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La vérité si je mens. Fake

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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La vérité si je mens

Mettant en scène l’inséparable couple de la vérité et du mensonge, l’expression a largement contribué au succès du film [1] éponyme. L’effet comique tient au fait que la locution est tronquée – La vérité, si je mens, je vais en enfer est une variante du Croix de bois, croix de fer… Appariant sans fard vérité et mensonge, l’oxymore la-vérité-si-je-mens dénude le semblant de la vérité : on peut jurer tant qu’on veut, pas de vérité qui ne mente, et vice-versa.

Fake Encore plus fort, dans notre XXIe siècle qui expérimente assidûment les facettes du paradoxe d’Épiménide [2], le néologisme fake condense en un seul terme vérité et mensonge.

Après le toc, les fausses fourrures et autres contrefaçons, son terrain d’élection – c’est le cas de le dire… ! – est celui des fake news qui envahissent la toile et les réseaux sociaux. Certains répudient ce terme « fourre-tout » [3] où s’agglutinent toutes les déclinaisons du vrai et du faux, bien au-delà du faussement vrai et du vraiment faux. Or, n’est-ce pas oublier que ce flou est au principe de son succès ? N’est- ce pas rêver qu’on pourrait revenir au temps mythique où le false, le faux, ne se prenait pas les pieds dans le fake ?

La chose a d’abord été saluée comme le signe d’un nouveau régime de la vérité, appelé post-vérité, combinant relativisme généralisé et palpitations du storytelling. Las ! La vérité semble avoir horreur du vide. Désormais, les théories du complot colonisent tellement les fake news qu’elles en deviendraient synonymes. Pas un jour sans une publication pour l e s d é c r y p t e r e t l e s c o m b a t t r e , c o m m e c e d o s s i e r institutionnel [4] si prodigue en modes d’emploi – « Comment parler à quelqu’un qui croit fermement à des théories du complot ? », etc. Non sans souligner cependant que la tâche peut s’avérer extrêmement difficile avec l’augmentation du

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« niveau d’exposition » (c’est-à-dire du degré de croyance des personnes atteintes par ces théories).

Satisfaction Et pour cause. Une rumeur ne se caractérise pas d’être fausse, mais d’être non officielle ; cette information parallèle est le marché noir de l’information, selon un ouvrage fameux sur les rumeurs [5]. De plus, c’est parce qu’on est convaincu du message qu’on le croit vrai, et non l’inverse. Ce n’est donc pas tant la vérité que la croyance qui distingue un complotiste et un lanceur d’alerte – chacun s’employant à rétablir une vérité en dénonçant une imposture ou un danger.

Au grand dam de l’infox, qui tente en vain d’expurger l’information de toute fausseté possible. Le fact checking n’a qu’à bien se tenir.

Mais alors, pourquoi croit-on une rumeur ? Parce qu’elle

« exprime et satisfait un vœu », répond Jean-Noël Kapferer, avant de conclure qu’il « n’existe qu’une seule façon de prévenir les rumeurs : en interdisant aux gens de parler ».

Rumeurs et fake news rétablissent du sens et un ordre caché là où règnent angoisse, incertitude, crise, chaos… Elles disputent à la science son aversion pour l’opacité. Ces fictions nous ramènent à la paranoïa foncière du moi. Car notre rapport primaire à l’Autre est paranoïaque, souligne Jacques-Alain Miller [6]. Le hasard est aboli au profit d’un Autre méchant, accusé de détourner ou de récupérer notre part de jouissance perdue. Sœur de la vérité, cette jouissance du sens a également horreur du vide.

Le réel de l’embrouille La psychanalyse, elle, s’affronte à la petite histoire qu’on se raconte en privé pour donner sens aux avatars singuliers de son existence. Là encore, et là avant tout, le « vrai, c’est ce qu’on croit tel » [7]. La partie ne consiste donc pas à démêler le vrai du faux, mais à débusquer le réel couvert et

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couvé par cette fiction intime.

La psychose en donne parfois un aperçu saisissant. Tel ce patient schizophrène qui m’explique que la voix de sainte Odile, douce présence qui l’accompagne, dit toujours la vérité. « Elle ne se trompe jamais ? lui demandé-je. – Ça arrive que ce soit de travers, ou des mauvaises voix, mais dans ce cas, c’est le diable qui vient perturber. » Qui jurerait du vrai et du faux, a fortiori à la place du sujet ? Le réel est ailleurs, au-delà, en deçà aussi bien : dans les moments critiques, les voix pressent ce patient né sous X de monter dans n’importe quel train, puis de s’en éjecter en marche.

Poussant la fiction dans ses retranchements, isolant les impasses du sens, une psychanalyse permet de percer le mensonge de la vérité, qui sert à la fois à jouir et à se défendre contre le réel. Dans son tout dernier enseignement, Lacan formule la fin de la cure en termes d’hystorisation et de « vérité menteuse » [8]. Ni objectivation ni vérité vraie, il « s’agit d’élaborer comment, dans mon analyse, j’ai pu faire du sens avec du réel » [9].

Ainsi, la psychanalyse propose un abord fécond et original de la vérité. En se coltinant ses mensonges et ses embrouilles, on a chance d’atteindre le réel qui s’y faufile. Chemin faisant, la vérité décharite en tant qu’absolu. Elle parle, oui, mais elle dit pas-tout. Elle doit certes en rabattre face au réel de la jouissance, mais elle ne s’aplatit pas pour autant dans un relativisme grisonnant. « Pour minoriser la vérité comme elle le mérite, indique Lacan, il faut être entré dans le discours analytique. Ce que le discours analytique déloge met la vérité à sa place, mais ne l’ébranle pas. Elle est réduite, mais indispensable. » [10]

[1] Gilou Th., La Vérité si je mens !, film, France, 1997.

[2] À savoir, quelle est la valeur de vérité de la phrase je

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suis un menteur ? vraie ? fausse ?

[3] Cf. Audureau W., « Pourquoi il faut arrêter de parler de

“fake news” », Le Monde, 31 janvier 2017, disponible sur internet.

[4] Commission européenne, « Reconnaître les théories du complot », disponible sur internet.

[5] Cf. Kapferer J.-N., Rumeurs. Le plus vieux média du monde, Paris, Seuil, coll. Points, 1995.

[6] Cf. Miller J.-A., « La paranoïa, rapport primaire à l’autre », The Lacanian Review, n°10, décembre 2020, p. 56-90.

Cf. aussi l’article de J.-A. Miller, « Dès qu’on parle, on complote », Le Point, 15 décembre 2011, disponible sur internet, cité par L. Dupont, in « Le Fake », argument pour

« Question d’École », événement de l’École de la Cause freudienne, 23 janvier 2021, visioconférence, disponible sur internet et inscriptions en ligne.

[7] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, « L’insu que sait que l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 14 décembre 1976, Ornicar ?, n°12-13, décembre 1977, p. 11.

[8] Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 573.

[9] Miller J.-A., « La passe bis », La Cause freudienne, n°66, mai 2007, p. 211, disponible sur internet.

[10] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 98.

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Le mirage de la vérité

Au commencement était la vérité : l’invention de la psychanalyse par Freud place la parole vraie au centre du procès analytique. L’interprétation permettrait au sujet d’accoucher d’une vérité inconsciente qui affecte son corps.

Le symbolique doit traiter le symptôme hystérique, qui se r é v è l e r é t i f à l ’ i n t e r p r é t a t i o n . A v e c l a r é a c t i o n thérapeutique négative, Freud constate les limites de l’action analytique visant à lever le symptôme par l’émergence d’une vérité refoulée.

Lacan y met son grain de sel en considérant que la vérité ne peut que se mi-dire, et surtout qu’elle est foncièrement menteuse : « fait d’hystoire, autant dire d’hystérie » [1], souligne-t-il en 1976, dans un texte fulgurant qui vient ponctuer son Séminaire [2] consacré à Joyce le Sinthome.

L’hystérie, on le sait, se spécifie de son lien au discours de l’Autre et d’un amour de la vérité qui peut s’avérer sans limite : compléter l’Autre jusqu’au sacrifice, faire consister la Vérité comme toute, faire exister La femme, sont autant de façons de refuser l’inconsistance de l’Autre.

Se déprendre du mirage de la vérité devient alors l’enjeu d’une analyse orientée, au-delà des semblants, par le réel. Un réel qui est celui du trou, du traumatisme, de l’urgence qui précipite un sujet en analyse, avant que le sujet supposé savoir ne s’instaure et que la chaîne signifiante ne se déploie.

Avec Lacan, la vérité est dévaluée, transformée en des

« effets de vérité » toujours relatifs, ou en une vérité variable qui devient varité. Lacan nous conduit au point de bascule où « cette stratégie de la vérité doit faire sa place au mensonge qu’elle comporte » [3]. Car le déploiement de la chaîne signifiante ne peut que rater le réel en jeu. L’« esp

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d’un laps », c’est le surgissement d’un réel évanescent qui surprend le sujet – « alors seulement on est sûr qu’on est dans l’inconscient. On le sait, soi. Mais il suffit que s’y fasse attention pour qu’on en sorte » [4].

Lacan fait ici valoir le trébuchement de la langue, l’espace d’un lapsus, comme ce qui ne relève plus des formations de l’inconscient, mais d’un réel sans loi. Alors qu’il vient de c o n s a c r e r s o n S é m i n a i r e à u n J o y c e « d é s a b o n n é d e l’inconscient » [5], c’est sa façon subversive de nous introduire à un inconscient qui n’est plus transférentiel, mais réel, surgissant dans la coupure et renvoyant chacun à une solitude radicale.

« Pas d’amitié n’est là qui cet inconscient le supporte.

Resterait que je dise une vérité. Ce n’est pas le cas : je rate. Il n’y a pas de vérité qui, à passer par l’attention, ne mente. » [6]

Dès lors, l’horizon de la cure ne sera plus le savoir mis en place de vérité, mais la satisfaction de la fin d’analyse. Une perspective nouvelle s’ouvre pour la passe.

S’adressant à « des épars désassortis » qui « se risquent à témoigner au mieux de la vérité menteuse », la passe du d e r n i e r L a c a n d e v i e n t u n e « m i s e à l ’ é p r e u v e d e l’hystorisation de l’analyse » [7]. Il s’agit pour chaque Un de réinventer la psychanalyse en démontrant que « la vérité en tant que varité n’est qu’un semblant au regard de ce qui est réel » [8].

L’esp d’un laps vient radicaliser l’impasse logique annoncée dans « Télévision » : « La dire toute, c’est impossible, matériellement : les mots y manquent. C’est même par cet impossible que la vérité tient au réel. » [9]

Comme l’a montré J.-A. Miller, l’enjeu pour Lacan était de libérer la psychanalyse de la croyance au vrai, qui faisait son point commun avec la religion. Lacan a voulu « pousser la

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psychanalyse hors d’elle-même, l’obliger à considérer son opération d’une autre perspective que celle du vrai » [10].

Atteindre au réel traumatique est ce qui rend la vérité obsolète, et ramène le parlêtre à une solitude fondamentale.

Celle de Freud, et aussi celle de Lacan.

[1] Lacan J. « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 571-573.

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005.

[3] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le tout dernier Lacan », enseignement prononcé au département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 15 novembre 2006, inédit.

[4] Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », op. cit., p. 571.

[5] Lacan J., « Joyce le Symptôme », Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, op. cit., p. 166.

[6] Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », op. cit., p. 571.

[7] Ibid., p. 573.

[8] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le tout dernier Lacan », op. cit., cours du 22 novembre 2006.

[9] Lacan J., « Télévision », Autres écrits, op. cit., p. 509.

[10] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le tout dernier Lacan », op.cit., cours du 22 novembre 2006.

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Trompeuse ou menteuse, la vérité

« …rien qu’une vie, voilà le tort que j’ai eu, un des torts, m’être voulu une histoire » (Samuel Beckett, Nouvelles et textes pour rien)

« C’est un incident beaucoup plus minuscule, celui qui m’a mis en demeure de prendre soin de vous en tant que poignée de psychanalystes dont je vous rappelle que de la vérité, vous n’avez certes pas à revendre, mais que quand même c’est ça votre salade, c’est ce que vous vendez. » [ 1 ] C’est un avertissement adressé à l’analyste qui signale toute la complexité du rapport à la vérité dans l’analyse. Le rapport que l’analyste entretien à la vérité doit être suffisamment dégagé pour lui-même, car la tâche qui l’attend n’est pas simple : il n’a pas à revendre de la vérité, tout en n’oubliant pas qu’il en vend malgré lui, parce qu’il n’a pas à dissuader celui qui part à sa quête. Drôle de salade dont l’analyste a lui-même à s’y retrouver, c’est-à-dire à éclairer le rapport qu’il établit dans l’orientation de ses cures entre la vérité et le réel.

En effet, « il est clair que, à venir vers vous, c’est après du vrai qu’on court » [2], du côté de l’analysant, la quête d’une vérité sur l’énigme du symptôme permet à une analyse de commencer, pas d’analyse sans un point d’opacité, les entretiens préliminaires étant là pour le vérifier. Cette opacité déclenche la question qui fait de la quête d’une vérité, une quête de sens : « Qu’est-ce que ça veut dire ? » L’inconscient est alors l’hypothèse qui viendrait expliquer ces émergences absurdes et insensées (acte manqué, rêve, lapsus, symptôme). Pour l’analysant, il y a attente d’une vérité qui se manifeste sous la forme d’une attente de sens, il veut donner sens à l’insensé. Ici ce qui opère est une

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opposition entre conscient et inconscient, car les effets de vérité sont le résultat d’un retour du refoulé, c’est l’heure de la révélation.

Néanmoins, à chaque fois, celle-ci est incomplète, partielle, imparfaite, relative. » [3] Le poète questionne « Sommes-nous voués à n’être que des débuts de vérité ? Cela tient à la structure même du discours et du désir : entre S1 et S2, entre surgissement et savoir, la vérité obtenue est incomplète et fragmentaire. Elle tient à une articulation qui risque de se révéler remaniable à chaque visite. Qu’on la rate fait que l’on court après [4].

La vérité est « trompeuse », pourrions-nous dire afin de l’opposer à la vérité « menteuse », mise en valeur à propos de la passe en 1976 [5]. Sous la logique d’une quête de vérité trompeuse, la fin de l’analyse devient problématique, puisque la vérité parle, mais ne conclut pas. L’avertissement de Lacan signale une méfiance : si vous devez vendre de la vérité pour commencer une analyse, n’en revendez pas pour la conclure ! Lacan ne semble pas avoir attendu les effets sur la vérité auxquels le monde contemporain nous confronte pour la désacraliser. Son dernier enseignement porte sur le décalage entre le vrai et le réel et, de ce fait, se déduit un autre témoignage qui cherche à « Mesurer le vrai au réel » [6] :

« Pourquoi dès lors ne pas soumettre cette profession à l’épreuve de cette vérité dont rêve la fonction dite inconsciente, avec quoi elle tripote ? Le mirage de la vérité, dont seul le mensonge est à attendre […] n’a d’autre terme que la satisfaction qui marque la fin de l’analyse » [7].

Ce passage m’a toujours frappé, car l’inconscient est défini comme un rêve de vérité. S’il est un rêve, il porte un wunch : l’inconscient rêve d’accéder à la vérité. Si pendant la cure le sujet s’efforce à dire le vrai, la passe témoigne de la

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faille de cette vérité qui est venue voiler le réel. La façon dont le sujet a produit du sens à partir d’un point de réel, c’est ce que la fin de l’analyse mesure. La narration ne se contente pas de sa belle forme. Le témoignage rend à la vérité trouvée dans l’analyse son statut d’histoire, d’élucubration, de mirage. Il s’agit de faire surgir, au-delà du sens, les marques et les traces écrites sur un corps qui en éprouve les effets. Aller jusqu’au point où le discours même reconnait son mensonge à dire le réel. Non pas expliquer, mais dire au plus juste le trauma par des mots qui font résonner ce qu’ils échouent à dire.

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre IX, « L’identification », leçon du 29 novembre 1961, inédit.

[2] Ibid.

[3] Char R., Fureur et Mystère, Paris, Gallimard, 1967, p. 130.

[4] Cf. Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 571.

[5]« Je l’ai laissée à la disposition de ceux qui se risquent à témoigner au mieux de la vérité menteuse » (Lacan J.,

« Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », op. cit., p. 573.)

[6] Miller J.-A., « La passe bis », La Cause freudienne, n°66, mai 2007, p. 213, disponible sur internet.

[7] Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », op. cit., p. 572.

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Vérité et mensonge

« The Devil speaks truth much oftener than he’s deemed, He hath an ignorant audience » [1].

De cette « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI » [2], qui est une mine, nous avons tous retenu quelques formules qui nous ont donné du grain à moudre ces dernières années : « On le sait, soi » [3], reprit par Éric Laurent, pour évoquer la c e r t i t u d e q u ’ o n p e u t a v o i r d e s o n ê t r e . « [ É ] p a r s désassortis » [4], qui définit le un par un de notre lien au groupe. Mais surtout, « l’inconscient, soit réel » [5], où Jacques-Alain Miller nous a fait lire cet inconscient réel comme terre de Canaan du tout dernier Lacan.

Mais dans ces courtes pages, une définition de la vérité nous concerne, dans la perspective de « Question d’École » [6] :

« Il n’y a pas de vérité qui, à passer par l’attention, ne mente. » [7] Ainsi se trouve mis en cause le statut de cette vérité, dont Freud disait que son amour était une condition nécessaire à l’analyse, et qu’elle consistait précisément dans le fait de tenir compte de la réalité. Voilà le « grain de sel » que Lacan apporte à cette embrouille, qui est celle d’une discipline nouvelle venue, qu’il place ainsi par-delà le vrai et le faux.

Un mot d’esprit insiste dans ce texte, dans lequel il a cinq incidences : hystoire, substantif néologique du verbe hystoriser. Le bonheur de ce Witz est de condenser au moins deux champs (c’est-à-dire plus). Celui de l’histoire, qui est affaire de Faits, dont on sait, de la bouche des historiens eux-mêmes, qu’ils sont faits. Autrement dit : un fait historique n’est pas un donné brut de l’expérience ou des sens, une réalité intangible. Il est construit par le regard et l’élaboration d’un auteur, qui interprète les éléments épars de l’expérience pour établir le texte depuis sa place de secrétaire des événements. C’est ainsi que les historiens

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reconnaissent leur discipline comme une science conjecturale, catégorie définie par Renan et à laquelle Lacan a rattaché la psychanalyse à l’occasion.

L’autre champ est celui d’un discours, c’est-à-dire d’un lien social, dont l’agent est le sujet lui-même, tel qu’il s’adresse à l’Autre depuis sa division. Lacan l’appelle discours de l’hystérique. C’est de là que le sujet subjective, comme on dit, ce qui lui est arrivé et construit sa vérité avec les lambeaux de ses expériences et de ses souvenirs.

L’historien comme l’hystérique font ainsi des contingences de l’existence les nécessités de la destinée.

Dans ce texte de 1976, Lacan résume ce qui est alors pour lui l’enjeu de la procédure de la passe, qu’il a proposée en 1967, soit la « mise à l’épreuve de l’hystorisation de l’analyse » [8] : « La question reste de ce qui peut pousser quiconque, surtout après une analyse, à s’hystoriser de lui-même. » [9]

C’est ici qu’un troisième champ sémantique montre le bout de son nez, celui de l’autorisation : « Comment peut lui venir l’idée de prendre le relais de cette fonction ? » [10] Comment on se fait auteur ?

Hors du contexte analytique, je connais un petit ouvrage saisissant qui témoigne de ce qu’est une hystorisation par laquelle un sujet construit le récit d’un moment traumatique de sa vie, dont il fait la cause de sa position d’écrivain et la détermination de son œuvre et de son style. Il s’agit de L’Instant de ma mort [11], de Maurice Blanchot. Ce court récit détonne par une apparente simplicité et une clarté quasi clinique, avec les ouvrages que cet auteur a livré pendant cinquante ans au happy few qui le lisait. En quelques pages denses, il raconte alors pour la première fois comment jeune homme, il s’est trouvé face aux fusils d’un peloton d’exécution. Ce laps de temps indéfini, pendant lequel il se sent hors-réel et éprouve une incroyable légèreté, se résout après qu’il échappe par hasard à la salve fatale, par un temps suspendu où il se trouve en instance, de cette mort dont il a

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fait ce jour-là l’inexpérience et qui est depuis resté s u s p e n d u e . I l y a l à u n f r a n c h i s s e m e n t q u ’ i l d i t

« inanalysable » [12] , passe ou impasse, comme on dirait à une table de jeu, dont il témoigne avec le synthétisme et l’impression d’authenticité que l’écriture permet : « Seul demeure le sentiment de légèreté qui est la mort même […], l’instant de ma mort désormais toujours en instance » [13].

Parmi les éléments où le génie de l’auteur se montre, j’ai à chaque fois été frappé par l’oscillation du sujet grammatical des phrases, où il est tantôt question du jeune homme, du châtelain, d’un il ou d’un on qui représente le personnage, et où tantôt le narrateur dit je. C’est ce flottement, d’un homme qui est resté à jamais dans l’entre-deux de sa mort (pas au- delà, dit-il ailleurs [14]) et qui tantôt décrit ce qui arrive à un personnage de fiction, tantôt l’endosse (comme on le fait d’un chèque qu’on signe), qui fait d’un épisode en marge de la grande histoire (la férocité des nazis au moment de leur défaite et les soubresauts de la résistance) un formidable témoignage d’hystorisation. Nous sommes entre Dichtung und Wahrheit, Poésie et vérité, comme l’écrit Goethe pour sa propre autobiographie [15] ; titre dont on est surpris (ou pas) de lire que Blanchot le traduit par « vérité et mensonge ». Pas « ou bien, ou bien », mais : et.

[1] Byron, cité par Goethe, in Conversations de Goethe avec Eckermann, Paris, Gallimard, 1949, p. 170.

[2] Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 571-573.

[3] Ibid., p. 571.

[4] Ibid., p. 573.

[5] Ibid., p. 571.

[6] « Question d’École. Le fake », événement de l’École de la Cause freudienne, 23 janvier 2021, en visioconférence,

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information en ligne.

[7] Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », op. cit., p. 571.

[8] Ibid., p. 573.

[9] Ibid., p. 572.

[10] Ibid.

[11] Blanchot M., L’Instant de ma mort, Paris, Gallimard, 2002.

[12] Ibid., p. 16-17.

[13] Ibid., p. 18.

[14] Blanchot M., Le Pas au-delà, Paris, Gallimard, 1973.

[15] Goethe, Aus meinem Leben. Dichtung und Wahrheit, trad. Poésie et vérité. Souvenirs de ma vie, Paris, Aubier, 1941.

éditorial : Attentat à la pudeur

Lacan démontre que « la Chose freudienne […] a pour propriété d’être asexuée » [1]. Toute la motivation de l’acte ne s’explique pas, ne se résorbe pas dans le sexuel : « il n’y a pas d’acte sexuel, poursuit-il, au sens où cet acte serait celui d’un juste rapport, et, inversement, […] il n’y a que l’acte sexuel, au sens où il n’y a que l’acte pour faire le rapport » [2]. Seul moyen donc, mais pas suffisant, car il faudra toujours recommencer, ou alors, choisir l’abstinence.

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Il n’y a que ça est la formule où se démontre que la vérité du rapport serait dans l’acte sexuel. Chaque sujet cherche son réglage particulier pour répondre à cette dimension propre à la jouissance sexuelle qui comporte, de structure, un inabouti : la « psychanalyse nous révèle que la dimension propre de l’acte – de l’acte sexuel en tout cas, mais du même coup de tous les actes […] –, c’est l’échec. C’est pour cette raison qu’au cœur du rapport sexuel, il y a dans la psychanalyse ce qui s’appelle la castration » [3].

L’amour et ses fictions, la séduction et le consentement, les fantasmes, sont autant de tentatives sublimatoires qui tournent autour du vide central de la Chose pour faire avec l’impossible rapport. L’attentat sexuel, lui, nie cet impossible. Et son auteur tend souvent à faire de l’autre un agent provocateur.

Les polémiques actuelles sur la tenue des jeunes filles dans les établissements scolaires illustrent, encore une fois, que c’est le féminin qui, par excellence, attenterait à la pudeur : « En vérité, dit Jacques-Alain Miller, sous toutes les latitudes, la jouissance féminine, on ne sait pas où la fourrer. Explicitement ou non, on la met toujours sous burqa. » [4] Aujourd’hui, ce n’est plus tant l’uniforme qui y répond qu’un faisceau de normes [5]. Le débat sur le bout d’étoffe qui bat son plein dans les foyers, que celui-ci soit plus ou moins court, trop ceci ou trop cela, indique plutôt le manque du signifiant adéquat pour dire La femme.

Dans ce jeu de regards, deux logiques se dégagent : l’une qui est de ceux qui protestent contre leur pudeur offensée (ou

« déconcentrée »…), en refusant de se faire responsable de leur propre jouissance scopique ; l’autre qui relève de celles qui « ne voient pas le problème à s’habiller comme elles le souhaitent et estiment que ce sont les autres qui sexualisent, par leur regard » [6], éludant qu’elles peuvent secrètement viser « l’émotion de l’Autre au-delà de sa pudeur » [7] (et, puisque c’est secret, pourquoi vouloir les démasquer ?). Or,

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« Vivre en société, c’est être vu, ajoute J.-A. Miller. Le monde visible est toujours un monde potentiellement voyeur » [8].

Vous trouverez dans ce numéro le second volet que L’Hebdo- blog, Nouvelle série consacre à la préparation des 50e journées de l’ECF sur « Attentat sexuel » [9].

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2006, p. 346.

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Miller J.-A., « Porter la burqa, c’est tuer symboliquement l’homme, c’est incarner sa castration », entretien, Le Point, 4 février 2010.

[5] Battaglia M., « Tenues au lycée : quand le ‘‘crop top’’

s’invite à la table des discussions familiales », Le Monde, 29 septembre 2020, disponible sur internet.

[6] Ibid.

[7] Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le Désir et son interprétation, texte établi par J.-A. Miller, Paris, La Martinière/Le Champ freudien éd., 2013, p. 500 ; et cf. p. 495 sur la « pulsion scoptophilique ».

[8] Miller J.-A., « Porter la burqa… », op. cit.

[9] « Attentat sexuel », 50e journées de l’École de la Cause freudienne, Paris, Palais des Congrès, 14 et 15 novembre 2020, inscriptions et informations sur www.attentatsexuel.com

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Trouve-toi une fille !

Jeune et solide campagnard, échoué à Vienne pour fuir la misère, Frantz est accueilli au tabac Tresniek [1] où il apprend la vie, en même temps qu’il s’initie aux raffinements des amateurs de tabac, tout en s’astreignant à la lecture exhaustive et raisonnée des journaux – « fondement même de l’existence du buraliste », selon Monsieur Tresniek.

Frantz fait la connaissance d’un important professeur, un savant célèbre et respecté de tous qui vient acheter ses cigares au tabac Tresniek et dont la réputation avait

« pénétré les recoins du globe les plus éloignés, y compris le Salzkammergut où elle avait vivement stimulé l’imagination d’ordinaire plutôt émoussée des autochtones ». Il suppose que ce grand savant, qu’il imagine familier scrutateur « de toutes sortes de pulsions inquiétantes, de mots d’esprit vulgaires, de patientes qui hurlent à la mort et d’impudiques révélations » [2], saura répondre à la question qui le taraude : comment vivre ?

Ainsi, suivant le conseil du professeur Freud – « Trouve-toi une fille ! » – voilà Frantz précipité dans des tourments dont il n’avait pas idée.

Dans l’argument qu’elle propose pour les 50e journées de l’ECF, Caroline Leduc souligne que pour la psychanalyse lacanienne,

« l’émergence d’un désir sexuel dans le corps d’un sujet a un effet structurel d’altérité traumatique, qu’un abus ait eu lieu ou pas dans la réalité. Le sexuel toujours sépare quelque chose avec fracas » [3].

L’attentat, c’est par le visage riant d’une jeune fille sur une nacelle du parc du Prater, qu’il se manifeste : « rond et clair, auréolé d’une couronne de cheveux blonds […] suspendu un instant, petite tache rose dans le bleu immense du ciel », et d’où surgit « un cri de plaisir aigu » [4]. L’inconnue est

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belle, libre, effrontée, fraîche et décidée. Le garçon est naïf, maladroit, ignorant de toute science amoureuse. Sans rien saisir de ce qui lui arrive, Frantz est submergé par un désir auquel il ne comprend rien, déferlante qui fait effraction et l’affole.

L’effroi devant la violence de son propre désir lui donne l’audace de revenir vers le grand professeur pour lui dire son tourment, espérant le voir se dissoudre dans l’immense savoir qu’il lui suppose : « Tout ce que je sais, c’est que, moi, je suis malade : d’excitation ! Je suis excité du matin au soir.

Je n’arrive plus à travailler. Je n’arrive plus à dormir. Je fais des rêves complètement absurdes. J’erre dans la ville jusqu’au lever du jour. J’ai froid. J’ai chaud. Je me sens mal. J’ai mal au ventre, mal à la tête, mal au cœur. Tout ça en même temps. Il n’y a pas si longtemps, je regardais encore les canards au bord de mon lac. Je mets les pieds à la ville, et tout commence à aller n’importe comment. » [5]

Son imaginaire n’est guère outillé pour mouliner un fantasme propice à absorber le choc que lui procure cet émoi sensuel et la beauté insaisissable qui en est la cause.

« Eh oui », soupire le psychanalyste, « sur l’écueil de la féminité, se brisent les meilleurs » [6]…

Freud est touché par l’opiniâtreté du jeune homme qui l’attend dans le froid, immobile sur son banc de la Berggasse, espérant voir surgir « le professeur » dont il attend qu’il l’éclaire sur sa souffrance… À chaque entrevue, sur un banc, ou au cours d’une promenade, Frantz s’acquitte du prix de la consultation au moyen d’un Hoyo de Monterey, havane précieux dont Freud apprécie l’élégance. Le vieil homme consent, amusé et intrigué, car « en ce jeune être puisait la vie dans toute sa fraîcheur, dans sa vigueur, une vie qui avait gardé une certaine candeur » [7].

Candeur toute relative, puisque peu avant le départ de Freud

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pour Londres, le jeune homme résume ainsi ce qu’il a saisi de la psychanalyse à laquelle il est initié au fur et à mesure des tourments qui l’assaillent : « Est-ce qu’il se pourrait que votre méthode du divan ne fasse que détourner les gens des chemins confortables où ils usaient leurs semelles jusque-là, pour les expédier sur un champ caillouteux totalement inconnu, où il leur faut chercher péniblement un chemin, sans savoir à quoi il peut bien ressembler, ni même s’il débouche quelque part ? » [8]

De ce trauma du sexe, Frantz s’accommodera. De celui du savoir, celui qui décille, ouvre les yeux sur le monde, pas beau à voir dans cette Autriche de 1937, à la veille de l’exil de Freud, il restera inconsolable…

[1] Seethaler R.., Le Tabac Tresniek, Paris, Folio, 2016.

[2] Ibid., p. 44.

[3] Leduc C., « Argument. Part. 3 », Attentat sexuel. 50e journées de l’École de la Cause freudienne, Paris, 14 et 15 novembre 2020, publication en ligne (www.attentatsexuel.com).

[4] Seethaler R.., Le Tabac Tresniek, op. cit., p. 57.

[5] Ibid., p. 82.

[6] Ibid., p. 86.

[7] Ibid., p. 134.

[8] Ibid., p. 154.

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Effraction et indicible de la jouissance

Freud crut pouvoir réduire la sexualité au trauma de la séduction par le père (ou, le cas échéant, son substitut), et en faire la cause de l’hystérie. Il se heurta cependant à des points de butée dans les analyses qu’il ne put mener à leur terme. Il s’étonna aussi du fait que ses patientes accusent systématiquement leur père de perversion. Il « n’existe dans l’inconscient “aucun indice de réalité” de telle sorte qu’il est impossible de distinguer l’une de l’autre la vérité et la fiction investie d’affect » [1]. Enfin, dans le cas des psychoses les plus graves, aucun souvenir de séduction ne surgit, pas même dans le délire. Prenant appui sur sa clinique, il renonça à sa neurotica, sans nier qu’il puisse parfois exister des abus réels.

Ce qui fait effraction, c’est la rencontre avec la sexualité comme hors sens. C’est cela qui est traumatique, ce n’est pas l’événement en lui-même : « Le trauma est toujours une effraction de jouissance dont l’effet traumatique est à distinguer de l’attentat qui le produit » [2].

Freud découvrit la structure de l’après-coup [3]. C’est « par un effet rétroactif que la rencontre du premier trauma produit ses effets » [4]. Dans un second temps, au moment de la puberté, l’événement peut être interprété comme sexuel. Le symptôme sera une réponse à ces deux temps intriqués. Le cas d’Emma [5] en est l’exemple parfait : « Les mêmes signifiants se répètent entre les deux scènes, mais à l’origine du symptôme provoqué par la seconde se trouve la jouissance obscure liée à la première ». [6]

Je me suis alors rappelée cette phrase de Serge Cottet : « il ne peut pas y avoir de trauma s’il n’y a pas d’expérience de satisfaction. » [7] Cette assertion freudienne, scandaleuse en

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son temps, l’est toujours aujourd’hui.

Comment la lire avec l’attentat sexuel ? L’abus de l’Autre peut être causé par une sexualité forcée comme lors d’un viol ou d’un inceste, mais aussi « par un événement minuscule, par exemple la caresse anodine d’un père dans le cou de sa fille qui aura provoqué chez celle-ci un frisson aux conséquences sismiques durables. Premier frisson de jouissance sexuelle qui en fait un trauma » [8]. Dans ces deux cas de figure, très différents l’un de l’autre, il y a un réel en jeu, un réel de la jouissance des corps. Une excitation sexuelle peut alors surprendre le sujet entraînant honte et culpabilité. Il peut mettre du temps à parler dans son analyse de ce moment où il a éprouvé une jouissance sexuelle qui l’a surpris. Comment dire cet indicible ?

Une jeune fille arrive en colère à sa séance. Sa mère a trouvé sa tenue inconvenante et l’aurait comparée à une pute.

L’adolescente est affectée par ces mots blessants, sexualisés.

Elle en parle et en reparle. C’est autre chose qui va surgir et qu’elle évoque cette-fois-ci avec gêne. Une scène avec son père, lorsqu’elle était enfant, qui pourrait paraître insignifiante si ce n’est justement l’éprouvé d’un premier émoi érotique. Quelle-est alors la part du fantasme s’il est aussi réel que le trauma [9] ?

[1] Freud S., « Lettre n°69 du 21 septembre 1897 à Wilhelm Fliess », La Naissance de la psychanalyse, Paris, PUF, 1956, p. 191.)

[2] Bosquin-Caroz P., « Un rire qui dénude », DESaCORPS, n°13, 1 4 j u i l l e t 2 0 2 0 , p u b l i c a t i o n e n l i g n e (www.attentatsexuel.com).

[3] Freud S., « Lettre n°75 du 14 novembre 1897 à Wilhelm Fliess », La Naissance de la psychanalyse, op. cit., p. 206.

[4] Stevens A., « Un enfant a-t-il une biographie ? », in Roy D., Zuliani É. (s/dir.), Le Savoir de l’enfant, Paris,

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Navarin, 2013, p. 182.

[5] Freud S., « Esquisse d’une psychologie scientifique », La Naissance de la psychanalyse, op. cit., p. 363-366.

[6] Stevens A., « Un enfant a-t-il une biographie ? », op. cit.

[7] Cottet S., « Freud et l’actualité du trauma », entretien, La Cause du désir, n°86, mars 2014, p. 30.

[8] Chiriaco S., « Ce qui se dit », DESaCORPS, n°14, 17 juillet 2020, publication en ligne (www.attentatsexuel.com).

[9] Cf. La Sagna Ph., « Trauma et après-coup », DESaCORPS, n ° 3 , 9 j u i n 2 0 2 0 , p u b l i c a t i o n e n l i g n e (www.attentatsexuel.com).

L’ inaptitude du sexuel

« Quel rapport peut-il bien y avoir, se demande Vanessa Springora dans son livre Le Consentement, entre ce personnage de papier créé de toutes pièces et ce que je suis en réalité ? M’avoir transformée en personnage de fiction, alors que ma vie d’adulte n’a pas encore pris forme, c’est m’empêcher de déployer mes ailes, me condamner à rester figée dans une prison de mots. » [1] On sait que l’auteure, par son courageux travail d’écriture, n’y restera pas enfermée.

En cela, son livre dépasse les limites du témoignage et fait vibrer par ses questions une autre dimension fondamentale : au-delà de la très mauvaise rencontre, l’irruption traumatique du sexuel y apparait, ainsi que le formule Lacan, comme « ce point-noyau où le discours fait trou » [2]. C’est aussi ce qui de « la sexualité fait trou dans la vérité » [3], articulée au

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fantasme, qu’il s’agit de cerner dans l’analyse.

C’est un point saisissant à la lecture des différents textes préparatoires et des arguments des prochaines journées de l’ECF, « attentat sexuel » : s’y démontre que l’irruption du sexuel fait effraction et déborde toujours d’une quelconque façon la vérité, ce qui peut s’en dire. Une dimension reste en souffrance. À chaque fois la question pourrait se poser, là aussi : quel rapport est-il possible d’écrire entre vérité et ce qui reste en souffrance ? Peut-être est-ce même de ce point-noyau que s’origine, pour une part, l’incrédulité face à certains témoignages de victimes d’attentats sexuels, lorsqu’ils ne savent pas être accueillis de la bonne façon.

On peut aussi penser, quant à ce qui reste en souffrance, aux auto-reproches que se fait la jeune Emma dont parle Freud

« d’être revenue chez le marchand ». Ou encore au profond dégout d’elle-même que vit telle patiente d’avoir, comme elle le formule, « vécu la féminité davantage avec son père qu’avec sa mère » – lorsqu’il l’accompagnait adolescente pour lui acheter ses sous-vêtements, ou qu’elle l’écoutait parler de sa vie extra-conjugale. Pourquoi ne lui disait-elle pas « non » ? se demande-telle aujourd’hui en analyse. Ce « non », retenu en quelque manière, se manifeste aujourd’hui dans sa vie par le refus du corps. Depuis, ses rêves ne sont plus que rêves d’attentats, tandis que sa vie amoureuse et sexuelle s’avère

« un auto-sabotage ».

Parlant de la sexualité qui fait trou dans la vérité, Lacan a cette formule troublante qui éclaire précisément, me semble-t- il, cette question – quel rapport ? : « alors que je parle d’un trou dans la vérité, ce n’est pas naturellement une métaphore grossière, ce n’est pas un trou au veston, c’est l’aspect négatif qui apparaît dans ce qui est du sexuel ; justement de son inaptitude à s’avérer. C’est de ça dont il s’agit dans la psychanalyse » [4].

Cette « inaptitude à s’avérer » est au fond « la vérité de la

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vérité » du sexuel pour le parlêtre. Inapte à s’avérer, le rapport sexuel fait défaut en effet, à se dire véritablement, complètement. Nous sommes irrémédiablement séparés d’une jouissance qu’il faudrait, trou que voile l’amour dans le meilleur des cas. Analysants, c’est aussi un « personnage de fiction » – d’une toute autre nature, il est vrai, si l’on reprend le mot de V. Springora – que nous cherchons à quitter : celui qu’avait tramé notre fantasme comme réponse singulière à cette « inaptitude à s’avérer » dont relève toujours le sexuel, d’où qu’il surgisse.

[1] Springora V., Le Consentement, Paris, Grasset, 2020, p. 170-171.

[2] Lacan J., Mon enseignement, Paris, Seuil, 2005, p. 41.

[3] Ibid., p. 32.

[4] Ibid., p. 34.

Unboxing* consentement

On peut observer dans le couple que forment les notions de consentement et d’attentat sexuel le prisme qui diffracte l’air du temps. Mais alors, que peut-on lire dans le résultat de cette opération ?

C’est sur un détail d’un objet complexe que mon attention s’est arrêtée. Il s’agit du livre de Vanessa Springora, Le Consentement. Objet littéraire, certes, mais complexe de mon point de vue. Je laisse de côté cette considération pour souligner un point qui concerne ce que le titre du livre indexe : comment situer d’un point de vue analytique la notion de consentement ?

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Cette notion qui n’appartient pas au champ de la psychanalyse, mais à celui du droit, pose et relève la discontinuité du désir et de la jouissance. Ces deux domaines ne s’articulent pas sans la participation de l’élément symptôme qui est un mixte des deux. Ainsi, lorsque le sujet est appelé à donner son consentement, tout éclairé qu’il soit, il ne peut l’être sur la part de jouissance intraduisible dans le langage. Que cette part de jouissance n’apparaisse pas dans le consentement ne l’empêche pas d’être active, bien au contraire, c’est tout du moins sa condition de substance inassimilable. Elle est le background qui accompagne le domaine du consentement, son passager clandestin. Aussi, quel que soit l’objet sur lequel porte le consentement, il y a la part de jouissance qui va avec, et qui fait symptôme. Citons les domaines majeurs de la vie des parlêtres auxquels s’applique cette formule : le mariage, le partenaire, le travail, le lien social et, last but not least, les relations sexuelles. Si ces domaines sont des lieux électifs pour le symptôme, son émergence n’est pas sans apporter son lot de complications pour le sujet. Car, comme formation de l’inconscient, il n’est pas reconnaissable comme tel et, ainsi que le souligne Freud : « Il lui faut [à l’analysant] acquérir le courage de porter toute son attention sur les manifestations de sa maladie. » [1] Et en effet, il lui faut ce courage pour aborder la jouissance codée dans le symptôme tant elle est affine à l’obscénité et la honte. Ce que V. Springora indique d’une manière limpide : « comment admettre qu’on a été abusé, quand on ne peut nier avoir été consentant ? Quand, en l’occurrence, on a ressenti du désir pour cet adulte qui s’est empressé d’en profiter ? Pendant des années, je me débattrai moi aussi avec cette notion de victime, incapable de m’y reconnaître » [2].

Si le témoignage de l’auteur fait bien valoir le courage qu’il faut à tout analysant pour entreprendre le décryptage de la jouissance via la construction du fantasme, il relève néanmoins d’une situation qui n’est pas l’ordinaire de tout parlêtre. Ici, il est avant tout question d’abus sexuel dont

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l’un des effets majeurs est de donner consistance à un Autre jouisseur. C’est donc en dehors du scénario supporté par le fantasme que se déploient le périmètre d’action des effets de l’abus sexuel tel qu’il est décrit par V. Springora. Incarner l’objet de jouissance d’un Autre abuseur supprime l’effet de voile propre au fantasme et gomme la barrière des domaines de l’Autre et de la jouissance. Le ravage qui en résulte est d’autant plus puissant que les proches sont complices et que l’auteur de l’abus incarne une figure d’autorité.

La valeur du témoignage de V. Springora tient presque du paradigme, du fait même qu’elle n’occulte aucune des composantes de la trame dramatique qui a lesté son existence pendant presque trente ans.

* Unboxing désigne un usage codifié sur les réseaux sociaux dans lequel un internaute dévoile le contenu d’un colis.

[1] Freud S., « Remémoration, répétition et perlaboration », Libres cahiers pour la psychanalyse, n°9, mai 2004, p. 18.

[2] Springora V., Le Consentement, Paris, Grasset, 2020, p. 163. Nous soulignons « m’y reconnaître ».

Éditorial : Freud et l’attentat sexuel

« Chez Freud, comme chez Lacan, la jouissance, le style de jouissance d’un sujet, est toujours lié […] à un premier évènement de jouissance, à un évènement de valeur traumatique.

Ce sujet relève donc essentiellement, dans sa sensibilité, de

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l’Autre, de ce qui lui vient de l’Autre » [1].

L’évènement de jouissance est-il toujours un attentat ? Voici une question qui parcourt ce numéro essentiellement clinique en direction des prochaines journées de l’École de la Cause freudienne dont le titre ne laisse pas indiffèrent :

« Attentat sexuel » [2].

Retour à Freud [3]. Vous connaissez la phrase. Lacan a dépoussiéré les textes freudiens, extrayant des multiples enseignements. C’est sans doute le pouvoir d’éveil des textes de l’inventeur de la psychanalyse qui a été attaqué quand le maître moderne songeait à les enlever du programme de philosophie en classe de terminale [4]. Freud dévoile que la rencontre avec le sexuel percute, laisse une trace – toujours scandaleuse.

Retour au cas. Ce numéro est exclusivement constitué d’une série de cas : les Cinq psychanalyses de Freud lues à partir d’une seule et même question, celle qui vise à cerner quel a été l’évènement de jouissance qui a fait attentat et quelle a été la réponse du sujet ? Le cas, « la méthode de l’exemple » [5] si chère aux psychanalystes, permet de faire entendre le plus singulier du sujet. Un cas est un cas, indique Éric Laurent, « s’il témoigne et de l’incidence logique d’un dire dans le dispositif de la cure et de son orientation vers le traitement d’un problème libidinal, d’un problème de jouissance » [6]. Les cinq cas freudiens sont ici d’une richesse inépuisable.

Retour aux J-50. Avant d’aborder le cas Dora, Freud note :

« si naguère l’on m’a reproché de n’avoir rien dit sur mes malades, on me blâmera maintenant d’en trop parler » [7]. Le bien-dire est mis à l’épreuve dès qu’un psychanalyste s’avance en présentant un cas. L’exercice comporte toujours un risque.

Ce numéro de L’Hebdo-Blog, Nouvelle série, est l’ouverture d’un bal. À partir de mercredi, une série de cas, issus de la

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littérature analytique et de la littérature tout court, arriveront dans nos boîtes mails, envoyés par la direction des 50e journées de l’ECF. Vous découvrirez des portraits qui cherchent à cerner au plus près ce qui fait attentat sexuel – et ce, toujours au singulier. Nous avons hâte de commencer à les lire. Pour le moment, la première cadence revient à Freud…

[1] Miller J.-A., « Progrès en psychanalyse assez lents », La Cause freudienne, n°78, juillet 2011, p. 186.

[2] Cf. le blog préparatoire aux 50e journées de l’École de la Cause freudienne « Attentat sexuel » : attentatsexuel.com

[3] Cf. Lacan J., « Intervention sur l’exposé de Michel Foucault ‘‘Qu’est-ce qu’un auteur ?’’ », Bulletin de la Société française de philosophie, n°3, 1969, p. 104.

[4] Cf. les numéros de Lacan Quotidien : n°829, 7 avril 2019 ; n°830, 9 avril 2019 ; n°833, 17 avril 2019 ; n°835, 23 avril 2019 ; et n°842, 3 juin 2019, publication en ligne (www.lacanquotidien.fr).

[5] Laurent É., « Liminaire », XXXe journées de l’École de la Cause Freudienne, Paris, EURL-Huysmans, 2001, p. 19.

[6] Ibid., p. 20.

[7] Freud S., « Fragment d’une analyse d’hystérie (Dora) », Cinq Psychanalyses, Paris, PUF, 1999, p. 1.

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