste de la priorité donnée aux équipe-ments publics. La démarche de développement local n’est qu’un prétexte mis en avant pour briguer des moyens financiers destinés à prendre en charge des  actions d’aménagement rural, a priori inéligibles dans le cadre de l’axe LEADER. Le leadership politique local s’est emparé d’un modèle de dé-veloppement dans lequel il voit un instrument de rattrapage des équipements publics et une source de légitimation de son action.

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B. L’appropriation par les élus locaux de la dé-marche d’action publique

La démarche collective en faveur du développement local est donc animée par des logiques de coordina-tion et de pilotage que l’orientacoordina-tion des projets met en lumière. Ces logiques procèdent de stratégies d’intervention qui ont des effets différenciés sur la transformation des territoires locaux. Elles sont tributaires du poids relatif des acteurs au sein du partenariat. La forte instrumentalisation de l’axe LEADER limite la capacité d’action des commu-nautés locales. Les prescriptions encadrant la for-malisation des partenariats ont des effets peu favo-rables sur leur mode de fonctionnement. Composé d’un grand nombre de membres, dépourvu de la cohésion fondée sur des liens d’interconnaissance, le partenariat se structure autour d’une poignée d’élus locaux. Par leur rôle et leur position centrale au sein du réseau, les maires exercent un véritable leadership politique, ce qui leur permet de faire jouer, de manière plus ou moins informelle, leurs réseaux politico-administratifs pour capter l’infor-mation nécessaire au montage de leurs projets et pour obtenir des compléments de financement selon  les opérations programmées. Ils sont les seuls en mesure de mobiliser l’énergie des autres acteurs, les compétences des professionnels de l’action publique (les managers qu’ils embauchent pour animer  le  travail),  ainsi  que  les  cofinancements  indispensables à la réalisation des projets. Ils sont convaincus de servir les intérêts de leur collectivité locale. Ce sont eux qui, prenant pour intermédiaires les associations placées sous leur protection, entre-prennent de définir et dans certains cas de réinventer  l’identité culturelle locale à partir d’une approche muséographique des vestiges hérités (églises, temples, cimetières, monuments publics).

Tableau 3. Répartition des projets par types de bénéficiaires dans le GAL Zengő-Duna (appels d’offre 2009/2013)

Porteurs Nombre de projets

béné-ficiaires Montant en euro Part relative du budget (en %)

Communes 61 122 648 56

Associations 10 59 424 27

Entreprises 7 33 805 17

Total 99 215 877 100

Sources : ANR ALDETEC - Enquêtes de terrain, P. Chevalier/M-C. Maurel/P. Polà, 2009-2013

Le mode d’exercice paternaliste du leadership politique exerce un effet inhibiteur sur l’appren-tissage de l’engagement civique. Pour beaucoup de membres de l’assemblée du GAL, l’impli-cation dans le fonctionnement du partenariat est limitée. Même si la société locale est tenue informée par le biais des forums de discussion et des réunions publiques, force est de constater qu’elle s’investit peu dans l’action collective et les projets d’aménagement. Les faibles densités de peuplement, la distance entre les lieux et l’anémie de l’économie locale affaiblissent la capacité à se mobiliser. Très étendu, le territoire de Zengő-Duna  est formé d’un grand nombre de petites sociétés locales, à la démographie déclinante, où certains groupes vivent un processus de marginalisation sociale (les jeunes, les chômeurs, les tsiganes). La société civile y est faible, peu organisée. Dans ces conditions, le réseau d’acteurs tel qu’il a été consti-tué ne favorise pas une authentique participation des habitants. Prenant appui sur les acteurs les plus dynamiques, les projets ne prêtent pas une grande attention aux groupes marginalisés. C’est ainsi que les Roms, nombreux dans les villages du Baranya, se trouvent de fait exclus alors que les représentants de la minorité souabe, parmi lesquels se recrutent les entrepreneurs mais aussi les responsables des associations culturelles les plus actives, font figure  d’élite sociale privilégiée. Seuls les acteurs qui peuvent mobiliser leur savoir-faire et leurs relations pour accéder à l’information sont en situation d’in-clusion au sein du GAL. Ceci tend à renforcer la « classe de projet », formée par ceux qui gravitent autour de ces démarches de développement local (Kovach I., Kučerova E., 2006). Présentée comme  un vecteur d’amélioration de la gouvernance locale, l’action LEADER ne favorise pas l’émergence d’un partenariat intégrateur.

(13)

V. CONCLUSION

À partir de l’étude monographique du GAL de Zengő-Duna, quels enseignements peut-on tirer du  transfert de l’approche LEADER et de sa réception au niveau local ? Sa mise en œuvre est-elle conforme aux principes qui fondent le développement local ? Quel peut être l’impact de son introduction sur le fonctionnement de la démocratie locale ?

L’approche du modèle européen LEADER est définie par la cohérence d’ensemble des principes  qui la spécifie. Or, les modalités de transfert du  modèle peuvent modifier sa portée. Dans son rôle  d’opérateur de transfert, l’État peut encadrer l’ap-plication de la politique européenne au point d’en réduire le caractère novateur. Le caractère ascendant et décentralisé du nouveau mode d’action publique s’accommode mal des contraintes réglementaires qu’il s’agisse de l’imposition des procédures, des critères de délimitation des périmètres d’interven-tion ou des prescripd’interven-tions concernant la présentad’interven-tion des stratégies de développement. Encadrée par un opérateur interventionniste, l’agence MVH, l’ap-proche LEADER peut être déviée de son but pour devenir un instrument au service d’une politique visant à assujettir les territoires ruraux à une pro-grammation normative.

Les choix politiques opérés par l’opérateur national pèsent sur les conditions d’apprentissage du modèle par les acteurs locaux. La forte instrumentalisation de l’axe LEADER limite la capacité d’action des communautés locales. Les prescriptions encadrant la formalisation des partenariats ont des effets peu favorables sur leur mode de fonctionnement en affaiblissant leur cohésion. Par leur rôle et leur position centrale au sein du réseau, les maires exercent un véritable leadership. Ce mode d’exer-cice paternaliste du leadership politique peut freiner l’apprentissage de l’engagement civique à l’échelon local. Présentée comme un vecteur d’amélioration de la gouvernance locale, l’action LEADER est mise au service des intérêts d’une élite locale.

Notes

1 LEADER est l’acronyme de « Liaisons entre actions pour le développement de l’économie rurale ».

2 Cette mesure concerne essentiellement les bâtiments sauve-gardés par l’autorité locale ou l’État.

3 Les microrégions correspondent au niveau NUTS 4/UAL 1  de la nomenclature taxonomique Eurostat.

4 Entité légale indépendante, l’agence de paiement (MVH) est placée sous la surveillance du ministère. Ses obligations,

compétences et mode opératoire ont été définis par le décret  gouvernemental 256/2007.

5 Sur 123 demandes de reconnaissance émanant des commu-nautés locales, 96 ont été acceptées et ont donné naissance à un GAL.

6 Voir l’analyse développée par Pascal Chevalier. CHEVALIER Pascal (2012), « What effects of national regulations in the program LEADER in the EU-27? » n°3/2012, Wieś i Rolnictwo, décembre 2012, pp. 9-29.

7À l’origine, le maillage de la coopération intercommunale ne coïncidait pas avec le découpage en microrégions statistiques de niveau NUTS 4 (kisterség), définies par l’Office statistique  hongrois. Leur délimitation repose sur des critères fonctionnels et sert de cadre à l’analyse des indicateurs de développement socio-économique. Élaboré en 1994, le découpage microrégio-nal n’a cessé d’évoluer. Le nombre s’élève à 174 microrégions. 8 Le député maire de Komló a préféré associer sa propre mi-crorégion avec celle de Sásd, éligible aux mesures d’aide aux territoires défavorisés. Ces recompositions se sont opérées à la fin de l’été 2007.

9 La petite ville de Bóly (3500 habitants) est le principal centre de la microrégion après la ville de Mohács. Son développement est retracé dans l’étude : MAUREL M.-C., POLÁ P., (2007), Local System and Spatial Change. The case of Bóly in South  Transdanubia,    Discussion Papers, 57, Pécs : Hungarian Academy of Sciences, Centre for Regional Studies, 34 p. 10 À l’origine, un autre projet de GAL avait été proposé par la minorité souabe. Très bien implantée dans cette région, les  représentants des associations souabes souhaitaient organiser un groupe LEADER sur une base ethnique, en fondant le projet sur la promotion des activités culturelles à caractère identitaire. Ce projet qui procédait d’une démarche ascendante ne verra pas le jour.

11 La composition de l’assemblée générale des GAL doit res-pecter une représentation équilibrée des trois secteurs, public, associatif et privé.

12 Ce partenariat se dote de statuts et d’instances diverses dési-gnées par les membres (comités de pilotage, de sélection, com-missions) en charge du fonctionnement de l’action LEADER. 13 En moyenne, ils sont composés de 90 membres. Il y a une forte corrélation entre le nombre de membres et le nombre de localités incluses. Une localité est représentée par trois personnes. Ces données ont été collectées par Zsuzsanna Kassai dans sa thèse de PHD. Z. Kassai, (2012), Features of

the LEADER Programme as Local partnership in Hungary,

Szent István University, Gödöllő, 32 p.

14 Compte tenu du grand nombre de membres siégeant au sein des assemblées générales des GAL, on a choisi d’enquêter un échantillon pour mesurer le niveau d’interconnaissance et de sociabilité au sein du partenariat.

15 La centralité de degré correspond au nombre de contacts reçus par un individu. Un individu est central s’il est fortement connecté aux autres. Il a été calculé un indice de centralité som-mant le nombre de contacts établis à partir de trois questions : quelles sont les personnes avec lesquelles vous souhaiteriez travailler ? Quelles sont les personnes les plus actives ? Qui est la personne la plus respectée ?

16 On se réfère à la définition du leadership selon N.O. Ke-ohane : « Leaders determine or clarify goals for a group of individuals and bring together the energies of members of that group to accomplish those goals » Thinking about leadership, 2010, Princeton University Press, p.23.

17 La consolidation du gouvernement local en tant qu’institution a fait émerger quelques maires professionnels, qui ont acquis

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un savoir-faire et des compétences, notamment à travers l’ex-périence d’une intercommunalité de gestion et/ou de projet. Toutefois, les maires des plus petites localités exercent leur  fonction à temps partiel.

18 En outre, l’agence MVH a imposé l’usage d’un logiciel et d’une grille de saisie des données. De ce fait, toutes les stratégies sont construites et présentées de manière identique. 19 Le lancement des appels à projets et le processus de sélection ont pris du retard en Hongrie. L’appel à projet relevant de l’axe 3 de la PEDR a précédé de plus d’une année celui de l’axe LEADER. Les premiers projets ont été déposés en janvier 2009 mais le processus de sélection a duré de longs mois puisque dans ce pays, il est contrôlé directement par le MVH, via ses services déconcentrés dans les régions.

20 La microrégion de Pécsvárad, au relief plus montagneux pâtit d’une densité de peuplement plus faible et d’un tissu socioéconomique plus fragile.

21 Maurel M-C., Polà, P. (2010), « L’émergence du dévelop-pement local : le cas de Bóly en Transdanubie méridionale »,  in HalaMaska M., Maurel M-C. (dir.), Les acteurs locaux

à l’épreuve du modèle européen LEADER, Publication du

CEFRES, IRWIR PAN, Prague, pp.149-184.

22 Le contrôle politique de la fonction publique par les partis est  un  trait  spécifique  du  système  hongrois. Au  bas  de  la  hiérarchie partisane, les notables locaux qui contrôlent la ressource politique de leur électorat rural s’en servent pour asseoir leur influence au niveau départemental (megye), tan-dis que les notables régionaux jouent un rôle de médiateur entre leur circonscription et l’administration centrale dont les titulaires sont nommés et démis au gré du parti qui gouverne. En Baranya, l’ancrage d’un fort lobby social-démocrate (appa-renté au Parti socialiste hongrois, parti MSzP, resté au pouvoir jusqu’en 2010), explique certains jeux de pouvoir aux échelles régionale et locale. L’arrivée d’une jeune génération d’élus locaux appartenant au Fidesz, au lendemain du basculement de majorité gouvernementale, a modifié les rapports de force  sur la scène locale.

23 Ainsi le projet « Notre vie de minorité, hier et aujourd’hui » porté par l’autonomie allemande (souabe) à Mecseknadásd.

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Coordonnées des auteurs : Pascal CHEVALIER Université Paul-Valéry Montpellier,

UMR ART-Dev pascal.chevalier@univ-montp3.fr Marie-Claude MAUREL UMR CERCEC, Paris maurel@ehess.fr Peter POLA RKK, Académie des Sciences de Hongrie, Pécs pola@rkk.hu

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Figure

Figure 3. Le système d’interconnaissance entre les membres du GAL de Zengő-Duna 
Figure 4. L’indice de centralité dans le GAL de de Zengő-Duna
Tableau 2. Répartition des projets par priorité stratégique dans le GAL de Zengő-Duna
Tableau 3. Répartition des projets par types de bénéficiaires dans le GAL Zengő-Duna

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