1266 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 4 juin 2014
actualité, info
90 secondes !
Il faut savoir donner de son temps ! Vite dit lorsque nos agendas rivalisent avec ceux des ministres ! Pour éclairer mon propos, je tiens à vous rapporter le parcours d’une patiente que je viens de rencontrer. Cette femme dé
veloppe une maladie dont les différents épi
sodes ont imposé des soins en 2008, 2012 et maintenant 2014. Elle est hospitalisée dans l’hôpital principal de notre région, prise en charge dans une unité hautement spéciali
sée pour un traitement pointu. Dans un souci d’efficacité tout a été planifié : scanner pré
thérapeutique, anesthésie, traitement, con
trôle radiologique après l’intervention. L’orga
nisation est parfaite. Tout va très vite. En un temps record, 48 heures, la patiente quitte l’institution. La performance est remarqua ble, le traitement adéquat et pourtant… l’intéres
sée est furieuse ! Elle écrit à la direction de l’hôpital pour exprimer sa colère !
En fait, une certaine précipitation a proba
blement nui à la prise en charge. Le médecin qui a effectué l’intervention est bien venu la veille parler à la patiente, mais, probablement concentré sur la partie technique de la pro
cédure, il ne s’est pas clairement identifié et la patiente a toujours pensé n’avoir jamais rencontré son opérateur. Le départ de l’unité, organisé par un médecin en formation qui n’avait pas été impliqué dans la procédure, ne s’est pas mieux passé. Cette patiente a
manqué de temps pour réaliser ce qui se passait. Ou plutôt, n’atelle pas souffert d’un manque d’écoute ? Je suis persuadée que les minutes consacrées par les médecins à cette patiente étaient suffisantes, mais que le discours n’était pas ajusté à l’attente de
cette dernière. Elle est alors devenue hermé
tique et inaccessible.
Nos vies médicales sont multiples, sou
vent bien remplies, faites d’émotions, de stress, d’al ternance d’écoute et de décisions.
Nous devons au cours de la journée nous adapter à des situations diverses, endosser des rôles multiples. Si nous n’y prêtons pas garde, la ten sion monte, les gestes devien
nent brus ques, le regard fuit. Notre profes
sion se base sur la communication. Une étude française dé montre que le temps moyen donné aux pa tients pour s’exprimer en début de consultation est de 90 secondes ! Si notre première pré occupation se concentre sur l’at
tente de nos patients, un climat de disponibi
lité, d’écoute va permettre une distorsion du temps. Nous avons tous expérimenté ce phé
nomène : selon l’intensité d’un événement, d’un dialogue, les minutes s’égrainent sans relation avec le cadran de l’horloge. Le fait de prendre du temps, paradoxalement, efface la notion des secondes qui passent. Dès que cette détente est obtenue, car il s’agit bien de relâcher des tensions, nos messages pas sent avec plus d’aisance.
Sans doute me suisje reconnue dans le rôle du technicien des soins, endossé ici par l’un de mes collègues, l’aventure de cette pa
tiente m’interpelle d’autant plus. Nous oscil
lons tous entre le bon «communicateur» et l’huître hermétique. Stimulée par la rédaction de ces quelques lignes, je me suis espionnée au cours des consultations de cette semaine : si je n’interromps pas mes patients, si je laisse un temps de parole clair, le climat change et ma secrétaire s’étonne que je prenne de l’avance sur mon horaire ! Sachons partager avec nos patients nos enthousiasmes tech
niques, ils sont nombreux aujourd’hui, à leur service et disponibles chez nous, mais qu’ils ne fassent jamais écran au dialogue ! carte blanche
Dr Anne Hügli Rue de Candolle 18 1205 Genève annehugli@bluewin.ch
Cancer du sein
D.R.
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