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La Suisse a-t-elle ses sauvages?

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La Suisse a-t-elle ses sauvages?

SCHAFFTER, Marius, STASZAK, Jean-François

SCHAFFTER, Marius, STASZAK, Jean-François. La Suisse a-t-elle ses sauvages?

Le Temps

, 2009, 27.03.2009

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:34904

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MARIUS SCHAFFTER ET JEAN-FRANÇOIS STASZAK (Le Temps, 27.03.2009) La Suisse a-t-elle ses sauvages?

Les CFF ont lancé en 2008 une campagne de publicité originale, destinée à promouvoir le tourisme en Suisse. L’idée est simple: l’exotisme que vous pourriez être tentés d’aller chercher loin de chez vous se trouve à votre porte. Plusieurs images déclinent le thème: en Suisse, on a des lacs comme le Loch Ness, des métropoles comme New York, des villes romantiques comme Paris ou des jungles comme sous les tropiques. Il n’est que de voir King-Kong perché sur le Grossmünster de Zurich pour saisir l’ironie de ces publicités, qui visent à surprendre et à faire sourire pour mieux marquer l’imagination.

Parmi ces affiches, l’une montre quatre personnages vêtus de peaux de bête, portant des masques primitifs et des armes de bois qui, dans un paysage montagnard enneigé, se précipitent sur le photo- graphe et le spectateur d’un air menaçant. Il s’agit évidemment d’une mise en scène des fameux masques du Lötschental. Pas besoin donc d’aller chercher des «peuples rudes» (première version de la campagne) ou des «peuples authentiques» (deuxième version) dans l’Océanie ou l’Afrique pro- fonde: nous avons nos propres «sauvages» en Suisse.

Cette affiche mobilise le stéréotype du sauvage sans doute cannibale qui a nourri l’imaginaire occi- dental et la propagande coloniale. C’est une vision aussi inexacte que méprisante des peuples au- tochtones. Une publicité qui montrerait de cette façon des Kanaks ou des Massaïs pour vendre aux touristes la Nouvelle-Calédonie ou le Kenya ferait - à juste titre - scandale. Et, dans la mesure où elle exploite (certes au deuxième degré) cette iconographie raciste, la publicité des CFF peut être consi- dérée comme choquante.

Il faut sans doute manquer d’humour pour se scandaliser de ces affiches, mais on peut comprendre que ceux que les Européens ont longtemps pris pour des sauvages n’aient pas envie d’en rire. Pour- tant, ce ne sont pas eux qui prennent la mouche, mais un élu et un responsable touristique du Valais qui s’indignent dans un article du Nouvelliste du 20 mars. L’affiche les offense parce qu’elle présente les Valaisans comme des peuples primitifs.

On comprend que pareille comparaison, même ironique, ait été très blessante au XIXe siècle, tant ces

«sauvages» étaient alors considérés comme guère plus que des bêtes. Mais, aujourd’hui, ne sait-on pas que tous les êtres humains sont égaux, que le racisme est une idéologie détestable, que l’Europe n’a pas le monopole de la civilisation? Officiellement tout du moins, on célèbre les arts premiers, on admire la culture des peuples autochtones, on vante la sagesse écologique des peuples indigènes. Si quelqu’un peut être blessé dans l’affaire, c’est en fait ces peuples authentiques auxquels les Valai- sans s’horrifient d’être assimilés.

Mais ce n’est pas l’affiche qui a posé problème. Elle ne stigmatise directement personne: les masques cachent les personnages et aucun peuple ni aucun lieu n’est explicitement mentionné. C’est par un panneau de la gare de Lausanne que le scandale est arrivé: «Rencontrez des peuples authen- tiques avec nos offres et excursions dans le Valais.» Un canton et donc ses habitants sont explicite- ment désignés, voire stigmatisés.

Si la comparaison est blessante, c’est sans doute parce qu’elle fait mouche. On imagine difficilement les Bâlois s’offenser d’une campagne mettant en scène leurs déguisements de carnaval. La suscepti- bilité valaisanne se comprend dans la longue histoire des représentations des populations monta- gnardes en Suisse et en Europe. Celles-ci oscillent entre des stéréotypes négatif (le crétin des Alpes) et positif (Heidi), qui marquent tous deux le regard condescendant et supérieur des élites urbaines sur les montagnards. Ambivalence qu’on retrouve dans l’appréhension des indigènes des colonies, à la fois bons sauvages proches de la nature et redoutables brutes dégénérées. Le parallèle entre le Noir et le montagnard n’est pas sans précédent: l’Exposition nationale genevoise de 1896 ne présen- tait-elle pas un Village suisse et un Village nègre? Bien sûr, le premier était valorisé dans le cadre d’une nostalgie identitaire, alors que l’autre relevait de l’altérité exotique – mais c’est bien le même imaginaire qui est à l’œuvre.

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«Le Valais, colonie des CFF?» interroge le titre de l’article du Nouvelliste. On vient de voir que la question fait sens sur le plan symbolique – mais les symboles ont un effet sur le réel. Si les CFF consi- dèrent les Valaisans comme des arriérés, ne risquent-ils pas de les traiter comme tels? L’article dé- nonce l’inacceptable vétusté des trains CFF circulant en Valais. Depuis quelques années, les Valaisans se plaignent (à tort ou à raison) d’être les parents pauvres du réseau ferroviaire suisse: pas d’ICN, ni de rames à deux étages, mais seulement les vieilles rames non climatisées que les CFF recycleraient en Valais. Est-ce parce qu’on les juge assez bonnes pour ces sauvages? Le slogan affiché sur le pan- neau des arrivées et départs de la gare de Lausanne serait ainsi la cynique expression de la mise à l’écart et du désinvestissement confédéral à l’endroit du Valais.

Il n’y a que la vérité qui blesse. Evidemment, les CFF n’ont pas voulu insulter les Valaisans dans cette campagne fort réussie. Mais c’est parce que les Valaisans ont effectivement le sentiment (fondé ou non) qu’on les prend pour des sauvages que cette image leur reste en travers des yeux.

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