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LE CENTENAIRE DE MAURICE DONNAY

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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L E CENTENAIRE

DE MAURICE DONNAY

Le 12 octobre 1859, quatre mois après la bataille de Solférino, naissait à Paris, impasse Sandrié, à l'angle de la rue Aûber et de la rue Scribe, un enfant du sexe masculin, Marie-Charles-Maurice.

Son père, Charles-Simon Donnay, ingénieur au Chemin de fer du Nord, avait fait une brillante entrée dans la vie, sorti l'un des premiers de l'Ecole Centrale, tout comme un héros de Georges Ohnet, mais il n'en avait pas connu l'heureux avenir. C'était un homme aigri, médiocre et suffisant. Il avait épousé Pauline-Marie-Louise Béga, filleule de Béranger. Filleule ? Pourquoi cacher la vérité ? Maurice Donnay lui-même, peu de temps avant sa mort, confiait à M. Pierre Brisson qu'il avait découvert dans les tiroirs de sa grànd-mère de nombreux souvenirs du fameux chansonnier, et que le chantre de Lisette faisait vraiment partie de la famille. Il avouait qu'il était le petit-fils de Béranger, et concluait en souriant : « Comme tout s'explique l »

La fille de Béranger, en revanche, n'avait rien hérité de lui.

Beauté majestueuse aux cheveux sombres, aux yeux bleus sans douceur, elle n'était guère sentimentale et montrait un dédain sans bornes pour ce mari coupable de n'avoir pas réalisé les espoirs qu'elle mettait en lui. Elle témoignait peu d'affection à ses enfants, Bérangère, Gabrielle, et surtout à Maurice, le dernier-né, venu trop tard, qui ne ressemblait point à ses parents. Tenant, impasse Sandrié, un pensionnat de jeunes filles, elle traitait volon- tiers les siens comme des élèves peu doués et répétait constamment au petit Maurice : « Tu as la t ê t * dure, tu ne feras jamais rien de bon ! » Quand il avait vingt-cinq ans, elle le jugeait incapable de retenir à la gare des places pour sa famille.

C'est dans ce milieu correct et mortel que s'écoulent l'enfance et l'adolescence de Maurice Donnay, trop sensible et replié sur lui-

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même comme toutes les âmes sevrées de tendresse. Il fait ses études au lycée de Vanves, puis à Louis-le-Grand, où il retrouve pour condisciple Alexandre Millerand, titulaire de tous les prix et futur Président de la République.

Cédant à la volonté de son père, qui veut faire de lui un ingénieur, le jeune Maurice prépare sans enthousiasme l'Ecole Centrale, où il sera admis, dans les derniers, en 18§2. Il entre alors dans l'usine de machines-outils que son père vient d'acheter rue de l'Atlas, à Belleville ; puis, l'usine ayant périclité, chez un camarade de l'Ecole qui dirige, dans le quartier Clignancourt, un atelier de constructions métalliques. Dans l'intervalle, il s'est lié avec Rodolphe Salis dont le célèbre cabaret, le Chat Noir, a émigré du boulevard Rochechouart à la rue Victor-Massé.

Il y dit chaque soir des vers, car Maurice Donnày a toujours rêvé d'être poète. « Mon fils est véreux ! » déclarait sa mère avec dédain.

Et, bien que nul autour de lui ne l'y encourage, il ne cesse d'écrire ; il prépare un recueil (Titre : Chiffons et Bibelots) pour lequel il rime ce sonnet-préface :

Sans prendre garde à l'ouragan Qui fouettait ses vitres fermées, Gautier, dans Emaux et Camées, Cisela son vers élégant.

Aux vieux maîtres jetant le gant, Pour peindre les Bves pâmées Et toutes choses parfumées, ' 11 fut coloriste fringant.

Comme Gautier en sa retraite Chantait, pour oublier l'hiver, Le soleil d'or, le printemps vert,- Lassé de la douleur abstraite, J'ai, prenant des sujets falots, Commis : Chiffons et Bibelots.

Le recueil ne fut pas achevé et n'a jamais vu le jour. C'est dommage, sans doute. Les essais du débutant n'étaient pas négli- geables, témoin cette profession de foi où s'annonce le Donnay de Lysistrata : Muse moderne.

O blonde Muse de Musset, Je n'ai pas tes formes étiques.

Bien des licences poétiques Furent prises dans mon corset Sous ma chemise aux fines trames;

Et pour fuir les sentiers battus, J'ai de petits souliers pointus, Pointus comme des épigrammes.

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I

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. Les quatre vents de l'Esprit font Ma chevelure dépeignée ;

Une fantastique araignée O Poète, dans ton plafond Me tisse des robes de soie ; Et, me berçant à leurs chansons, Les Rêves d'or, beaux échansons, Me prodiguent des vins de joie.

Oh I viens ! Pour, embêter Boileau, Qui tient le café du Parnasse, Nous crierons en pleine terrasse :

« Garçon ! une ambroisie à l'eau I » Et de rimes tant scintillantes Je ferai chatoyer tes Vers Qu'il mettra des abat-jour verts

Sur ses prunelles vacillantes. ' Hélas ! des hommes éclatants,

Que l'on nomme naturalistes, Rayent l'idéal de leufs listes Et disent qu'il a fait son temps I

Laissons-les, en splendide prose, \ Chanter la Mouquéttè et Nana : <

Le plus bel escalier, s'il n'a Pas trois marches de marbre rose, Pour moi n'est pas un escalier.

Donc, contre ce vieux mur, dont l'ombre Cache le bourgeois morne et sombre, Faites monter en espalier

Vos arbres généalogiques.

Loin du monde matériel Je m'envole avec. Ariel

Pour voir des lanternes magiques...

Un soir de l'hiver 1888, on donne au Chat Noir la répétition générale d'une pièce d'ombres de Bombled, la Conquête de VAlgérie.

Tous les critiques sont dans la salle. Devant ce public de choix, Maurice Donnay récite deux poèmes aujourd'hui célèbres, A ta gorge et Quatorze juillet. Le lendemain, tous les journaux parlent de lui, Jules Lemaitre lui consacre un article enthousiaste. L'ingé- ' nieur a vécu, le poète, l'auteur dramatique vont prendre leur essor.

« Je reconnais, confessera-t-il par la suite, qu'il m'a été plus difficile de passer de l'industrie au Chat Noir que du Chat Noir à l'Aca- démie. »

Toujours chez Salis, il donne deux pièces d'ombres, Phryné, scène grecque, et Ailleurs, « revue symbolique » dédiée à Verlaine ; et déjà l'on commence à vanter la « façon » de Donnay, qui ne vaut pas moins que ce qu'il donne.

Mais ses véritables débuts d'auteur dramatique, c'est au Grand- >

Théâtre, rue Boudreau, que Maurice Donnay les fait, le

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22 décembre 1892, avec Lysistrata. Sur le thème d'Aristophane, il a brodé quatre actes pleins de fantaisie et imaginé une action où participent des personnages de son cru. Toutes ses qualités s'y révèlent : « un charme fluide, un sourire, une fleur d'ironie ; la légère moquerie d'un philosophe qui s'amuse à ce qu'il écrit et vous convie à ne le point considérer trop gravement ; enfin, surtout et par-dessus tout, une harmonie secrète entre l'expression et la pensée, un doigté littéraire exquis, des dons de poète » (1).

Interprété dans la perfection par Réjane et Lucien Guitry, l'ouvrage est accueilli avec enthousiasme le soir de la première.

Alphonse Allais, grand ami de fauteur, aborde dans les couloirs M. Donnay père :

— Eh bien I monsieur, vous devez être content ? C'est un triomphe pour votre fils.

A quoi l'ingénieur, qui n'a jamais pardonné à Maurice d'avoir"

abandonné « le métier », répond en haussant les épaules :

— Peut-être... je ne dis pas... mais il ne saura jamais dessiner I Entre temps, Maurice Donnay a épousé Mlle Lucie Allard, petite- cousine d'Alphonse Daudet, qui sera la parfaite compagne de toute sa vie.

*

Le 6 novembre 1895, il fait jouer Amants à là Renaissance.

Tout le monde en connaît le sujet. La pièce remporte un éclatant succès auquel la critique et le public associent les deux principaux interprètes, Jeanne Granier et Lucien Guitry.

Durant les années suivantes, il donne la Douloureuse et Georgette Lemeunier au Vaudeville, et, à la Renaissance, VAffranchie, seul

« four » parmi cette série heureuse. Enfin, en 1899, il débute à la Comédie-Française avec le Torrent.

Encore trois succès : aux Variétés, Education de Prince et la Bascule; au Théâtre Antoine, la Clairière, histoire d'une petite colonie communiste, œuvre d'une haute portée sociale, écrite en collaboration avec Lucien Descaves ; et Maurice Donnay arrive à une étape décisive de sa carrière : le 22 décembre 1902, il fait représenter au Théâtre-Français VAutre Danger, dont le titre primitif était Dans la vie. C'est toute l'existence sentimentale d'une

(1) Adolphe Brisson, Le Théâtre, 5« série (Librairie des Annales».

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L E C E N T E N A I R E D E M A U R I C E D O N N A Y 673 femme, Claire Jadain, mise à la scène, depuis son éveil à l'amour jusqu'au plus cruel, au plus déchirant renoncement en faveur de sa propre fille. Une œuvre spirituelle et touchante, généreuse et hardie, qui séduit, captive, émeut de la première scène à la dernière.

Dès le premier soir, la pièce va aux nues. Jamais dans toute sa carrière, même au soir d'Amants, même le jour de sa réception à l'Académie, Maurice Donnay n'aura connu plus grisante impression de triomphe, de « vent en poupe » (le mot est de lui-même).

Claire Jadain, l'héroïne de l'ouvrage, c'est Mme Bartet, qui déjà était Valentine Lambert du Torrent. Cette nouvelle création marque, entre l'auteur et l'interprète, les débuts d'une amitié dont quelques lettres, parmi bien d'autres, donnent un témoignage charmant.

« Paris, sans date (1901).

« Chère Madame amie,

« D'abord je veux vous remercier pour votre exquis accueil et pour l'intelligente grâce avec laquelle vous m'avez écouté. Je suis furieux : j'avais une mauvaise copie sur laquelle les corrections n'étaient pas faites, et j'ai lu comme un Prud'hon (1). Enfin, nous voilà complices ; je vais donc encore vous ennuyer de temps en temps; mais je serai le plus discret possible. Il faut que vous me guidiez dans tout ceci pour les démarches, et je ne suis pas malin ! Je voudrais bien, je désirerais plutôt vous voir lundi, un quart d'heure cette fois, pas plus. Soyez assez gentille pour le trouver et me l'accorder, matin, soir ou tantôt, chez vous ou sous un pont, où vous voudrez. Merci encore et croyez-moi votre respectueux très et dévoué.

« Maurice Donnay, homme de lettres, 7, rue de Florence, 8e arron- dissement, quartier de l'Europe, marié, sans enfants. Ah I pardon, c'est ce recensement qui me poursuit 1 »

« Agay, villa Lysis.

« Ce 13 janvier 1903.

« Ma chère petite Claire, je vous écris en face d'une très belle montagne qu'on appelle le Cap Roux, et de ma fenêtre, à travers les pins, je vois la mer bleue et calme comme un lac. Connaissez- vous ce pays ? « Connais-tu le pays... » c'est le même : l'oranger y

(1) Sociétaire de l a Comédie-Française.

L A R E V U E N° 20 * . 4

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fleurit aussi et les oranges mûrissent. A h ! si jamais

vous

nous faisiez la joie de passer quelques jours sous notre toit (un toit en tuiles vertes), vous connaîtriez un Midi que vous ne soupçonnes pas.

« Je me suis remis à travailler dans la solitude et dans la lumière, Il y a aussi des lauriers dans mon jardin, et je les regarde en pensant à vous. Il m'est très doux d'être certain que c'est votre charme, votre grâce, tout votre talent qui ont fait de VAutre Danger une autre sécurité. J'ai écrit le vilain mot de talent, comme si c'était du talent de mettre dans un rôle son âme tout entière, A quoi je veux e^ venir ? A rien, absolument à rien... j'avais besoin de. vous dire tout ça, voilà tout.

« Mon seul ami, je vous envoie des fleurs. Ce ne «ont pas des fleurs de serre, ni de boutique, elles sont naturelles : c'est leur seul mérite, mais c'en est un. Demandez plutôt à Joliet. Joliet peut être pris dans le sens de Delaunay (1), qui peut lui-même être pris dans le sens de... ils sont trop 1 Je n'écrirai plus de noms.

Pour la chose de venir à .Agay, on pourrait peut-être en reparler au printemps prochain, quand la pièce ne fera plus que dix mille.

N'oubliez pas que je suis dans le Midi, alors j'exagère. Mais je n'exa- gère pas en étant votre reconnaissant auteur. Ma femme vous envoie ses affectueux souvenirs.

* « Maurice D O N N A Y .

« Mon seul remord» d'être dan« un si beau pays, c'est de vous avoir laissée dan» ce triste Paris. Enfin, le succès est une sorte de printemps. Tout de même, je tolère que vous travailliez pour moi.

Au 1 je fais un joli métier, j'exerce une industrie coupable. »

« Agay, ce 20 janvier 1903.

« Ma chère amie, j'ai reçu votre affectueuse lettre ; mais vous n'avez rien à m'envier. Il a fait, tous ces jours-ci, un froid terrible, pt.il y avait de la glace dans l'aride .Estere], où il n'y a pourtant pas d'eau. Voilà bien l'exagération du Midi.

« ,.. Je vous envoie une lettre que nous a adressée une ancienne femme de chambre à qui j'avais donné des places pour voir VAutre Danger. C'est une Tourangelle pleine de bon sens, ainsi que vous pouvez le voir par cette lettre très olairvoyante, Je vous recommande le passage qui se rapporte à Etienne J ad aia. Cette jeune femme

(1) Louis Delaunay, fils du célèbre sociétaire, et Joliet étaient tous deux, i cette époque, pensionnaires de la Comédie-Française.

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L E C E N T E N A I R E D Ï M A U R I C E D O N N A Y 675 simple, que j'avais surnommée la Pomme, a bien mieux compris que Faguet; pour1 ne citer que le plus éclatant.

« Ma chère petite Claire, si vous êtes contente de votre auteur et si vous êtes reconnaissante, votre auteur continue à être à vos piedl d'étoile. On recommencera, n'est-ce pas ? et le plus tôt possible.

Claire, Valentine, il paraît que vous êtes des Parisiennes raol- niennes : c'est M. Léopold Lacour qui le dit. Moi, je dis qne vous êtes une femme exquise et une grande artiste. Je relis ma lettre et je ne la déchire pas ; j'ai dooio perdu tout sens critique. Elle n'est pas bourrée, de documents, mais je veux que la fin soit pleftté de tendresse et des plus affectueux et dévoues sentiments. 'Ma femme vous envoie ses meilleurs souvenirs. »

Bien des années plus tard, lors d'une reprise de l'Autre Danger, il faudra renouveler en partie la distribution : à qui confier le rôle de Freydières, l'amant de Claire Jadain, et celui de Madeleine, la fille de Claire, que Freydières épouse à la fin de la pièce ? A ce sujet, Maurice Donnay consulte Mme Bartet dans une lettre qui ne manque pas d'humour.

« 15 juillet 1016.

« Ma chère amie, j'ai bien reçu la lettre par laquelle vous me désignez quelle enfant vous dédirez que j'ai eue avec vous : Mlle Val- preux me plaît infiniment. Ce n'est pas tout. Maintenant, il faut que tu me nommes ton amant. Oui, son nom, son nom, misérable 1 Est-ce Grand, Le Roy ? MaiB parle donc, parle donc I Ah 1 tu sais bien que, quel que soit celui que tu me nommeras, c'est justement celui-là que je ne te pardonnerai pas 1

« Sérieusement, ma chère Claire, nommez-le moi. Vous avez plus de goût que moi ; Y O U B connaissez mieux vos camarades.

Moi, je les connais peu, je risque de me tromper. Grand, je l'aimais bien, mais il m'a tant fait souffrir dans Molière 1 Vous rne com- prenez. Enfin, je suis heureux : vous allez encore me faire pleurer.

Et puis, de cette reprise il sortira peut-être quelque chose de nouveau.

« Le Prieuré, 28 mai 1917.

« ... Je suis venu faire une retraite dans la maison des champs, pour écrire avec la continuité des heures nécessaires un discours pour

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l'Académie. Ah ! j'aimerais mieux écrire une pièce pour vous, ma chère grande petite Glaire. Quelle familiarité, penserez-vous ? Mais aussi quelle amitié, quelle admiration, vous le savez. Et puis quoi encore ? Rien. Emile Fabre m'a avisé qu'il avait retiré de l'affiche VAutre Danger. Cet Autre Danger n'a pas de chance.

On reprend ma pièce quand on a repris toutes les autres. Je suis le dernier repris, non de justice. »

*%

Un an après VAutre Danger, Maurice Donnay fait jouer au Gymnase le-Retour de Jérusalem, qui atteint trois cent vingts repré- sentations et suscite des passions furieuses, maintenant assoupies (ne les réveillons pas !) puis, trois ans plus tard, à la Comédie- Française, Paraître, vigoureuse satire d'un des travers les plus répandus dans, la bourgeoisie française : le besoin de « représenter, de faire plus qu'on ne peut, d'éclabousser le voisin ».

Le 14 février 1907, on vote à l'Académie pour remplacer l'his- torien Albert Sorel. Maurice.Donnay est élu au premier tour par dix-sept voix, contre neuf à Marcel Prévost et six à René Doumic.

Les honneurs ne vont pas toujours sans danger : ils montent à la tête et incitent parfois les gens à oublier la modestie préconisée par l'Ecclésiaste. Grâce au ciel, Maurjce Donnay ne sera jamais de ceux-là. Le succès ne l'a pas déformé, comme tant d'autres que rapetisse la grandeur; parce qu'il était immortel, il n'a pas cru devenir un surhomme, témoin ce petit poème qu'il composa bien des années après son élection.

B A L L A D E D U P A U V R E A C A D É M I C I E N

Ils en sont à la lettre C Ceux dont le travail ordinaire E t sans cesse recommencé Est de faire un dictionnaire.

Or ils sont quarante à le faire, E t pourtant, à la fin du raid, Devînt-il même centenaire, Aucun d'eux ne verra le Zed.

Dur labeur, effort insensé Qu'un faible cachet rémunère.

Mais l'immortel n'est pas pressé, Il n'a pas l'esprit mercenaire, Et, dans son âme débonnaire, Fataliste tel Mohammed, Sous la coupole sublunaire Aucun d'eux ne verra le Zed.

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' H é l a s ! tous auront trépassé, Abandonnant l'espoir d'une ère Nouvelle, et qu'un sang moins glacé Les ravive et les régénère.

Libéral ou bien doctrinaire,

Pierre, Paul, Jean, Jacques, Alfred, Duc, bourgeois ou fonctionnaire, Aucun d'eux ne verra le Zed.

E N V O I

Grand Gardinal que l'on vénère, Dans ce concile aelected A moins qu'il soit visionnaire, Aucun d'eux ne verra le Zed.

Encore trois pièces : la Patronne, au Vaudeville, qui pourrait prendre pour épigraphe le mot de Balzac : « Chez la femme d'un certain âge, la protection est son dernier amour » ; à la Comédie- Française, le Ménage de Molière, qui met en scène l'infortuné mari d'Armande et prête au grand homme des vers dignes de lui ; enfin, à la Comédie-Marigny, les Eclaireuses, où l'auteur se montre ardem- ment féministe, au sens humain sinon au sens électoral du mot.

Le 1e r août 1914, Maurice Donnay note dans son Journal :

« Je vais tâcher de me rendre utile du mieux que je pourrai, malgré mon âge (il a cinquante-six ans).

Cet engagement pris envers lui-même, il le tiendra fidèlement.

Durant toute la guerre, à l'exception de deux petits actes dictés par les circonstances, il n'écrira plus rien pour la scène ; il dépensera son activité en articles et conférences dont l'unique sujet sera le grand drame qui dévaste l'Europe.

Mais Maurice. Donnay a voulu se mêler de façon plus intime à la vie des soldats. C'est dans ce dessein qu'il accepte la présidence du Foyer du Soldat Aveugle, dont il ne cessera de s'occuper acti- vement, tant que subsistera cette œuvre bienfaisante ; puis la pré-

sidence d'honneur de Y Œuvre du Paquetage du Convalescent. Au profit de cette dernière fondation est donnée, en 1915, la première représentation de VImpromptu du Paquetage^ écrit tout exprès par Maurice Donnay. C'est, plutôt qu'une pièce, un tableau : le tableau émouvant sans fadeur et spirituel sans effort de la vie quotidienne de cette œuvre charitable. La conclusion de ce petit acte, c'est un des personnages qui la tire : « Pour nous consoler de tant d'horreur, ce qui fait la beauté de notre époque, c'est que l'honneur est partout. »

Maurice Donnay eut plusieurs filleuls de guerre. L'un d'eux,

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mécanicien dans un garage de Mantes, lui apprit à conduire. Au cours des leçons, l'auteur d'Amants se désolait :

— Ah ! mon petit, je crois que je ne saurai jamais faire marche arrière.

— Bah 1 répondit l'ingénu ; faut pas vous en faire, monsieur Donnay, y en a de plus ballots que vous qui y sont arrivés !

C'est encore du grand conflit, ou plutôt de ses suites, que s'inspirent la Chasse à Vhomme (Variétés, 1919) et la Reprise (Comé- die-Française, 1924), où le grand critique Henry Bidou voyait l'un des meilleurs ouvrages de l'auteur. Enfin, le 19 novembre 1930, Maurice Donnay fait représenter au Théâtre Edouard VII Praxagora oit l'Assemblée des femmes, « variation inédite autour des thèmes d'Aristophane » et tableau pittoresque du communisme, qui existait déjà quatre cents ans avant Jésus-Christ, puisque Karl MarxRe * réclamait de Platon ; ce sera la dernière pièce de Maurice Donnay.

AinBi, commencée avec Lysistrata, sa carrière s'achève avec un autre ouvrage inspiré d'Aristophane. Périple significatif : Maurice Donnay, l'un des plus français parmi nos auteurs, mais encore le plus authentique héritier de l'esprit hellène. Maurice Donnay, l'Athénien de Paris (1).

* *

En 1930, Mme Bartet me présenta à Maurice Donnay, et je le * revis bien souvent par la suite. Ami des jeunes, il s'intéressait à leurs travaux, à leurs espoirs, et ne se contentait pas de les encou- rager par des paroles. Sa jeunesse d'esprit et de cœur enchantait.

Un jour que je lui rendais visite au lendemain d'un dîner organisé par la Revue des Deux Mondes au ministère des Affaires étrangères, à l'occasion de son centenaire, il me donna le manuscrit du poème de circonstance qu'il venait d'écrire pour le divertissement de quelques intimes :

Ah 1 quel Sardanapale 1 Vrai Dieu 1 Quel Balthazar 1 Quand le patron régale, Rien n'est fait au hasard.

La sagace Revue A choisi l'invité : Ce n'est pas la cohue, Non plus l'intimité.

(1) Le cadre d'une si brève étude ne permet pas d'embrasser l'œuvre entière de Maurice Donnay, et j'ai dû passer sous silence bien des ouvrages dont aucun n'est indifférent : Qieeaux de pateage (avec Lucien Descaves), la Belle Angevine (avec André Rivoire), le Geste (avec Henri Duvernois), sans parler de son Molière et de son Musset.

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Grands vins, mets délectables.

Fleurs rares à l'envi, E t par petite» tables Le dîner est servi.

Des femmes élégantes St pressent alentour, Et des beautés fringantes A qui faire la cour I Le corps académique N'en est pas écarté, Et le diplomatique Est bien représenté;

On rit, on cause, on jase, On jase, on cause, on rit;

Plus d'une est en extase Deyant Paul Valéry, Gfflet est dans la joie, Benoit entend des voix ; Croisset cherchant sa voie, Se dit : « Non, mais des fois ? » André Corthis coquette

Avec Abel Hermaat, Et Goyau, qui les guette, Pâlit atrocement.

De jeunes hommes glabres, De viepx messieurs velus, A l'heure des palabres,

' Pensent : « N'en jetez plus 1 » Pourtant, Doumic laïusse Fort agréablement, E t Morand, plein d'astuce, Fait un discours charmât»t.

Mais, avec sa voisine, Par ce luxe épaté, F... G... imagine

« Ce que ça à coûté I »

Il avait renoncé au théâtre, mais non au travail. Il consacrait son activité à l'Œuvre d'Assistance à la Classe moyenne, dont il était président depuis 1936, avec l'active et dévouée collaboration de Mme Graponne-Eudel, secrétaire générale. En outre, il donnait régulièrement des articles au Figaro et à Paris-Soir,

Le 25 mai 1938, il écrit à sa vieille amie Jeanne Grenier, la Claudine Rozay d'Amants :

« Ce que je deviens, ma chère Jeanne ? Un homme en proie à toutes les difficultés matérielles et morales de la vie, un homme obligé de travailler à soixante-dix-huit ans, un. homme qui lit

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chaque matin les journaux, dix journaux, et dont cette lecture dessèche le cœur et l'esprit, un homme qui a eu une mauvaise grippe cet hiver, un homme bourrelé de remords de n'être pas venu vous voir depuis qu'il est rentré à Paris. Mais la santé de ma sœur me donne de continuelles inquiétudes. Un jour elle va bien, le lendemain elle va mal. Elle ne souffre pas d'une façon aiguë, mais elle traîne et elle s'ennuie.

« Je vois que l'approche de 41 vous désespère, puisqu'à cette date, vous devrez quitter votre maison, et comme je vous comprends I Mais, vous savez, les choses finissent non pas par s'arranger le mieux du monde, comme disait notre Capus, mais par s'arranger mieux qu'on ne l'aurait pensé... »

Les choses, en effet, s'arrangèrent pour Jeanne Granier, mais point de la façon que son auteur prévoyait : avant la date fatale de 41, le 18 décembre 1939, elle s'éfeignait doucement dans son petit hôtel de l'avenue de Wagram qu'elle avait craint si fort de quitter.

La guerre, qu'il prévoyait depuis longtemps, éprouva cruellement Maurice Donnay. Du moins vécut-il assez pour en voir la fin : le 31 mars 1945, après une brève maladie, ce grand travailleur connaissait son premier repos, à la fois tardif et prématuré.

*

* *

Un talent si souple et si varié, comment l'emprisonner dans une formule ? Ce sceptique a traité avec une ferveur réfléchie les plus graves problèmes sociaux. Cet humoriste est un tendre poète que Musset eût reconnu pour l'un des siens. Cet auteur « bien parisien » n'a vécu vraiment heureux que loin de Paris, de son tumulte, de

ses exigences harassantes, de ses potins qui encrassent l'âme.

Comme il a aimé la nature, comme il en a chéri les aspects riants ou sauvages : douceur du Vexin, quand la brise caresse le peuple frissonnant des arbres ; quand, au crépuscule, règne ce silence fait de mille chuchotements presque imperceptibles qui est le mutisme de la campagne ; rochers rouges et mer bleue d'Agay, couchers de soleil provençaux où le ciel se couvre de fresques géniales aussitôt renouvelées que disparues, forêts de sardoine qui emplissent le couchant, caravelles violettes glissant sur un océan de soufre ou de cuivre, avant que toutes les nuances de la palette se fondent en un éblouissement vermeil i

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L E C E N T E N A I R E D E M A U R I C E D O N N A T 681 Si l'on pouvait le rattacher à une école, ce ne serait pas à un cénacle littéraire, mais plutôt à une école de peintres, les Impres- sionnistes. Comme eux, il a composé des œuvres où le sujet compte pour peu. Tel Pissarro évoquant un ruisseau et des arbres, ou Monet faisant éclore ses nymphéas sur un coin d'étang, il a noté toutes les nuances de l'âme humaine, et particulièrement de l'âme féminine, qui en est la variété la plus attachante. Il peint ce qu'il voit, ce qu'il a vu, avec cette grâce féline, cette indulgence voilée d'ironie, cette câlinerie sensuelle et sensible qui sont la marque de sa personnalité.

Il nous a laissé de ravissantes figures : Claudine Rozay et Valentine Lambert, Claire Jadain et Georgette Lemeunier, Hélène Ardan et Henriette Gouverneur. L'amour, le respect qu'il porte à la femme l'ont toujours empêché de la peindre sous des couleurs trop sombres, et cette galerie de portraits ne comporte pas une héroïne foncière- ment mauvaise. Antonia de Moldère (VAffranchie) apporte une manière d'ingénuité jusque/ dans ses mensonges les plus évidents.

Gotte des Trembles (la Douloureuse) n'est pas méchante ; quand elle « chipe » l'amant de sa meilleure amie, elle agit à la façon des enfants qui convoitent frénétiquement le jouet ou le gâteau de leur petite camarade. Mme Sourette (Georgette Lemeunier) n'est point une femme fatale, loin de là ; c'est une simple grue, plus roublarde que perverse, qui, tel le politicien fameux, estime qu'il faut prendre l'argent où il se trouve, et qui s'accroche à son luxe comme la chatte au coussin d'où on la veut déloger. Et si Janine de Cauternes (la Reprise) mérite le jugement sévère de Bertrand Lemurier : « Ma sœur... un vrai choléra... » l'auteur n'a fait d'elle qu'une figure épisodique, une silhouette amusante qu'il se garde bien de prendre au sérieux.

Sa clairvoyance risquait de l'entraîner au pessimisme ; son amour de la vie l'en détourne. Celles même de ses pièces qui s'achèvent dans la mélancolie laissent presque toujours une porte entr'ouverte à l'espoir : le bonheur de sa fille consolera peut-être Claire Jadain, et Michel Aubier trouvera sans peine une compagne moins abusive que Judith Fuschyani. Au dernier acte d'Amants, Vétheuil confie à Claudine Rozay : « Quand on a vécu, quand on a observé, on arrive à la vraie philosophie, et l'on se dit qu'au fond de tout ça, le bonheur, ou du moins ce qui en approche le plus, c'est... » A ce moment, une farandole fait irruption et les entraîne tous deux sans qu'il ait révélé son secret. Mais nous pouvons le deviner : le vrai bonheur, c'est de pouvoir se dire qu'on a traversé l'existence en faisant

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le moins de mal possible. Et, dans la Patronne, Nelly Sandral déclare à son ami Le Hazay : « On ne bâtit jamais du bonheur sur le malheur d'autrui. » C'est la conclusion que nous offre l'œuvre entière de Maurice Donnay ; pour lui, la grande vertu n'est pas l'enthousiasme, eomme pour Edmond Rostand, o'est la pitié.

Dans le théâtre de son temps, qui prend pour thème principal la

« lutte éternelle » chantée par Vigny, il garde une place à part.

Certes, il n'est pas le seul qu'ait inspiré « Vénus tout entière » ; mais le vrai peintre de l'amour, qui n'ignore ni le oœur ni leB sens et chez qui, toutefois, le cœur l'emporte en fin de oompte, c'est Maurice Donnay ; le vrai Théâtre d'amour, o'est le sien.

Et puis, ne cherchons pas trop à le définir, contentons-nous de l'admirer et de l'aimer ; sa grâce est la plus forte. Pour moi, quand j'ouvre un de ses livres, quand je revois une de Bes pièces, j'évoque ce jugement qu'Anatole France, par la bouehe de Jacques Tournebroche, porte sur sa créature préférée : « Je le tiens, celui-là, pour le plus gentil esprit qui ait jamais fleuri sur la terre. »

ALBERT D-UBEUX.

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