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Compte-rendu paru dans Le Monde, daté du 2 septembre 2020

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Compte-rendu paru dans Le Monde, daté du 2 septembre 2020 Le Musée, une histoire mondiale. Tome I. Du trésor au musée,

de Krzysztof Pomian,

Gallimard, « Bibliothèque illustrée des histoires », 688 p., 35 €.

Genèse du musée

Sous la plume de l’historien Krzysztof Pomian, c’est un somptueux monument qui commence à voir le jour avec le premier tome du « Musée, une histoire mondiale ».

Une entreprise généalogique et globale, appuyée sur une érudition sans frontières Dans Collectionneurs, amateurs et curieux (Gallimard, 1987), Krzysztof Pomian montrait comment, à la charnière des XVIIe et XVIIIe siècles, les cabinets de curiosités, qui juxtaposaient dans leur microcosme les merveilles de la nature, cédaient la place à des collections spécialisées, ordonnées, raisonnées. Il assignait deux raisons à cette mutation : le développement d’une culture archéologique, qui porte attention aux bas-reliefs, aux inscriptions et aux sculptures ; l’importance accordée à l’histoire naturelle et au classement des règnes et des espèces.

Seize ans plus tard, dans un second ouvrage, Des saintes reliques à l’art moderne (Gallimard, 2003), Pomian élargissait la chronologie et datait des XIVe et XVe siècles l’émergence des collections particulières. C’est dans l’Italie de ce Moyen Age tardif que les collections de tableaux, de médailles, de fossiles ou de plantes se séparèrent des trésors princiers ou religieux, où l’accumulation des objets précieux (et, dans la chrétienté, des saintes reliques) était un signe de puissance et l’accompagnement des morts. Dépouillées de toute fonction religieuse, les collections particulières rassemblaient désormais les productions de la nature ou de l’art pour la seule délectation de leurs propriétaires.

Dans ces deux ouvrages, Krzysztof Pomian n’avait qu’évoqué une autre histoire : celle des collections publiques, devenues les musées de notre présent. Après trente années de recherches et d’expériences, cette histoire est l’objet d’un ensemble dont nous avons ici le premier volume – deux autres sont prévus. Appuyée sur une érudition sans frontières, associant la très longue durée et de précises études de cas, traversée par les interrogations contemporaines sur les rôles et les publics des musées, cette œuvre monumentale propose la première synthèse jamais écrite sur l’histoire d’une institution désignée comme étant, tout à la fois, étrange et

indispensable.

L’importance de l’entreprise tient à son caractère global et généalogique. Entreprise globale, puisque l’ouvrage une fois achevé proposera une cartographie dynamique de la fondation des musées dans les cinq parties du monde, soulignant leur diffusion et universalité contemporaines, mais aussi leur inégale présence, puisque celle-ci suppose, aujourd’hui comme hier, un fort lien avec le passé et une sécularisation du regard sur les œuvres. Entreprise généalogique, également, car il s’agit d’établir les conditions qui ont rendu possible le musée, défini comme « une collection publique, placée dans un espace sécularisé, voire séculier, afin d’être préservée pour la plus lointaine postérité ». A la différence de la collection princière ou dynastique, le musée est une institution publique qui appartient à une personne morale et qui est destinée

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au « public », celui, restreint, des connaisseurs ou celui, élargi, des visiteurs qui acquittent un droit d’entrée.

Dans ce premier volume, qui conduit le lecteur jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, une première idée trop vite reçue est fermement récusée : celle qui affirme que le musée est une invention des Lumières. Force est de constater qu’en 1790, en dehors de l’Italie et de Vienne, aucune des grandes villes capitales ne possède de musée d’art : ni Londres, où le British Museum n’expose que peu d’objets d’art, ni Paris, où le projet de musée dans la Grande Galerie du Louvre est encore en chantier, ni Berlin, Madrid ou Saint-Pétersbourg.

En revanche, des musées d’histoire naturelle existent dans toutes ces villes et dans beaucoup d’autres. Souvent liées à un jardin botanique, accueillant savants et visiteurs, ces collections dépendent d’une entité publique, une université, une académie ou l’Etat lui-même. Elles suggèrent une révision de l’opposition trop tranchée entre cabinets de curiosité et musées. Si les chambres des merveilles, comme celles de l’archiduc d’Autriche Ferdinand II (1529-1595) au château

d’Ambras ou de l’empereur Rodolphe II (1552-1612) à Prague, ne préfigurent pas les musées modernes, d’autres cabinets, surtout en terres protestantes, se sont éloignés de la culture de la curiosité pour se vouer à la connaissance et à l’étude.

Il en alla ainsi en Angleterre avec la collection d’Elias Ashmole, mort en 1692, léguée à l’université d’Oxford, ou celle d’Hans Sloane, devenue le British Museum l’année même du décès du collectionneur, en 1753. Classant et exposant les spécimens selon les règnes de la nature, ces cabinets furent la matrice des musées d’histoire naturelle, considérés à juste titre comme une institution essentielle des Lumières.

Dans sa quête généalogique, Pomian écarte l’origine romaine des collections publiques : les objets exposés dans les temples constituaient des trésors, non des musées, et les collections privées, peu nombreuses au demeurant, disparurent après le Ier siècle de notre ère. Pour lui, le musée apparaît bien en Italie, mais seulement aux XVe et XVIe siècles. Une première naissance peut être datée de 1471, lorsqu’un ensemble de statues anciennes en bronze, « restituées et offertes au peuple romain

», est installé dans le palais des Conservateurs au Capitole.

Toutefois, ce n’est qu’au siècle suivant que sont fondées les trois premières

collections « qui peuvent être qualifiées, sans la moindre réserve, de musées » : à Florence, avec la galerie à vocation encyclopédique du palais des Offices ; à Venise, avec la collection de statues antiques exposées dans le vestibule de la bibliothèque marcienne, et à Milan, avec la pinacothèque de la Bibliothèque ambrosienne. Ces trois collections, qui appartiennent à des entités publiques et sont ouvertes aux visiteurs, annoncent les musées qui leur succéderont au XVIIIe siècle : musées de statues antiques, comme à Venise, à Naples ou au Vatican, ou musées de peintures, comme à Dresde, Kassel ou Vienne, où les œuvres sont rassemblées par écoles et exposées dans leur succession chronologique.

Il est donc clair que la constitution de grandes collections princières ou

monarchiques, même enrichies par les pillages de la guerre de Trente Ans (1618- 1648) ou la mise en vente de la collection de Charles Ier d’Angleterre en 1649, dix mois après sa décapitation, n’était pas une condition suffisante pour la création d’un

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musée. Les modèles italiens étaient partout connus, mais ils n’étaient pas imités lorsque manquait la conscience de l’utilité publique des arts et des sciences.

Le premier tome du Musée, une histoire mondiale s’arrête à l’orée de « la période cruciale que représentent dans l’histoire des musées la Révolution et l’Empire napoléonien ». Les deux volumes suivants de ce grand œuvre exploreront les mutations politiques, sociales et culturelles qui rendront les musées nécessaires. Le temps viendra alors de leur multiplication dans toute l’Europe, avant celui de leur globalisation : quatre-vingt mille musées sont recensés dans le monde aujourd’hui.

Pour écrire leur histoire, il faut être historien des sciences et historien des arts. En un temps où ces deux domaines de l’expérience humaine sont séparés, aussi bien dans le travail historique que dans les musées eux-mêmes, la tâche paraissait impossible.

Elle le serait encore sans les savoirs de Krzysztof Pomian.

Roger Chartier

Professeur Émérite Au Collège De France

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